La largeur de l’épaule

Un lecteur m’a posé cette question la semaine dernière : quelle est la bonne largeur d’une épaule de veste et comment se repérer?

Autant le dire immédiatement, il est très difficile de se prononcer de manière définitive sur le sujet et encore plus difficile de définir une véritable règle.

Considération tailleur 1

La première information à livrer est que d’une veste à l’autre, d’un fabricant à l’autre, pour une même aisance, vous ne trouverez pas forcément la même longueur d’épaule. La longueur d’épaule, c’est la longueur de la couture en fait. Et cette dimension peut varier à cause d’une chose : la largeur de l’encolure. Suivant la construction du patronage, l’encolure pourra être plus ou moins large. Ce qui fait varier en conséquence la longueur d’épaule.

Généralement, une épaule fait 14 à 16cm. Mais une encolure plus ou moins généreuse peut amputer ou augmenter cette dimension. L’encolure généreuse sera ‘camouflée’ par un col qui monte plus vers le col de chemise. Donc les fabricants préfèrent souvent parler de largeur de trapèze, à savoir d’une tête de manche à l’autre en prenant en compte l’encolure. C’est une valeur plus sûre de comparaison.

Considération tailleur 2

Deuxièmement, la largeur et l’aisance de la tête de manche influe aussi sur le confort. Par exemple, mon atelier italien propose des épaules très étroites, grâce à une manche généreuse. Je suis d’ailleurs souvent très confondu par l’étroitesse des épaules qu’il est possible de faire. 13,5cm de large pour une veste en taille 48 passe presque grâce à la générosité de la manche. Le haut du bras se trouve bien enveloppé dans la tête de manche, sans perdre de confort. A l’inverse, mon autre fabrication européenne, reposant sur une manche étroite au goût du jour propose des largeurs d’épaule plus standards.

Donc, soit l’épaule de la veste est étroite, et donc l’épaule du corps doit trouver son confort dans la tête de manche / soit la tête de manche est étroite et fine et l’épaule du corps doit trouver sa place sous l’épaule de la veste. Pas facile à suivre…?

ILLUS186

 

Considération d’époque

Par ailleurs et point le plus important : suivant les époques, le paradigme change. Dans les années 20, après la mort de milliers de jeunes hommes, les costumes apprécient se souvenir de la jeunesse. La mode est au coupe étroites et pincées. Les épaules sont minuscules, ce qui donne des airs de poupées. A l’inverse, les années 30 cherchent à montrer un homme sur-homme. Les épaules sont exagérées, très larges. On parle d’épaule cantilever, comme les ponts en encorbellement. Les années 90 reprendront ce principe, développant une image de générosité de la coupe, et de confort absolue. Le style Slimane dans les années 2000, sans chercher les épaules toutes petites, cherche surtout la manche très étroite, jeu d’équilibriste pour ne pas trop entamer le confort. Les italiens à l’inverse avec la manche napolitaine cherchent l’étroitesse de l’épaule, en contrepartie d’une manche volumineuse (volume qui d’ailleurs s’exprime souvent sous forme de fronces à la mode).

Donc, difficile là encore de donner une règle.

 

Considération actuelle

Les tailleurs suivent un peu ces modes. A leur rythme. Le tailleur de Jean Gabin ou de Lino Ventura mettait beaucoup d’épaulette et trichait la largeur. La veste était baroque.

De nos jours, on est assez naturaliste dans la manière d’habiller le corps. Voir les schémas plus haut, en saumon les lignes de manche et d’épaule et en orange l’épaulette. Donc on s’en réfère à l’aplomb du bras. Je dirais qu’il faut monter à la verticale du biceps pour trouver le point de jonction avec l’épaule. Si l’on souhaite un peu d’aisance, il est possible de s’éloigner du biceps. D’un centimètre par exemple. Si l’on souhaite faire comme les jeunes, on suit alors l’arrondie de l’épaule vers l’acromion. Mais c’est un jeu délicat. La veste pour un rien pourra paraitre étriquée. La tête de manche alors va marquer et une bosse (en fait le bras qui pousse) va apparaitre. Ceci dit, j’ai beaucoup de clients qui apprécient cela, voir le bras saillant sous la manche…

Question de goût et d’époque donc.

Belle semaine, Julien Scavini

9 réflexions sur “La largeur de l’épaule

  1. ERIC PIZZOLATO 4 février 2019 / 20:20

    Exit les vestes dites slim aux antipodes de l’élégance. Et sublimons les vestes à l’épaule et bien-entendu avec une épaulette de 2 cm et une cigarette généreuse.

  2. Philippe Muller 4 février 2019 / 22:14

    … En parlant d’épaules et de stars du 7e art, qui saurait le nom du tailleur de Bernard Blier dans les années 1960 ? Les épaules étaient d’une discrétion magnifique, les têtes de manches très étroites, le tout d’une fluidité remarquable.

    • zinjero 8 février 2019 / 17:03

      Kane sur le forum De pied en cap :
      « Exact, et c’est bien dommage. Car il n’était pas rare que des acteurs soucieux du vêtement imposent à la scène leur tailleur à la ville. On se souvient de Jean Marais avec André Bardot ou encore de Lino Ventura avec Cifonelli.
      Peut-être moins connu, le cas de Bernard Blier. Après une expérience vestimentaire malheureuse sur le film de Cayatte Avant le déluge en 1953, ainsi qu’il le confiait dans l’émission Cinéma cinémas (la séquence s’intitulait Bernard Blier sur-mesure), Blier a toujours imposé par la suite que ses costumes soient réalisés par son tailleur personnel, Claude Barceville.
      Dans Bernard Blier, un homme façon puzzle (éd. Robert Laffont 2009), Jean-Philippe Guerand raconte que l’acteur imposait deux règles intangibles à son tailleur : l’interdiction absolue d’utiliser la couleur verte et une coquetterie personnelle qui consistait à supprimer le dernier bouton du haut de toutes ses chemises afin de dégager son cou. « Je veux me sentir à l’aise dans mon costume, alors ne vous souciez pas de la mode. Je veux être habillé large ; quand on est gros, inutile de jouer les minces. Je me fous de la mode ! Les modes passent, pas moi ! » »

      • Kerloaz 25 octobre 2020 / 22:47

        Bernard Blier recourut aux services de Barceville un peu plus tard. Il fréquentait durant les années 60 le tailleur René Sadrin.

      • Julien Scavini 26 octobre 2020 / 21:23

        Merci de l’info !

  3. Boutdeficelle 4 février 2019 / 22:32

    Très intéressant, as usual !

    Je me pose en ce moment une question : lorsqu’on a les épaules qui pointent un peu vers l’avant, une demi-mesure telle que vous la proposez permet-elle d’avoir la tête de manche placée exactement au bon endroit ou cela n’est-il possible qu’en bespoke ?

    • Julien Scavini 5 février 2019 / 14:49

      Ah c’est une question pas facile et intéressante. Possible oui.

  4. Fred 20 décembre 2022 / 23:20

    Information tirée des mémoires de mon grand-père: Jean Gabin était habillé par Salvatore et Angeline Giuffrida, 36 avenue de Wagram. Lino avait pris le même tailleur, dont les coupes viriles et impeccables remodelaient avantageusement le physique.

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