La beauté et la fragilité

L’industrie textile produit une quantité astronomique de marchandises et il est souvent difficile de s’y retrouver. Pour les clients, la question du rapport qualité-prix, difficile à repérer toutefois, est un élément primordial de l’achat. Être dans son segment de prix, apprécier le produit, en voir les qualités à l’usage est plus que jamais nécessaire.

Mais lorsque toutes les devantures et échoppes croulent sous la marchandise, à des prix très variables, il devient difficile de s’y retrouver. Pour se dissocier du lot, il est alors possible de monter en qualité. C’est même primordial. Mais il existe un mais.

Le premier ‘mais‘ est évidement le prix. Rester dans un segment de marché sans devenir une niche inabordable est difficile. Lorsqu’on est détaillant, on peut bien sûr proposer seulement le plus beau. Mais si les clients n’achètent pas ou peu, on sombre très vite. Le volume à faible qualité est plus facile à faire. Paradoxalement.

Le second ‘mais‘ est plus insidieux et difficile d’ailleurs à avouer pour le commerçant, que je suis par ailleurs. Il est possible de proposer du très beau à prix serré. Les drapiers d’ailleurs ne se privent plus maintenant de faire des tarifs sur les super 150 et autres, si doux par ailleurs.

Mais ce très beau a une face cachée, sa fragilité. C’est assez impensable à vrai dire. Car souvent le beau est plus cher et plus fragile :

Le cachemire pour manteau, c’est somptueux. Mais le drap s’élime bien plus vite qu’en 100% laine. C’est une vérité. Inavouable. Mais c’est somptueux.

Les cotons égyptiens et sea island sont d’une douceur à peine croyable. Mais les poignets et les bords de cols affichent vite la fatigue. C’est une vérité. Inavouable. Mais c’est très agréable à porter.

Un pantalon en lin et soie ou même en flanelle, c’est bien mieux qu’un jean. Mais les fourches peuvent craquer pour un rien. C’est une vérité. Inavouable. Pourtant, c’est agréable à porter.

Une paire de souliers en cuir, c’est racé et confortable. Mais c’est très fragile si l’on use les semelles sans y prêter attention. Combien d’hommes dans la rue savent qu’il faut mettre des patins ou ressemeler? C’est une vérité. Inavouable. Une belle chaussure est chère. Et en plus il faut s’en occuper!

L’exemple des boutons en nacre sur les chemises est archétypal. Premièrement, ils sont d’un prix exorbitant par rapport à ceux en plastique, et en plus, ils cassent. Pour une marque qui fabrique 100 000 chemises, 5% seulement de retour est absolument inenvisageable.

Les surpiqures tailleur, que l’on appelle AMF dans l’industrie, est aussi un point de qualité sartorial en même temps qu’une fragilité…

Dernier exemple, un drap super 150, c’est fluide à porter et léger sur les épaules. Mais les genoux, l’entre-jambe et les coudes froissent vite. C’est une vérité. Inavouable. Malgré la prouesse technique des drapiers.

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Ce faisant, le client devient le propre acteur schizophrène de ce marché. Les marques, surtout de prêt-à-porter, sont obligées de suivre le mouvement. Je connais même une grande enseigne française de costumes qui s’est fait une spécialité des coupes affûtées et des tissus poids-plume. Les clients achètent précisément pour ces deux aspects, rejetés après, lorsque le pantalon craque. Et apparemment, c’est assez classique! La marque ne peut ni faire plus ample ni faire pus lourd. C’est son business modèle comme on dit.

Toute la difficulté est la compréhension de ce phénomène d’usure du beau. L’éducation. Il faut accepter les défauts d’un produit haut de gamme. Une Bentley est bien plus chère qu’une Renault et coûte un argent exorbitant à l’usage! Double peine.

Faire descendre les produits de luxe à un niveau plus accessible, faire découvrir des matières précieuses, faire aimer de l’exceptionnel ne marche que si le client le comprend. Combien ai-je eu de clients, souvent les dames, ne comprenant pas que ce soit « plus cher et moins bien« . Moins bien sous certains aspects seulement… et heureusement!

Un produit de luxe, un produit raffiné est fragile. Le commun c’est la solidité et l’endurance.

Je reviens sur la flanelle. J’ai quelques clients, en prêt-à-porter (car je vends une large collection de pantalons) ou en mesure, qui parfois sont déçus de la faible longévité de l’article. Que puis-je leur répondre? Hélas, je ne suis pas Vitale Barberis Canonico. Ils fabriquent quelques millions de mètres de tissus par an. Oui, millions. Aux plus hauts standards de qualité. « N’empêche, comme dit mon artisan tailleur qui réalise les grandes-mesures, la flanelle, c’est pour les messieurs riches, ça s’use« . Vrai.

Vouloir du beau est légitime. Yves Saint Laurent disait qu’il faut vivre en beauté. Mais l’exceptionnel a un coût d’achat et un coût d’usage. Et il faut en avoir conscience.

Belle semaine, Julien Scavini

16 réflexions sur “La beauté et la fragilité

  1. chiffon 12 février 2019 / 11:48

    Comme je vous comprends.

    J’ai fait l’acquisition d’un de vos pantalons en flanelle grise. Porté intensivement pendant six mois, il s’est déchiré à l’entrejambe un moment où je me suis accroupi. J’ai mis neuf mois avant d’avoir la foi d’aller le faire réparer chez un retoucheur-tailleur. La retouche est invisible, et maintenant il est encore plus beau qu’avant (à mes yeux), et je ne le porte plus qu’une fois par semaine.

    Il en devient encore plus beau. C’est votre article « Un accroc ? Et alors ? » qui m’a convaincu de lui donner une seconde vie. La discrète « citatrice » de la réparation lui donne un chic. Et puis, c’est à l’entrejambe, finalement peu visible.

    Après moins de deux ans de port quotidien du costume, j’en viens à privilégier les tissus robustes. Un beau fresco bien lourd, c’est moins « chic » que du lin, mais tellement plus robuste (je trouve).

    Si l’on veut briller avec du clinquant, il reste toujours cravates et pochettes pour s’amuser. Et c’est moins cher, et bien moins sollicité mécaniquement qu’une veste. Pour des jeunes avec des moyens limités comme nous, il faut savoir rester raisonnable.

    Les beaux objets, pour moi, ce sont les objets simples dont on peut avoir un long et régulier usage. J’apprécie davantage une veste ou des souliers que je peux porter deux ou trois fois par semaine, que ceux que je ne peux porter que deux fois l’an.

    Bref, merci du billet, qui dénonce un peu notre consumérisme absurde chez les amateurs de beaux vêtements. A quoi bon parler à longueur de journée de qualité, si c’est pour se jeter sur le meilleur rapport qualité [à l’achat]/prix au détriment de la durabilité ? Quelle différence avec la fast-fashion du grand public ? (Vraie question. Hormis le fait de soutenir l’artisanat « de proximité » et nos industries textiles notamment les filatures…)

    • Boutdeficelle 14 février 2019 / 16:33

      Tout-à-fait d’accord avec vous pour les cravates. A ce propos, il me semble qu’il y a aujourd’hui un paradoxe : les costumes et chemises sont fins mais les cravates sont épaisses (même si elles peuvent être étroites). Impossible de faire ce noeud fin et tout en longueur qui caractérise le début du siècle dernier. Pour moi, si un élément de la tenue doit être fluide, c’est bien celui là. Et si la cravate ne tient pas en place, pourquoi ne pas redécouvrir l’usage de la perle ?

      Je ne trouve pas qu’un fresco bien lourd soit moins « chic » que du lin, au contraire. Si on prends l’exemple du 3-ply de Hardy-Minnis, c’est un tissu qu’un a un très fort caractère, un peu comparable à une flanelle mais très sec. Mais moins solide qu’une bonne serge me semble-t-il, non ?

      • Julien Scavini 14 février 2019 / 18:36

        Le fresco de Minnis est solide oui, c’est vrai, mais alors moi je trouve qu’il gratte la jambe. J’arrive pas à le supporter hélas.

        Pour les cravates, Ralph Lauren a toujours fait des modèles très souples, souvent sans triplure au bout d’ailleurs, ce qui donne beaucoup de légèreté aux cravates. J’ai essayé, mais peu de gens ont aimé, je suis revenu au classicisme. Après, d’une soie à l’autre, ça change. Les soies tissées sont souvent plus épaisses que les imprimées.

      • chiffon 14 février 2019 / 18:49

        Je trouve que le fresco est un peu plus « dur » que la flanelle, même niveau fluidité, ça reste particulier. C’est une texture assez « grossière », à mon goût et même si j’en suis un grand fan. Cela permet, à mes yeux, d’avoir des modèles de veste assez classiques (un droit bleu sombre, c’est très austère) mais avec un peu de décontraction. J’aime beaucoup, mais c’est moins « chic » qu’un costume avec un tissu très fluide.

        Après, le fait d’être chic et le fait d’être élégant/d’avoir du style, ce sont pour moi deux choses différentes. Quelqu’un portant un costume avec un tissu un peu « brut », mais bien coupé et porté, ça ne sera pas chic comme un gentleman avec son costume en super 220’s. Mais est-ce que ça manquera de style pour autant ? Non. Pour moi, un costume bien conçu n’est pas forcément chic, par contre il se doit d’avoir du style.

        Pour les cravates… d’un point de vue mode/style, c’est clair qu’une cravate avec une soie très fine et fluide, ça donne des nœuds splendides. J’ai pu tester ma première 7 plis non doublée en soie imprimée, très fine, et la fluidité et la beauté du nœud sont très appréciable. Ah.. une vraie drogue.

        Mais de la soie fine, la non doublure, etc. c’est comme l’entoilage : tant que le grand public n’est pas expert en la matière (au moins un peu dégrossi), ça ne peut pas remporter les suffrages par rapport à de la grosse soie doublée bien épaisse, voire du synthétique, ou du thermocollé. La conséquence, c’est ces cravates aussi fines qu’épaisses, fort peu élégantes à mon goût.

        Nous sommes donc condamnés pour encore quelques années à des cravates rigides comme des branches.

        My 2 cents.

  2. MARTINACHE 13 février 2019 / 08:19

    Bonjour M. Scavini
    Je suis désolé de vous voir écrire (ça n’est pas la première fois) , qu’il est important de mettre des patins aux souliers.
    Un soulier en cuir a besoin de respirer et de sécher sur son embauchoir. Si vous lui collez un patin en plastique sur la semelle, il ne peut pas reprendre sa forme en séchant et devient inconfortable. Il respire aussi par la semelle.
    Quand il pleut , il faut les laisser avec du journal qui absorbe bien l’humidité (et renouveler), ou mieux, mettre des chaussures avec une semelle gomme.
    Je suis d’accord avec vous, la qualité ça s’entretient. J’ai des souliers que je porte encore , qui ont été ressemelés plusieurs fois et qui ont + de 15 ans.
    Par ailleurs , je suis toujours content de vous lire, j’ai acheté 2 de vos livres et une fois une chemise.
    Mais elle s’est usée trop vite…..
    Bien cordialement

    • Julien Scavini 14 février 2019 / 18:40

      hihihih, oui et d’ailleurs j’ai mis « patin ou ressemelage ». Je sais qu’il existe des amateurs qui sont contre les patins. Pour ma part je ne m’en plains pas.

      Surtout, je me place du point de vue de monsieur tout le monde. Je connais beaucoup de messieurs, clients ou amis, qui ignorent comme faire vivre une chaussure de cuir. Même de chez Bexley. Et qui s’agacent au bout de 6 mois que la semelle s’ouvre en deux… Je ne peux pas expliquer que la seule optique c’est un ressemelage qui vaut le prix de la chaussure. Donc le patin constitue une option attractive et salvatrice.

      On peut être jusqu’au-boutiste dans le raffinement. Je le comprends. Mais du point de vue général, le patin facile et peu onéreux est la meilleure réponse à donner.

    • chiffon 14 février 2019 / 18:51

      Il faut avoir les moyens, pour vivre sans patins. Pour le commun des mortels, patin-fer est une valeur sûre. Personnellement, elle me convient, mais je ne vis pas en Weston, il est vrai.

  3. florence 13 février 2019 / 09:58

    merci pour cet article qui remet les choses à leur place! à chaque fois que ce thème est abordé, je ne peux m’empêcher de le mettre en perspective avec l’époque qui a précédé l’industrialisation, du temps ou le commun des mortel passait une partie de sa prime jeunesse à étoffer son trousseau en vue de la mise en ménage. Point de course au « pas cher » à l’époque, les vêtements étaient cousus et brodés pour durer toute une vie ou presque… Rien qu’une visite au musée du costume traditionnel de Belgrade permet de constater que même les paysans pouvaient arborer des tenues somptueuses et solides (elles sont là dans les vitrines, impeccables malgré les années), qui certes étaient réservées aux festivités, mais leurs vêtements du quotidien sont très beaux dans leur authenticité aussi.
    bonne journée à tous les lecteurs!

  4. Emmanuel 13 février 2019 / 11:11

    Bonjour M. Scavini,

    A la lecture de votre billet, je m’interroge. Vous dites : « un produit de luxe est fragile, le commun c’est la solidité et l’endurance ».
    Voilà qui me pose deux questions.

    La première,
    Votre billet n’entre il pas en contradiction avec un leitmotiv des défenseurs de l’élégance classique que je résume rapidement : préférez de la qualité, certes plus chère mais qui vous ira mieux et durera plus longtemps (si vous vous donnez la peine de les entretenir correctement).
    Préférez de belles laines, de vrais souliers en cuir, une bonne coupe, etc… et vous pourrez même transmettre vos vêtements, vos souliers, à vos enfants (faudrait-il encore qu’ils en aient envie et l’emploi, mais c’est un autre sujet).

    Nombreux sont ceux qui franchissent même l’étape de préférer l’ancien et la seconde main, plutôt que le neuf. Nombreux aussi sont ceux qui défendent la « patine » (le terme aimable qui remplace usure) car cela donne plus de cachet que le neuf clinquant / bling, car l’élégance se doit d’être modeste et ne saurait trop s’afficher (ce serait vulgaire).

    Alors ?
    Tous ces gens qui recherchent le « commun », pardon l’endurance et la solidité, s’illusionneraient ils ? Si je veux de l’endurant et du solide, dois-je me tourner (attention : mots tabous en vue) vers le polyester, la polyamide, et autres dérivés du plastique biens moins cher et bien plus « endurant » tout en demandant bien moins d’attention ?

    La seconde question concerne plus le décalage que je perçois dans votre billet et la réalité qui est la nôtre aujourd’hui.
    Votre billet différencie le vêtement de grand luxe (matières rares, fabrication haut de gamme, voire sur mesure…), et le vêtement de qualité (matières naturelles, bonne coupe, artisanat, traditions…).
    Le premier peut s’abstraire de la notion de durabilité, c’est le beau d’abord. Le second, je crois, essaye de concilier les deux, en tout cas la notion de durabilité y a toute sa place.

    Mais attention !
    Le luxe aujourd’hui c’est déjà la laine, la flanelle… des vêtements qu’on pourrait qualifier de « traditionnels » au bon sens du terme, fabriqués hors des plus gros circuits mondialisés de fabrication et de distribution et dans des productions plus limitées.
    Car leur prix est sans rapport avec les vêtements que peuvent acheter et qui habillent la majorité de nos contemporains,
    Il suffit de se déplacer dans le rayon vêtement d’un hyper marché pour se rendre compte de ce qui est proposé.

    Peut-être décrivez-vous des vêtements de « super » luxe si je puis dire ? Le « très beau » dont vous parlez, le cachemire, l’alpaga, la Bentley… Mais quid du « beau » tout court déjà inaccessible pour beaucoup ?

    Mon commentaire est un peu provocant à dessein. Nous sommes ici, sur ce blog (et c’est valable pour d’autres sites, blogs et forums) dans une « bulle » qui rassemble ceux qui s’intéressent au vêtement de bonne et très bonne qualité.
    J’aimerais quand même rappeler qu’il ne faut pas perdre de vue que pour beaucoup c’est déjà un luxe inaccessible, si j’en juge par les manifestations et revendications de ces 12 dernières semaines par exemple.

    On peut parler de brioche, n’oublions pas que beaucoup demandent juste du pain.

    • Julien Scavini 14 février 2019 / 18:48

      Je vais essayer de répondre point par point.

      Premièrement, je le confesse, je n’ai pas trouvé pour l’article la thèse parfaite de mon idée. Il y a quelque chose d’intuitif dans mon développement mais aussi quelque chose qui y cloche.

      Mais je pourrais dire que :
      1- il est bon de chercher la qualité, évidemment.
      2- il faut peut-être se méfier de la trop bonne qualité, paradoxalement moins durable.
      3- s’échapper du commun en fuyant le polyester, chercher la bonne qualité, éviter le trop qualitatif en se méfiant des produits trop raffinés… C’est un chemin de crête en fait.

      « Votre billet différencie le vêtement de grand luxe (matières rares, fabrication haut de gamme, voire sur mesure…), et le vêtement de qualité (matières naturelles, bonne coupe, artisanat, traditions…).
      Le premier peut s’abstraire de la notion de durabilité, c’est le beau d’abord. Le second, je crois, essaye de concilier les deux, en tout cas la notion de durabilité y a toute sa place. »

      La lisière entre les deux n’est pas évidente, et pour un rien, un vêtement de qualité peut devenir – c’est le plaisir du marchand – un vêtement de luxe, à peine plus cher, plus désirable pour le client, mais plus fragile au final.

      L’article visait aussi à relativiser le goût général ‘sartorial’ toujours plus si ou toujours plus ça. Ce goût se heurte en effet au pouvoir d’achat. Et je me méfie toujours du retour de bâton. A donner trop envie de trop belles choses, si certains trouvent au final que l’argent dépensé ne l’a pas été correctement, l’effet de retour sera terrible, par un abandon encore plus rapide de cette belle mode classique et durable.

  5. Jean-Noël 13 février 2019 / 17:11

    Eh oui, le luxe abordable, ça n’existe pas.

    D’abord, on pourrait se poser la question : si c’est abordable, est-ce du luxe ?

    Ensuite, qu’est-ce qui est abordable ? Je crois que c’est sur Put This On que j’ai trouvé la réponse, il y a quelques temps déjà : on ne peut considérer qu’on a les moyens d’acheter un bien que si on pourrait le racheter ensuite (s’il est abîmé, volé ou perdu).

    Exemple en souvenir d’une connaissance : il n’est pas impossible de se trouver une belle Saab 900… mais à quoi cela sert-il, si on doit économiser six mois avant de pouvoir remplacer le pare-chocs après un accrochage ?

    Ce qui revient à dire qu’il vaut mieux avoir deux ou trois paires de chaussures de qualité honorable (on en trouve dans les trois cents euros) que de mettre toutes ses économies dans une seule paire à presque mille (ou plus) euros qu’on devra porter tous les jours et donc qu’on ruinera très vite, que des chemises en bon gros oxford feront l’affaire si elles sont bien coupées et qu’on pourra les remplacer quand elles seront trop usées, plutôt que de devoir porter ses chemises faites d’un tissus plus luxueux totalement élimées… que se faire faire un bon costume dans un tissus abordable et durable est peut-être moins chic (moins « tape à l’œil » ?), mais finalement plus satisfaisant à long terme que de se faire plaisir avec un S120, 140, 150… « d’un bon rapport qualité/prix » si on n’a pas les moyens d’en racheter un autre très vite.

    Je pourrais multiplier les exemples, c’est bon là, vous avez compris (depuis longtemps). Vouloir du beau est légitime, d’accord. Et il faut, comme vous le rappelez Julien, avoir conscience du coût. J’ajoute que vouloir rendre accessible le luxe, c’est faire disparaître le luxe et donc, le luxe reste inaccessible. Le saumon était un luxe, maintenant tout le monde en mange : ce n’est plus un luxe, donc on n’a pas accédé à un produit de luxe, mais à un produit « déclassé » dont la qualité aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celle qu’elle était quand on ne pouvait pas en manger. On n’en sort pas.

    Rechercher la qualité et le plaisir que procure « la belle ouvrage » est un objectif qui peut s’atteindre, rechercher le luxe, c’est comme vouloir atteindre l’horizon…

    • Julien Scavini 14 février 2019 / 18:53

      Voilà une synthèse avec laquelle je suis 100% d’accord.

      Donner du luxe – du mieux – à tout le monde est une idée progressiste éminemment belle. Une lumière pour l’homme qu’on ne peut que soutenir. Du point de vue idéologique. Du point de vue commercial aussi. C’est pour le commerçant l’occasion de se démarquer, de prendre des parts de marché. C’est amusant comme il serait possible de relier ainsi communisme et capitalisme…

      En même temps, si le luxe est accessible, il n’existe plus. C’est tout le paradoxe de l’affaire.

      A chacun suivant ses moyens, à chacun suivant ses besoins comme dirait l’autre…

    • chiffon 14 février 2019 / 18:54

      Pas mieux. Je vous piquerai l’expression à l’occasion.

      Surtout qu’en matière de costumes business, on a les moyens d’acheter un costume lorsqu’on peut en acheter trois, pour tourner et tenir pendant le pressing de l’un.

  6. capitainesavignac 15 février 2019 / 10:54

    J’ai beaucoup apprécié cet article et il est vrai qu’avec mes revenus modestes (mais tout de même suffisants pour me procurer de belles pièces) je me désole de voir un joli pantalon de flanelle partir en miettes trop rapidement.

    Il y a en effet d’un côté la recherche de très jolies pièces mais qui seront très fragiles (titrage élevé sur chemise de popeline, tissus très fins sur les costumes et pantalons) et de l’autre ce discours anti-consumériste qui indique que l’élégance classique n’est pas si chère au vue de la durabilité du style et des effets. On se rend vite compte que la durabilité du style est discutable: elle est loin de la fast-fashion mais après dix ans d’âge certains choix de coupes peuvent apparaître un peu passés et il en va de même pour la durabilité véritable des vêtements de « trop grand qualité ».

    Il y a tout de même des matières belles et très résistantes et je pense que cela devrait faire l’objet d’un autre billet !

  7. Jean-Baptiste Bourg 21 février 2019 / 18:26

    Je ne peux m’empêcher de tiquer devant ce passage : « Le commun c’est la solidité et l’endurance. »

    Alors que les rues sont inondées de badauds portant des vêtements fabriqués au Bangladesh, achetés une bouchée de pain et qui se déformeront et se déchireront en quelques mois, ce genre d’affirmation a de quoi surprendre. Précisément, ce qui est commun de nos jours se démarque par sa fragilité qui force même ceux ne mordant pas à la fast-fashion à racheter fréquemment. Peut-être alors définissez-vous autrement le « commun » ?

    • Julien Scavini 24 février 2019 / 16:53

      En effet. Je pensais au commun classique : pantalon de toile simple, veste de travail à l’ancienne, bon derby à triple semelle. L’ordinaire classique, ce que les élégants opposent à leurs vêtements raffinés.

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