Je disais récemment à un jeune et néanmoins très remarquable client que s’il voulait aller loin dans sa partie – la décoration d’intérieurs – il lui fallait faire preuve d’une grande exigence pour sa penderie, autant que pour son art. Il réussit déjà très bien ce qui lui permet de commissionner de beaux vêtements assez régulièrement, et je tentais de lui faire sentir qu’il fallait aller plus loin. Qu’il ne pouvait plus essayer de faire passer des vessies pour des lanternes. Décodé : qu’il ne pouvait plus faire passer un chino fatigué, même repassé, pour une pantalon de qualité ; qu’il ne pouvait plus faire passer une veste vintage moche pour une veste remarquable ; qu’il ne pouvait plus faire passer une chemise Figaret pour un modèle Charvet.
Je tentais de lui expliquer que lorsque l’on veut être un grand dandy, il faut s’en donner les moyens. Car sinon – travers parisien que j’abhorre – cela donne irrémédiablement un style demi-monde assez pathétique. Je voyais récemment dans POINT DE VUE les photos d’une soirée smoking où l’un des invités s’était amusé à porter un chino vert acide avec une veste de smoking. Idée intéressante, si le pantalon avait été en laine superfine, et / ou si les souliers avaient été irréprochables : en l’occurrence des mocassins mous et décontractés en veau-velours, d’une autre teinte de vert. Bref cela était affreux. Dans le même almanach, un invité avec un papillon blanc sur un smoking… aussi affreux.
Avant de tenter des inventions stylistiques, il faut chercher à maitriser le code parfaitement. En l’occurrence pour revenir à cet article de POINT DE VUE, porter un smoking simple et parfait, c’est déjà parfait. Mais si l’on veut briser les codes, et cela peut-être très intéressant et percutant, alors il faut s’en donner les moyens, et être irréprochable. Un pantalon de couleur avec un smoking? Alors il doit être en laine superfine, car la laine fait plus beau, plus riche, que le coton qui fait après midi au supermarché. Avec ce pantalon de couleur, il faut un slippers d’opéra noir et bien brillant pour rappeler le contexte. Le papillon de couleur ou blanc sur un smoking noir? Aucun intérêt. Essayer de se donner du style avec un accessoire à trois sous, c’est comme peindre en blanc les flancs des pneus d’une Twingo pour donner l’impression d’une Rolls.
Bref, je tentais de lui dire qu’en aucun cas, si l’on a de grandes prétentions, en particulier dans le monde artistique et financier qui est le sien, il faut faire chiche, ou pire, se ridiculiser en reniant le beau. Le très beau. Qu’il fallait qu’il se donne une légitimité par son expression corporelle. Que la netteté de ses vêtements et leur qualité, devaient être un gage de sérieux professionnel. Qu’il pouvait faire le dandy autant qu’il voulait, mais qu’il fallait que ce soit un dandy de qualité. Avec des morceaux choisis. Pas subis.
Là dessus nous nous quittions. Je repensais à cette discussion… Je voulais trouver un exemple. Pierre-Antoine me l’a trouvé. André Leon Talley. Né en 1948, mort hélas trop tôt peut-être en 2022, on pourrait dire simplement qu’il était journaliste de mode chez Vogue. Ce serait réducteur. Il était tellement plus que cela. Un grand manitou francophile de la mode plutôt. Grand, dans tous les sens d’ailleurs. S’il avait fallu que je l’habille, je serais monté sur un escabeau.
Voilà l’exemple qui me manquait pour Alexandre. André Leon Talley, c’est l’exubérance absolue. Un homme toujours en fourrure, en cape, en kimono. Qui osait. Et avec des bijoux en plus, rendez-vous compte ! Jugez plutôt :
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Mais dans cette image, il y a tout de mon argumentaire. Il y a de l’exubérance oui, mais tout est irréprochable. Ce smoking ne vient pas de chez Balthazar. Les slippers d’opéra, malgré leur dimension de péniches, sont la cerise sur le gâteau du goût. Quant à ce caftan, il est une création sur-mesure hallucinante. On est jamais un aussi beau dandy que lorsqu’on est un dandy qui sait et qui montre qu’il sait.
André Leon Talley aimait jouer les dandys. Mais il savait ce qu’était un bon et irréprochable vêtement. Voyez plutôt ce jeune homme qui savait déjà :
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La silhouette en canotier est merveilleuse. J’ai envie de ce costume à carreaux, je vais y penser pour l’été prochain !
L’homme a par la suite prodigieusement grandi. En restant impeccable. J’imagine que son slippers à boucle de diamants a du être la pièce maitresse de la vente de ses effets personnels chez Sothebys.
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Bras droit ou je ne sais quoi d’Anna Wintour, il savait porter le costume. A côté de bien d’autres curiosités de style (une infinité même) que je ne relaie pas dans cet article, voulant me concentrer sur la capacité d’André Leon Talley à savoir porter classique, à savoir ce qu’il convient de porter.
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Des costumes réalisés en grande-mesure. Ici l’essayage d’un croisé en seersucker. Le col n’est pas réalisé encore :
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J’ai trouvé cette photo prise à Paris très élégante aussi, avec un manteau un petit peu dandyesque et féminin, mais posé sur une croisé impeccable.
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J’ai aussi trouvé cette image là, avec Christian Lacroix qui savait s’habiller alors. Quel magnifique polo-coat.
Voici pour ce petit article très illustré. Un exemple que l’on peut être un parfait dandy, mais savoir en même temps parfaitement ce que qualité veut dire. Et que l’on peut être un dandy exubérant et imparable si l’on sait ce que l’on porte !
Dans notre petit univers sartorial, il est courant d’essayer de coller un nom sur tel ou tel vêtement ou partie de vêtement. Les manches napolitaines là, le col anglais ici, les pinces à la française enfin… Cette volonté de rendre simple la perception d’un point particulier produit généralement l’effet exactement contraire, et je constate avec amusement chaque jour comment des clients qui s’intéressent au sujet sans en faire une expertise confondent allègrement tout. Les manches deviennent italiennes, le col londonien et les pinces américaines… C’est à la fois hilarant et un peu questionnant. D’autant que tout ces noms, à l’étude, ne veulent pas dire grand chose.
Autant le dire directement, la plupart du temps, les noms sont donnés aux vêtements ou à des spécificités des vêtements dans un simple but commercial. Les clients les retiennent mieux et redemandent le vêtement dont ils ont gardé le nom en mémoire. Plus facile que de dire « le pantalon de coupe droite à une pince et ajusteurs de la saison passé ». Dire le pantalon « Enzo » est plus efficace. Le nom est par ailleurs l’occasion de coller une image mentale diffuse à la marque ou au produit. Un marque qui appelle son pantalon « Alfred » et d’autres qui l’appellent « Brentwood » ou « Portofino » ne disent pas la même chose. Pour une marque, les noms sont un positionnement marketing. Et c’était déjà le cas au siècle passé.
Dans cette affichette des années 1920 de Brooks Brothers, les cols qui sont made-in-England portent des noms de contrées ancestrales. Une manière comme Ralph Lauren aujourd’hui de distiller l’idée d’une filiation avec la Vieille Europe et sa finesse.
Dans les mêmes années 1920, les tailleurs de la région de Naples comme Rubinacci et Attolini s’intéressent à épurer la veste de tradition anglaise. Ils cousent les manches des vestes comme des chemises, avec des coutures inversées et des fronces appelées « mappina« . Voir cet article. Un siècle plus tard, on parle de manches napolitaines. A l’inverse de l’exemple précédent, voilà une origine connue et référencée. Toutefois si cela fonctionne bien là, cette exception confirme la règle pour moi. Car c’est rare de trouver une vraie et sûre origine.
Certains clients me parlent de manches romaines, ou de manches milanaises. Là je ne sais pas en réalité de quoi il s’agit. Je pense que même Hugo Jacomet qui a fait un tour extensif de l’Italie pour son livre ne serait pas tout à fait sûr de pouvoir caractériser les différences si fines entre villes. Existent-elles ? Aussi, pour moi, il existe deux types d’épaules : le montage classique tailleur, avec un bombé de la tête de manche plus ou moins affirmé. Et le montage déstructuré, que je viens d’évoquer. Je l’appelle napolitain, tout en était très précautionneux sur le nom… On fait des manches napolitaines à Naples je dirais. A Paris, on fait une manche déstructurée, point.
La milanaise, puisqu’on en parle… Il s’agit à la fois d’un type de fil de broderie, et d’une boutonnière spécifique du revers qui fait une gorge. Mais la boutonnière du devant de la veste, ou des manches, ne peut pas être appelée milanaise en revanche ! Je crois me souvenir d’un client un jour qui me parlait de cette boutonnière en l’appelant la napolitaine… Le pauvre était perdu. Cela m’amusait.
Sur le pantalon, les pinces prennent parfois des nationalités. Vers l’intérieur, des clients me disent « pinces françaises », d’autres « pinces anglaises ». D’autres aussi disent « pinces tailleur ». Ouhla, stop. Soyons clair, les tailleurs anglais, français, allemands, russes ou italiens ont toujours plutôt fait les pinces vers l’intérieur. C’est ainsi que l’on faisait dans le secteur tailleur. Il a fallu du temps, et vraiment les dernières décennies du XXème siècle pour voir se répandre les pinces extérieures, au grand dam de Monsieur François Ferdinand, le créateur de la veste slack : J*Keydge. Peut-on donner une nationalité aux pinces, je ne le crois pas.
Revenons aux cols de chemises. L’exemple le plus intéressant. Je prends comme habitude à la boutique de présenter ceux-ci ainsi : le col le plus fermé est le col à la française ou col classique. Le col semi-ouvert est le col italien. Le col ouvert est le col anglais. Mais est-ce justifié? Pas totalement. D’abord, tous ces cols ont été plus ou moins développés au Royaume-Uni au XIXème siècle. Ils étaient durs et détachables à l’époque. De 1870 à 1920, ils sont tous dessinés par des maîtres chemisiers. Voyez ces intéressantes planches ci-dessous :
D’abord, ce que j’appelle le col français, fermé, est en fait le col le col le plus traditionnel avec son V plutôt fermé. Entre POLO et STANLEY sur la planche du haut. Ensuite, ce que j’appelle le col italien, est en fait appelé col « semi cutaway » ou « medium spread » en anglais. Mais surtout, les italiens appellent ce col un col… français. Je vous le donne en mille ! Un col très répandu chez nous dans les années 50 et 60 avec des marques en vue comme ARMORIAL ou NOVELTEX, voir ci-dessous : magnifique chemise d’ailleurs, de belle tradition française. Regardez aussi le col KASONTA au-dessus, il incarne déjà quelque chose d’ouvert en 1900…
Enfin ce que j’appelle le col anglais est en fait un col « full cutaway », ou « full spread » comme disent les anglais. Intéressante image de 1921 ci-dessous, piquée dans cet excellent article. A ne pas confondre avec l’autre col anglais… le tab-collar qui se caractérise par sa petite patte d’attache. La chemise cristallise les noms étrangers. On parle bien de col cubain aussi…
Ce que je veux dire à travers cet article, c’est que l’on colle très facilement dans notre milieu des noms et des origines souvent fictives. A but commercial souvent, ce qui est légitime, à but historiciste aussi parfois, ce qui est hautement discutable au fond. Car les clients finissent par s’y perdent et la lecture claire des filiations esthétiques devient difficile. Des noms et des origines à manier avec précaution donc, car sans assurance et sans vérité historique souvent !
Les vêtements matelassés sont devenus très courants. Mais je me souviens dans les années 2000 lorsque j’en cherchais, ils étaient presque introuvables. Seul Barbour faisait déjà sa veste Liddesdale, une merveille dont j’apprécie la légèreté. Le Chouan des Villes en son temps avait parlé de cette pièce simple et légère du vestiaire masculin dans son article Court éloge du husky.
Cette veste ainsi que la plupart de celles que l’on trouve sur le marché présentent un motif de matelassage auquel on s’est habitué, en losanges. Ou plutôt en carré disposés en diagonale. Pourquoi un tel placement du matelassage? La raison est assez simple et très technique. Les tissus à matelasser sont placés dans un banc automatique qui matelasse en continu. Le « sandwich » avance, tendu entre deux rouleaux, l’un qui déroule, l’autre qui enroule. Au milieu du banc, des machines à coudres s’agitent en dessinant des zigzags alternant vers la droite ou vers la gauche, alors que le tissu déroule : ><><><><. Les machines vont de gauche à droite et de droite à gauche, pendant que le tissu avance. Il en résultat des zigzags qui se croisent et s’entrecroisent. Si les carrés étaient à l’horizontal, ce serait beaucoup plus long, il faudrait que le tissu s’arrête le temps de faire toute la largeur : —— . A l’inverse, pour les longueurs, le tissu pourrait avancer | | | | |. Mais il faudrait arrêter à chaque largeur -|-|-|-|-| Donc, la diagonale est préférée. Il faut aussi avoir à l’idée que ce n’est pas la même machine qui fait toute la diagonale. Non non, la course de la machine est réglée sur quelques losanges de large seulement, puis elle change de direction.
En plus, lorsque l’on matelasse, les couches réagissent entre elles et le réglage des machines doit être précis. Piquer sur les diagonales en même temps permet de plaquer le sandwich dans son biais.
Un autre motif de matelassage semble très à la mode en ce moment. Ce sont les japonnais et les coréens qui j’ai l’impression l’ont mis à la mode. Le matelassage en courbes. Là, les machines n’ont plus à piquer des zigzags ><><><> mais en sinusoïdes. De longues courbes s’entrelacent ()()()()()(. Il est amusant de constater que pour les crédences des cuisines, les motifs similaires dits en lanterne sont aussi à la mode.
Il est très important de penser que pour arriver à ces résultats, il faut simplement être un bon régleur de machine et qu’il faut apprécier la géométrie mathématique. Il faut jouer entre l’avance du tissu et le défilement horizontal des machines à coudre. Comme dans une imprimante en fait. L’alliance des deux mouvements par un jeu géométrique crée la forme. Pour des carrés diagonales, la machine va de gauche à droite avec linéarité, pour des courbes, elle va de gauche à droite à vitesse variable. En s’amusant un peu avec la programmation, il est même possible d’obtenir des amusements comme cela :
Toutefois, il n’en a pas toujours été ainsi. Le matelassage a toujours été utilisé pour solidariser entre elles des couches de tissus. Pour deux raisons : un, rendre le sandwich de matières plus isolant et deux, pour rigidifier le sandwich. Deux ou plusieurs tissus matelassés entre eux deviennent un nouveau tissu qui a naturellement de la rigidité.
Le pourpoint de Charles de Blois datant de la fin du XIVéme siècle est un bel exemple de matelassage. Réalisé à la main bien sûr, la machine n’existant pas à l’époque, ses lignes de coutures permettent de donner un galbe caractéristique aux différentes parties, qui acquièrent de la tenue. Le matelassage en plus des deux caractéristiques évoquées plus haut permet aussi de renforcer le tissu au percement et de donner un aspect molletonné, ce qui est utile sous une armure. C’est d’ailleurs pour cela aussi que les tapis qui se positionnent entre le cheval et la selle sont matelassés. Cela crée un petit coussin.
Sur un habit du XIXème siècle que j’avais restauré pour le compte d’un client, j’avais aussi pu admirer le matelassage intérieur, sur les doublures, en particulier au niveau du buste avant. La doublure était prise en sandwich avec les entoilages, si bien que le plastron, c’est à dire l’entoilage de la poitrine était particulièrement rigide et donnait à la queue-de-pie en question un aspect pigeonnant caractéristique. La porter, c’était porter une armure. De l’extérieur, rien ne paraissait. Mais dedans, quelle gaine rigide ! Les lignes de matelassage n’étaient absolument pas régulières. Elles suivaient les lignes de force et épousaient le courbes du patronage. Elles étaient faites sur le vêtement. Ce n’était pas un tissu pré-matelassé.
Autre exemple d’un matelassage artisanal, suivant un tracé défini pour un vêtement. La doublure intérieur du manteau de cérémonie de Lincoln, par la tristement défunte marque Brooks Brothers. Le matelassage de la doublure avec une ouatine donne du relief. C’est si joli. On peut tout faire en plus.
Mais revenons au matelassage mécanique. On ne matelasse pas seulement pour emprisonner sous un tissu un autre tissu plus ouaté. On matelasse aussi pour créer des chambres creuses dans lesquelles placer quelque chose. Comme du duvet de canard. Alors, le matelassage est horizontal, pour emprisonner le duvet dans des étages. A la façon de bibendum. Si l’on matelassait à la verticale, le duvet se retrouverait par gravité en bas du vêtement. Donc, non, il faut garder à chaque étage le duvet, horizontalement. On parle alors plutôt de rembourrage que de matelassage. Le matelassage horizontal est assez à la mode, pour son aspect épuré et moderne, là où le matelasse losange fait bien plus british et traditionnel.
Mais puisque je parle du matelassage vertical, finissons avec. Il est possible en effet de matelasser verticalement, seulement. Sans effet diagonale. Cela se fait beaucoup dans l’automobile ancienne, où le matelassage vertical est synonyme de vitesse.
Arnys avait vu ce détail quand la gamme de sacs de voyage était sortie. Le matelassage vertical distillait cette idée de vitesse et de belle voiture :
Mais le matelassage vertical, c’est aussi une tout autre référence. Un pays s’était fait une spécialité du matelasse vertical : les soviets. Voyez ces quelques exemples d’uniformes militaires soviétiques. Évidemment, c’est un peu moins glamour.
Chinois et coréens du Nord ont aussi eu matelassé leurs uniformes à la verticale :
Mais enfin vous préférerez revenir à Arnys je pense. Voyez cette veste inspirée de l’Asie, à matelassage vertical. Une trouvaille pas facile à mettre :
Jean Grimbert avait aussi dessiné ce grand manteau assez incroyable, avec le sac d’ailleurs :
Ce matelassage vertical, je suis sûr qu’il fut employé également en Chine Ancienne. Je suis persuadé d’avoir vu des gilets matelassés verticalement pour accompagner la robe traditionnelle des mandarins. J’avais dessiné cela, mais à cette heure de la journée, je ne retrouve plus mes références. Enfin, avec un bon dessin, vous comprendrez. En tout cas, il est amusant de constater que derrière un sens de matelassage, il existe des significations et des nationalismes enfouis.
Vous allez finir par croire que j’ai une obsession morbide pour les enterrements avec ce nouvel article sur les funérailles du Pape François. C’est qu’à vrai dire, un tel évènement permet de jauger de la rigueur esthétique de nos contemporains. Un effort est-il fait pour un si grand évènement ou bien, cet évènement comme beaucoup d’autres, est-il dilué dans la mollesse confortable qui caractérise le progrès ? Telle est la question à laquelle en effet j’ai pu répondre déjà sur ce blog. Entre les funérailles d’une star française édifiantes et les funérailles d’une Prince Consort promettant du beau.
Le Pape François né Jorge Mario Bergoglio en Argentine, décédait à 88 ans au Vatican à Pâques. Comme il était considéré comme une sorte de star de Rock’n’Roll, c’était l’occasion rêvée de se montrer. A l’inverse, pour Benoît XVI qui était considéré comme une sorte de gargouille moyenâgeuse, ce fut service minimum et Emmanuel Macron ne se déplaça pas par exemple. Seul le Ministre de l’Intérieur y alla, ce qui fut qualifié ainsi : « C’est le niveau normal de représentation pour un gros évènement au Vatican« . Cela m’amuse donc beaucoup de constater que le niveau « normal » puisse bouger comme les marées. Quand au terme « gros » je le trouve d’une laideur indicible pour qualifier pareille circonstance. Bref…
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Je remarque pour commencer les 14 porteurs du cercueil. Je n’aimerais pas être à leur place, ce train doit être aussi lourd que deux mille ans de Chrétienté ! Je les pensais habillés d’un frac, mais en fait non, il s’agit d’une sorte de jaquette à bas carré et à profond revers châle. Une sorte de tunique qu’un chef d’orchestre pourrait porter. Le papillon blanc et la présence d’un gilet en coton semble attester d’une parenté avec la queue-de-pie. Tout en faisant un peu moderne / protestant je trouve. Nikolaus Harnoncourt aurait pu s’habiller ainsi pour diriger du Bach. Quant à la couleur, elle semble indéfinissable. Elle n’est pas noire, non !
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Cette photo faisant confrontation avec un huissier – lui en queue-de-pie – on peut clairement voir ce côté légèrement violet. Toutefois, je crois qu’il était de tradition en France il y a plusieurs siècles de porter le deuil en violet ou en pourpre, alors au fond pourquoi pas. Michel Pastoureau aussi parle du noir pour le deuil comme un concept tardif. Intéressante idée que de rompre ce noir si conventionnel tout en restant dans une sobriété de bon aloi.
Je continue sur les membres du personnel du Vatican et m’attardant sur cette tenue d’huissier que l’on voit à droite de la photo ci dessus. Comme l’évènement se déroule de jour, l’huissier ne porte pas avec sa queue-de-pie un gilet de coton blanc, mais un gilet noir. Détail important qui fait sens. Jacques Chirac en 1996 avait su faire cette distinction très distinguée lorsqu’il avait rencontré Jean-Paul II. Avec le collier qui va bien, ça, c’était la classe internationale ! Le signe d’un grand respect des choses. Si on peut avec amusement s’interroger sur son placement politique à droite, là, nul doute qu’il est le chef des conservateurs !
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Mais revenons sur ces huissiers du Vatican en queue-de-pie. Admirez ci-dessous une telle mise portée par le prince de Windisch-Graetz, gentilhomme de sa sainteté. Les armes du Vatican sont suspendus à une bélière à multiples branches sertie de camées, ça ne manque pas d’allure. On dirait le collier de Marie Antoinette ! Les huissiers à la chaîne en France porte la chaîne par dessus la veste, eux la porte sous. Elle est plus courte toutefois. L’écharpe en moire noire donne une allure impeccable. Quel ordre, quelle décoration porte-t-elle ? Peut-être chevalier grand-croix de l’ordre du Saint-Sépulcre. Il n’est pas sûr par ailleurs que les revers de la queue-de-pie soit en satin (ou en faille). Pas de brillance. Pourquoi pas au fond, si elle est destinée uniquement à être portée de jour. Cela fait assez sens aussi.
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Pour finir ce premier volet, je voudrais vous montrer mon héros. Lui, c’est le taulier, pardonnez moi l’expression. Mais il a tout. L’allure et le physique. Il n’y a pas que les jeunes qui sont beaux. Et comme quoi, un habit un peu construit n’empêche finalement pas le confort. Cet autre gentilhomme du Pape est l’ambassadeur Alfredo Bastianelli. Il doit être un peu vaniteux, c’est sûr, mais à ce niveau là, ça devient une vertu ! Du grand art. Le pantalon reste plaqué sous le gilet, rien ne bouge, les lignes sont magnifiques. Quant au roulé du revers, il est d’une dignité sans pareille. Et vous voyez, s’il avait poussé le vice jusqu’à laisser 1cm de chemise dépasser en bas des manches, j’aurais dit que c’était trop ! Cela fait plaisir à voir !
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Partie II
Reprenons donc le fil là où nous l’avons laissé. Il y avait donc beaucoup de monde à ces funérailles. Passons un peu en revue. Emmanuel Macron d’abord, qui portait le trois pièces noir, choix évident, simple et de très bon ton. Si je regrette les lignes chiches de ses costumes, notamment ces rabats de poches inclinées minuscules, il faut reconnaitre qu’ils tombent toujours très nettement. Cela doit être salué. Derrière, notre ministre de l’Intérieur et des Cultes, et nouveau président de parti a fait le choix d’un beau bleu marine y compris pour la cravate. Quant au ministre des Affaires Étrangères, je ne saurais dire si c’est un marine ou un gris foncé, il est souvent en gris ai-je noté. La cravate noire aurait peut-être était mieux? Je ne les attendais toutefois pas avec un brassard noir autour du biceps !
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Le premier ministre britannique était aussi en noir. Noir c’est noir !
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Tout comme Mikheil Kavelashvili, le président de la Géorgie.
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Le prince Albert II avait choisi une tenue similaire. Quant à la princesse Charlène, elle porte la mantille avec une dévotion qui force le respect. J’ai un doute sur les lunettes de soleil. Elles semblent très portées. Des lunettes de soleil à un enterrement, c’est correct?
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Le roi Carl XVI Gustaf et la reine Silvia ne peuvent pas faire mieux. J’aime beaucoup sa petite pochette.
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Le prince héréditaire Alois de Liechtenstein et son épouse font aussi dans le traditionnel. Le gentilhomme du Pape à la ceinture de moire noire (le prince de Windisch-Graetz) fait un peu vieux de la vieille, il a un coffre que la queue-de-pie contient mal, elle semble bancale, mais il m’amuse beaucoup, il a de l’allure. Je m’interroge toutefois sur un décalage. Deux princes sont en présence face à l’ecclésiastique. L’un porte sa livrée (la queue-de-pie) et l’autre un simple costume. Le Vatican fait il passer une consigne demandant le costume simple? Dès lors, les gentilshommes ne font pas trop habillés? Ou les invités ne pourraient-ils pas être en jaquette noire? Remarquons le photographe en costume noir !
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Et si l’on passait aux hommes en bleu ? Le prince héritier Haakon fait ce choix, accompagné et la princesse héritière Mette-Marit.
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Tout comme le roi des belges. Ou est-ce un noir très lumineux? Je ne suis pas personnellement très convaincu par les revers en pointe de petite largeur.
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Le grand-duc Henri et la grande-duchesse Maria Teresa. Son costume est beau, veste longue, revers placé bas, belle allure avec ces pochette bien disposée.
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Revenons au noir. Volodomyr Zelensky va finir par être une icône de la mode inspirant Balenciaga et d’autres avec ses tenues militaro-civiles noires toutes plus inventives. Ce serait drôle si son pays et lui-même n’étaient pas si terriblement ciblés.
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Toujours en noir, remarquons les présidents italiens et argentins. Au second rang, le roi Abdallah de Jordanie porte un beau bleu pétrole, moins « rouge » que le bleu marine à côté ou derrière. Le chancelier allemand a fait le choix du deux pièces noir, efficace.
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Intéressons nous justement au prince William. Dans ce bleu si vif. Si vif. Je me garderais bien de commenter ou juger une figure disposant d’un tel pedigree. D’autant que le costume est très bien coupé et très beau. Impeccable même. Mais n’est-ce pas un peu bleu? Personne n’a dit que le bleu était interdit à des obsèques. Mais tout de même non?
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Sur la proposition d’un lecteur, j’ai retrouvé la photo de Charles, alors prince, aux obsèques de Jean-Paul II. Croisé noir, impeccable. Pochette « funny ». Il a toujours fait ça. Je mourrais moi-même de posséder une pochette en soie noire à motifs de cravate. Il faudrait qu’on me l’offre et que je ne puisse pas refuser le cadeau ! Mais enfin, ça apporte un peu de fraicheur sur cette tenue austère.
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Si l’on sort du bleu et du noir, qui y’-a-t-il? Le gris pardi. Comme le prince Emmanuel-Philibert de Savoie assis à côté du prince Charles de Bourbon des Deux-Siciles qui semble porter du noir. Ou du gris foncé? Ces lainages noirs super 150’s ou du même genre ne semblent jamais bien noirs. Il vaut mieux pour du noir trouver un drap anglais bien rustique et pas satiné du tout pour obtenir un noir profond.
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En bleu avec cravate bleu, il y avait aussi Joe Biden dont on peut saluer la vaillance. Donald Trump ne l’avait pas emmené à bord d’Air Force One, la classe se perd…
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Donald Trump justement, au premier rang des invités de marque, voulait que tout le monde le voit. Il avait choisi un bleu… bien bleu. Même William était battu. En revanche, intéressons nous à son voisin, le président finlandais Alexander Stubb. Col cut-away et belle cravate opulente noire, déjà de bons points. Gilet : impeccable. Revers en pointes plus généreux et mieux dessinés que le roi des belges, troisième bon point. Pochette bien disposée, parfaite. Mais… mais… poches plaquées sur la veste. Et veste un peu courte. Boutons de nacre qui font gris clair, non. Flûte, ça démarrait bien, comme une publicité Suit Supply.
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Alors, tournons nous vers l’autre voisin de Donald Trump : vers le président estonien Alar Karis qui j’espère se barricade bien en ce moment de son voisin géographique. Voilà un beau costume trois pièces. Le revers est parfait, les proportions générales semblent bonnes. Cravate et pochette noires se répondent par leurs petits motifs discrets. C’est un sans faute. Enfin de l’élégance un peu recherchée et bien maitrisée. Un léger tapage par le cran en pointes et les petits motifs sans rien retirer à la rigueur de l’ensemble.
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Mais il serait temps de conclure. Avec celui qu’un blogueur américain a désigné comme le mieux habillé de l’instant, le roi Felipe VI accompagné ici de la reine Letizia. Un costume que le blogueur a qualifié d’apothéose de l’understatement. Boutonnage placé un peu bas, revers généreux (bien qu’un peu haut), veste longue et pas étriquée, joli rabat de poche arrondi qui plaque bien, c’est royal. Vraiment
Il portait déjà la veille ce même costume pour les ultimes hommages, mais ses souliers étaient des mocassins à pompons. Une petite pochette eut été merveilleuse, mais enfin, rien n’est jamais parfait. Toutefois, ça, c’est un exemple d’allure !
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Nous sommes arrivés au bout de ce petit panorama général de quelques « grands » de ce monde rassemblés autour de la dépouille du pape François. Un panorama élégant, sobre et intéressant dans sa sobre variété.
Belle semaine, Julien Scavini
PS : il est une chose vraiment laide et qui me choque, c’est ça : un affreux pickup américain… Mais où diable sont parties les notions d’élégance et d’amour propre? Quand on met des gardes-suisse habillés en pourpoint moyenâgeux et qu’on se montre tatillon sur le métrage de dentelle dans les soutanes, on trouve quatre chevaux noirs et on ressort un vrai corbillard garni de velours. Un corbillard à moteur, ça devrait être in-ter-dit !
Il est certain que lorsque l’on s’interroge sur la chose vestimentaire, et que l’on aime les vêtements – les beaux vêtements – on ne peut s’empêcher de se demander : est-ce que c’était mieux avant ? Il est certain que se balader dans la rue aujourd’hui n’est pas un très joli spectacle. Les habits élégants (et je ne parle même pas du costume) sont bien rares. C’est un océan de chinos et de jeans avachis, de t-shirts mous et de sur-chemises boulochées. Et encore, je n’évoque là que les vêtements aux tissus naturels. Car à côté d’eux, il y a un océan encore plus grands que certains conseils me forcent à regarder plus attentivement, celui des vêtements en plastique, qui prennent une place de plus en plus importante. D’ici quelques temps, le chino de coton sera à ranger aux oubliettes de l’histoire vestimentaire au rythme où vont les choses.
Dès lors, la question semble vite tranchée. Oui, lorsque l’on aime le beau vêtement, c’était probablement mieux avant. Avant, quand? En 1976, date de sortie d’Un éléphant ça trompe énormément ? Ou en 1948, date de sortie de La Corde ? Vestimentairement parlant, ces deux ambiances sont fabuleuses. A moins que l’on souhaite retrouver l’élégance inouïe et perdue qui devait régner Au Pavillon bleu à Saint Cloud en 1908, entre Seine et parc ? Hélas, celui qui devait être élégant en 1908 avait toute les chances de mourir en 1915… Donc est-ce que c’était mieux avant ?
Mais soit, il est vrai que si on lit Blake & Mortimer, on ne peut s’empêcher de penser que 1954, ça, c’était une année élégante. Manteaux opulents, Rolls-Royce Silver Dawn plus belle que jamais, et un avenir radieux, l’ère atomique arrivant.
J’ai une grande passion pour les livres de cartes postales anciennes, souvent reproduites dans des ouvrages traitant de l’histoire des villes. A ce titre, les livrets des éditions Alan Sutton sont passionnants, bien que d’auteurs aux talents parfois inégaux. J’aime y regarder finement les vêtements lorsque les clichés sont pris d’assez près. C’est une vraie mine de détails, de coupes, de poches, de revers, de façon de faire, etc… Passionnant.
Dans ces cartes postales de la fin du XIXème siècle jusqu’à l’époque moderne sont distillées nos façons de nous habiller. Mais attention, la carte postale crée une sorte de poésie par le noir et blanc. Cette mise à plat de la couleur uniformise beaucoup ce que l’on voit. Si l’on voyait en couleur, que verrait-on toutefois? Une belle homogénéité des allures par l’homogénéité des matières et des teintures. Les matières étaient naturelles, les couleurs rarement saturées sauf pour les militaires. La palette de matières et de couleurs était réduite. Dès lors, pour une œil aimant l’ordre, il est certain que c’était plus beau que le désordre individuel actuel fait d’un grand éclectisme !
L’ordre social était renforcé d’ailleurs à ces époques par des stéréotypes vestimentaires. Les bouchers étaient habillés comme des bouchers avec le tablier bien serrés, les charpentiers comme des charpentiers avec leurs vareuses rustiques, les employés de banque comme des, les militaires comme, etc. Ce que l’on peut apercevoir dans les vieux Tintin et les vieux Quick & Flupke. Ces stéréotypes étaient une manière de lire la rue, la société. Idée également renforcée par un régionalisme affirmé. Aujourd’hui, un milliardaire sort d’une Aston Martin avec une doudoune Jott et un jean Armani, comme tout le monde ou presque, et cela de part le monde de Rio à Paris en passant par Dubaï.
Mais enfin bref, est-ce que dans ces cartes postales vois-je du plus beau qu’aujourd’hui ? Oui par nostalgie. Une nostalgie dogmatiquement renforcée et encouragée. Mais au fond, si je regarde bien certaines scènes, certaines pauses, que vois-je aussi ? Des vêtements très rustiques. Des vêtements rapiécés. Des vêtements avachis. Certes on voit de beaux messieurs avec des chapeaux. Mais combien avaient les moyens d’avoir beaucoup de beaux chapeaux et de changer souvent? Moins qu’aujourd’hui probablement. Cet homme qui pose près d’une locomotive de tramway à Suresnes, change-t-il souvent de chemise? Sa veste de travail, en-a-t-il plusieurs ou traine-t-il celle là jour après jour? Ce vendeur ambulant de fromage à Hasparren, depuis combien de temps porte-t-il sa petite cape? Son gros pantalon de laine, quand a-t-il été lavé pour la dernière fois? Je ne parle même pas des souliers, lorsque les cartes postales permettent de voir cela. On en voit des godillots et des sabots… Et des petits enfants pieds-nus encore en 1920 sur la route de Biarritz à Anglet Saint-Jean.
Oui que ces cartes postales sont belles. Oui certains vêtements ou l’homogénéité des vêtements est belle. Oui à cette sorte d’apothéose du style collectif. Oui, au charme que j’y trouve. Un charme immense. Mais Evelyn Waugh l’auteur britannique n’incitait-il pas à se méfier du charme dans Brideshead ? Le charme qui interdit de penser. Le charme qui interdit même de voir. Mais n’est-il pas plaisant de mal voir? Que ces cartes postales montrent un monde qui était mieux? Je préfère probablement les vêtements d’aujourd’hui. Leur propreté. Leur variété. Leur nombre. N’est-ce pas dès lors un peu schizophrène. Ah comme j’aime ce que je vois sur le papier. Et comme je n’aime pas vraiment ce que je vois de mes yeux au quotidien. Mais comme j’aime mon confort…
Je n’ai jamais été un fan des lignes slim et ajustées que l’on pouvait voir partout, et depuis des années. Depuis quand serait difficile à dater. Lorsque je me suis installé en 2011, ces lignes étaient déjà appréciées, mais je n’y faisais pas vraiment attention. Toutefois, au cours de ma pratique professionnelle, j’ai du ouvrir l’œil dessus. J’ai constaté au fil du temps une demande croissante pour des lignes toujours plus serrées.
En petite-mesure, le travail de mensuration se base sur des modèles et des coupes existantes que l’on altère, et je me souviens que j’ai du à plusieurs reprises demander à mon atelier de nouveaux modèles de pantalons, plus serrés pour satisfaire la clientèle. De la même manière, lorsque j’avais lancé ma petite collection de pantalons en 2016, je n’ai eu de cesse ensuite de les affiner, de les réduire, car les clients trouvaient toujours un peu de trop de cuisse et de largeur.
Les vestes suivaient le même mouvement. Elles diminuaient en largeur et en longueur. Je travaillais pendant longtemps avec des bases relativement longues et à chaque prise de mesure, il fallait discuter avec le client pour trouver comment raccourcir la veste. Disons que je basais une taille 48 sur 74cm de long alors que la norme était plutôt à 72cm, voir 70cm dans certaines marques. Je me souviens en particulier d’un technicien dans mon atelier d’Europe de l’Est, un homme très érudit, avec beaucoup de métier, qui avait commencé chez Saint Laurent, et qui m’avait dit au cours d’un diner que c’était devenu impossible, que les vestes tombaient mal, car elles étaient maintenant trop serrées. Techniquement, il était devenu inextricable de faire un vêtement net et tombant bien avec des manches et des épaules si étroites.
Pour ma part, je n’ai jamais suivi ce mouvement pour le très slim et très court. A titre personnel. Car pour mes clients, je devais bien faire ce que l’on me demandait, avec courtoisie et tact. Cette envie de « slim » a connu son âge d’or je dirais en 2018 et 2019. Puis est arrivé le Covid, et l’extrême décontraction vestimentaire qui va avec. L’après Covid a remis en cause ce paradigme stylistique. Doucement. Car force est de constater que depuis 18 mois, le costume généreux revient en force.
La tendance est venue d’Asie, de Corée notamment, où les pantalons se sont mis à épaissir. Les lignes se sont élargies. Ici, la génération Z et Alpha s’est très vite mise à porter large, et les maisons de haute couture ont suivi. Très vite après le Covid. Mais cela a sédimenté plus tranquillement jusqu’à la mode classique homme. Si bon nombre de marques continuent de faire des vestes courtes et chiches, le mouvement est enclenchée. Et je trouve assez vite dernièrement. J’ai du arrêter du jour au lendemain ma ligne de pantalons slim dite S1, car ils étaient invendables, prenant au passage 700 pantalons invendables dans les dents. (Ils encombrent ma cave et grèvent ma trésorerie).
Je le constate tous les jours à la boutique. Des clients qui il y a quelques années avaient taillé leur veste un poil courte (je dis : à la parisienne) se mettent maintenant à la regarder d’un œil nouveau, et désapprobateur. Encore ce matin, je comparais avec un client ma veste témoin (plutôt longue) et sa veste plus ancienne qu’il avait ramené (plutôt courte). Et d’un commun accord nous décidions de respecter plutôt la veste témoin. Même pour son pantalon, là où nous avions fait il y a trois ans 18,5cm, nous avons fait ce matin 19,5cm. Petit pas me direz vous. Oui mais pas tout de même.
Un client me disait cela il y a quelques jours : pendant longtemps j’ai porté serré et j’ai appris comme cela. Maintenant, je veux de l’aisance. Tel est le mot… Aisance.
J’ai moi-même, imperceptiblement, agrandi mes nouveaux costumes. Plus larges, plus confortables, plus long. C’est que je vieillis aussi !
Belle semaine, Julien Scavini
La musique du soir : Suite symphonique du Seigneur des Anneaux, Howard Shore.
Mes chers amis, tout d’abord, bonsoir. Cela faisait longtemps que je n’avais pas eu le temps de me pencher sur Stiff Collar. Entre les enfants et le travail bien prenant, je manque de temps. Pour ceux qui seraient passés à côté, j’ai pris le pli d’enregistrer quelques pensées. Une pratique du discours qui est bien moins consommatrice de temps, même si elle peut être plus réductrice que la chose écrite, qui elle, demande plus de réflexion, plus de profondeur. Ces petites chroniques sonores sont publiées sur toutes les bonnes plateformes. Comme :
Et bien sûr, pour ceux qui veulent lire chaque semaine quelques lignes neuves, il y a ma chronique dans Le Figaro Magazine. Depuis mai 2014, c’est presque cinq cent chroniques qui ont été publiées.
Si je reprends la plume ce soir, c’est pour évoquer un sujet un peu plus large que le tailleur. J’aimerais poser une question à propos d’une locution qui revient très souvent dans le langage des médias : radiophonique, télévisuel ou de la presse. Une locution qui est devenue si banale qu’elle ne pose question à personne. Et que même en dehors des médias, elle finit par être utilisée, sans questionnement. Cette locution est « à la française ». Exemple de contexte : ce service de porcelaine Havilland est une parfaite déclinaison d’une table dressée à la française. Autre exemple. Cette robe Chanel est une parfait exemple du style à la française. Je suis sûr que souvent vous l’avez entendu ou lu, ou utilisé.
Cette locution est utilisée pour qualifier principalement des objets ou des démarches ayant trait à l’art de vivre. Elle est utilisée pour souligner l’origine et pour souligner le génie à l’œuvre. Elle doit donc s’entendre, ou se lire, d’une manière positive. Louer l’élégance à la française, quelle riche idée.
Toutefois, suis-je le seul à trouver cette façon de le dire très ampoulée? Pourquoi ne dit-on pas plutôt : ce service de porcelaine Havilland est une parfaite déclinaison d’une table française. Autre exemple. Cette robe Chanel est une parfait exemple du style français.
Pourquoi ne dit-on plus français? C’est un fait bien étrange que de vouloir contourner cet épithète si direct ne trouvez-vous pas? Louer l’élégance française, n’est-elle pas LA riche idée? Pourquoi est-ce que de manière commune, nous semblons nous interdire d’être si direct?
Cet été, en visitant Cologne, j’en lisais la page Wikipédia. Je fus frappé par l’usage de cette locution qui raisonnait dans ma pensée. Il était question de l’architecture de sa remarquable cathédrale, de cette « cathédrale à la française ». Cela me paru évident. Nous sommes dans un pays étranger et il est question d’un art d’origine étrangère. Wikipédia n’allait pas écrire « cette cathédrale française ». Elle ne l’a jamais été. (Sauf sous Napoléon peut-être). Il était plus que légitime d’utiliser la locution « à la française » pour la décrire. Pour décrire un goût venu de l’étranger.
De manière un peu baroque a cheminé dans mon esprit une idée. Cela voudrait-il dire qu’ici, en France, nous parlons du goût à la française, car nous nous en sentirions étranger? Ce goût, ce n’est pas nous, il est exogène. Il faut nous en détacher. Créer comme une frontière avec ce fameux « à la ». Depuis lors, je m’amuse à chaque fois que j’entends cette fameuse locution, à penser que la personne en train de parler ou d’écrire, est comme en train de parler d’un fait d’ailleurs. Je me dis aussi qu’elle doit être gênée par l’harmonie française. Celle de Gabin dans Le Cave se Rebiffe. Non et non, cet intérieur n’est pas décoré dans le meilleur goût français. Mais dans le meilleur goût à la française.
Question de distanciation. Mais pourquoi une telle distanciation? Je me dis parfois que l’on ne s’aime pas tant que ça. Ou que l’on ne s’aime plus. Que l’on ose plus dès lors être direct et dire « français ». Intuition qui se double d’une seconde. Que par cette petite frontière on cherche à s’excuser de proposer quelque chose que l’on pense bien. Est-ce une volonté de se rabaisser?
Aussi, quelque chose à la française ne serait-il pas quelque chose d’un peu frelaté, réchauffé, usurpé? Quelque chose de pas net, ou de pas authentique? Un japonais trouvant une veste de garde chasse de Sologne aux puces dirait, c’est une veste française. Le même japonais trouvant une réédition de cette veste made-in-Japan, ne dirait-il pas alors, c’est une veste à la française?
De cette petite question de sémantique je voulais vous faire part. Travaillant pour l’art de vivre, je suis bien placé pour parler de l’art français du tailleur. Ou de l’art du tailleur à la française? Qu’en pensez-vous?
Je m’étais bien amusé à parler du dîner d’État donné à Versailles par la France en l’honneur du Roi Charles. Cela a visiblement donné à quelques adorables lecteurs l’idée de me demander le commentaire du dîner d’État offert par le Royaume-Uni en l’honneur de l’Empereur du Japon. Le Roi Charles a accueilli son hôte avec un plaisir non dissimulé. Comme il aurait accueilli un membre de sa famille a communiqué le Palais. Les deux hommes se connaissent de longue date malgré une dizaine d’année de différence. L’héritier du trône du Chrysanthème avait passé quelques temps pour ses études en Angleterre, et il fut invité plusieurs fois à Balmoral à taquiner le goujon avec le Prince-de-Galles. J’ai lu qu’il était fort anglophile. Vous me direz, il serait en France qu’on dirait qu’il est francophile.
Commençons par le commencement. L’Empereur du Japon et son épouse l’Impératrice quitte le Japon.
Remarquons sur son costume deux boutons de veste relativement rapprochés et un V assez profond, mettant en valeur la cravate. Cravate dont on pourra légitimement dire qu’elle n’est pas idéale. Trop claire, elle fait peut-être écho à la toilette de son épouse, mais fait trop peu de contraste avec son costume sombre. Je crois beaucoup au contraste pour donner du relief à une tenue. J’aime à me dire que le tissu du costume est un fin chevron bleu marine. Mais rien n’étaye cette idée. C’est juste une idée. Je remarque la toilette de madame. Un très élégant ensemble faisant écho aux plus grandes poteries britanniques, très collectionnées au Japon, les pâtes Jaspée de Wedgwood. (ma grande passion dévorante!)
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Mais ne parlons pas que du dîner. Regardons la journée complète. Qui commence par une parade à cheval. Le couple Impérial réside à l’hôtel Claridges. C’est le Prince-de-Galles de maintenant, William, qui se présente vers midi au nom de son père pour les conduire à la parade.
Première chose que l’on découvre, c’est la jaquette. Le morning-coat est de sortie. Intéressant. William doit porter un pantalon, soit sans rayure, soit je pense plus probable, avec de très fines rayures invisibles dans ce cliché. L’Empereur a un pantalon plus marqué, et une pochette, c’est un bien, tant elle manquait sur la photo précédente.
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Au lieu dit de la parade, le Roi arrive. Il a sorti sa jaquette de mariage, noire et gansée. Son gilet gris calcaire (c’est à dire vaguement teinté de beige) présente le slip blanc qu’il affectionne. Le pantalon présente des raies subtiles mais bien présentes. La cravate est fine (vaguement vieux rose ou est-ce les lueurs ambiantes?) et piquée d’une perle. La pochette semble bien rose, en soie. Les ceintures rayées des officiers sont sublimes. Que de couleurs !
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Le secrétaire d’État aux Affaires étrangères James Cleverly, le Premier Ministre et Lord Cameron arrivent. En jaquettes. Ici aux dîners d’État, on croirait presque que les hôtes ont trouvé difficile d’aller se changer avant d’aller à l’Élysée. Rishi Sunak aime trop le slim que l’on remarque aux petits revers, au petit col de chemise et à ses costumes en général. Et cette cravate bleue, beurk. Sa pochette droite est distinguée en revanche. La jaquette de James Cleverly semble assez impeccable, avec un pantalon qui monte bien haut. Et sa cravate présente un grain intéressant. Quant au col de la chemise, quelle merveille. Je ne suis pas sûr que David Cameron puisse fermer sa jaquette sienne en revanche.
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L’Empereur arrive et tout le monde se congratule sous un pavillon de toile, dressé pour protéger du soleil. Il faisait apparemment 30°c à Londres ce jour là. Que voilà une élégante photo. Même la Bentley floue à l’arrière blanc est distinctive. Fleurs, belles toilettes, bonnes mines, sourires. On aurait bien besoin de cela ici aussi !
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Pour marquer le coup, quelques élégants hussards tirent au canon. Y’a plus que les anglais pour coudre des brandebourgs comme ça!
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Charles laisse sa jaquette ouverte, c’est une façon de faire aussi acceptable que de la fermer, comme l’Empereur. Charles a opté pour le haut-de-forme, un brin désuet, d’ailleurs l’Empereur n’en a pas. Empereur qui pourrait demander à son tailleur un peu moins de longueur de pantalon.
L’Empereur décidément aime les cravates claires. Le problème comme je le disais plus haut, c’est le manque de contraste révélé en photo. Sa pochette est divine. Belles têtes de manches. Et boutonnage miroir devant. Aussi appelé boutonnage jumelle. Le tissu de sa jaquette est un brin trop lisse, trop moderne, et il prend la lumière en satinant. Il ressort bleu dès lors. Pour chercher des poils aux œufs, je dirais que la taille de la jaquette est un peu haute, un boutonnage un peu plus bas ne serait pas plus mal pour mettre en valeur son gilet croisé bleu ciel. Pour autant, qu’on ne se méprenne pas. Mon avis sur la tenue de l’Empereur est le suivant : irréprochable !
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En lumière moins crue, on voit que le drap est bien anthracite, mais pas totalement noir comparé au Roi. Dans ce cliché de la calèche, je découvre pour la première fois que le slip du gilet du Roi est assez large en fait. Ce n’est pas seulement un petit passepoil cousu au bord, mais de larges bandes blanches. Intéressant pour moi. Comme cette ganse autour du revers… pour obtenir ces pointes, il faut avoir l’aiguille fine..!
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A la suite de la parade et d’un joli déplacement jusqu’au palais de Buckingham en landau, et après un rapide « lunch », le Roi et l’Empereur ont eu l’occasion de contempler quelques chefs d’œuvres des collections royales. Ils ont parcouru cartes, lettres, photographies et même la thèse universitaire de l’Empereur. Charles possède en effet un exemplaire de la recherche publiée par l’Empereur Naruhito sur l’histoire de la Tamise, qui fait partie de sa bibliothèque à Highgrove . L’ouvrage est signé par son auteur, connu à l’époque sous le nom de prince Hiro, qui l’avait offert au prince Charles peu après sa rédaction en 1989, alors qu’il était étudiant à l’université d’Oxford. Ils sont restés en jaquette. A l’arrière plan, on peut distinguer William, dans la cravate rouge corail se détache nettement sur fond de chemise bleu ciel à col blanc. Un assortiment de couleurs exquises.
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Après une interruption des congratulations en fin d’après midi, les invités arrivent pour le dîner d’État. Alors là, changement d’habit. Là, c’est « white-tie », autrement dit dans la langue de Molière, cravate blanche, autrement dit, habit, autrement dit, queue-de-pie.
Il n’est alors pas encore Premier Ministre, mais candidat du Labour pour le poste, Sir Keir Starmer et sa femme Victoria. Le défaut très complexe de la queue-de-pie, c’est lorsque le corsage de celle-ci, c’est à dire la partie haute, ne couvre pas assez le haut du pantalon. Ou que le pantalon ne monte pas assez haut, car monsieur refuse les bretelles. Alors, ça ne marche pas bien. Erreur légèrement pardonnable, ce n’est pas si facile de bien faire. Par contre, mettre quelque chose dans sa poche de « falsard » un soir pareil, ça fait moche !
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La secrétaire d’État Kemi Badenoch arrive avec son fiancé ou mari. C’est pas mal. De la tenue, une belle queue-de-pie. Remarquons que ces honorables membres des Cabinets ont eu le droit de venir en couple. A Versailles, que nenni, il fallait être seul. Diable quelle pingrerie.
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Simon Case, haut fonctionnaire, en fait un peu trop avec sa canne. Il a opté pour des boutons métalliques plats sur le gilet et la veste. Curiosité possible. Au XIXème siècle, les boutons étaient parfois fantaisie aussi.
Petite digression sur le collier autour du cou. C’est ainsi que l’on met certaines grandes décorations en plus des petites sur le côté gauche. Notre actuel Ministre des Armées Sébastien Lecornu l’a fait ainsi récemment à Stockholm, rapporte Le Canard Enchainé. M. Macron lui a fait remarquer en rigolant « on dirait un sapin de Noël« , toujours d’après le Palmipède… bref.
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D’autres invités. Le leader des sociaux-démocrates, Sir Ed Davey et son épouse. Flûte le gilet descend trop sous la queue-de-pie.
C’est un peu la même chose pour le Premier Ministre d’alors Rishi Sunak, qui a sélectionné un nœud papillon en soie et pas en coton, ivoire et pas blanc. Ce n’est pas aussi joli que les deux autres messieurs. A la droite du Premier Ministre, la queue-de-pie du monsieur qui m’est inconnu présente des boutons métalliques. Son col cassé et particulièrement haut, ce qui est vraiment très très bien !
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Le couple Impérial du Japon et le couple royal se retrouve pour la traditionnelle photographie. Le gilet blanc de Charles est très court, comme faisait son père, ce qui est plus aisé pour caler pantalon et queue-de-pie. Je trouve ce détail intéressant. Il ne pousse pas en revanche le dandysme jusqu’à porter des opera-pump. Il faudrait par ailleurs que je me fasse expliquer un jour le pourquoi du comment du sens des écharpes. Tantôt à gauche, tantôt à droite, pourquoi? J’aime beaucoup la pochette de l’Empereur, en délicates petites pointes.
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En 1971, le grand-père de l’actuel Empereur était aussi venu en visite officielle. Il s’agissait d’ Hirohito. Son pantalon cassait moins sur les souliers ! La réhabilitation de ce souverain fut bien singulière eu égard aux atrocités japonaises des années 30 et 40. On reconnaitra Charles en second plan avec probablement la même écharpe.
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Il est enfin l’heure d’aller discourir. Et d’aller dîner. Le Prince Edward d’Édimbourg doit avoir un tailleur un peu vieux style. Je l’avais déjà remarqué à sa jaquette très très classique lors des funérailles de son père. Sa queue-de-pie a une forme très appuyée, courte et très comme ça : >< . Il parait par ailleurs que la Reine Camilla s’est très bien arrangée avec l’Impératrice, on les a entendu souvent « glousser » ai-je lu dans la presse britannique.
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Mais oui ! Pardi, les boutons métalliques sur une queue-de-pie, c’est logique pour le personnel. Voilà deux majordomes dont l’uniforme confirme cette règle. Deux presque identiques sauf, leurs gilets, vaguement différents. Amusante diversité.
Durant le dîner, le Quartet du Royal College of Music et la harpiste du roi Mme Alis Huws jouaient. Sur les tables étaient disposées des coupes à pied pleines de pois de senteur, de pivoines et de roses. Roses provenant des jardins du palais de Buckingham et du château de Windsor. L’élégance est un tout. Pas qu’une affaire de vêtement ou de plat. C’est une osmose. A Versailles, les tables étaient-elles garnies de fleurs représentatives des régions de France?
Enfin, le plus important. Plus important que toutes ces jolies tenues. Mais enfin!!! Qu’ont-ils eu à dîner? Un menu écrit en français, si délicat leadership international :
Langoustines d’Écosse Sur Nid de Concombre et Mousse au Basilic, Élixir de Tomates
Délice de Turbot en Robe de Laitue, Sauce à l’Oseille, Panaché de Légumes d’Été & Pommes Elizabeth [des sortes de croquettes, ndlr]
Salade [Haricots verts et œufs de cailles, ndlr]
Bombe Glacé Melba
Avec les vins suivants, dont deux sur quatre de France :
Coates and Seely Brut Reserve NV
Kumeu River, Hunting Hill Chardonnay 2016
Château Angludet, Margaux 2014
Laurent Perrier Cuvée Rose NV
Quel plaisir donc. Quel délice. Rien que d’y penser, j’en ai l’eau à la bouche. J’espère que cette petite chronique mondaine aura régalé vos yeux. L’occasion de voir jaquette et queue-de-pie à l’œuvre.
C’était en octobre je crois bien. Dans le dernier numéro de Monsieur Magazine était annoncée la sortie d’un nouvel opus des aventures de Blake & Mortimer. Oh me dis-je! Intéressant! J’avais décroché depuis un moment, à vrai dire depuis L’Étrange Rendez-vous du grand duo Ted Benoit et Jean Van Hamme. Trop de numéros, tous les ans, c’est beaucoup. Lorsque le corpus nouveau commence à dépasser le corpus originel, on peut s’interroger. Et puis toutes ces histoires de soviets, c’est lassant. Chez E. P. Jacobs, il n’y a pas de soviets. Là toutefois, à la couverture reproduite en miniature, mon esprit s’éveilla. Comme un vieil ordinateur solitaire sur une île déserte, mais qui en réponse à un faible signal distant devient tout à coup effervescent. Ce trait, entre mille, je le reconnaitrais. Moi qui dévorais jeune chez mes parents Blitz ou A la recherche de Sir Malcolm. Moi qui achète monographies et petits livrets du bel illustrateur dandy.
Mais oui, cela était bien vrai. Les personnages de Blake & Mortimer, les voilà confiés aux bons soins du grand Floc’h ! Oh me dis-je encore. Oh… A la librairie Tome 7 juste à côté de ma boutique, je le vis bientôt apparaitre en tête de gondole. Mais chut, interdiction d’y toucher. Non, juste caresser la couverture, sous-peser l’ouvrage. Je le commandais au Père Noël pour le trouver sous le sapin. Voilà qui promettait un matin du 25 décembre mémorable !
Rendez-vous compte ! En 1993, lorsque Dargaud rachète les éditions Blake & Mortimer, est mis en chantier un nouvel opus. Non pas basé sur un crayonné de E. P. Jacobs comme le tome 2 des Trois Formules du Professeur Satô. Mais une histoire nouvelle, originale, basée sur des trames faibles laissées par l’auteur. Jean Van Hamme est très vite pressenti pour ses scénarios au ton classique. Côté dessin, il faut trouver la juste ligne claire. La Nouvelle ligne claire. Ted Benoit et Floc’h en sont – avec d’autres – les maîtres, apparus dans les années 80. Les deux se rencontrent, se parlent, s’amusent avec Francis et Philip. Floc’h est partant. Et puis non, finalement, non. Ted Benoit poursuit la route seul, ce sera dur pour lui. Quatre années de dessin sur le fameux L’Affaire Francis Blake. Quatre ans encore pour L’Étrange Rendez-vous. Il abandonnera ensuite. Point trop lui en fallait, je suis d’accord.
Mais diantre, cela aurait pu être délicieux, le trait mou et indolent, mi-gras de Floc’h, irait si bien à nos deux chics anglais. Quoi de mieux qu’un dandy chic pour cela? A la faveur d’un album hors-série, ils sont finalement « prêtés » à Floc’h en 2022. Alors qu’attendons nous! Plongeons ce matin du 25 décembre 2023 dans Un autre regard sur Blake et Mortimer par Floc’h.
Je feuillète les pages. J’aime le papier. J’aime les grosses cases. J’aime le trait gras de ce « cloisonné » si caractéristique. Mais je tique. La mise en couleur est curieuse. Bizarre. Froide. Je me dis qu’il ne faut pas s’arrêter là, et lire.
Retour au début. Curieux ces ciels rose saumon quand même. C’est joli oui, mais cette mise en couleur, diable… Non. Je me dis qu’il ne faut pas s’arrêter là, et lire mieux. Alors j’avance. Assez vite. Mais assez vite, je m’ennuie… Je laisse de côté l’album et me régale d’un apéritif en famille. Puis j’y reviens et j’avance. Le soir même, l’ouvrage est terminé. Tout ça, pour ça…? Diantre, je suis passé à côté non?
Je me dis que c’est de ma faute. Impossible de ne pas aimer Blake & Mortimer. Impossible de ne pas aimer Floc’h. Je survole internet. Je ne trouve que des éloges dans la presse officielle. Alors c’est ma faute. C’est moi l’âne. Je relis. Oui, les traits sont sublimes. Oui, Francis et Philip se ressemblent plus que jamais. Ils sont même plus Francis et Philip que chez E. P. Jacobs. Oui, les costumes sont beaux. Oui, c’est un déroulé exquis de l’élégance vestimentaire vue chez Hitchcock ou dans n’importe quel film américain des années 1950. Ces voitures et ces avions sont merveilleux qui plus est.
Et oui, le trait de Floc’h est beau. Et oui, il a le droit de prendre la liberté de virer le texte et de dessiner des cases gigantesques. Si ça lui chante. Lorsque Blake & Mortimer ont été prêtés à François Schuiten pour son Le Dernier Pharaon, on accepte. Ou on passe son chemin. Au fond, ce sont deux hors-série appelés « Un autre regard ». L’idée est séduisante. Voir comment un illustrateur se saisit d’un sujet connu et le manipule. D’ailleurs, Le Dernier Pharaon était captivant. Une fois passé le choc graphique, l’histoire est si éclatante et si passionnante qu’on se laisse aller. Le merveilleux de Blake & Mortimer y était, dans cette histoire de science-fiction délirante. De science-fiction, je dis bien. D’un sujet scientifique dont on se demande s’il est vrai, et qui pousse à ouvrir Wikipédia pour en apprendre plus. Quant à ce palais de justice, quelle merveille pharaonique ! L’histoire de François Schuiten, Jaco Van Dormael, Thomas Gunzig et Laurent Durieux était à dormir debout. Mais elle poussait à la lecture. Quelle passionnante aventure. Quel suspens. On n’en sortait pas indemne.
Or, du regard de Floc’h, on sort totalement indemne. Comme dirait Jacques Chirac, cela m’en a touché une sans faire bouger l’autre.
Finalement, je me suis dit. On se moque de moi. Il n’y a pas d’histoire là. Et c’est quoi ce dénouement en une case … d’une aile volante qui évite l’ONU et deux cases plus loin se pose à La Guardia, et fin de l’histoire? C’est quoi l’histoire? Je voulais comprendre. Était-ce moi le problème? Alors j’enquêtais sur les avis de la Fnac et d’Amazon. Et là je compris. Je n’étais pas seul. Qu’on soit d’accord ou pas d’accord avec le parti-pris stylistique de Floc’h n’est pas la question. Mais qu’un éditeur ait laissé passer une trame si inepte est honteux. Je voulu en savoir plus.
En lisant des interviews du grand et génial illustrateur vivant à Biarritz, j’ai trouvé des informations. Floc’h avait posé des conditions. Est-ce étonnant de sa part?
Il voulait un huis-clos. Soit.
Il ne voulait pas que les bulles encombrent ses cases et gênent les personnages. D’accord.
Il voulait une mise en abîme de l’histoire. Il fait toujours ça. Alors ok…
Il voulait égratigner les autres dessinateurs, qui « avait avaient tout édulcoré ». Oh.
Il ne voulait pas de scène de bagarre. Bon.
Il ne voulait pas de suspens trop scandé. Diantre.
Il ne voulait pas de science-fiction. Ah.
Cela fait beaucoup trouvais-je. Pauvres scénaristes (Jean-Luc Fromental, José-louis Bocquet). Il en résulte non pas une bande-dessinée – Floc’h n’aime pas le terme – mais un roman graphique très plat, trop plat. Et qui passe à côté. Avec Schuiten on voulait en apprendre plus sur la magnétisme terrestre. Avec Floc’h, on n’a même pas envie d’en savoir plus sur L’Art de la Guerre.
Le trait est sublime. Mais il ne rattrape pas une histoire inepte. Bien au contraire. Il peut même l’enfoncer. Comme disait un commentateur sur la Fnac, « on ne peut pas musarder dans les coins de l’image ». On ne peut pas revenir et se laisser aller à regarder les cases sans but. Car si belles soient-elles, elles sont au final fades. Comme une succession de belles affiches. Mais des affiches ne font pas une histoire. Chaque case est éclatante de vérité graphique. Oui, plus que jamais oui. Mais cela n’est pas tout.
Cette scène fort longue dans le delicatessen est lassante et donne froid. Cette scène dans l’aérodrome abandonnée est graphiquement magnifique. Mais donne froid et n’intéresse pas. Et cette femme, le bis d’Olrik tout droit sortie de Vertigo… est belle, mais inintéressante et froide.
Finalement, l’objet littéraire est froid. Inerte.
Floc’h a oublié une chose, et l’éditeur a honteusement laissé faire. Il a oublié de faire plaisir au lecteur. Ah, pour sûr, Floc’h s’est fait plaisir. Il y a mis toutes ses marottes. La bande-dessinée vue comme une scène de théâtre. La bande-dessinée bourrée de références, comme ces boites de soupes… La bande-dessinée comme un almanach d’architecture moderne. La bande-dessinée, comme un monde totalement léché. La bande-dessinée où les couleurs sont sélectionnées sur une palette très réduite pour faire beau. Pour faire trop beau. Pour n’être que beau. Pour n’être qu’un bel objet. Je le comprends au fond. La vie est si belle enfermée dans un monde beau. Lui qui a tant dessiné Une vie de rêve. Ou Ma Vie 1. Ou Ma Vie 2. Où est le travail de l’éditeur d’exiger non pas seulement du beau. Mais du bon?
J’ai tant de regret finalement. Floc’h, c’était la promesse d’intérieurs sublimes. Anglais. D’extérieurs sublimes. Anglais. Lui, prétend que son Angleterre n’existe plus. Dommage, j’aimerais tant avoir sur ma table de chevet un bon album de Blake & Mortimer par Floc’h. Pour musarder entre les cases. Pour m’évader de ma vie. La seule chose qui me fait rêver dans cet opus, c’est la robe de chambre en flanelle rouge d’Olrik aux revers matelassés. Une autre marotte de Floc’h les robes de chambre depuis ses débuts.
Oh comme je regrette cette occasion manquée, entre mes deux héros et mon illustrateur préféré. Moi qui porte des nœuds papillons car en dernière page de Blake & Mortimer, il y avait une photo de E. P. Jacobs en papillon. Si chic. Mais Floc’h ne voulait pas de cette quatrième de couverture. Encore une exigence. Il aurait pu portraiturer Jacobs.
Cher Floc’h, ne cherchez même pas à faire une histoire avec Blake & Mortimer. Dessinez les visitant une galerie d’Art, dessinez les sortant à l’Opéra, dessinez les au Grand Restaurant, dessinez les à la gare, dessinez les dans la lande galloise, dessinez les chez le chocolatier ou le boucher, et oh surtout dessinez les chez le tailleur. Cher Floc’h, vous savez si bien les dessiner. Dessinez les beaux. Mettez les sous une cloche de naphtaline si vous voulez. Je serais le premier acheteur. Mais non, ne les dessinez pas en train de vivre une aventure, ce n’est pas bon. Et je le regrette drôlement !
je voulais vous présenter ce soir non pas mon dernier livre – c’est si long à faire – mais ma dernière vidéo pour Artesane, LA plateforme de l’apprentissage de la couture en ligne. Pour Artesane, je me suis prêté au jeu de synthétiser mon savoir sur l’histoire de la mode masculine.
Le résultat est un cours fleuve de 6h11, enregistré d’une traite! Ce cours est découpé en trois partie :
De l’Ancien Régime à 1900 environ.
De 1900 aux années 50.
Des années 50 à aujourd’hui.
Ces trois périodes permettent de présenter successivement : les vêtements à taille (frac, redingote et jaquette), puis la veste courte associée au costume, puis l’apparition de la mode sportwear.