Mes chers amis, tout d’abord, bonsoir. Cela faisait longtemps que je n’avais pas eu le temps de me pencher sur Stiff Collar. Entre les enfants et le travail bien prenant, je manque de temps. Pour ceux qui seraient passés à côté, j’ai pris le pli d’enregistrer quelques pensées. Une pratique du discours qui est bien moins consommatrice de temps, même si elle peut être plus réductrice que la chose écrite, qui elle, demande plus de réflexion, plus de profondeur. Ces petites chroniques sonores sont publiées sur toutes les bonnes plateformes. Comme :
Apple podcast : https://podcasts.apple.com/fr/podcast/la-chronique-du-tailleur-julien-scavini/id1781993502
ou Spotify : https://open.spotify.com/show/1i1ALiaysWQIXxRZ1CGZMX
Et bien sûr, pour ceux qui veulent lire chaque semaine quelques lignes neuves, il y a ma chronique dans Le Figaro Magazine. Depuis mai 2014, c’est presque cinq cent chroniques qui ont été publiées.
Si je reprends la plume ce soir, c’est pour évoquer un sujet un peu plus large que le tailleur. J’aimerais poser une question à propos d’une locution qui revient très souvent dans le langage des médias : radiophonique, télévisuel ou de la presse. Une locution qui est devenue si banale qu’elle ne pose question à personne. Et que même en dehors des médias, elle finit par être utilisée, sans questionnement. Cette locution est « à la française ». Exemple de contexte : ce service de porcelaine Havilland est une parfaite déclinaison d’une table dressée à la française. Autre exemple. Cette robe Chanel est une parfait exemple du style à la française. Je suis sûr que souvent vous l’avez entendu ou lu, ou utilisé.
Cette locution est utilisée pour qualifier principalement des objets ou des démarches ayant trait à l’art de vivre. Elle est utilisée pour souligner l’origine et pour souligner le génie à l’œuvre. Elle doit donc s’entendre, ou se lire, d’une manière positive. Louer l’élégance à la française, quelle riche idée.
Toutefois, suis-je le seul à trouver cette façon de le dire très ampoulée? Pourquoi ne dit-on pas plutôt : ce service de porcelaine Havilland est une parfaite déclinaison d’une table française. Autre exemple. Cette robe Chanel est une parfait exemple du style français.
Pourquoi ne dit-on plus français? C’est un fait bien étrange que de vouloir contourner cet épithète si direct ne trouvez-vous pas? Louer l’élégance française, n’est-elle pas LA riche idée? Pourquoi est-ce que de manière commune, nous semblons nous interdire d’être si direct?
Cet été, en visitant Cologne, j’en lisais la page Wikipédia. Je fus frappé par l’usage de cette locution qui raisonnait dans ma pensée. Il était question de l’architecture de sa remarquable cathédrale, de cette « cathédrale à la française ». Cela me paru évident. Nous sommes dans un pays étranger et il est question d’un art d’origine étrangère. Wikipédia n’allait pas écrire « cette cathédrale française ». Elle ne l’a jamais été. (Sauf sous Napoléon peut-être). Il était plus que légitime d’utiliser la locution « à la française » pour la décrire. Pour décrire un goût venu de l’étranger.
De manière un peu baroque a cheminé dans mon esprit une idée. Cela voudrait-il dire qu’ici, en France, nous parlons du goût à la française, car nous nous en sentirions étranger? Ce goût, ce n’est pas nous, il est exogène. Il faut nous en détacher. Créer comme une frontière avec ce fameux « à la ». Depuis lors, je m’amuse à chaque fois que j’entends cette fameuse locution, à penser que la personne en train de parler ou d’écrire, est comme en train de parler d’un fait d’ailleurs. Je me dis aussi qu’elle doit être gênée par l’harmonie française. Celle de Gabin dans Le Cave se Rebiffe. Non et non, cet intérieur n’est pas décoré dans le meilleur goût français. Mais dans le meilleur goût à la française.
Question de distanciation. Mais pourquoi une telle distanciation? Je me dis parfois que l’on ne s’aime pas tant que ça. Ou que l’on ne s’aime plus. Que l’on ose plus dès lors être direct et dire « français ». Intuition qui se double d’une seconde. Que par cette petite frontière on cherche à s’excuser de proposer quelque chose que l’on pense bien. Est-ce une volonté de se rabaisser?
Aussi, quelque chose à la française ne serait-il pas quelque chose d’un peu frelaté, réchauffé, usurpé? Quelque chose de pas net, ou de pas authentique? Un japonais trouvant une veste de garde chasse de Sologne aux puces dirait, c’est une veste française. Le même japonais trouvant une réédition de cette veste made-in-Japan, ne dirait-il pas alors, c’est une veste à la française?
De cette petite question de sémantique je voulais vous faire part. Travaillant pour l’art de vivre, je suis bien placé pour parler de l’art français du tailleur. Ou de l’art du tailleur à la française? Qu’en pensez-vous?
Belle semaine, Julien Scavini

J’ai le sentiment que ce sont les étrangers qui peuvent employer cette expression. Pour qualifier un mode, un art de vivre, une manière d’être ou de faire, qui leur paraîtrait propre à la France…
Ah cher Nicolas, commentateur des débuts ! Bonjour. C’est en effet comme cela que je vois cette expression aussi !
En lisant les réponses, je voulais signaler qu’en anglais « filer à l’anglaise » se dit « to take a French leave ». Je crois que c’est difficile pour un peuple de se qualifier lui-même. Surtout pour s’auto attribuer des qualités. Pour ma part je ne porte pas de beret et quand je m’habille je m’inspire du style italien ou anglais…..
Je te suis toujours Julien. Fidelité….à la française 😉 ?
Peut être que ce n’est pas se sous évaluer, mais l’inverse, se mettre dans le regard d’un étranger et jouer a se découvrir sous le regard de quelqu’un d’admiratif pour se sentir supérieurs. Tres conscient du regard des autres, les parisiens adorent s’asseoir en terrasse être vus sans se montrer et regarder les gens, une source infinie de commentaires et d’amusements.
bonjour
Je lis et apprécie vos textes. Merci pour votre travail. Pouvez vous mettre vos textes en » justifié » pour l alignement à droite du texte. C est plus élégant.
D ailleurs je n arrive pas à le faire sur votre interface.
Bonjour Julien,C’est avec grand plaisir que je lis un nouvel article ici.Si je pense qu’effectivement pour certain « à la française » est un moyen de se distancier par dévaluation de quelque chose de jugée positif, je pense que pour d’autre c’est au contraire, pour critiquer le quotidien (français) par rapport à l’idéal (à la française). De là pour ces gens, l’art de vivre français, l’élégance française, celle qu’on voit tous les jours dans la rue (j(emploie art de vivre et élégance avec de nombreuse pincettes) est bien loin de celle qui fut, ou que l’on voudrait qu’il soit, « à la française ».
Intéressante piste !
Bonjour Cher Monsieur,
C’est toujours un plaisir de vous lire et de vous écouter !
En musique, nous avons l’expression ouverture « à la française » à l’instar des opéras de Lulli, mais également des entrées d’orgues françaises de Grigny, Marchand etc., modèle repris par de nombreux compositeurs dont J.S. Bach notamment dans ses Suites de danses.
Les caractéristiques sont assez précises : introduction lente au caractère grave avec un rythme surpointé, puis une partie plus longue assez enlevée avant de revenir au tempo initial, empli de noblesse hiératique.
On retrouve l’idée d’écrire, de composer « à la manière de », dans le terme italien a cappella, qui demande de pratiquer le chant « à la manière de la chapelle Sixtine », c’est-à-dire sans instrument.
Chercher à pasticher, ou à l’imiter reviendrait donc à rendre hommage aux techniques, ou du moins être marqué par une structure forte, voire un modèle esthétique…
Bien respectueusement.
Ah merci monsieur V. Quelle bonne réponse. En effet, dans ce sens, cela fait grand siècle !
Très intéressante chronique – comme toujours – et plus profonde, me semble-t-il, qu’elle n’en a l’air.Si la réponse de monsieur Nicolas Vardon me semble la plus juste et la plus belle; je dois reconnaître que mon esprit penchait au départ du même côté que monsieur Jeantivollier. Etant utilisateur occasionnel de cette formule, son usage, pour ma part, s’inscrit dans le temps présent où, hélas, l’art de vivre qui fit tant notre renommée a pratiquement disparu. C’est pourquoi je n’ose plus qualifier de « français » qui renvoi à l’époque présente, mais « à la française » pour signifier « du temps où nos arts étaient beaux, élégants, admirés, recherchés et copiés ».Certes, c’est reconnaitre d’une certaine façon que le français ne s’aime plus, comme vous l’écrivez dans votre chronique. Mais vous m’avez rappelé combien il est utile de faire briller de nouveau notre art de vivre dont nous sommes si fiers et qui fait l’admiration de tant de touristes. Il est étonnant comme des gens me félicitent régulièrement sur mon élégance vestimentaire (merci monsieur Scavini). Il est perceptible dans leurs propos une intonation de nostalgie, parfois d’envie…qu’ils n’osent pas imiter mais qui les tente beaucoup. Aidons les français a retrouver leur identité et renouer avec leur bon goût légendaire.
Cher Julien, je lis ici des témoignages et commentaires bien précis et je ne chercherais pas à être dans la surenchère. Voici mon propos: une chose « française », elle l’est, point. Une autre « à la française » suppose – à mes yeux – une influence générale, une influence majoritaire qui peut être accompagnée de touches « à l’Italienne », « à l’anglaise » , dans une mesure plus ténue.
Belle semaine à vous.
Vous avez mille fois raison ; les questions de sémantiques sont de fait signifiantes. Le diable y est toujours bien caché.
Fidèlement votre.
Bonjour Monsieur Scavini,
Pour ma part, il me semble que Les expressions « art à la française » et « art français » ne sont pas totalement synonymes et renvoient à des nuances distinctes :
1. « Art français »
L’expression désigne de manière générale l’ensemble des productions artistiques créées en France ou par des artistes français, quelle que soit l’époque ou le style. Cela inclut la peinture, la sculpture, l’architecture, la musique, la littérature, etc.
Exemples :
2. « Art à la française »
Cette expression met l’accent sur un style particulier et une manière « typiquement française » de concevoir l’art. Elle est souvent utilisée pour évoquer une esthétique raffinée, élégante et codifiée, notamment dans des domaines comme l’architecture, le jardinage (les jardins à la française), le mobilier, les arts décoratifs ou encore l’art tailleur.
Exemples :
Bien à vous.
Votre réflexion sur la locution « à la française » est fascinante et révèle des subtilités linguistiques, culturelles et identitaires. Vous soulevez une interrogation très pertinente sur l’usage de cette expression. Pourquoi adopter une formulation indirecte, alors que le terme « français » semble plus simple, plus authentique et plus enraciné ?
Peut-être que la locution « à la française » donne une certaine légèreté, un caractère descriptif qui paraît moins assertif, moins chargé. Elle peut évoquer un certain idéal ou une esthétique qui dépasse la simple nationalité : une aspiration à un art de vivre qui, tout en étant français dans son essence, se positionne comme un modèle universel. D’une certaine manière, cela peut refléter un désir de magnifier et de romantiser ce qui est associé à la France, tout en créant une distance presque poétique.
Il est également possible que cette distanciation trahisse une certaine ambivalence, comme vous le suggérez. Peut-être qu’en insistant sur « à la française », il y a un effort inconscient de souligner l’exceptionnel, comme si le qualificatif « français » seul ne suffisait pas à transmettre toute l’élégance ou le raffinement qui lui est associé. Et effectivement, cette distanciation pourrait révéler une forme d’autocritique culturelle, où l’on hésite à revendiquer directement la qualité française par crainte d’être perçu comme trop chauvin.
Votre exemple du japonais et des vestes est particulièrement éclairant. Quand l’art ou le style « à la française » est reproduit ailleurs, il semble porter cette idée d’interprétation, de recréation, d’une inspiration qui n’est jamais tout à fait l’original, mais qui s’y rapproche.
L’usage de « à la française » pourrait aussi refléter une tension entre l’authenticité et l’idéalisation. Une manière de conserver un certain mystère ou une distance qui alimente l’imaginaire.
Mais au final, cette locution, bien qu’élégante et courante, mérite effectivement qu’on s’y arrête. Elle révèle bien plus sur notre regard sur nous-mêmes et sur la manière dont la France est perçue—ou veut être perçue—dans le monde.
Monsieur, c’est toujours avec beaucoup de plaisir que je lis vos chroniques, et notamment dans le Figaro Magazine. Le premier article que vous avez écrit dans cette publication n’était-il pas intitulé « De l’art d’accommoder les chaussettes » ? Avec tous mes remerciements.