La semaine dernière, un aimable passant est rentré dans la boutique pour me demander s’il était possible de modifier en demi-mesure le cran de revers, qui est la signature visuelle d’une veste. Ce cran de revers, ouvert ou en pointe, est la jonction entre le revers et le col. Lorsque l’on réalise une veste à la main, c’est un point crucial d’esthétique et de finesse, à l’instar du montage des manches. A la fois techniquement car de nombreuses pièces sont imbriquées, et formellement car l’impact de la veste, son harmonie, naitra là.
Bien sûr répondis-je. Le plaisir de la demi-mesure, c’est de pouvoir, en partie modifier les grands paramètres canoniques : aisance, type d’épaule, forme des poches, nombre de boutons devant, forme et largeur du col. Ce qui en plus du tissu et de la doublure, donne un nombre de combinaison presque illimité.
Donc, oui, le col peut se modifier et généralement, les ateliers et faiseurs donnent le choix entre le col classique dit cranté ou sport, le col en pointes sur veston droit ou sur veston croisé, le col châle, etc… Et normalement, l’atelier permet de moduler la largeur du revers. Une opération techniquement pas si simple, à cause du grand nombre de pièces et de l’incrustation des coutures, entre dessus de col en tissu, dessous de col en feutrine, dos, épaules, parementure du devant. Quiconque a déjà essayé de coudre un col sait que c’est très complexe. Probablement plus qu’une manche pour qui est novice.
Je me souviens d’ailleurs de la finale de la saison 1 de Cousu Main, qui avait vu les trois candidats s’étaler sur ce point, alors même que les manches étaient correctes. Coudre un col, c’est se confronter à des géométries complexes et des petits coups de ciseaux experts qui génèrent le cran de revers!
Quoiqu’il en soit, le monsieur m’a demandé d’aller plus loin en modifiant la hauteur de ce cran. Là, hélas, j’ai du répondre par la négative. A cause précisément de ce que je viens d’évoquer, avoir l’opportunité de modifier la largeur est déjà bien. Pouvoir modifier la hauteur est trop.
Le monsieur voulait des crans de revers placés bas, à l’ancienne, alors que de nos jours, l’ensemble de la chaine industrielle et technique s’accorde sur des revers dessinés hauts sur l’épaule. C’est ainsi. C’est le goût du moment. Un goût affirmé il est vrai. Les italiens ont cette tendance à placer très haut, au niveau de la clavicule le cran du revers. Cela entraine toutes les lignes de la veste et place le regard haut. C’est la modernité. Sans que j’y trouve beaucoup à redire, je suis assez heureux moi-même avec cette ligne placée haut. L’allure très pincées des années 20, dignement dessinée par Leyendecker, est basée aussi sur des revers hauts placés, comme ci-dessous. (Mais avec des vestes longues, à l’inverse d’aujourd’hui).
Classiquement, il est vrai que le cran du revers se place un peu plus bas, disons sous la clavicule. Les Beatles jeune, Frank Sinatra, Cary Grant portent ainsi des versions plus classiques. Mon atelier italien, Sartena pour ne pas le citer, a tendance à placer plus bas le cran de revers, une esthétique plus intemporelle, que j’aime à vrai dire moins. Et souvent les clients aussi.
A l’inverse, des années 40 aux années 90/2000, le cran de revers était placé assez bas, plutôt sur la poitrine. Le col coulait autour du cou, s’épanchait généreusement sur le revers. Une autre esthétique. Qui peut trouver sa justification également. Mais les vestes étaient surtout plus longues qu’aujourd’hui, les lignes généralement plus généreuses, notamment les manches et les pantalons. Ce portrait du roi George VI avec la reine mère donne un aperçu de cette ligne plus basse du revers. (Avec une veste pour le coup assez raz-de-pet au goût des années 30 un peu).
J’ai tenté de dessiner cet aller et retour historique. D’un côté le revers placé de manière classique sur le haut de la poitrine, de l’autre le revers placé au dessus de la clavicule. C’est un parti-pris. L’analyse des vestes dans le commerce permet d’apprécier la position du vêtement par rapport à ces canons historiques.
Vous pouvez ainsi choisir votre École. Toutefois, si vous appréciez celle de gauche, il faudra attendre la prochaine grande bascule stylistique, à moins de faire de la grande-mesure.
Belle semaine, Julien Scavini
Bonjour Vous n’auriez pas de projet de pantalon cargo en flanelle de coton ? ou de pantalon coupe S3 en flanelle de coton ? Je ne sais pas si ce tissu est compatible avec ces coupes, les pantalons en flanelle de laine, meme doublés me grattent . Cordialement
Provenance : Courrier pour Windows 10
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Julien, quelle est la raison du revers ? Pourquoi découvre t on la gorge et la poitrine qui sont les parties les plus sensibles au froid ? C est pour faire place à la cravate ? Je ne m expliqué pas pourquoi aucun styliste n a tenté la veste droite sans revers ? Portée à la Arny’s, avec une cravate….Ou remonter le col, vestes a 4 ou 5 boutons. Ce serait plus couvrant.
C’est une excellente question. La veste classique des campagnes ouvrières était fermée jusqu’en haut, comme ce que l’on appelle les vestes de peintre de nos jours. Au XIXème siècle, il y eut aussi le paletot, grand manteau tonneau fermé jusqu’en haut. En commun, un collet, comme sur une chemise.
La veste ouverte découle peut-être d’un usage plus bourgeois. Les bourgeois ne craignaient pas le froid, ils avaient le chauffage central, des écharpes et surtout des manteaux, fermant haut, parfois avec des pèlerines ou des capes. Cette ouverture est peut-être une bravade historique. Une manière aussi de paraitre plus ouvert… au dialogue des affaires…? Comme lorsque l’on déclare ville ouverte, un signe de bonne volonté. Cette ouverture est peut-être plus symbolique qu’on ne le croit. Alors que la veste boutonnée jusqu’en haut est plus renfrognée…?
bonsoir! merci pour cet article. Heureusement en femme on a plus de marge de manoeuvre dans la fantaisie, de mon côté j’ai tenté le cran de col très, très, très bas 🙂
Et pour ma prochaine mise au point de patron de veste sous Grafis, je vais faire la version à col asymétrique, un cran en haut d’un côté, un cran en bas de l’autre, pour le fun
ahah c’est drôle ça !