Les vêtements matelassés sont devenus très courants. Mais je me souviens dans les années 2000 lorsque j’en cherchais, ils étaient presque introuvables. Seul Barbour faisait déjà sa veste Liddesdale, une merveille dont j’apprécie la légèreté. Le Chouan des Villes en son temps avait parlé de cette pièce simple et légère du vestiaire masculin dans son article Court éloge du husky.
Cette veste ainsi que la plupart de celles que l’on trouve sur le marché présentent un motif de matelassage auquel on s’est habitué, en losanges. Ou plutôt en carré disposés en diagonale. Pourquoi un tel placement du matelassage? La raison est assez simple et très technique. Les tissus à matelasser sont placés dans un banc automatique qui matelasse en continu. Le « sandwich » avance, tendu entre deux rouleaux, l’un qui déroule, l’autre qui enroule. Au milieu du banc, des machines à coudres s’agitent en dessinant des zigzags alternant vers la droite ou vers la gauche, alors que le tissu déroule : ><><><><. Les machines vont de gauche à droite et de droite à gauche, pendant que le tissu avance. Il en résultat des zigzags qui se croisent et s’entrecroisent. Si les carrés étaient à l’horizontal, ce serait beaucoup plus long, il faudrait que le tissu s’arrête le temps de faire toute la largeur : —— . A l’inverse, pour les longueurs, le tissu pourrait avancer | | | | |. Mais il faudrait arrêter à chaque largeur -|-|-|-|-| Donc, la diagonale est préférée. Il faut aussi avoir à l’idée que ce n’est pas la même machine qui fait toute la diagonale. Non non, la course de la machine est réglée sur quelques losanges de large seulement, puis elle change de direction.
En plus, lorsque l’on matelasse, les couches réagissent entre elles et le réglage des machines doit être précis. Piquer sur les diagonales en même temps permet de plaquer le sandwich dans son biais.
Un autre motif de matelassage semble très à la mode en ce moment. Ce sont les japonnais et les coréens qui j’ai l’impression l’ont mis à la mode. Le matelassage en courbes. Là, les machines n’ont plus à piquer des zigzags ><><><> mais en sinusoïdes. De longues courbes s’entrelacent ()()()()()(. Il est amusant de constater que pour les crédences des cuisines, les motifs similaires dits en lanterne sont aussi à la mode.
Il est très important de penser que pour arriver à ces résultats, il faut simplement être un bon régleur de machine et qu’il faut apprécier la géométrie mathématique. Il faut jouer entre l’avance du tissu et le défilement horizontal des machines à coudre. Comme dans une imprimante en fait. L’alliance des deux mouvements par un jeu géométrique crée la forme. Pour des carrés diagonales, la machine va de gauche à droite avec linéarité, pour des courbes, elle va de gauche à droite à vitesse variable. En s’amusant un peu avec la programmation, il est même possible d’obtenir des amusements comme cela :
Toutefois, il n’en a pas toujours été ainsi. Le matelassage a toujours été utilisé pour solidariser entre elles des couches de tissus. Pour deux raisons : un, rendre le sandwich de matières plus isolant et deux, pour rigidifier le sandwich. Deux ou plusieurs tissus matelassés entre eux deviennent un nouveau tissu qui a naturellement de la rigidité.
Le pourpoint de Charles de Blois datant de la fin du XIVéme siècle est un bel exemple de matelassage. Réalisé à la main bien sûr, la machine n’existant pas à l’époque, ses lignes de coutures permettent de donner un galbe caractéristique aux différentes parties, qui acquièrent de la tenue. Le matelassage en plus des deux caractéristiques évoquées plus haut permet aussi de renforcer le tissu au percement et de donner un aspect molletonné, ce qui est utile sous une armure. C’est d’ailleurs pour cela aussi que les tapis qui se positionnent entre le cheval et la selle sont matelassés. Cela crée un petit coussin.
Sur un habit du XIXème siècle que j’avais restauré pour le compte d’un client, j’avais aussi pu admirer le matelassage intérieur, sur les doublures, en particulier au niveau du buste avant. La doublure était prise en sandwich avec les entoilages, si bien que le plastron, c’est à dire l’entoilage de la poitrine était particulièrement rigide et donnait à la queue-de-pie en question un aspect pigeonnant caractéristique. La porter, c’était porter une armure. De l’extérieur, rien ne paraissait. Mais dedans, quelle gaine rigide ! Les lignes de matelassage n’étaient absolument pas régulières. Elles suivaient les lignes de force et épousaient le courbes du patronage. Elles étaient faites sur le vêtement. Ce n’était pas un tissu pré-matelassé.
Autre exemple d’un matelassage artisanal, suivant un tracé défini pour un vêtement. La doublure intérieur du manteau de cérémonie de Lincoln, par la tristement défunte marque Brooks Brothers. Le matelassage de la doublure avec une ouatine donne du relief. C’est si joli. On peut tout faire en plus.
Mais revenons au matelassage mécanique. On ne matelasse pas seulement pour emprisonner sous un tissu un autre tissu plus ouaté. On matelasse aussi pour créer des chambres creuses dans lesquelles placer quelque chose. Comme du duvet de canard. Alors, le matelassage est horizontal, pour emprisonner le duvet dans des étages. A la façon de bibendum. Si l’on matelassait à la verticale, le duvet se retrouverait par gravité en bas du vêtement. Donc, non, il faut garder à chaque étage le duvet, horizontalement. On parle alors plutôt de rembourrage que de matelassage. Le matelassage horizontal est assez à la mode, pour son aspect épuré et moderne, là où le matelasse losange fait bien plus british et traditionnel.


Mais puisque je parle du matelassage vertical, finissons avec. Il est possible en effet de matelasser verticalement, seulement. Sans effet diagonale. Cela se fait beaucoup dans l’automobile ancienne, où le matelassage vertical est synonyme de vitesse.
Arnys avait vu ce détail quand la gamme de sacs de voyage était sortie. Le matelassage vertical distillait cette idée de vitesse et de belle voiture :
Mais le matelassage vertical, c’est aussi une tout autre référence. Un pays s’était fait une spécialité du matelasse vertical : les soviets. Voyez ces quelques exemples d’uniformes militaires soviétiques. Évidemment, c’est un peu moins glamour.
Chinois et coréens du Nord ont aussi eu matelassé leurs uniformes à la verticale :


Mais enfin vous préférerez revenir à Arnys je pense. Voyez cette veste inspirée de l’Asie, à matelassage vertical. Une trouvaille pas facile à mettre :
Jean Grimbert avait aussi dessiné ce grand manteau assez incroyable, avec le sac d’ailleurs :
Ce matelassage vertical, je suis sûr qu’il fut employé également en Chine Ancienne. Je suis persuadé d’avoir vu des gilets matelassés verticalement pour accompagner la robe traditionnelle des mandarins. J’avais dessiné cela, mais à cette heure de la journée, je ne retrouve plus mes références. Enfin, avec un bon dessin, vous comprendrez. En tout cas, il est amusant de constater que derrière un sens de matelassage, il existe des significations et des nationalismes enfouis.
Belle et bonne semaine. Julien Scavini












Félicitations!
Vos articles sont toujours grandement intéressants avec un souci du détail, une très bonne préparation et recherche et tellement bien imagés. C’est un plaisir renouvelé de vous lire à chaque parution!
Au plaisir,
Sylvia
Je me rappelle de F Mitterrand dans sa fin de vie (1994 ?) qui portant un manteau vert a col châle. Matelassé verticalment. Très probablement de chez Arny’s. Je ne suis pas arrivé a coller une des rares images que j’ai trouvées dans cet encart.
Bonne soirée.
Nicolas
Très bon article ! Il est à noter que les vêtements pourpointés étaient une bonne alternative aux protections métalliques, durant une partie du moyen âge. La densité de textiles des vêtements comme les gambisons offrait une protection honorable contre les armes de taille. Par contre, c’était bien moins efficace contre l’estoc…