A une époque, personne n’aurait imaginé porter autre chose qu’une chemise blanche. Cette époque – les années 50 et 60 – apparait comme l’âge d’or de la chemise blanche, en complément du costume sombre et du chapeau trilby. Mais il ne s’agissait pas là d’une question de mode. Bien au contraire, il s’agissait d’un usage remontant aux ères les plus reculées de notre histoire. Les sous-vêtements étaient clairs, de toile beige pour les pauvres et de plus en plus blanche pour les riches.
C’est au XIXème siècle que le coton connait un essor formidable. Finies les chemises en chanvre, en lin ou en soie ! Le coton en plus est très clair. Que demander de mieux. Alors certes, comme évoqué déjà dans l’article sur les rayures, ça et là le blanc fut strié de discrètes couleurs pastels. Mais dans l’ensemble, le blanc était la marque de l’élite, la marque de l’entretien et de la propreté. A tel point que sous l’ancien régime, la cravate elle même était blanche, pour prouver à quel point vous aviez des lavandières en nombre suffisant à demeure ! De cette époque reste la chemise d’habit, accompagnée de son papillon de coton marcella.
Mais les usages ont changé. Le coton blanc, déjà attaqué durant les années folles par des rayures pastels de moins en moins rayures et de plus en plus unies, succombera dès les années 70. Ce sera d’abord le bleu ciel qui prendra le dessus. Une couleur simple que les messieurs achetaient chez Madelios ou Old England par paquet de quatre, en complément de modèles ivoire et de cardigan lit de vin! Toute une époque.
Les années 80 et la figure du business man en particulier consacrèrent l’ère de la rayure, bengal et bâton. L’une est fine et donne l’impression d’un uni, l’autre est dure et voyante. Bleu, rouge, violet, rose, vert. La chemise devint le lieu ultime de l’expression personnelle ou d’un rattachement à la mode d’un groupe (en plus des bretelles bien visibles). Pendant ce temps, les coloris des costumes n’évoluaient guère.
De nos jours, la chemise blanche est devenue un fait assez rare, à l’exception peut-être des dignitaires hiérarchiques des maisons de luxe et de leurs vendeurs, en chemise blanche et cravate noire dans des costumes étriqués. Pour le reste, les hommes font preuve avec leur chemise d’une grande diversité de langage. Les plus érudits avancent le nombre de deux chemises dans une garde robe. C’est assez vrai, je mets les miennes assez peu. J’aime mieux un peu de couleur (pour ne pas dire le bleu) et ai tendance à limiter le blanc uni au col contrasté.
A tel point que trouver une bonne chemise blanche est parfois compliqué, à moins de passer par Le Bon Marché où le moindre article frise le délire tarifaire pour du prêt à porter. Ceci dit, on m’a récemment parlé d’une marque de qualité correcte, Eton. Rue de Rivoli, la maison Hilditch & Key propose de bons articles, mais l’accueil y est si détestable qu’un honnête homme ne saurait jamais se montrer assez rugueux pour rivaliser avec le personnel. Je vous avais enfin parlé de Hast fondé par un ami il y a quelques temps, qui propose de bons produits, hélas uniquement disponible en ligne, la limite de l’achat de vêtement sur internet.
Côté usage, la chemise blanche va avec tous les costumes, c’est un fait et la base de toute garde robe bien pensée. Si un costume ne va pas avec une chemise blanche, c’est donc plutôt le costume jeter!
A priori, la chemise blanche ne va pas avec des vestes ou pantalons en tweed ou décontractées. C’est un fait de gentleman. Pourtant, cet usage répandu me questionne un peu et agit comme un poil à gratter sur mon cerveau. Car cela s’est toujours fait ! Dans les années 30 et 40, c’est ainsi que l’on complétait son complet de tweed. La chemise à petits carreaux genre tattersall ou viyela n’est arrivée que plus tard. Il existe certes la chemise ivoire, mais elle peut vite faire sale.
D’autant que la chemise blanche avec une tenue tweed a la vertu d’adoucir les motifs et couleurs. Avec un pull fair island déjà très marqué, une chemise assez simple est parfois préférable. Avec une veste claire, type poil de chameau, la chemise blanche est douce aussi. Et le bleu ciel en association avec du tweed me fait immédiatement l’impression de rencontrer un italien. Je voudrais évoquer à ce sujet les gros twill de coton (qui présentent des cotes diagonales) qui sont idéals pour cet usage sportif. Le coton est souvent plus mou et la surface crée des reflets qui soutiennent l’effet décontracté. Les chevrons peuvent être bien aussi, mais je les aime moins.
Ce code qui vise donc à pondérer le plus possible l’usage de la chemise blanche avec du tweed doit donc être relativisé. Mais je le comprends ceci dit. Car cette simplicité formelle ne doit pas être un alibi pour cacher un manque de goût ou une paresse intellectuel sur le choix d’une couleur complémentaire. Me suivez-vous? Car par exemple, une chemise blanche avec un blazer, c’est peut-être un manque absolu d’imagination.
Voici en bref quelques pensées sur une espèce en voie de disparition voire en pleine extinction. Ne l’oublions pas et ne la laissons pas aux croques morts de luxe !
Bonne semaine, Julien Scavini
Merci pour ce bel article, deux réflexions:
– Finalement avec du tweed, la bonne chemise blanche ne serait elle pas à col boutonné? Cela atténuerait la formalité du blanc ét se marierait bien avec le côté sport du tweed et/ou du dépareillé?
– je suis passé en novembre devant H&K Rue de Rivoli, ét les prix affichés en devanture étaient si attractifs qu’ils m’ont fait prendre le risque d’entrer. J’ai été servi par un monsieur absolument délicieux, que je n’avais jamais vu auparavant. Je n’y suis pas retourné depuis mais il semblerait que le vent ait tourné Rue de Rivoli. À vérifier donc
Elle peut en effet être à col boutonné, et ce sont les italiens qui font ça le mieux. Dans un bel oxford qui plus est !
Monsieur,
Comme d’habitude vous écrivez de bonnes et belles choses sur votre sujet. Lorsque j’ai commencé à porter des costumes, j’ai choisi d’y associer des chemises blanches, en souvenir d’une image que je gardais en tête : celle des condamnés à mort de la Révolution française dont on déchirait le col avant de passer leur propriétaire sous l’échafaud, mais je suis un cas psychanalytique. Une autre raison est que le blanc ne se délave pas.
Félicitations sincères pour vos articles.
Stéphane Mettetal.
Bonjour,
Pour ma part, je continu à porter des chemises blanches. Il existe plusieurs blancs et plusieurs tissages sans parler des options des comme le col, qui font que rien n’est plus different d’une chemise blanche qu’une autre chemise blanche…
Je me fournis principalement chez Bruce Field qui fait fabriquer ses chemises en France avec une qualité notable.
J’ai souris en voyant votre remarque sur Hilditch and Key car je me rappel tout particulièrement de mes visites au magasin de Jermyn Street, où je fus également reçu de façon très froide. Peut-être est-ce inculqué à cette firme ? En tout cas, cela fait quelques années maintenant et mon tailleur de chemise M. O’Flynn leur doit surement une fière chandelle à ce propos..
Merci pour cet article , c’est toujours un plaisir de découvrir l’utilisation historique d un vêtement qu’il nous paraît si banal.avec la cérémonie du mariage la chemise blanche reste une valeur sûre et est assurée de son immortalité…..
Dans ma recherche de la parfaite chemise blanche, j’ai eu la chance récemment de découvrir la marque Office Artist qui répond assez bien à mes critères de recherche: des chemises classiques, un tissu Thomas Mason et une belle coupe cintrée. La marque est jeune mais dispose déjà d’une boutique dans le sixième arrondissement, à deux pas de la maison Courtot.
Si vous avez l’occasion d’y faire un tour, votre retour m’intéressera. Pour le moment mes deux chemises de chez eux sont parfaites.
Amitiés,
Benoit