La laine froide

Lorsque les températures montent, il est intéressant de se pencher sur les moyens de rendre plus ‘vivable’ le costume. Il est bien sûr possible de passer de la laine au lin par exemple. Mais cette dernière matière se prête assez mal à une utilisation ‘business’. Et la laine reste toujours la matière qui a le meilleur rapport finesse / solidité. La laine est légère, la laine est solide, la laine froisse peu et possède de très bonnes qualités thermiques. Faut-il encore adopter la bonne laine.

Pour l’été, les drapiers ont inventé il y a déjà très longtemps les laines froides, autrement appelées fresco. Penchons nous sur cette dénomination qui parait encore mystérieuse pour beaucoup.

Petit rappel d’abord, un tissu se tisse grâce à deux fils. Un qui est ‘vertical’ et l’autre ‘horizontal’. Ces fils s’entrelacent à 90° pour créer un tissu. Quand un fil horizontal passe au dessus d’un fil vertical et juste après en dessous d’un fil vertical et que ce motif très simple se répète, vous obtenez une armure toile. Armure = type de tissage. Si l’entrecroisement est plus complexe et donne pour effet de créer des côtes diagonales, on parle d’armure serge. Si l’armure est encore plus complexe, on peut obtenir un satin (non le satin n’est pas une matière). Ces armures peuvent être utilisée pour tisser différentes matières : toile de laine et ou toile de soie (souvent appelée taffetas alors), serge de laine ou serge de coton, satin de viscose ou satin de soie, par exemple.

armuresLa serge fut développée car elle est solide et résistante. Elle s’use assez difficilement et résiste aux éraflures. La toile est beaucoup plus fragile, car plus lâche. Mais elle permet plus d’aération, c’est pour cela que les laines froides sont le plus souvent réalisées dans une armure toile. L’air passe à travers. La peau respire et garde sa fraicheur (si la veste est entoilée et non thermocollée bien sûr). Voyez la transparence dans les photos plus bas. (J’ai volontairement laissé la lisière du coupon pour comprendre l’échelle).

Ainsi, vous allez me dire, toutes les laines tissées en toile sont des laines froides, des fresco? Et bien non. Car il existe des toiles d’hiver au demeurant très jolies. Ce qui va faire la différence, c’est le travail sur le fil avant le tissage du tissu.

Premièrement, la fibre de laine utilisée provient souvent du mouton mérinos. Les professionnels parlent à son sujet d’une frisure exceptionnelle. Car elle est revêche, elle ne se plie pas facilement. Les tissus en mérinos possèdent un gonflant remarquable, ils drapent bien et possèdent une grande élasticité naturelle. Ainsi, une simple passage à la vapeur permet de défroisser un lainage mérino.

Deuxièmement, les laines froides ne sont pas constituées de fibres haut de gamme type super 120’s et supérieur. Petit rappel, plus la fibre est longue, plus elle est fine au toucher et donc douce. Le chiffre super XXX’s vient de là. Plus le chiffre est grand, plus la qualité au toucher est soyeuse. Mais plus la laine est fragile aussi. C’est pour cela que les laines froides sont plutôt réalisées dans des fibres courtes et rugueuses, super 60’s, super 80’s et rarement plus de super 100’s.

Troisième point, les fils constituant les laines froides sont tordus, vrillés avant tissage. Cet effet mécanique donne au drap de laine la propriété de ne pas ou peu froisser. Le tomber est toujours impeccable, c’est pratique pour les clients qui voyagent beaucoup. En plus d’être vrillés, ils sont souvent vrillés par paire, tissus appelés ‘high twist’, pour créer des fils ‘double retors’, vous connaissez le terme.

Voici dont les trois caractéristiques d’une laine froide aussi appelée fresco. Les poids sont ensuite importants. Comme l’armure toile n’est pas trop solide, il vaut mieux privilégier les gammes 260 (comme Cape Horn lighweight de chez Holland & Sherry) à 320grs (comme Crispaire du même drapier). Les tissus plus fins (vers 240grs et moins) sont légions mais je ne leur fais pas confiance. Les anglais adorent les toiles lourdes de plus de 340grs, mais il ne faut pas exagérer tout de même.

Les laines froides, à cause de l’armure toile, sont souvent sobres dans les dessins. Car le tissage toile ne permet pas de réaliser une infinité de motif. C’est ainsi que l’on trouve beaucoup d’unis et de fils à fils, appelés parfois ‘petit moulinés’ dans les liasses italiennes comme celles de Vitale Barberis. Les rayures sont bien présentes ainsi que les Princes de Galles. Inutile en revanche de chercher un caviar ou un chevron. Les petits pieds de poule sont très appréciés dans anglais, ainsi que les ‘nailshead’.

Quand la toile de laine est un peu grossière, les américains appellent cela un ‘hopsack’.

 Lorsque la toile ne possède pas toutes l’un des trois caractéristiques décrites avant, le drapier peut aussi faire une laine froide en ayant recours à un artifice, comme par exemple l’association de deux fils épais, non vrillés mais simplement accolés en parallèle, pour créer un dérivé de la toile, le natté. Le natté est très beau mais fragile. Ses ‘mailles’ peuvent s’accrocher facilement mais il est ultra aéré ! On ne peut réaliser de pantalon dans cette matière. (Un cousin du natté est le reps, souvent en soie, qui raye très facilement, souvenez vous des cravates Arnys).

Enfin, en sortant légèrement de la catégorie stricte des laines froides, on trouve les mélanges laine et mohair. Le mohair est le poil de la toison de la chèvre mohair. C’est un poil très rêche, très retors, assez rugueux ou toucher mais qui a la qualité d’être très solide et infroissable. Avec le mohair, on peut ainsi créer des tissus à l’armure très aérée et à la résistance à toute épreuve. Mais le mohair est rêche et pique. C’est pourquoi les fabricants ont souvent recours au ‘kid mohair’, le poil des petites chèvres jeunes. Mais cette matière est plus couteuse. On utilisait auparavant le poil de l’alpaga pour sa douceur.

Les mélanges laine mohair sont souvent un peu brillants et très lumineux au soleil. On utilise jamais plus de 30% de mohair. Parfois même, la toile laine mohair est double retors, ce qui signifie que le tissu est indestructible ! Mais raide.

Enfin, si l’on ne veut pas de laine froide et que l’on préfère un tissu plus solide, il est possible d’utiliser une gabardine de laine. Si elle est réalisée en mérinos, elle peut être très très légère. Et dans une quantité de couleurs… voyez cette liasse de Bateman Ogden :

Bonne semaine, Julien Scavini

15 réflexions sur “La laine froide

  1. elajou@free.fr 15 juin 2015 / 21:57

    Bonsoir,

    Merci pour cet article, toujours aussi intéressant.

    Je me permets de vous signaler qu’on écrit « le toucher », « le tomber ».

    Bonne soirée,

    Edith Lajou

  2. RoSaCe 15 juin 2015 / 23:18

    Merci de cet article très intéressant ! C’est très agréable de mettre une technique et une explication derrière des noms que nous voyons et portons sans les connaitre finalement !

  3. Leturcq 16 juin 2015 / 09:56

    Très utile pour ceux qui vivent en milieu chaud plus de 6 mois de l’année 🙂 Merci.
    Les mélanges à base de laine (laine+soie ou lin) partagent-ils les même 3 caractéristiques?

    • Julien Scavini 16 juin 2015 / 12:44

      Bonjour,
      non, je ne pense pas que les mélanges aient les mêmes caractéristiques. Car le lin ou la soie ne doivent pas supporter le retors.

  4. Adrien 16 juin 2015 / 11:48

    Petite faute trop courante à la fin de l’article : « On N’utilise jamais ». L’article est très instructif, bravo.

  5. mithe 18 juin 2015 / 20:25

    C’est toujours un plaisir de venir s’instruire par ici !
    N’oublie pas mes commandes Julien !
    Simple ou double croisé ?

    • Julien Scavini 22 juin 2015 / 21:29

      J’y pense, j’y pense 🙂

  6. @d@v 22 juin 2015 / 13:18

    Merci beaucoup pour cet article (et pour tous les autres !)
    Une question : quid de la tenue de cette laine froide, notamment pour les pantalons ?

  7. Stephane CLAIR 27 juin 2015 / 06:27

    Extrêmement intéressant!
    Proposez-vous des vestes en fresco et si oui à quel prix (en demi-mesure)?
    Merci.

  8. kaer 30 juin 2015 / 22:54

    Help!
    Par ces temps de canicule, quelle chemise porter pur ne pas avoir d’auréoles sous les bras, voir ailleurs, lorsque l’on a une présentation à faire au travail (type de tissus, présence de motifs, de « texture »,…)
    Merci de votre aide.

    • Julien Scavini 5 juillet 2015 / 16:20

      Bonjour monsieur,

      hélas je n’ai pas beaucoup de solution. Une bonne chemise ne doit pas contenir de polyestères. C’est déjà un point. Cette matière fait transpirer, c’est un fait. Ensuite, il est plus intéressant de privilégier les popelines, qui sont plus ‘sèches’ et aérées que les twills. Mais au delà, le poids est très important. Moins de 120grs /m est idéal. Mais comment le savoir en PàP…

  9. Hugo 6 août 2015 / 10:24

    Très bon article, merci. Un mystère de moins pour moi !

    Pouvez-vous expliquer également ce qu’on entend par « laine sèche » ? J’ai tenté quelques recherches sur notre ami Google, mais sans succès.

    • Julien Scavini 7 août 2015 / 09:28

      Laine sèche, juste un adjectif non officiel, qui désigne une laine lisse au toucher, par opposition aux laines peignées ou grattées type flanelles.

      • Hugo 7 août 2015 / 09:54

        C’est tout simple, mais encore fallait-il le savoir. Merci beaucoup pour votre réponse rapide !

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