Le pantalon en denim, un looping sartorial

Nous connaissons tous le jean. Impossible d’y échapper : il traverse les époques, les générations et les styles. Ce pantalon né dans les ateliers du XIXᵉ siècle, conçu à l’origine pour les ouvriers, les chercheurs d’or et les cow-boys, s’est imposé au fil du temps comme un incontournable du vestiaire moderne. À la fin du XXᵉ siècle, il a définitivement quitté les mines et les champs pour devenir un symbole de simplicité quotidienne. Aujourd’hui, le jean est partout : du bureau aux podiums, des friperies aux boutiques de luxe.

Deux éléments essentiels définissent le jean auquel notre œil est habitué. D’abord, un tissu : le denim. Une bâche de coton robuste, tissée en sergé, reconnaissable à son envers clair et son extérieur bleu. Ce bleu, d’ailleurs, n’est pas unique : il se décline en une infinité de nuances, de délavages et de patines. Si d’autres couleurs existent aujourd’hui — noir, blanc, brut, gris ou même pastel —, le bleu indigo reste son ADN. Ensuite, viennent les détails de construction, hérités de son usage utilitaire. Les surpiqûres apparentes, les rivets métalliques qui renforcent les zones de tension, les poches plaquées à l’arrière et les poches arrondies à l’avant — loin des poches passepoilées et biais typiques des pantalons de tailleur. Tout, dans le jean, respire la solidité et la fonctionnalité : un tissu robuste et des montages pensés pour durer. C’est cette combinaison qui a fait du jean non seulement un vêtement résistant, mais aussi un symbole culturel, entre travail et style, entre héritage et modernité.

Cet univers culturel qu’est le jean n’a rien de familier pour les tailleurs. C’est même, à bien des égards, son opposé.

D’abord, le coton. Matière reine du jean, il est pourtant peu apprécié dans les ateliers tailleur. Là où la laine, le cachemire ou le mohair se plient volontiers aux exigences du repassage, du formage et des points main, le coton, lui, résiste. Trop rigide ou trop plat, il ne se modèle pas aisément. Sa trame dense et sèche rend la couture à la main laborieuse, parfois même douloureuse pour les doigts. Bref, ce n’est pas un textile que le tailleur affectionne : il ne “vit” pas sous l’aiguille comme le ferait un drap de laine.

Ensuite viennent les détails de construction. Les tailleurs travaillent selon des codes précis, hérités d’une longue tradition : poches passepoilées, coutures invisibles, propretés intérieures, finesses des montages, repassages appuyés. Tout est pensé pour la ligne, l’équilibre, la discrétion du geste. Le jean, lui, procède d’un tout autre langage : surpiqûres apparentes, rivets métalliques, coutures renforcées, poches plaquées. Des solutions fonctionnelles avant tout, issues du monde ouvrier, et étrangères à la logique du sur-mesure ou de la coupe tailleur.

En somme, là où le tailleur cherche la fluidité, la précision et l’élégance du geste, le jean revendique la résistance, la simplicité et la franchise du travail bien fait. Deux univers que tout semble opposer — et c’est précisément ce qui rend leur rencontre intéressante. Peut-être ?

Si l’on part du principe que les méthodes et montages du pantalon tailleur — doublure partielle, couture ouvertes, fermoirs à plusieurs points, pli repassé au fer — restent immuables, alors la véritable variable dont dispose le tailleur, c’est le tissu. Car dans l’univers du tailleur, tout ou presque est codifié : les proportions, les lignes, les équilibres de volumes, la logique de montage. Ces gestes se transmettent, se répètent, s’affinent, mais ne se bouleversent pas. La coupe d’un jean par ailleurs est assez différente, notamment à la fourche. La rigueur du savoir-faire garantit la pérennité du style. Le seul espace de liberté, celui qui permet au tailleur d’interpréter, d’expérimenter, voire de dialoguer avec d’autres cultures vestimentaires, c’est la matière.

Ainsi, c’est par le choix du tissu que le tailleur peut faire entrer dans son langage des références extérieures — ici, celle du jean. En troquant le drap de laine pour une toile de denim, il ne change pas sa manière de construire le vêtement : il en change l’esprit. Le geste reste le même, mais le message se transforme. Le coton, autrefois proscrit pour sa résistance à l’aiguille, devient alors un terrain d’exploration : une façon de confronter la noblesse du tailleur à la rudesse du vêtement ouvrier. Une rencontre entre deux mondes que tout semblait séparer — l’élégance du sur-mesure et la robustesse du quotidien.

Lorsque le denim entre dans l’atelier du tailleur, quelque chose d’inédit se produit. Le tissu, habituellement destiné aux chaînes industrielles et aux surpiqûres mécaniques, se voit soudain traité avec une délicatesse inhabituelle. Sous les mains du tailleur, il se dote d’une précision nouvelle, presque d’une noblesse inattendue. Le denim, pourtant rustique, se prête alors à un tout autre registre. Travaillé comme un drap de laine, il révèle des subtilités de texture, des nuances de ton, des reflets de trame que l’on ne perçoit pas dans un jean standard. Les volumes s’affinent, les lignes s’équilibrent, les coutures se font discrètes. Le pantalon de travail devient pièce de style, presque pièce de conversation.

Esthétiquement, cette hybridation raconte une tension fascinante : celle entre la rigueur et la spontanéité, le formel et l’informel. Le denim adoucit la solennité du tailleur, tandis que la coupe tailleur élève le jean au rang de vêtement construit, pensé, sophistiqué. Symboliquement, c’est une réconciliation : celle du travail et de l’élégance, du quotidien et de l’exceptionnel. Là où l’un évoque l’effort, l’autre incarne la maîtrise. Leur union crée une allure nouvelle.

Ce pantalon de ville en denim — que l’on peut, avec beaucoup de précaution, qualifier de “jean” tant il s’en éloigne —, les Italiens le maîtrisent depuis longtemps.

Il faut dire que l’Italie a toujours excellé dans cet art subtil du mélange des registres. Là où les Anglo-Saxons séparent strictement l’univers du tailoring de celui du sportswear, les tailleurs transalpins ont su, dès les années 1970, brouiller ces frontières avec élégance. Sous leurs ciseaux, le denim cesse d’être un tissu utilitaire : il devient matière de style. Des maisons comme Kiton, Brioni, ou plus tard Incotex et Rubinacci, ont exploré ce territoire singulier : un pantalon à pinces, doublé, coupé comme un pantalon de flanelle — mais taillé dans un denim souple, parfois lavé, parfois brut. Le résultat n’a rien à voir avec un jean : la ligne reste fluide, la construction raffinée, et le tombé du tissu, plus dense que celui d’une laine, confère au vêtement une allure décontractée sans perdre en tenue. C’est une approche typiquement italienne que l’on retrouve chez Pini Parma : celle de l’élégance décontractée, de la “sprezzatura”, cette aisance à mêler le formel et l’informel sans jamais tomber dans la négligence. Là où le jean américain revendique sa robustesse, le pantalon en denim italien revendique sa nonchalance maîtrisée. Comme d’ailleurs la chemise en denim.

Cette idée, je l’aime depuis longtemps. Elle me séduit par tout ce qu’elle raconte : le dialogue entre deux traditions, la noblesse du geste tailleur appliquée à une matière populaire, la rencontre entre rigueur et décontraction. Pourtant, force est de constater qu’elle ne fait pas rêver tout le monde. En tout cas, pas ici. Les Français, semble-t-il, ne partagent pas cette fascination. Ou du moins, mes clients n’y ont jamais vraiment adhéré. J’ai tenté l’expérience à plusieurs reprises en prêt-à-porter. À chaque fois, ou presque, ce fut un échec. Le public restait circonspect, hésitant, incapable de situer la pièce. Trop habillé pour être un jean, trop décontracté pour être un pantalon de ville. C’est peut-être là tout le problème : en France, le vêtement reste encore catégorisé, assigné à un usage. On distingue avec soin le formel du décontracté, le bureau du week-end, la veste du blouson. Le denim, lui, brouille ces frontières — et cela déroute. Là où les Italiens voient un jeu, les Français perçoivent une ambiguïté. Sauf pour la chemise en denim, très adoptée.

Pourtant, nous n’en étions pas si loin.
Combien ai-je vu de messieurs entre deux âges, dont le blue-jean — car ils l’appellent toujours ainsi — était soigneusement repassé, pli marqué, parfois même légèrement amidonné, préparé avec attention par leur épouse. Ce n’était plus vraiment un vêtement de travail, ni un symbole de rébellion : c’était devenu leur pantalon du dimanche, celui qu’on porte pour “être à l’aise mais présentable”. Une esthétique très années 1990, à mi-chemin entre la décontraction et la correction. Le jean, dans cette version domestiquée, cherchait déjà à se rapprocher du pantalon de ville : un coton bleu, net, propre, assorti à une chemise bien rentrée et à un pull col V. En somme, une tentative spontanée, presque instinctive, d’apprivoiser le denim sans renoncer aux codes du “bien mis”. Peut-être que cette génération, sans le savoir, a posé les premiers jalons de cette idée : le denim civilisé, poli, intégré dans une logique de tenue plutôt que de vêtement de travail. Mais à l’époque, il ne s’agissait pas de style — plutôt d’habitude, de respectabilité, de “faire propre”. Là où je rêvais d’un pont entre le tailleur et le denim, eux pratiquaient, sans en avoir conscience, une version naïve et touchante de cette rencontre.

Au fond, je crois que c’est de là que vient mon attachement à cette idée. J’aime mon pantalon à pli, taillé dans la même coupe que mes pantalons de flanelle, mais confectionné dans un denim japonais dense et souple, au bleu profond. Simple, efficace, polyvalent. Il résume à lui seul ce que j’aime dans le vêtement : la justesse, la continuité du geste, la discrétion du style. Ni vraiment jean, ni vraiment pantalon habillé, il se glisse partout sans jamais jurer. Il a ce quelque chose de discrètement habillé, ou peut-être discrètement décontracté — c’est selon le regard. Il accompagne sans imposer, structure sans contraindre. Bref, il incarne cet équilibre que je cherche depuis longtemps : un vêtement sincère, à la fois ancré dans le quotidien et fidèle à une idée d’élégance.

Bonne réflexion, belle semaine, Julien Scavini

12 réflexions sur “Le pantalon en denim, un looping sartorial

  1. Avatar de Baya Dib Baya Dib 7 octobre 2025 / 07:10

    Très intéressant. Merci , je découvre beaucoup de choses intéressantes avec Stiff Collar. A bientôt.

  2. Avatar de jeantivollier jeantivollier 7 octobre 2025 / 07:40

    Bonjour,

    Je rêve personnellement d’un pantalon tailleur en denim. Double pince, large revers, pattes de serrage, pour moi tous les détails doivent y être où l’hybridation reste curieuse…

    Mais j’avoue ne pas encore avoir franchi le pas car tout simplement, j’ai encore d’autres priorités dans ma liste d’achat.

  3. Avatar de Nathalie Nathalie 7 octobre 2025 / 08:33

    les jeans des vieux messieurs, avec pinces et sans poches à l’arrière, ou bien une poche passepoilée, personnellement, je n’apprécie pas du tout.

    par contre, j’ai vu récemment dans un TGV, un homme vêtu d’un pantalon, style jogpant, dans un très beau denim foncé indigo, épais avec une belle texture. c’était très beau.

  4. Avatar de Jean Jean 7 octobre 2025 / 09:03

    Je reconnais volontiers la beauté de votre plaidoyer pour le denim tailleur. Toutefois, permettez-moi de vous faire part d’une réserve tenace : je me méfie des vêtements hybrides. Non par conservatisme, mais par souci de clarté stylistique. Ces pièces qui veulent tout dire à la fois finissent souvent par ne rien dire du tout.

    Prenons les sneakers qui singent les souliers : semelles épaisses, cuir patiné, parfois même bout fleuri. Elles cherchent à rassurer les amateurs de classique tout en flattant les adeptes du confort moderne. Mais, au fond, elles trahissent les deux camps. Trop sportives pour les salons, trop précieuses pour les trottoirs. Il en va de même pour la veste grise, oxymore textile qui prétend à l’élégance du costume tout en revendiquant le relâchement du dépareillé. Elle flotte dans un entre-deux qui, à mes yeux, manque de franchise.

    Et ce pantalon classique taillé dans du denim — j’ai du mal à y voir autre chose qu’une anomalie. Car, au-delà de l’exercice de style, il y a la question du vieillissement. Que restera-t-il de cette pièce dans dix ou vingt ans, lorsque les clichés auront figé l’époque ? Une sorte de monstruosité, comme le pantalon à pattes d’éléphant ? Le vêtement hybride vieillit mal : il ne s’ancre ni dans la tradition, ni dans la modernité. Il devient vite daté, comme ces tentatives de fusion gastronomique qui séduisent un temps avant de sombrer dans l’oubli.

    Je cite souvent le Chouan des villes, figure discrète mais lucide, qui nous rappelle : « Se méfier des tenues bâtardes – pas franches. Des tenues qui hésitent entre l’« habillé » et le loisir, le formel et l’informel. » Il y a là une forme de sagesse vestimentaire que je ne peux ignorer. Car si le vêtement est un langage, alors il doit être clair, assumé, cohérent. L’ambiguïté peut être séduisante, certes, mais elle est rarement durable. Chanel disait : « Dans la mode, on commence généralement par la chose trop belle, pour arriver au simple. » Le pantalon classique taillé dans du denim fait le chemin inverse, ce qui n’est pas bon présage.

    Cela dit, je vous rejoins sur un point : la chemise en denim, elle, a trouvé sa place. Peut-être parce qu’elle ne prétend pas être autre chose qu’elle-même. Elle ne cherche ni à singer la popeline, ni à rivaliser avec la flanelle. Elle est ce qu’elle est : une chemise robuste, simple, mais bien coupée. Et c’est peut-être là le secret — ne pas travestir, mais sublimer.

    • Avatar de jeantivollier jeantivollier 8 octobre 2025 / 10:59

      Bonjour Jean,Voilà des mots plein de sagesse. Pourtant je suis obligé d’être en désaccord, non avec l’idée, mais avec son application ici :

      Pour moi un pantalon tailleur en denim, si il est bien fait j’entends, n’est pas hybride. Ce n’est pas la jonction impossible entre deux mondes car :

      La construction tailleur est une structure, une forme, elle ne présuppose pas d’un formalisme. Une lourde moleskine marron, un whipcord brun, un velours côtelé, un tweed, tant de pantalon sportif dans l’essence qui suive la forme tailleur sans prétendre au formalisme.

      Le denim est une toile. Coton, twill 3×1, chaine indigo et trame blanche. Certes elle est aujourd’hui associé souvent aux jeans, mais elle ne le présuppose pas non plus.

      C’est pour ça que je fuis la tentative d’hybridation de certain, une coupe tailleur mais un fil de couture doré, voire pire, une surpiqure dorée. Ou des poches plaquées à l’arrière. Non, ce pantalon en denim doit n’être rien d’autre qu’un pantalon tailleur indigo.

      Qu’en restera t’il dans 20 ou 30 ans ? Et bien un robuste pantalon indigo qui je l’espère, ne sera jamais attaché au jean. Portable avec un tweed mousse, une veste lie de vin, un tricot, bref, tout un tas d’harmonie de couleur autours du bleu foncé, purement décontracté, ce que beaucoup de pantalon marine ne permette juste pas.

      A mon sens porter un jean avec une pièce tailleur comme la veste, c’est déjà une bien pire hybridation du point de vue esthétique….

      Comme la chemise en denim que vous défendez (mais que personnellement je n’aime pas) le pantalon tailleur en popeline ne doit singer ni le pantalon de costume, ni le jean, mais n’être qu’un pantalon robuste et bien coupé.

      De plus, et bien que je n’en envisage pas un tel vêtement pour moi, je me sens obligé de défendre la veste grise… Attention, l’écueil dont vous parler est bien réel, donc pour l’éviter, il faut entièrement se mettre dans le registre casual. Tweed, gros chevrons, carreaux, pied de poule, l’idée est de faire une veste sport, mais de comprendre que puisqu’on n’a pas résidence à la campagne, peut être est il plus cohérent de porter les couleurs du registre urbain en ville ? Personnellement j’aime bien les couleurs de la campagne en ville, mais je ne pense pas avoir à faire à une monstruosité si je le voyais dans la rue. Une veste trop lisse en revanche ? Trop « veste de costume » ? Là le mélange se fait dans la douleur. Le marine ne peut se le permettre que grâce au très codifié et très traditionnel blazer, avec ses boutons en or et ses usages déjà défini.

      • Avatar de Jean Jean 8 octobre 2025 / 12:09

        Bonjour Jeantivollier, je vous remercie pour cette réponse éclairée. Vous avez raison : le denim n’est pas intrinsèquement un jean, pas plus que le tweed n’est forcément campagnard. Et la construction tailleur, comme vous le soulignez, est une forme, non une finalité.

        Mais c’est précisément là que réside, selon moi, le nœud du problème : dans l’écart entre l’intention et la perception. Car si le denim n’est pas le jean, il en porte l’imaginaire. Il convoque, malgré lui, une histoire populaire, ouvrière, parfois rebelle — une histoire qui entre en friction avec les codes du tailleur, même si la coupe est irréprochable. Le vêtement n’est pas seulement porté : il est lu, interprété, situé dans une culture. Et c’est cette lecture — collective, souvent inconsciente — qui me pousse à parler d’hybridation.

        Même dans sa version la plus épurée, le pantalon tailleur en denim me semble porteur d’une ambiguïté, qui exige une grande maîtrise pour ne pas verser dans le flou stylistique. D’autant que la patine naturelle du denim ne s’accorde pas vraiment avec la rigueur d’une coupe classique. Elle risque de trahir l’intention initiale et de faire basculer l’ensemble dans un registre modeux, un peu trop soucieux de singularité, pas toujours heureux.

        Quant à la veste grise, je reconnais volontiers qu’elle peut trouver sa place dans un registre casual bien assumé. Vous évoquez les gros chevrons, les carreaux, le pied-de-poule — autant de textures qui ancrent la pièce dans une esthétique sportive et urbaine. Mais là encore, tout dépend de l’assortiment. Il faudrait, à mon sens, la tirer vers le décontracté : un chino, une chemise à col boutonné bleu ciel, une cravate en tricot. Et éviter l’association pantalon gris, chaussures noires, chemise blanche en popeline — qui relève déjà du costume. Dans le premier cas, autant porter une veste de tweed aux couleurs de l’automne ; dans le second, autant assumer pleinement le costume gris.

        En parlant de couleurs, je m’interroge aussi sur la nécessité de posséder des pantalons dépareillés en bleu marine ou indigo. Leur usage est souvent délicat : trop proches du jean pour être vraiment habillés, trop sombres pour incarner une vraie décontraction.

        Enfin, je souris à votre rejet de la chemise en denim — preuve que nous sommes d’accord sur certains désaccords. Je n’en possède pas, et je n’en désire pas. Voilà peut-être notre terrain d’entente.

      • Avatar de Julien Scavini Julien Scavini 8 octobre 2025 / 17:26

        Merci pour ces belles réflexions qui animent ce débat hautement explosif 🙂

    • Avatar de jeantivollier jeantivollier 8 octobre 2025 / 11:00

      Bonjour Jean,

      Voilà des mots plein de sagesse. Pourtant je suis obligé d’être en désaccord, non avec l’idée, mais avec son application ici :

      Pour moi un pantalon tailleur en denim, si il est bien fait j’entends, n’est pas hybride. Ce n’est pas la jonction impossible entre deux mondes car :

      La construction tailleur est une structure, une forme, elle ne présuppose pas d’un formalisme. Une lourde moleskine marron, un whipcord brun, un velours côtelé, un tweed, tant de pantalon sportif dans l’essence qui suive la forme tailleur sans prétendre au formalisme.

      Le denim est une toile. Coton, twill 3×1, chaine indigo et trame blanche. Certes elle est aujourd’hui associé souvent aux jeans, mais elle ne le présuppose pas non plus.

      C’est pour ça que je fuis la tentative d’hybridation de certain, une coupe tailleur mais un fil de couture doré, voire pire, une surpiqure dorée. Ou des poches plaquées à l’arrière. Non, ce pantalon en denim doit n’être rien d’autre qu’un pantalon tailleur indigo.

      Qu’en restera t’il dans 20 ou 30 ans ? Et bien un robuste pantalon indigo qui je l’espère, ne sera jamais attaché au jean. Portable avec un tweed mousse, une veste lie de vin, un tricot, bref, tout un tas d’harmonie de couleur autours du bleu foncé, purement décontracté, ce que beaucoup de pantalon marine ne permette juste pas.

      A mon sens porter un jean avec une pièce tailleur comme la veste, c’est déjà une bien pire hybridation du point de vue esthétique….

      Comme la chemise en denim que vous défendez (mais que personnellement je n’aime pas) le pantalon tailleur en popeline ne doit singer ni le pantalon de costume, ni le jean, mais n’être qu’un pantalon robuste et bien coupé.

      De plus, et bien que je n’en envisage pas un tel vêtement pour moi, je me sens obligé de défendre la veste grise… Attention, l’écueil dont vous parler est bien réel, donc pour l’éviter, il faut entièrement se mettre dans le registre casual. Tweed, gros chevrons, carreaux, pied de poule, l’idée est de faire une veste sport, mais de comprendre que puisqu’on n’a pas résidence à la campagne, peut être est il plus cohérent de porter les couleurs du registre urbain en ville ? Personnellement j’aime bien les couleurs de la campagne en ville, mais je ne pense pas avoir à faire à une monstruosité si je le voyais dans la rue. Une veste trop lisse en revanche ? Trop « veste de costume » ? Là le mélange se fait dans la douleur. Le marine ne peut se le permettre que grâce au très codifié et très traditionnel blazer, avec ses boutons en or et ses usages déjà défini.

    • Avatar de jeantivollier jeantivollier 9 octobre 2025 / 09:23

      Bonjour Jean,

      J’écris ici car wordpress semble bloquer l’option de répondre à un commentaire passer une certaine taille de chaine de réponse.

      Je pense que ma génération (je suis d’un modeste 98) n’a jamais connu le jean comme symbole de rébellion, et je n’ai aucune crainte de passer pour un modeux au vue de comment je m’habille.

      Non pour ma génération, c’est s’habiller chez le tailleur qui nous met en rupture avec la société. Je le sens (et je m’en amuse beaucoup) dès que je vois mes beaux parents, qui ne comprennent pas, si on en a la liberté, que l’on puisse choisir autre chose que le jogging.

      Je conceptualise ce pantalon de denim comme : indigo, donc plus clair et plus facile à porter que le marine, et texturé, donc plus facile qu’un chino marine aussi.

      Tweed mousse, tweed marron, lie de vin, orange, tant d’accord que, s’ils marchent en pantalon sur un blazer, et Dieu sait qu’ils sont nombreux, doivent marcher en inverse. En revanche, entièrement d’accord sur le risque du côté de la patine délavé. C’est ce qui me pousse à éviter le brut. Et finalement je ne le porterai que très peu, lui préférant cavalry twill, flanelle ou éventuellement whipcord, bref, de la laine…

      Quant à la veste grise, je suis d’accord avec vous sur les deux points. Premièrement travestir un costume en portant une veste grise lisse, une popeline blanche et des souliers noirs, mais en permutant le pantalon est un non sens. (De plus, dans mon entreprise, la culture semble être de porter le chino ton sur ton avec la veste, pour paraitre en costume, mais bénéficier d’un confort supposé je présume ? Le pantalon tailleur en laine pouvant être si confortable pourtant…).

      Pour son port très assumé décontracté, je partage votre point de vue : autant porter les couleurs de la campagne. Mais je comprends le point de vue opposé qui préfère porter les couleurs de la ville en ville, et je ne les considérerais pas mal habillé (si le reste est maitrisé, j’entends.)

      • Avatar de Jean Jean 9 octobre 2025 / 13:21

        Bonjour Jeantivollier,

        Ce que j’aime dans le style classique, c’est qu’il offre une liberté paradoxale : celle que l’on trouve dans la contrainte. Le vêtement, pour moi, est une forme d’expression — un langage codifié, certes, mais dont les règles tacites ouvrent un champ infini de possibilités. Tous les styles y sont virtuellement contenus, et c’est dans le choix de ces virtualités que réside l’activité véritable. Les libertés sont ténues, mais c’est justement cette tension qui fait naître l’art. Après tout, un peintre peut se croire affranchi de toute règle, il n’échappera jamais à la taille de sa toile.

        Je suis né au début des années 80, mais je crois profondément que l’homme de vingt ans peut s’habiller comme celui de soixante — et inversement. À chaque âge ses permissions et ses limites. Un jeune homme peut se permettre un denim un peu brut, une chemise au col trop ouvert, quelques audaces de silhouette. Un homme plus âgé, lui, devra trouver d’autres afféteries : une pince à cravate, un fédora, un bandana glissé dans le col de sa chemise. Le style, c’est aussi cela : savoir ce que l’on peut se permettre, et quand.

        Je m’efforce, autant que possible, de ne pas me laisser séduire par les modes passagères. Même lorsqu’elles me semblent intéressantes, je préfère les laisser mûrir, les observer à distance. J’attends de « reconnaître l’arbre à ses fruits » avant de m’en approcher.

        Je vous remercie sincèrement pour la qualité de cet échange, à la fois stimulant et nuancé.

  5. Avatar de happilychocolate09db963ede happilychocolate09db963ede 7 octobre 2025 / 13:20

    Le petit truc partagé par un ami tailleur dans le Finistère : piquer le pli devant, en ton sur ton évidemment (pour ne pas évoquer le sketch des Guignols sur les fameux jeans de Raymond Barre).
    Cela permet de conserver le marquage qui, inévitablement, disparait sur ces matières quand on a pas l’occasion de les repasser à chaque port.
    Excellent article encore, merci à vous !

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