L’uniforme asymétrique de la United States Space Force

Alors que j’écrivais un article sur l’uniforme des pilotes de ligne (à paraitre dans Airways Magazine), je tombais sur une tenue particulièrement intéressante, ou amusante, c’est selon. Il s’agit de l’uniforme de la jeune United States Space Force, créée en 2019. Elle ne pouvait se contenter d’un simple uniforme hérité de l’Air Force, elle devait marquer sa singularité. Quoi de mieux, pour se distinguer, qu’un vêtement de parade à boutonnage asymétrique d’un large pan croisé obliquement sur la poitrine ? Quelle définition. Voyez plutôt :

Très intéressante n’est-ce pas? Cette oblique surprend l’œil moderne, habitué à la verticalité sobre des chemises et vestes. D’autant plus que une telle oblique n’est pas facile à patronner. Sur un homme, c’est déjà coton, sur une femme avec le développement de la poitrine, ça devient une gageure. Pourtant, elle s’inscrit dans une longue tradition, celle du dolman. Dès le XVIIIᵉ siècle, la cavalerie hongroise arbore le porte : une veste ajustée, couverte de brandebourgs et de tresses. Les hussards en France popularisent cette allure flamboyante : le torse barré, la silhouette nerveuse, la martialité transformée en spectacle. Voyez les deux exemples dans l’ordre, le premier s’arrêtant à la taille, le second avec de petites basques emboitant les hanches :

De Vienne à Paris, de Varsovie à Saint-Pétersbourg, toutes les armées continentales copient ce modèle. Les uhlans prussiens, les lanciers français ou autrichiens, puis les chasseurs de toutes sortes adoptent des coupes similaires. Ce torse rehaussé d’un large V est signe de dynamisme, de singularité et, disons-le, de panache. Toutefois là, rien d’asymétrique. Bien au contraire. L’ouverture est au centre, les pans se chevauchent d’ailleurs très peu (on dit qu’il n’y a pas de croisure) et les brandebourgs cherchent la symétrie parfaite.

C’est que l’asymétrie dans le vêtement est très très rare. Deux exemples me viennent en tête. Le premier est hors sujet ici, il s’agit des robes asiatiques pour hommes, types tuniques d’Empereurs et de mandarins, voyez plutôt ce sublime exemple chinois, autour de 1800 :

Le second exemple est plus intéressant, plus proche, et plus utile à ma démonstration. Il s’agit du dolman porté par les grooms et chasseurs d’hôtel dans les années 20 et 30. Comme on peut le voir sur cette excellente reproduction dans le film de Wes Anderson, Grand Budapest Hotel :

Là, on trouve une asymétrie de boutonnage, avec un pan chevauchant largement l’autre pour se boutonner, à la manière d’une veste croisée, assez loin sur le pan droit. C’est beau. On en connait un autre, c’est Spirou, dont la première version en 1938 figurait un dolman à grand V boutonné.

Ce grand V boutonné symétrique mais à fermeture asymétrique a inspiré Hollywood. Les costumiers des séries de science-fiction des années 60 cherchent à imaginer l’uniforme de l’homme du futur. Or, quel vocabulaire emprunter, sinon celui déjà chargé de symboles ? Dans Star Trek, la série originale, ce système de croisure décalée tape dans l’œil des costumiers. Mais pour alléger la veste, la rendre plus minimaliste et éviter de leur donner une allure de groom et de hussard hongrois, exit les boutons. Une agrafe, sorte de fibule new-age est simplement rajoutée à cheval sur l’épaule. Ça ne manque pas d’allure. Mais c’est plutôt années 1970 que 2070 au final non?

Un truc stylistique qui sera repris dans Star Wars ainsi que dans Battlestar Galactica pour donner un air de discipline martiale ou pour signaler l’ordre hiérarchique et la solennité militaire.

On voit alors la boucle se refermer : le dolman hongrois inspire l’Europe, qui inspire Hollywood, qui inspire aujourd’hui la Space Force américaine. L’histoire du vêtement militaire est rarement linéaire : elle procède par citations, réinterprétations, réemplois. Dans l’espace, on recycle le XIXᵉ siècle pour inventer le XXIIᵉ. L’armée de l’espace ne pouvait s’habiller comme de simples terriens. Il lui fallait une singularité iconique, presque théâtrale, propre à graver dans l’imaginaire collectif son existence toute neuve. C’est toutefois signalons le un prototype. Une sorte de compromis entre le dolman du hussard et le costume d’officier klingon.

Dans cinquante ans, peut-être jugera-t-on cet uniforme comme une réussite symbolique, capable d’incarner l’entrée de l’humanité dans l’ère extra-atmosphérique. Ou peut-être le rangera-t-on aux côtés des bizarreries vestimentaires que l’histoire militaire a produites en abondance : casques à crête trop lourds, pantalons garance, vareuses à boutons inutiles. Quoi qu’il en soit, l’affaire est claire : même au XXIᵉ siècle, l’uniforme militaire ne se contente pas de vêtir. Il convoque l’histoire, recycle l’imaginaire, raconte une épopée. La Space Force a choisi le biais. À nous de décider si ce biais est brillant… ou simplement bancal. J’attends de voir en France toutefois quelques études intéressantes, pour au moins avoir de quoi bavarder. Pas sûr qu’avec notre déficit abyssal et anxiogène nous soyons en capacité de le faire toutefois.

Belle et bonne semaine, Julien Scavini

7 réflexions sur “L’uniforme asymétrique de la United States Space Force

  1. Avatar de jeantivollier jeantivollier 15 septembre 2025 / 22:04

    Bonjour,

    Si j’avais eut une machine à remonter le temps, je n’irai pas voir si dans le futur, l’Homme a colonisé l’espace, non.

    Je retournerai au début du XIXème, je revêtirai mon plus beau dolman de hussard, et j’irai pourfendre les autrichiens avec la ferme intention de mourir avant mes trente ans, de peur de passer pour un Jean Foutre.

    PS : gageure est un mot féminin.

    • Avatar de Julien Scavini Julien Scavini 16 septembre 2025 / 20:13

      ahahah !

  2. Avatar de radmortallyfddf2a82d8 radmortallyfddf2a82d8 16 septembre 2025 / 00:12

    Dans les années 1980 les chemises «sudistes» étaient à la mode. J’ai toujours la mienne, en flanelle rouge à rayures! Elle se boutonne sur le côté jusqu’en haut ou pas, pour un air élégamment négligé.

    • Avatar de Julien Scavini Julien Scavini 16 septembre 2025 / 20:16

      Je ne connaissais pas, merci !

  3. Avatar de Manche Dorée Manche Dorée 16 septembre 2025 / 14:32

    Monsieur Scavini,

    Ravi de vous revoir à un rythme de publication régulier, et surtout avec des articles de grande qualité. Merci encore.

    Serait-il possible pour vous d’envisager cet article comme le début d’une série sur les uniformes militaires ? je crois vous avoir déjà lu à propos des polytechniciens, mais peu être pourriez vous nous parler un jour des tenues de cérémonies de nos armées ?
    de la Terre de France au Grand Uniforme de Saint-Cyr, en passant par les spencers, des origines aux tentatives de modernisations et de standardisations bancales, voilà tout un univers que vous pourriez nous développer.

    Merci encore, pour votre travail mais d’avantage pour votre passion du partage,

    Un Maître Tailleur de l’Armée Française

    • Avatar de Julien Scavini Julien Scavini 16 septembre 2025 / 20:12

      Le problème, c’est que je n’y connais pas grand chose hélas !

  4. Avatar de Marsu Marsu 18 septembre 2025 / 14:37

    Mais enfin, M. Scavini, on ne peut pas vous laisser dire ça sans contradiction !

    Il y a eu, je vous le concède, une magyaromanie généralisée dans les armées européennes de la fin du XIXe siècle qui a conduit à faire porter le dolman à tout ce qui pouvait justifier de l’emploi d’un cheval, et parfois même à ce qui ne le pouvait pas. Ainsi le dolman des hussards napoléoniens a-t-il gagné ses courtes basques et perdu sa spécificité de cavalerie légère pour habiller bonne part de la cavalerie, puis l’artillerie, puis en France notamment le gros des Armées à partir du règlement de 1872 (dont procède votre deuxième spécimen). Si c’est probablement de là que découle l’emploi du mot dolman pour les vestes courtes de cavalerie en général, ce n’en est pas moins un abus de langage : ce qui caractérise le dolman, ce sont ses brandebourgs et sa quasi-absence de recouvrement, justement.

    L’habit croisé dont vous nous entretenez ici n’est pas hongrois mais polonais, et il n’habille pas les hussards mais les uhlans (avec un H).
    L’ulanka (sans H) se caractérise d’abord par ses pans croisés aux formes complexes, qui remontent très haut sur le torse pour entourer le col montant, et ensuite par un boutonnage irrégulier caractéristique : très dense autour de la taille, puis absent pratiquement jusqu’aux clavicules. Certains des pays qui l’adoptent, notamment la Russie, rendront les pans plus géométriques et le boutonnage plus régulier, lui faisant perdre une partie de son charme.
    Quant à la France, passé le Premier Empire elle renonce et au corps des uhlans et à son habit.

    Alors que le dolman se banalise à la fin du XIXe siècle puis tombe lentement en désuétude au tournant du XXe siècle (sauf, justement, dans les grands hôtels), l’ulanka garde sa spécificité de cavalerie légère, puis se rattache à l’imaginaire de l’aviateur qui en est souvent issu (on pense au photographies du Baron Rouge en ulanka feldgrau) et demandeur d’un vêtement très couvrant pour affronter le froid des altitudes. Le Royal Flying Corps britannique en tirera même dès 1912 une vareuse moqueusement surnommée « maternity smock » aux formes épurées et aux boutons dissimulés, qui n’est que le reflet en drap de son manteau de vol en peau de mouton.

    Je me crois autorisé à vous affirmer, dès lors, que c’est de Pologne d’abord et des aéronautes de l’âge héroïque ensuite que procèdent les versions futuristes et science-fictionnelles de l’ulanka – grand lecteur de Jacobs que vous êtes, je suis sûr que vous vous souvenez des officiers de l’état-major norlandien dans les premières pages du Rayon U.

    Ajoutons à titre de complément que l’US Space Force n’est pas la première à s’inspirer de la science-fiction pour ses tenues de parade : vers 2016, ce sont les forces terrestres d’autodéfense japonaises, ou JGSDF en anglais, qui introduisent une vareuse croisée asymétrique directement inspirée des esthétiques manga.

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