Arrivé chez un tailleur anglais, la première chose qu’il vous demandera est ‘petit tweed ou worsted?’ Sous ces appellations se cachent en fait les deux grandes catégories de laines : les cardées (woollen), c’est à dire assez brutes, souvent vierges, simplement filées et tissées, qui donnent des tissus très rustiques ou très flanellés. La flanelle est un tissu cardé à l’origine. La seconde est la catégorie des laines peignées (worsted), c’est à dire dont les fibres ont été raffinées avant tissage, pour obtenir des tissus de catégorie supérieure. Le terme super 120’s par exemple provient du peignage et du raffinage des fibres laineuses.
Ces tissus peignés peuvent être soit très lisses au touché soit un peu flannellés, c’est à dire duveteux, laineux. Mais le procédé pour arriver à ce résultat est très différent des flanelles et autres tissus cardés. Il y a donc là un petit piège.
Cet honorable tailleur en posant cette question vous oriente alors vers les deux grands pans de la mode masculine classique : le registre sport d’un côté, le registre ville de l’autre.
Intéressons nous cette semaine au registre de la ville. Prenons une liasse typique fictive. Les tissus composant celle-ci sont d’un poids moyen. C’est à dire en 1970 400grs, en 1990 340grs, et en 2014 260grs. Vous le voyez, suivant votre goût, vous vous orienterez différemment. En 2014 toujours, la jauge moyenne des fibres laineuses est super 110’s/ super 130’s. En 1990, elle devait être super 80’s. Les moutons donnant les laines fines doivent être élevés dans des conditions de tranquillité absolue, plutôt en plaine qu’en montagne, pour que leurs fibres soient douces. La race de moutons mérinos est très en vogue de nos jours. En Europe, longtemps fut utilisée la laine de moutons de race cheviot. Hélas, j’ai entendu dire que sa laine est maintenant considérée si épaisse et intissable pour l’industrie du vêtement que celle-ci n’en veut plus et qu’elle est tout juste bonne pour les tapis et l’isolation des maisons.
Dans cette liasse type, nous trouvons d’abord des unis. En général, le choix est toujours le même : trois gris, de l’anthracite au gris clair accompagnés de trois bleus, minuit, marine et air force. Ces tissus teints en pièce sont très unis. C’est pourquoi ils sont quelques fois complétés des mêmes coloris, mais en fil à fil, proposant un effet plus chiné, avec un peu de blanc dedans. Quelques fois également, les unis sont tissés en twill (serge) visible à ses petits raies diagonales et les fil à fil sont tissés en toile, pour un grain plus présent sous le doigts. Ces premiers choix sont les meilleurs, les plus versatiles et pratiques. Il ne faut pas hésiter à taper dedans le plus souvent possible, quitte même à avoir de faibles différences d’un costume à l’autre (trois boutons contre deux boutons, poches horizontales ou en biais etc…).
Ensuite, vous pourrez trouver dans la liasse trois ou quatre caviars (birdeyes en anglais). Le caviar se reconnait à ses petits ronds de couleur sur fond noir. En effet, cette étoffe consiste à placer dans les ‘yeux’ la couleur dominante, assez claire parfois, en éteignant le tout avec une trame de fond noir. Les caviars anthracite, gris moyen et gris clair sont intemporels. Les caviars bleus peuvent être très beaux, mais il faut se méfier de la présence parfois trop forte de cette couleur. Le caviar est très intéressant, car il donne une lecture d’échelle de votre costume. De loin, il est absolument uni. Par contre, plus vous vous approchez, plus la couleur dominante va se dissocier pour faire apparaitre des nuances et rendre le tissu vibrant. La taille de ‘l’œil’ varie aussi, les italiens le préférant petit, les anglais plus gros.
Les caviars ne doivent pas être confondus avec les tissus également tramés que les anglais appellent ‘nailshead’, tête d’épingle en français. Ceux-ci sont difficiles à décrire. Le fond plutôt uni est parsemé à intervalles très rapprochés de petits motifs fins légèrement plus clairs. Parfois ce tramage est intensifié à la verticale, ce qui fait apparaitre des lignes verticales, presque des rayures.
Après les unis et les caviars viennent les chevrons. Souvent moins bien considérés par les clients que les autres étoffes, les chevrons constituent un met de choix pour le gourmand de costumes. Ils ont l’immense pouvoir de faire vivre le tissu, de le dynamiser. Certains chevrons irisent en effet le drap, donnant une brillante changeante d’une raie à l’autre. Nous ne sommes pas dans le registre de la rayure, mais l’effet est similaire. La matière est riche, elle vibre. Ces chevrons peuvent être disponibles en gris, de l’anthracite au gris moyen et également en marine. C’est superbe !
Ces étoffes classiques sont en général complétées par quelques coloris amusants ou plus clairs, bleu pétrole ou indigo, des beiges, des motifs fins comme les pieds de poule fondus etc.
Viennent ensuite les motifs marqués. Les premiers sont les rayures, rayure tennis à raies très fines et marquées ou rayures craies, à raies plus larges et estompées. Le conseil le plus simple qu’il soit possible de donner est de choisir des tissus à rayures blanches. La rayure blanche est la plus simple à coordonner, la plus élégante aussi d’une certaine manière. Ceci dit, les drapiers placent souvent des tissus gris moyen à rayure bleue ou bleu marine à rayure ciel. Votre propre goût doit vous guider.
Les carreaux se font assez rares dans les liasses de ville, car il s’agit plutôt d’un motif sport. Malgré tout, les chevrons sont parfois ornés d’une fenêtre bleue ou rouge. Et évidemment, les tissus Prince de Galles sont toujours bien présent. Ceux-ci sont très recherchés par les connaisseurs. Le PdG classique est gris moyen ou gris foncé. Il présente le plus souvent un carreau fenêtre bleu ciel ou rouge brique. Ce PdG peut être parfois fondu, presque invisible ou au contraire très marqué. Le PdG bleu est plus rare. Pour autant, il peut être très beau, surtout rehaussé d’une fenêtre bleue elle aussi.
Bref, voici un ensemble de tissus classiques qui devrait vous permettre de vous habiller au mieux, sans difficultés ou peur du ridicule. Un choix large aussi qui vous permettra pendant de nombreuses années de faire réaliser des costumes sans redondance.
Bonne semaine, Julien Scavini
Et que diriez-vous des rayures multiples (« multi-strip ») ?
Une curiosité qui peut être de bon goût, même si c’est rarement le cas.J’en avais vu une très belle dans une ancienne liasse, que je n’ai jamais retrouvé hélas !
Julien,
Excellent article comme toujours, juste le prince de Galles un motif de ville ? je pensais que nos amis anglais le réservait pour la campagne, j’en veux pour preuve Son Altesse Royale le Prince Charles qui jardine en pdg et pull en cachemire.
amicalement,
Louis.
En effet, c’est un long débat. LE plus souvent, le pdg est associé aux tissus de ville, car les teintes sont grises ou bleues. Mais il existe aussi de très beaux pdg tan et beige pour l’été !
Je me suis permis de vous contredire car j’en fais moi-même une utilisation « sport », mais je comprend votre point de vue et vos arguments, même si pour moi tout gris autre qu’anthracite est plutôt reservé à la campagne (flanelle, pdg…).
C’est assez vrai, mais voilà une position très difficile à expliquer au commun et mêmes aux amateurs… Mais c’est vrai !
Monsieur,
Merci pour cet article. J’ai découvert votre site par l’intermédiaire de « parisian gentleman » et il est « de bonne facture », c’est à dire intéressant et bien écrit. Je vous félicite donc et j’espère que nous aurons la joie de vous lire longtemps.
Salutations distinguées.
Stéphane Mettetal.
Très bon article, comme toujours. 😀
Bonjour Julien,
Cela fait 2 semaines que j’ai decouvert votre site et je tenais a vous feliciter pour son contenu qui est instructif et de qualite!
Merci beaucoup et bonne continuation!
Philippe
Aurons-nous le plaisir de lire l’article équivalent pour le registre sport ?