Je ne regarde pas beaucoup la télévision. Mais l’autre soir, lorsque j’ai vu que sur Arte démarrait une adaptation d’Hercule Poirot, je n’ai pas résisté. Un de ceux avec Peter Ustinov datant des années 80. Elles ne sont pas nécessairement mes préférées, l’atmosphère de la série anglaise avec David Suchet m’apparaissant plus précise, plus anglaise surtout.
Mais tout de même, ces grandes adaptations pour le cinéma ont du panache. Il y eut Mort sur le Nil (1978), Meurtre au soleil (1982) et Rendez-vous avec la mort (1988). Ceci dit, Peter Ustinov en plus de ces trois films interpréta Hercule Poirot encore trois fois, pour des téléfilms.
Malgré quelques éléments de kitsch typiquement années 70, ces grandes adaptations ont du style. Nino Rota composa la bande son de Mort sur le Nil. Et pour Meurtre au soleil dont il est question ce soir, c’est Cole Porter qui travailla! De quoi déjà, planter un environnement sonore de haut vol. Écoutez plutôt pour commencer :
Plongeons donc dans cette adaptation haute en couleur, qui fait du bien ces temps-ci. Anthony Powell qui avait reçu l’Oscar de la meilleure création de costumes pour Mort sur le Nil reprit légitimement du service. Les habits masculins distillent une atmosphère typique des gravures d’Apparel Arts avec une goutte de tapage typiquement années 70. Mais l’esthétique de cette époque ne cherchait-elle pas justement à retrouver la grandeur d’années trente rêvées ?
Commençons par Peter Ustinov, alias Hercule Poirot, qui dans la V.O. parle un français parfait lorsqu’il faut, apportant une profondeur véridique au personnage du fin limier belge. Dans une des premières scènes, son smoking est associé d’un gilet classique et montant, bordé d’un « slip », minces bandes de coton blanc. C’est un peu curieux, mais pourquoi pas. Les costumiers de cinéma travaillent d’après photo, cela donc devait se faire. La pochette est mono-grammée HP. Le comble du chic, bien mise en évidence. Et cette coupe à désert, diantre !
L’intrigue est lancée, tout le monde est arrivé sur l’île. Hercule Poirot loin de se reposer laisse déjà ses oreilles écouter et ses yeux balader. Il faut dire que les amitiés et inimitiés sont légions et se révèlent bien vite. Tenue amusante pour notre détective, un complet à veste « norfolk » ceinturée. Quatre boutons, bas carré, poches sans soufflets, mais dos avec un pli creux au milieu et une martingale. Du lin probablement.
Et bien sûr, des chaussures à guêtres. Sous les tropiques, quoi d’autre?
Un petit peu plus loin, Peter Ustinov change de pantalon, en recourant à une paire de knickers associé à des guêtres montantes, ou bandes molletières. Une trouvaille de style du début du siècle. On dirait un ornithologue allemand ! Mais quel panache.
A part cette tenue, il arbore au début et en fin de film, un complet grisâtre associé à un gilet de seersucker blanc, aux boutons fantaisie. Intéressant. Et toujours cette pochette ostensiblement disposée sur le HP. Si Alexander Kraft ose faire de même dans sa prochaine vidéo pour Cifonelli x Bentley, je lui offre une bouteille de champagne!
Vous avez fait attention à la chemise ? Je vous la montre en gros plan dans une autre scène :
La rayure est horizontale sauf sur la gorge boutonnée. Une trouvaille à montrer à Marc Guyot !
Passons à l’homme qui pousse Poirot à aller enquêter au milieu de ses vacances, Horace Blatt. Il a peu de scènes. Un blazer croisé 6×3 marine puis blanc suffit à habiller le personnage ; avec une seule cravate. Notez la montre tombant dans la poche poitrine retenue par une sangle en cuir. La grande fleur en soie alterne la couleur, avec la pochette, rouge sur blanc, blanc sur rouge. Simple et efficace. Ça fait un peu vieux riche à Monaco ce type de blazer, mais quelle allure quand même !
Le mari riche et mal aimé rencontre Poirot dès le bateau. Son costume gris n’est pas tout lisse, c’est un prince-de-galles sans fenêtre, super distingué ! Raffiné, discret mais expressif.
Tonnerre d’applaudissements pour sa veste de sport gansée de tissu à cravate. Quel chic, quelle distinction, quelle préciosité.
Apothéose lorsque la veste est tombée, le pantalon est ceinturé par… une cravate. Grand style des années 30 et 40 ! Quel plaisir décidément.
J’ai noté un peu plus loin, 1- la longueur des manches courtes du polo, plutôt longues et 2- la ceinture demi-montant du pantalon.
Un beau blazer à écusson complète la garde-robe du personnage de Kenneth Marshall. Joli ce carré de boutons dorés. J’aime bien les croisés avec les deux boutons décoratifs en haut, genre 6×2. Mais là c’est élégant tout de même en 4×2.
Passons au personnage de Rex Brewster ci-dessus en cardigan. Journaliste mondain, homosexuel patenté, il s’habille légitimement avec plus de décontraction, et avec un art certain des accords de couleurs, voyez plutôt :
Ses sorties-de-bain, on dit aussi peignoir, sont extraordinaires. Oui oui! Et le costumier s’est amusé a en coudre deux, rien que ça. Une gansée de bleu pour aller avec le maillot de bain rayé, l’autre totalement rayée. Excellent !
Mention spéciale pour l’écharpe monogrammée là encore. Alexander Kraft, prenez des notes, en matière d’égocentrisme, il y a toujours à apprendre. Joke.
La semaine prochaine, suite et fin de ce décryptage de Meurtre au soleil. Terminons ce petit tour d’horizon par quelques vues générales, distillant cette superbe atmosphère à la Apparel Arts. J’espère que cela vous a plu. Regarder un film image par image prend… du temps !
Belle et bonne semaine, Julien Scavini
Merci, votre analyse est un régal. La mode masculine mérite d’être ainsi décortiquée, et quel travail pour les costumiers !
Merci pour ce décryptage
Avez-vous remarqué – oui, certainement- l’élégance raffinée de Marc Fumaroli ?
Cordialement
Merci pour cette superbe et exaltante analyse!
Connaissez-vous une autre production britannique, la série télévisée de la BBC Pays de Galles ”Upstairs – Downstairs” deuxième époque, tournée entre 2010 et 2012, dont l’action se déroule à Londres entre 1936 et 1939. La garde-robe féminine est époustouflante, le maquillage est parfait, mais les personnages masculins sont impeccablement habillés.
Je voulais dire: «les personnages masculins sont impeccablement habillés auss»
Pour moi rien ne surpasse l’élégance de David Niven lorsqu’il fait une apparition dans Death on the Nile, 5 ans avant sa mort.