Il y a quelques jours, un client m’évoquait son désarroi devant la disparition du costume, et quelle complication cela représente pour lui, au quotidien. Dans son environnement de travail, même venir en blazer, même venir avec une cravate sous un pull, passe pour hautement endimanché, tendance mariage. Que faire et comment s’habiller en décontracté, tout en restant au standard de qualité que nous aimons. Telle est la question !
Il m’évoquait dans le prolongement sa difficulté à construire une telle garde-robe, qui ne soit pas trop mauvaise. Et suffisamment intelligente. Je le rejoignais tout à fait. Il est vrai que je recours agréablement au costume. Bleu marine, chemise simple, souliers noirs et voilà, l’affaire est faites. Mais lorsqu’on l’on veut faire du dépareillé, il y a une étude plus complexe à mener. Et qui est loin d’être simple.
La tentation est grande d’acheter ou de faire réaliser des vêtements suivant des envies. Et d’avoir des envies multiples. Une chemise parme. Un pantalon vert. Un pull marine. Une veste de tweed marron. Une chemise à rayures roses. Un gilet en tweed ocre. Un cardigan mauve. Une veste lin et soie beige d’été. Etc… Ce faisant, ces vêtements sont précieux, car tous font la part belle à l’envie de l’instant. On les aime car ils ont répondu à une image que l’on avait en tête ou à une étoffe que l’on a trouvé raffinée.
Seulement voilà, au quotidien, ces vêtements ont parfois du mal à trouver sens entre eux. On arrive bien à composer des tenues variées. Mais tous les jours, devoir recommencer l’étude, et se poser des questions est ardu. On essaye. Parfois cela fonctionne très bien. A d’autres moments, on est moins satisfait de l’accord.
Le pire dans tout ça, c’est que le type d’à côté en jean et t-shirt, ostensiblement sans réflexion, parait lui très satisfait et très cool. C’est rageant, il est vrai. Comment se fait-il qu’avec des vêtements de prix et en faisant marcher nos méninges, nous n’arrivions pas à bien cerner la tenue décontractée, et surtout à la vivre aussi sartorialement que possible ?!
Tout vient je le crains de la volonté, heureuse cela dit, de variété. A vouloir panacher et varier les couleurs et les styles (un matin plus tweed anglais, l’autre plus blazer anglais, le suivant plus City de Londres en costume, un autre encore plus italien), on s’amuse soi-même. On égaye son intellect. Pour le pire et pour le meilleur ? On essaye de donner corps quotidiennement à une envie de variété et de différence. Pourquoi faire comme hier ?
En discutant avec mon client, je pensais qu’au fond, on pouvait tout à fait être sartorialement mainstream, si j’ose dire, en réprimant cette envie de variété. Et en appliquant la même règle que le type en jean et t-shirt, à savoir la règle de la répétition quotidienne. De l’itération. Mais pas avec les mêmes vêtements que lui. Porter tous les jours les mêmes habits, oui mais de beaux habits. Discrets. Et passe-partout.
Il est possible de construire une garde-robe très sérielle, par exemple basée sur deux couleurs : gris et bleu. En possédant cinq ou six vestes, de bleus différents & de tissus différents (du tweed à la flanelle ne passant par le cachemire ou le fresco), que l’on marierait avec une dizaine de pantalons tous des gris différents (ou à la rigueur de grège et rare marron), il serait possible de présenter, quotidiennement une allure identique, n’attirant pas l’attention et ne donnant pas prise aux remarques des collègues. Ou l’inverse marche aussi comme le montre la photo. Discret. Mais très raffiné dans les matières et les coupes.
C’est la répétition discrète qui protège. Même si les vêtements sont d’une immense qualité, d’autant plus indétectable d’ailleurs. A l’inverse, l’envie de bien faire et de renouveler quotidiennement fait lever le sourcil inquisiteur du collègue. Car la variété est un signe extérieur de richesse. Et ça, c’est bien la pire des possibilités en France, que de passer pour trop argenté. Porter tous les jours le même blazer bleu n’attirera pas l’attention, fusse-t-il en cachemire. Passer de ce blazer à une veste de tweed puis un costume sera remarqué et jugé.
J’évoquais une garde-robe construire de manière urbaine sur le bleu et le gris. Mais une basée sur des teintes de bleus et de marrons, à l’italienne fonctionne aussi. Une basée sur des couleurs de feuilles mortes, façon tweeds campagnards déjà, fait appel à la variété. Variété suspecte ?
Lorsque l’on construit une garde-robe sartoriale MAIS discrète, toute la difficulté et d’arriver à sortir de l’aspect mono-manique. Et de pouvoir se laisser une petite porte de sortie, si par hasard, un pull mauve devait entrer dans la penderie ! Qu’en pensez-vous ?
Belle et bonne semaine de réflexion. Julien Scavini
à 63 ans, en forme de résistance aux tensions de la période, j’ai commencé à m’intéresser à mon apparence vestimentaire, à investir avec passion pour les matières, les coupes, la construction de qualité. et à assumer socialement, une grande diversité de tenues, de l’urbain au workwear au campagnard. A pratiquer joie et humour avec certains collègues qui ont commencé à jouer le jeu. Mais lorsque mes investissements sont devenus trop nombreux et de trop de qualité perçue…
Vous diagnostiquez très finement les résistances collectives qui s’expriment autour de soi, conjoint, amis, collègues. Vous décrivez parfaitement l’investissement personnel en réflexion esthétique, le plaisir, la nécessité ressentie et le temps passé chaque jour à incarner, chaque matin, cette autocréation.
Je veux témoigner que j’ai également fait subir à mes enfants, jeunes adultes, l’exposé de mes trouvailles, de mon artisanat d’entretien des matières… J’ai réussi à financer quelques pièces acceptées par mes garçons, des chaussures de qualité, un blouson Kytone à l’un, une veste molesquine Le Laboureur à l’autre, très proches de leurs codes. Mais devant une K-Jacket à mes yeux sobre et sublime, mon aîné, pacifique et très tranquille Baptiste, a laissé échapper cette sentence qui a probablement dépassé la censure du politiquement correct : Cette veste est celle d’un vieux qui ne s’est pas habillé depuis 30 ans … La vérité sort de la bouche des enfants, n’est-ce pas …
Ma fille de 20 ans, très fashion addict depuis trois ans, est très viglilante au moindre signe de diversité par rapport aux standards tribaux de son âge.
Merci pour votre billet.
Tout à fait amusant 🙂
Bonjour et merci pour vos articles !
Dans ce domaine il y a cet article que peut être vous connaissez : https://www.sartorialisme.com/comment-habiller-etudiant-sartorial/
Qu’en pensez vous ?
Jacques
Merci pour ce lien passionnant et très bien étayé. Je note qu’il est contre le blazer de laine bleue là où je suis au contraire plutôt convaincu. Intéressant !
Merci encore Julien, pour cet intéressant point de vue. Pour ma part j’applique la méthode suivante.
Je commande mes tenues dépareillées complètes. Autrement dit je construit une tenue dépareillée en faisant confectionner la chemise, le gilet, la veste et le pantalon en même temps. de cette façon ma tenue est construite et réfléchie à l’avance. Pas de prise de tête les matins préssés.
Et rien ne m’empêche de recomposer un dépareillé si le cœur m’en dit en puisant dans la garde robe… quand j’ai plus de temps !
Au plaisir !
Article tout à fait dans l’air du temps
Pour ma part, fini les costumes (à quelques rares occasions, non professionnelles)
Dépareillé obligé avec des pantalons de plus en plus sombres (bleu de chine, anthracite, noir) et rappel sombre sur le haut (col roulé noir, chemise) en monochrome. Veste marron ou bleue effectivement pour le dépareillé. Mode camouflage, anti bobo-woke
Après,on peut toujours jouer sur les tonalités et les matières à l’infini
Si jamais j’ose encore la cravate, c’est planqué sous un cardigan pour l’ « atténuer »
Salutations
C’est amusant comme le dépareillé peut paraître encore plus habillé que le complet… Car il en faut de l’ingéniosité, de la créativité et de l’exercice pour associer et assembler une palette de couleurs variées.
Je trouve dommage, tout de même, de vouloir avoir une tenue « passe-partout » de gris et de bleu dans le dépareillé. La garde-robe ne sera, à mon avis, pas très polyvalente hormis en milieu urbain, voire peut-être même hormis en milieu urbain professionnel.
En réfléchissant bien aux vêtements que l’on fait faire (coupe, style et couleur), avec très peu on peut s’en sortir avec bon nombre de tenues différentes. A mon avis, en prenant le temps de visualiser les tenues dans sa tête, regarder les mélanges qui se correspondent bien et en prenant des couleurs assez communes. Vous obtenez des dizaines et des dizaines de tenue (de plus si l’on ajoute la caractéristique : chemise ou pull, pull ou polo manches longues… On ne s’en sort plus)
Quant à moi, pour mon vestiaire dépareillé, opter pour des costumes « dépareillables » a été pour moi une solution plus que bienvenue, me permettant d’utiliser veste seule ou pantalon seul (en complet 3 pièces : whipcord noisette, whipcord gris moyen, flanelle anthracite). Auquel j’ai ajouté des classiques simples (en vestes : tweed vert mousse, blaser / en pantalons : blanc, prune, marine, denim, beige…). Il ne reste plus qu’à faire les (bonnes) combinaisons 😉
Je rejoins Thierry Saint Jean, penser et faire confectionner une tenue dépareillée complète est plus pratique et d’ailleurs je fais faire une veste sport avec un pantalon sport en même temps.
Le plus important en somme est de se sentir bien dans ses habits plutôt que d’essayer de correspondre aux standards, quels qu’il soit.
GR.
PS: Je pense tout de même qu’en France, faire riche en étant habillé convenablement reste plus intelligible que faire riche en logotype :D.
Je vous suis totalement, il vaut mieux construire sa garde-robe en restant sur deux couleurs comme le bleu et le gris. Le célèbre Dirnelli avait même écrit qu’il pourrait écrire un livre sur ces deux couleurs qui sont très importantes pour le gentleman.
Le prix des beaux vêtements étant ce qu’il est, je trouve regrettable que les personnes qui s’intéressent aux vêtements de qualité aujourd’hui mettent des couleurs de partout, elles incarnent un personnage différent chaque jour, et rares sont ceux qui sont à l’aise avec tous ces vêtements. Je suis convaincu que les usagers du métro se disent « Ouah il est riche, il en fait trop, et il veut le montrer » au lieu de « J’aimerais tant lui ressembler ».
Je pense clairement qu’il faut tout d’abord se constituer une base sobre, ensuite on peut faire quelques folies. S’intéresser beaucoup aux tissus me semble essentiel, puis quand on a trouvé le bon tailleur ou le bon prêt-à-porter, s’autoriser des couleurs.
Le problème du vestiaire dépareillé c’est que l’on est trop dans la réflexion, on se dit qu’il faut telle couleur pour que ça fonctionne avec telle veste, puis telle chaussure; ça n’en finit pas !
Tout à fait 😉