Est-ce que c’était mieux avant?

Il est certain que lorsque l’on s’interroge sur la chose vestimentaire, et que l’on aime les vêtements – les beaux vêtements – on ne peut s’empêcher de se demander : est-ce que c’était mieux avant ? Il est certain que se balader dans la rue aujourd’hui n’est pas un très joli spectacle. Les habits élégants (et je ne parle même pas du costume) sont bien rares. C’est un océan de chinos et de jeans avachis, de t-shirts mous et de sur-chemises boulochées. Et encore, je n’évoque là que les vêtements aux tissus naturels. Car à côté d’eux, il y a un océan encore plus grands que certains conseils me forcent à regarder plus attentivement, celui des vêtements en plastique, qui prennent une place de plus en plus importante. D’ici quelques temps, le chino de coton sera à ranger aux oubliettes de l’histoire vestimentaire au rythme où vont les choses.

Dès lors, la question semble vite tranchée. Oui, lorsque l’on aime le beau vêtement, c’était probablement mieux avant. Avant, quand? En 1976, date de sortie d’Un éléphant ça trompe énormément ? Ou en 1948, date de sortie de La Corde ? Vestimentairement parlant, ces deux ambiances sont fabuleuses. A moins que l’on souhaite retrouver l’élégance inouïe et perdue qui devait régner Au Pavillon bleu à Saint Cloud en 1908, entre Seine et parc ? Hélas, celui qui devait être élégant en 1908 avait toute les chances de mourir en 1915… Donc est-ce que c’était mieux avant ?

Mais soit, il est vrai que si on lit Blake & Mortimer, on ne peut s’empêcher de penser que 1954, ça, c’était une année élégante. Manteaux opulents, Rolls-Royce Silver Dawn plus belle que jamais, et un avenir radieux, l’ère atomique arrivant.

J’ai une grande passion pour les livres de cartes postales anciennes, souvent reproduites dans des ouvrages traitant de l’histoire des villes. A ce titre, les livrets des éditions Alan Sutton sont passionnants, bien que d’auteurs aux talents parfois inégaux. J’aime y regarder finement les vêtements lorsque les clichés sont pris d’assez près. C’est une vraie mine de détails, de coupes, de poches, de revers, de façon de faire, etc… Passionnant.

Dans ces cartes postales de la fin du XIXème siècle jusqu’à l’époque moderne sont distillées nos façons de nous habiller. Mais attention, la carte postale crée une sorte de poésie par le noir et blanc. Cette mise à plat de la couleur uniformise beaucoup ce que l’on voit. Si l’on voyait en couleur, que verrait-on toutefois? Une belle homogénéité des allures par l’homogénéité des matières et des teintures. Les matières étaient naturelles, les couleurs rarement saturées sauf pour les militaires. La palette de matières et de couleurs était réduite. Dès lors, pour une œil aimant l’ordre, il est certain que c’était plus beau que le désordre individuel actuel fait d’un grand éclectisme !

L’ordre social était renforcé d’ailleurs à ces époques par des stéréotypes vestimentaires. Les bouchers étaient habillés comme des bouchers avec le tablier bien serrés, les charpentiers comme des charpentiers avec leurs vareuses rustiques, les employés de banque comme des, les militaires comme, etc. Ce que l’on peut apercevoir dans les vieux Tintin et les vieux Quick & Flupke. Ces stéréotypes étaient une manière de lire la rue, la société. Idée également renforcée par un régionalisme affirmé. Aujourd’hui, un milliardaire sort d’une Aston Martin avec une doudoune Jott et un jean Armani, comme tout le monde ou presque, et cela de part le monde de Rio à Paris en passant par Dubaï.

Mais enfin bref, est-ce que dans ces cartes postales vois-je du plus beau qu’aujourd’hui ? Oui par nostalgie. Une nostalgie dogmatiquement renforcée et encouragée. Mais au fond, si je regarde bien certaines scènes, certaines pauses, que vois-je aussi ? Des vêtements très rustiques. Des vêtements rapiécés. Des vêtements avachis. Certes on voit de beaux messieurs avec des chapeaux. Mais combien avaient les moyens d’avoir beaucoup de beaux chapeaux et de changer souvent? Moins qu’aujourd’hui probablement. Cet homme qui pose près d’une locomotive de tramway à Suresnes, change-t-il souvent de chemise? Sa veste de travail, en-a-t-il plusieurs ou traine-t-il celle là jour après jour? Ce vendeur ambulant de fromage à Hasparren, depuis combien de temps porte-t-il sa petite cape? Son gros pantalon de laine, quand a-t-il été lavé pour la dernière fois? Je ne parle même pas des souliers, lorsque les cartes postales permettent de voir cela. On en voit des godillots et des sabots… Et des petits enfants pieds-nus encore en 1920 sur la route de Biarritz à Anglet Saint-Jean.

Oui que ces cartes postales sont belles. Oui certains vêtements ou l’homogénéité des vêtements est belle. Oui à cette sorte d’apothéose du style collectif. Oui, au charme que j’y trouve. Un charme immense. Mais Evelyn Waugh l’auteur britannique n’incitait-il pas à se méfier du charme dans Brideshead ? Le charme qui interdit de penser. Le charme qui interdit même de voir. Mais n’est-il pas plaisant de mal voir? Que ces cartes postales montrent un monde qui était mieux? Je préfère probablement les vêtements d’aujourd’hui. Leur propreté. Leur variété. Leur nombre. N’est-ce pas dès lors un peu schizophrène. Ah comme j’aime ce que je vois sur le papier. Et comme je n’aime pas vraiment ce que je vois de mes yeux au quotidien. Mais comme j’aime mon confort…

Belle soirée, Julien Scavini

9 réflexions sur “Est-ce que c’était mieux avant?

  1. Avatar de Claude Gouville Claude Gouville 28 avril 2025 / 21:37

    Bonsoir

    ce que je déteste par dessus tout, c’est le pantalon taille basse, j’ai toujours l’impression que je vais perdre mon pantalon, même avec la ceinture bien serrée, vivement le retour du pantalon taille haute, et c’est ce qui était mieux avant.

  2. Avatar de Nicolas David Nicolas David 28 avril 2025 / 21:56

    Je me demande Julien quand un vêtement est beau. Il est beau a son époque selon les valeurs ou les modes en cours à cette époque ? Et quand ces valeurs sont passées, alors on le juge mal ? Ou il est beau intemporellement quand il est bien porté ? Bien porté, à savoir adapté à la silhouette de la personne ou a la fonction qu’il sert ?

    Je trouve que tu as donné des éléments de réponse dans un précédent billet. Les vestes ras de pet, les vêtements trop près du corps, les boutonnières de couleurs, les fameuses chaussettes rouges… Tout cela a passé bien vite finalement. Pas de retour à ces gadgets.

    Alors ce qui est mieux avant, c’est ce qui revient. Les matières, le confort, l’utilité et le côté pratique d’un vêtement. Ce qui a une fonction. Je veux dire par là ce qui accompagne une activité ou ce qui accommode la ligne d’une silhouette.

    • Avatar de Julien Scavini Julien Scavini 30 avril 2025 / 09:29

      Ce qui était mieux avant, c’est ce qui revient. Excellent !

  3. Avatar de Hélène DD Hélène DD 29 avril 2025 / 07:39

    Bonjour,

    coïncidence, je viens d’entendre un reportage sur France Info disant que près de la moitié des gens ne portent plus de chaussures en cuir mais des sneakers, chaussures informes qui à l’origine étaient pour le sport, tout comme ces horribles jogging qui pendouillent désastreusement sur les postérieurs faute de rester assis et non pas de faire du sport que j’observais la semaine dernière sur les clients de ma boulangerie. Je me demandais justement si j’étais une extra-terrestre pour préférer porter les vêtements que je me crée à ma juste taille et en textiles naturels. Vous venez de me rassurer, merci.

  4. Avatar de VincentL VincentL 29 avril 2025 / 11:06

    En voyageant un peu, on remarque que tous les japonais portent le costume pour aller au travail, et que ces costumes ont une certaine qualité, et une certaine élégance, même si parfois on a l’impression de revenir à une époque révolue. (tissu/placement des boutons). A Milan, il y aussi cette élégance, qu’on retrouve partout dans la rue, et aussi à la Scala de Milan, il y a comme ce devoir d’être à la hauteur d’une ville ou d’un lieu. A Paris, on a beau être à la capitale mondiale de la mode, il y a comme une impression que le français ne veut pas montrer sa richesse contrairement au japonais qui montre sa belle montre et sa belle voiture. Je pense qu’il y a un rapport à la richesse bien différent entre les Français et les autres. Et y a inévitablement aussi un appauvrissement général qui fait que plus personne ne s’habille bien. En ce moment, Hugo Jacomet met par exemple en avant de la demi-mesure et des souliers, mais je n’aurais pas du tout choisi ces marques pour une première fois, j’aurais mis la centaine d’euros en plus pour comprendre ce qu’est un soulier de qualité par exemple. Il y a un débat intéressant là-dessus, et je pense que sans gros changement politique en France, il n’y aura pas de révolution vestimentaire.

    • Avatar de MrVico MrVico 10 Mai 2025 / 13:43

      En tant qu’habitant du Japon, je peux te dire que ce n’est pas tout à fait la réalité concernant le statut social et la manière dont les Japonais montrent leur richesse. Contrairement à ce que tu sembles suggérer, il y a une vraie modestie dans la culture japonaise. Les Japonais ne cherchent pas à afficher leur richesse de manière ostentatoire, que ce soit par une montre de luxe ou une voiture. Bien sûr, certains peuvent avoir des objets de luxe, mais cela reste très discret, et ça ne correspond pas à une volonté de se “mettre en avant” comme on pourrait le voir ailleurs.

      En ce qui concerne le costume, je fréquente pas mal de boutiques de tailleurs et sartoriales (Ginza Tailor, Sartoria Ciccio, Ring Jacket…) à Tokyo, et tous me disent que le costume devient de plus en plus une niche. Je le constate aussi au quotidien : il y en a de moins en moins dans les rues. Les Japonais portent des costumes principalement par obligation professionnelle, et ce n’est plus aussi répandu qu’avant, surtout dans les secteurs moins conservateurs. Beaucoup ne sont pas particulièrement à l’aise dans leur tenue et ça se ressent. Dans les secteurs plus traditionnels, comme la finance ou certaines entreprises conservatrices, c’est encore la norme, mais au quotidien, tu vois beaucoup de gens qui préfèrent des vêtements plus décontractés. En fait, même dans des endroits comme Ginza ou Shibuya, je vois de moins en moins de personnes en costume.

      • Avatar de Julien Scavini Julien Scavini 12 Mai 2025 / 20:20

        Merci beaucoup pour ce témoignage en direct du Japon. C’est très agréable de savoir que le costume vit les mêmes heures. Les magazines tentent de faire croire à un « revival » en particulier chez les jeunes, je suis persuadé que ce n’est qu’une niche de plus en plus petite, et qui ne compense pas du tout les volumes généraux du quotidien. Les envies sartoriales de quelques jeunes ne compensent pas les pertes énormes de volumes des travailleurs costumés. Merci pour ce partage !

      • Avatar de VincentL VincentL 13 Mai 2025 / 19:52

        Forcément, quelques jours au Japon ne remplace pas quelqu’un qui vit au Japon, et je vous suis sur plusieurs points comme ces jeunes qui ne se sentent pas à l’aise dans leur costume souvent trop grand, et bien sûr cette modestie typique des japonais. Mais j’ai vraiment senti un contraste entre Paris et Milan/Tokyo et mon oeil n’était pas habitué à cela. Il y a cette touche d’élégance ou parfois ce côté osé chez les milanais, et il y a cette touche de luxe chez pas mal de japonais, mais je suis peut-être tombé sur des amis japonais qui étaient bien différents de mes amis parisiens. Cela doit être le pays où on doit voir le plus de costumes au monde le matin en prenant le métro, et j’avais l’impression que les hommes les plus âgés avaient souvent des laines qualitatives; comme si c’était une réussite discrète qui ne pouvait être remarquée que par un public connaisseur. Dans tous les cas, j’ai adoré regarder les japonais s’habiller, et j’ai adoré voir les petites différences entre Nagoya et Tokyo. A Nagoya, j’ai vu beaucoup de beaux noeuds de cravate, alors qu’à Tokyo, il y a comme vous le dites cette contrainte, car c’est la norme dans certains secteurs. Une amie japonaise me dit même que porter le costume est nécessaire, puisque ça montre qu’on fait un travail sérieux, sinon c’était comme être au chômage.

  5. Avatar de Jean Jean 30 avril 2025 / 09:27

    Autrefois, chaque classe, chaque métier, chaque cérémonie, chaque geste quotidien étaient drapés de leurs rites et de leurs costumes, symboles d’un ordre immuable. À présent, le vent de l’uniformisation mondialiste souffle sur nos traditions, tandis que le progressisme, conquérant, efface ce que l’on croyait éternel. Les vestiges d’antan subsistent çà et là, mais face à la puissance de l’idéologie moderne, ils vacillent, fragiles.

    Le monde ancien n’était pas un paradis, le monde moderne ne l’est pas davantage. Celui qui, dans cette tourmente, aspire à une certaine élévation, s’affine par opposition à la folie collective. Cette quête d’élégance devient une épreuve de l’être, un combat silencieux, une résistance noble. Il endure le choc du vulgaire, dépasse la trivialité, transfigure l’épreuve pour en extraire la substance d’un enseignement. Ainsi s’élève-t-il, pierre à pierre, dans la patience et dans l’effort, car seule la lenteur du mûrissement mesure la vertu.

    Peu à peu, il modèle son existence dans un ajustement constant, tendu vers un idéal : la rectitude de la pensée, l’équité de la parole, la justesse de l’acte, et cette générosité du cœur qui seul le rend véritablement digne. Il tient, solide, dans le tumulte d’un siècle qui s’égare, tel un pilier intact au milieu d’un édifice qui s’effondre.

    Ainsi, il témoigne, par son exemple, que l’honneur peut survivre au naufrage, et que l’élégance, loin des apparences, n’est autre qu’un éclat de l’âme en harmonie avec l’univers.

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