Il y a quelques jours, un client me demandait pourquoi je n’avais pas fait d’article sur Jean-Paul Belmondo pour lui rendre hommage d’une manière sartoriale. J’étais un peu pris de court, car je venais à peine d’apprendre son décès et l’hommage national était déjà prévu pour le lendemain aux Invalides. Cela dit, en quelques minutes, je réalisais aussi qu’au fond, je connaissais très peu l’acteur, à part quelques vagues souvenirs du Cerveau, et encore, surtout pour David Niven. Pas un sujet facile pour moi. Cela dit, pourquoi pas me suis-je dit.
Le lendemain, les Invalides raisonnaient de la musique de la Garde Républicaine et nombre de personnes se présentèrent pour voir l’hommage. Je vis quelques images à la télévision, au moment du discours de son petit-fils. Entouré d’autres jeunes, je me suis alors dit que les costumes-cravates avaient un peu de tenue, sobres et bien coupés. Ce petit groupe avait un peu d’allure.
Et puis au cours de ma recherche sur le sujet, je fus attiré par des galeries photos des obsèques, à l’église Saint-Germain-des-Prés. J’aime bien ces galeries photos proposées ça et là sur internet, genre Point-de-Vue et Images du Monde. Voir les célèbres de façon ordinaire.
En les parcourant, je me suis dit non. Je ne vais pas parler de Jean-Paul Belmondo, je vais parler de ceux qui sont venus le voir une dernière fois, l’accompagner pour cette traversée du Styx. Pourrais-je penser que ce n’est pas un évènement anodin?
Toutes ces photos ont été prises à l’entrée de l’Église, ou à la sortie. Dans l’ordre, commentons :
- Antoine Dulery a fait l’effort d’une cravate. Et l’Abbé Pierre le remercie d’avoir sélectionné son dépôt-vente pour trouver un costume. Sa compagne n’a trouvé qu’un jean de son côté.
- Bernard Murat a une jolie veste sport. J’ai la même pour aller chez Castorama.
- Albert Dupontel doit avoir une ardoise chez son teinturier pour ne plus oser y retourner.
- Francis Huster a fait un vrai effort remarquable. Dommage que l’étiquette du manteau soit encore en bas de manche. Probablement pour se le faire rembourser le lendemain?
- Guillaume Canet a un joli costume. Bleu.
- Pierre Vernier pensait se rendre aux floralies.
- Michel Hazanavicius ne voulait pas se changer avant d’aller au buddha bar. Alors autant ne pas en faire trop. Sa compagne est pieds-nus. Bah pourquoi pas. Aussi à l’aise à la plage que dans les églises!
- Pierre Richard doit être le père de la Capitaine Marleau.
Je restais coi. Je ne savais même plus quoi penser.
D’abord je me suis dit. A leurs niveaux de rémunération, ne pas pouvoir sortir une fois de temps en temps dans un costume noir un peu décent me sidère. D’autant que le costume noir, c’est presque l’incontournable depuis plusieurs années. Enfin quoi ? Un costume. Noir. Repassé. Trois mots simples.
La plupart sont habillés là comme s’ils se rendaient n’importe où ailleurs. Ils prennent l’avion probablement sapés ainsi. De même qu’ils vont déjeuner à la brasserie probablement de la même manière. Toutes ces tenues, si ordinaires, si banales, si médiocres sont une insulte à tout.
Alors je connais la parade. Elle est double. D’abord que ce sont des saltimbanques. Et que par là même ils ont le droit de s’affranchir des codes bourgeois et de la bien-pensance. Et deuxièmement, que c’est ça l’élégance « à la française », nonchalante, qui sait dépasser les codes. Et donc que tout ce que je pourrais écrire est imbécile et dénué de sens. Et probablement facho ou quelque chose comme ça.
Peut-être.
Ces quelques clichés, pas tous à jeter j’en conviens toutefois, sont l’illustration parfaite d’un cloaque esthétique où plus rien n’a de sens. Tout est mis sur le même plan. On va au magasin de bricolage comme on sort diner. On va au théâtre comme on monte dans le train. On va à des obsèques comme on fait les choses les plus ordinaires. Il n’y a plus de hiérarchie de valeurs. Plus d’intention. Seulement du courant. C’est d’autant plus tragique lorsque des photographes sont là.
Il n’est absolument pas question là de bien s’habiller. Il est juste question de circonstance. De moment.
Il n’est pas non plus question de costume. Il est juste question du bon choix. Et de la dignité de ce choix.
La dignité. Voilà un mot totalement balayé par l’époque contemporaine. Et déconnecté de l’esthétique contemporaine. Un vieux mot, affreux, daté, honni.
On a le droit d’être débraillé parfois. C’est une part heureuse du progrès que je ne nierais jamais. On peut pantoufler mal habillé devant sa télévision ou dans son jardin. On a le droit de ne pas faire toujours un effort pour descendre acheter un litre de lait. Mais on doit toujours avoir le sens de la dignité et de l’instant. Et dans le genre, les obsèques d’une personne sont en haut de la liste. Un instant unique. Le dernier avec cette personne.
Certains parleraient de respect aussi. Mais je déteste ce mot valise, si utilisé et si vidé de tout sens. Non, la dignité, c’est mieux, plus englobant.
Au fond, tout cela n’est pas grand chose. Et j’aurais pu passer aussi vite sur cette galerie photo que sur la météo ou le programme télé. C’est peut-être ça le but actuel, se divertir, s’informer, se divertir, s’informer, zapper, et tout fondre dans une même mélasse. Un peu de tout et beaucoup de « je m’en fous ».
Mais je suis heureux d’avoir pris le temps de réfléchir à cet instant. Et d’avoir songé à Belmondo à travers ses derniers invités.
Jean-Paul Belmondo n’était pas à la ville l’élégant du siècle. Ce devait en revanche être un homme très sympathique et charmant. Et je remercie la pellicule qui elle, grâce à l’érudition et au travail des costumiers, figera à jamais l’image d’un fringant acteur qui a incarné d’élégants personnages !
Bonne semaine, Julien Scavini
Un article digne du Chouan des villes ça nous manquait merci !
Un peu il est vrai 🙂
Bien d’accord avec vous. J’emploie le mot Respect, par contre. Quand je m’habille le jour-là, c’est toujours en pensant à la personne qui nous quitte.
Je suis une femme de 56 ans, et j’ai un tailleur pantalon fluide d’une marque de prêt à porter, noir avec des touches de passepoil écru, avec des chaussures noirs à talons. Cet ensemble, je l’ai depuis plus d’une dizaine d’années. Il est intemporel, sobre.
Je suis comme vous obligé de constater l’avachissement d’une grande partie de nos élites. On prive, de fait, nos plus jeunes de l’émerveillèrent de croiser des aînés inspirants et de ce cheminement qui se faisait en partie par imitation. Je crains par ailleurs que la débâcle vestimentaire ne soit que l’illustration de quelque chose de plus profond…
Quoi qu’il en soit, merci pour la pertinence de vos interventions.
Bonne journée.
Les civilisations ne meurent pas assassinées, elle se suicident ! – Arnold J. Toynbee
Bonjour, je ne suis pas surpris de l’accoutrement de ces « pipoles », et souvent dans des émissions de télévision grand public, genre le plus grand cabaret du monde de Patrick Sébastien, j’ai maintes fois vu des « artistes » avec une cravate dont le nœud était au niveau de la poitrine, je ne citerai pas de noms, car il y en a un paquet.
Que ce soit sur le cinéma ou sur les planches, il y a un soucis du détail, et on ne verrait jamais ça dans un film car l’oeil serait attiré par un personnage.
Vous parlez de rémunération, mais c’est surtout que ces personnes ont pu goûter au sur-mesure, aux belles étoffes; comment revenir en arrière après cela ?
Je crois que c’est dans le Financial Times qu’ils annoncent l’accélération de la fin des codes vestimentaires à cause de la pandémie. Mais ces « artistes » sont dans un monde à part, j’ai l’impression qu’ils doivent attendre Cannes ou les Cesar pour bien s’habiller et encore ce n’est pas toujours à la bonne taille.
Au-delà de la couleur, si jamais vous faites un tour sur Twitter, vous pourriez avoir des surprises, en voyant que les twittos aiment beaucoup les vestes mal coupées, rien que porter une veste est signe d’élégance !
Bonjour, vous écrivez:, j’ai l’impression qu’ils doivent attendre Cannes ou les Cesar pour bien s’habiller
ah bin je me souviens d’une « comédienne » qui est apparue nue aux César, il est vrai que pour exister certain, certaine, sont prêts à tout dans la provocation, et exister.
A depressing sight, the contemporary tendency to treat all events without differentiation.
Especially when it occurs in a culture that used to be a standard-bearer for elegance.
True! Thank you.
Bonsoir,
Je partage votre réaction quant à la vulgarité de tous ces « pipoles ». Mais pourquoi en tenez-vous pour le noir ? On m’a toujours dit que le noir était réservé à la seule famille du défunt et que pour les autres un costume sombre, bleu marine ou gris anthracite, une chemise claire et une cravate discrète convenaient parfaitement…
Vous avez raison.
Le temps ou les acteurs jouaient dans leurs propres costumes (Cary Grant ou Fred Astaire par exemple) est révolu depuis longtemps hélas.
Aujourd’hui le débraillé le chiffonné le mal coupé comme les cheveux ébouriffés expriment le dédain des apparences et des conventions propre aux artistes à l’esprit supérieur. Une affectation qui offre un spectacle désolant
Je suis tout à fait d’accord avec vous et également soulagé. Soulagé parce qu’il m’est arrivé d’assister à des obsèques où les tenues confinaient avec, au choix : le scandaleux, le débraillé, l’irrespectueux, le provocateur, j’en passe et des bien pires. J’étais, au choix : scandalisé, révolté, outré. Mais comme personne ne semblait partager ma façon de voir, j’avais fini par croire que c’était moi qui, avec un costume bleu nuit, une chemise d’un bleu légèrement plus clair et des chaussures noires cirées, n’avait pas la tenue adaptée à la circonstance. Soulagé vous disais-je.
😉
Effectivement ces people ne font même pas l’effort de s’habiller correctement et de porter un costume sobre et une chemise, avec une cravate.
Pour autant le noir ne s’impose pas du tout pour des funérailles, le gris foncé ou le bleu marine conviennent tout aussi bien.
La tenue de Francis Huster me semble très bien, costume, chemise, cravate sobre, en dehors de l’étiquette sur le manteau qu’il aurait pu enlever.
Guillaume Canet ça va aussi, il a un costume bleu foncé, même s’il aurait pu mettre une cravate.
À cet excellent billet, j’ajouterai la confiance apporté par une mise classique, sobre et soignée pour traverser l’épreuve.
On se sent plus fort, c’est presque une armure et personnellement cela m’a donné un supplément de courage pour faire les eloges mortuaires ou porter le cercueil d’un parent, quand les autres s’effondrent en larmes autour de vous.
Je trouve leurs tenues plus respectueuses que vos critiques.
Bravo, rien à ajouter ! Ne rien voir d’autre dans cette horreur stylistique que l’écume de individualisme qui irrigue nos sociétés d’enfants gâtés où « se sentir bien » et « profiter » sont devenus le seul horizon spirituel.
Et de toute façon quel artiste digne de ce nom oserait se plier à une injonction réac’ en mettant un costard alors qu’on est si bien dans un vieux t-shirt ! D’ailleurs Bébel qui comme nous et nos salaires à 6 chiffres était proche du peuple (vous savez, ces bouseux qui votent mal) n’aurait sûrement pas mis de cravate s’il n’avait pas été entre quatre planches. Sacré Bébel va, tu crois quand même pas qu’il cirait ses pompes non plus ? Et tant pis si sa famille a l’impression qu’on va déposer la voiture chez le garagiste, on est artiste ou on l’est pas – attends excuse-moi faut que je décroche, le curé devrait parler plus fort j’ai failli pas entendre la sonnerie de mon portable.
Revenez James Stewart et Lino Ventura !
Merci pour votre billet, je le sens moins seule mais je crains hélas que le négligé et la perte de sens du vêtement ne doit que l’expression visible de la déliquescence de l’esprit. Votre blogue a le mérite de permettre à des jeunes gens qui refusent l’anéantissement, de se former et de progresser. Je pense à un jeune homme charmant et émouvant qui a créé sur youtube une chaîne « élégance vestimentaire » de mémoire, encore merci pour tous ces jeunes hommes, ces élégants en devenir
Merci pour votre article, ça me rassure, je ne suis pas le seul à penser qu’on doit faire un effort vestimentaire par respect pour le défunt.
Plus ça va, plus les gens vont aux enterrements habillés comme pour aller au supermarché. Je comprends bien que tout le monde n’ait pas un costume sur mesure, mais quand même, on peut faire un peu d’effort.
Je suis allé cet été à des obsèques, je n’ai pas osé mettre de cravate pour ne pas trop me faire remarquer (lors du précédent, j’étais le seul) quelques messieurs âgés en avait une, tandis qu’un proche parent était en … pantacourt !!! et un autre avec une veste en polaire et un jean informe …
Si ça continue je m’y ferai moins remarquer en jogging qu’en costume.