Le(s) revers parisien(s) (MàJ)

Dans la bataille opposant les styles italiens et anglais, nous possédons une carte plutôt unique et qui signe immédiatement l’origine française – parisienne – d’une costume : le cran ou revers parisien. Cette ligne unique est en effet inconnue outre manche et les italiens ne l’utilisent pas à ma connaissance. C’est un cran de tailleur. Petite définition pour commencer : les dessins de l’anglaise et de la contre-anglaise forment ce que l’on appelle cran du revers.Le prêt à porter et la demi-mesure le maîtrisent rarement tant il est difficile à bien patronner. Car, briser la ligne d’anglaise (je rappelle que classiquement, la ligne ‘portant’ le cran (l’anglaise) est droite dans le modèle classique anglais, cf.A ) est à la portée de beaucoup. Il n’est pas rare de voir dans les mauvaises boutiques des crans plus ou moins brisés, dont on ne sait si l’effet était voulu ou non. Le patronage de ce modèle de cran est une gageure. Il s’accommode assez mal de revers larges. Il me semble que le raffinement parisien, à la Gonzalez, va aux petits revers, disons 8/9cm de large. De même, ce cran ne se place pas trop haut sur l’épaule et exprime toute sa force placé assez bas ; plus bas que la mode actuelle. J’ai essayé de représenter ces différents crans, ce qui n’est guère facile. Ces documents sont des croquis avant tout et ne constituent qu’une simple illustration du propos.

A Commençons par les anglaises classiques : le cran sport anglais, type A. Le revers n’est pas trop large, la ligne d’anglaise légèrement inclinée, le cran ouvert à presque 90°. B Deuxième cran, que l’on ne peut pas considérer comme ‘parisien’, mais créé par une maison si parisienne qu’il se retrouve là : le cran sport (type A) à la Cifonelli. Il est plus haut que le précédent, et son cran est très typique, la contre-anglaise (le col) dépassant presque du revers en vue de face en perspective (la ligne orange montre cet effet de ‘dépassement’). J’ai toujours trouvé cela curieux, mais c’est un dessin. Vous pouvez constater la différence avec le modèle A.

MàJ: commentaire de Lorenzo Cifonelli: Le cran de revers classique Cifonelli mesure 4cm alors que le cran du col mesure 3,8 cm. La ligne de l’anglaise du col ne suit pas le cran du revers mais est remontée d’un centimètre*. Le cran du revers est situé à 9 cm de la couture d’épaule pour une taille standard. *Il s’agit donc, et c’est une bonne information, d’un cran brisé, l’anglaise n’étant pas rectiligne.

C Ensuite nous trouvons le cran parisien des façonniers et du prêt-à-porter. C’est un dérivé du cran aigu représenté au milieu. Seulement par rapport au cran aigu (pointu), la contre-anglaise est décollée de l’anglaise, ouvrant le cran, plus ou moins. C’est par exemple le cran de Marc Guyot ou d’Arnys PàP. Il m’a semblé que c’était aussi celui de Rambure ou d’Ohnona (plus ou moins). Il est caractérisé par une ‘pointe’ de revers. Le revers est assez aigu en fait (pointe orange).

D La plupart des tailleurs grande-mesure utilisent un cran légèrement moins aigu, à l’instar de Guilson, Diagme ou di Fiore. Le revers est un peu plus rond, il possède un certain galbe. L’angle en haut du revers reste pour autant légèrement aigu.

E Le véritable revers parisien, dessin de Joseph Camps est maintenant perpétué avec brio par la maison Camps De Luca. Ici, les deux angles du revers et du col sont à 90° (voir tracé vert et tracé orange). C’est le must en terme de coupe. Notons seulement que la contre-anglaise est plus courte que l’anglaise, le cran n’est pas symétrique. Le col n’est pas aussi large que le revers (tracé bleu).

F Cette fois-ci justement, sur la même base de cran de revers, avec avec un cran symétrique, c’est-à-dire possédant une anglaise et une contre-anglaise d’égales dimensions (lignes rouges). L’effet est plus formel encore. Il me semble qu’Arnys utilise ce cran en grande mesure. G Le Cran Smalto. Rappelons que Francesco Smalto fut chef coupeur chez Camps et qu’il partit fonder sa maison en emportant – c’est logique – son savoir-faire. Outre le cran Camps qu’il utilisa beaucoup, il développa une variante, le cran Smalto. Si je le trouve un peu daté, je reconnais qu’il peut avoir beaucoup d’élégance. Le tailleur Brahim Bouloujour semble l’affectionner. Ici, la proportion entre l’anglaise et la ligne de jonction revers/col est inversée. Vous pouvez constater que la ligne orange est bien plus courte que dans les autres modèles. Cela induit une grosse nuance stylistique. L’échancrure (le cran) est plus profond et plus près de la cassure du revers en même temps. La ligne d’anglaise se trace à la perpendiculaire de la cassure (trait vert).

H Enfin, une variante du cran Smalto, croisé par le cran parisien C. La jeune maison Wicket nous gratifie en effet d’une création aussi originale qu’inédite. Ici les revers sont assez étroits et le rapport cran / jointure col-revers déséquilibré, à l’instar du précédent.

Voici pour cette ébauche sur les crans parisiens. C’est un sujet assez ardu, car demandant une importante base documentaire. Il est possible que les dessins produits ne représentent pas tout à fait la vérité. Cela, à la limite, doit rester dans les ateliers. Ceci dit, si certains tailleurs veulent m’envoyer un croquis, je le reproduirai ici volontiers. J’espère que le propos est assez clair également. Il n’est pas facile de parler de sujet si pointu…

Julien Scavini

15 réflexions sur “Le(s) revers parisien(s) (MàJ)

  1. Philippe Lorin 28 Mai 2012 / 14:44

    bonjour,
    quand vous dîtes
    Il me semble que le raffinement parisien, à la Gonzalez, va aux petits revers,
    patlez vous de Gabriel Gonzalez ?

  2. Dirnelli 28 Mai 2012 / 19:43

    Cher Julien,

    Superbe billet!

    Le cran tailleur parisien est connu des italiens sous le nom de boca di lupo, la bouche de loup (romain, biensur!)

    Par ailleurs, on dirait que la contre-anglaise de ton cran Smalto forme un angle fermé sur ton illustration, alors qu’en realité ce cran est formé par 2 angles a 90° comme chez Camps. 

    J’espere maintenant que ton prochain billet traitera des revers italiens comme celui de Kiton avec ses 3 angles a 90°!

    Enfin, une discussion des revers ne saurait etre complete sans une discussion sur le boutonnage des vestes, qui influent tellement sur l’ouverture et donc la signature visuelle du revers. A ce titre, il est interessant de noter que Smalto boutonne quasiment au nombril, beaucoup plus bas que les autres parisiens. 

    • Julien Scavini 29 Mai 2012 / 15:16

      Absolument, la profondeur du revers influe beaucoup sur le cran. Notamment sur les 3 boutons…

      Hélas, je connais moins les écoles italiennes dans le PàP.

  3. Akim (@hightonedfr) 30 Mai 2012 / 14:13

    Très bel article !

    J’appuye la demande de Dirnelli pour un petit billet avec les belles illustrations sur les revers italiens…merci !

  4. Ramius 11 juin 2012 / 15:21

    Je me demandais, pourquoi existe-il une telle diversité de cran parisiens? S’agit-il d’une recherche d’originalité? de la difficulté technique de reproduire l’original? du coût de cela entraine? Peut être une histoire de brevet? Après tout, cela pourrait très bien relevé de la propriété intllectuelle.

    Respectueusement,
    Ramius.

    • Julien Scavini 13 juin 2012 / 17:52

      Aucun brevet la dedans. Chaque tailleur cherche son petit truc, sa petite marque distinctive en fait. Tous sont de la même école parisienne (Darroux/Vauclair/l’école de la rue des taillandiers), cela crée un petit milieu où l’on se regarde. Dans mon interview de monsieur Guilson, il disait bien avoir copié Smalto au début, puis il a trouvé son cran par exemple. Car copier le cran d’un autre n’est pas tellement amusant. C’est bien plus sympa d’explorer de nouvelles voies.

  5. Lucas 23 juillet 2014 / 11:48

    Bonjour et merci pour cet article très didactique.

    Je suis tombé il y a peu sur un patronage de veste où une pince était mise sous le revers. N’ayant jamais vu ça, j’aurais voulu savoir si vous êtes déjà tombé sur cette façon de faire ainsi que ce que cela apporte.

    Merci

    • Julien Scavini 23 juillet 2014 / 12:27

      Bien sûr qu’il peut y avoir une pince sous le revers. Les militaires en ont une systématiquement, qui dépasse du revers et est donc visible. Sinon pour les civils, cette pince peut servir à contrôler les pectoraux développés. Ainsi le revers ne casse pas. Cette pince peut partir du col et aller vers la pince centrale, elle peut aussi partir du col et descendre parallèlement à la cassure du revers ou encore être en deux segments, alors appelée pince marteau !

      Voila

      • Lucas 27 juillet 2014 / 13:40

        D’accord. Merci mais du coup, je me permets une autre question qui me vient.

        Comment est-ce que l’on fait pour poser la parementure? Celle-ce sera plate et le revers, lui, aura une forme en 3 dimensions. Alors comment fait-on? On travaille la parementure au fer?
        P.S. J’ai retrouvé l’image dont il s’agissait : http://monsieurbydelmas.com/blog/wp-content/uploads/2014/06/methode-napolitano-patron-dun-veston.jpg
        J’étais tombé dessus, justement en cliquant sur un lien depuis votre blog et en me baladant sur le leur. ^^
        Leur webmaster n’a pas pu me répondre car il n’est pas tailleur lui-même. 😦

  6. Olivier 20 décembre 2014 / 21:06

    Quelle leçon de précision.
    Merci Julien

  7. generateur de credit fut 15 20 Mai 2015 / 07:47

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  9. Sébastien 3 mars 2019 / 22:21

    Bonjour,
    bien que cet article soit ancien, je me permets de poser ici une question sur la griffe d’un vêtement plutôt que sur le col en lui même. J’ai fait l’acquisition d’une veste 2 boutons d’occasion en natté tasmanian super 150’s avec un superbe col parisien. Je pense qu’il s’agit de pap au vue de l’étiquette de la taille dans la poche. Le roulé du revers me fait penser qu’elle est semi-entoilee. La griffe standard  » fabric loro piana … » est présente mais pas celle du « fabricant ». Est ce usuel? J’ai pensé à un prototype ? A de la contrefaçon (j’en doute car le tissus est très beau) ?
    Plus généralement, merci pour votre partage extraordinaire en terme de techniques et d’histoire de ce qui nous habille.

    • Julien Scavini 4 mars 2019 / 19:38

      Bonjour, pas évident à savoir. C’est un prêt à porter s’il y a une taille, sûr. Un beau PàP dans un tissu Loro Piana ensuite. Curieux oui qu’il n’y ait pas la griffe de la boutique ensuite. Qu’importe, tant qu’ils sont beaux et élégants!

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