La beauté sauvera le monde

Toujours et encore en confinement. Hélas. Penser aux vêtements, un sujet si futile, m’apparait en ce moment comme parfaitement vain et déplacé. C’est pourtant le but et la raison d’être de Stiff Collar comme de bien d’autres blogs. Il faut trouver les bons mots. A côté de personnels médicaux qui travaillent d’arrache-pied, de personnes âgées en maisons de retraite prises au piège et de quantités d’autres personnes qui s’interrogent simplement sur leurs futures fins de mois, je manque d’inspiration pour notre sujet préféré, la mode masculine. Dérisoire.

Bloqué dans mon appartement du XVème arrondissement, je passe mes journées calmement et surtout sereinement. De toute façon, rien de sert de stresser. Je relie quelques Truman Capote. Je joue un peu, Age of Empire ici, Sim City là. Je mange trop et je digère mal. Et j’avance doucement quelques pages de mon futur livre sur le tailleur, péniblement. Il n’est pas simple de trouver les mots justes, les mots point trop légers.

Grâce à Maxime la semaine dernière, j’ai eu un peu de répit. Quoi dire, comme le dire ? Qu’apporter de sensé dans cette bien sombre époque, pour tout le monde totalement inédite ? Comment s’occuper l’esprit ? Les beaux costumes en drap Loro Piana, les cravates Charvet, les chaussettes montantes irisées de chez Gallo ne sont d’aucun secours en ce moment. Un pyjama raccommodé et un vieux sweatshirt font l’affaire. Il n’y a qu’à attendre. Attendre l’été probablement au train où vont les choses. Peut-être même septembre, le temps que le monde mette ses pendules à l’heure. Les informations ne parlent que des nouveaux morts journaliers.

Le virus étend son emprise, pour le pire.

Et pour le meilleur ?

Bien justement, malgré cette pandémie, il faut essayer d’oublier le pire. Il faut penser au meilleur, à ce que les Hommes font de plus beau. Dostoïevski n’a-t-il pas questionné le sujet dans L’Idiot : « Est-il vrai, prince, que vous avez dit un jour que la ‘beauté’ sauverait le monde ? Messieurs… le prince prétend que la beauté sauvera le monde. »

Le monde, je ne sais pas. Mais l’âme certainement. Et l’être à un moment donné, sûrement. La beauté est un réconfort. Il faut conjurer le mauvais sort par une mystique. Pour certain, c’est la beauté du mythe religieux. Pour d’autres la beauté des choses terrestres uniquement. La grâce des choses ordinaires et extraordinaires, d’une belle nourriture élégamment présentée, autant dans l’assiette que dans un tableau de Frans Snyders.

Derrière la beauté des créations de l’Homme se cache une mystique qui n’est pas vaine. Le mystère qui préside à la réalisation des belles choses n’est jamais déplacé. La beauté, l’élégance, la finesse, la grâce. Autant de concepts qui forment un radeau avec lequel nous naviguons en même temps qu’une étoile qui nous guide.

Un confinement supérieur à 10 jours accroît le stress post-traumatique commence-t-on à lire ça et là. Seul le confinement intérieur, celui de l’âme est délétère. Bien au contraire, il faut aérer son esprit. Nul croyant en la beauté n’est enfermé. Son esprit vagabonde d’un paysage d’Albert Bierstadt à une mélodie de Jean Sibelius en passant par un vaisseau à mat de Sèvres. Pour ne citer que le haut du panier. La profondeur de l’Art est infinie. Il ne faut pas cesser de s’émerveiller et de s’enthousiasmer.

 

La finesse d’une boutonnière milanaise, le tombé d’une étoffe, l’art de s’habiller, l’art d’être beau, finalement, font partis de cette mystique qui ne se limite pas aux musées et aux salles de concert et à la littérature. Le beau vêtement, parce que très utilitaire avant d’être simple grâce n’a pas le droit tout à fait à cette place de choix. Dommage.

Les artefacts de tout ordre portent en eux-mêmes et par ce que nous en faisons une supériorité qui nous dépasse et auquel jamais nous ne devons arrêter de croire. En cet instant plus qu’en tout autre, il faut garder la foi en la beauté.

Attardons-nous et perdons-nous quelques instants dans ces deux Canaletto. Observons en détail ces petites scénettes. Contemplons les tenues d’autrefois, petites touches d’étoffes colorées bienheureuses et insouciantes.

Bonne semaine, bon courage, Julien Scavini

7 réflexions sur “La beauté sauvera le monde

  1. LM 30 mars 2020 / 15:16

    Oui j’aaadhèèèèèèèèèèère !!!! La beauté… et même la bonté… car la beauté de l’âme est encore plus jolie que celle des apparences. Soyons des kaloi kagathoi…

  2. francefougere 30 mars 2020 / 15:51

    Merci pour ces beautés. Dommage de ne plus pouvoir s’asseoir  » en vrai » devant le tableau que l’on aime.
    Du  » courage « , mais c’est inutile de m’en souhaiter 🙂 Je prends cette période de mieux en mieux, avec ce qu’il faut à la maison. Dès février, j’avais été prévoyante.
     » Printemps, tu peux venir  » !
    Amitiés

  3. JEAN FEUILLETTE 30 mars 2020 / 16:13

    MERCI CHER JULIEN SCAVINI DE VOS DELICATES ET BELLES CHRONIQUES !

    C’EST UN REGAL, PAR LES TEMPS QUI COURENT…

    Les amitiés de Jean-François Feuillette >

  4. Céline 30 mars 2020 / 17:27

    Merci Mr Scavini!!! Oui la beauté est une nourriture quotidienne et un pansement euphorisant pour nos âmes. Je suis tombée dans les Nymphéas de l’Orangerie lorsque j avais 5 ans, comment puis je faire autrement 31 ans plus tard? Autant vivre en beauté humbles êtres de passage que nous sommes!

  5. Vanderveken- Vanauberg Christiane 31 mars 2020 / 07:08

    Bonjour Monsieur et merci
    Merci pour vos chroniques, merci pour votre élégance … merci pour tout

    Oui la beauté est universelle et on peut la trouver partout … soyons fou et admirons (derrière notre fenêtre) une beau coucher de soleil, la pluie qui tambourine, un oiseau qui vole etc …

    Assise dans ma véranda, je viens de voir passer un chat … il s’est arrêté devant la porte et a regardé à l’intérieur … un joli chat plein de couleur : crème avec des tâches … (je ne sais pas comment on appelle ça) …Je vois également les arbres qui bourgeonnent et les oiseaux… hier c’était un rouge-gorge

    Bonne journée
    Prenez coin de vous
    A bientôt

  6. Philippe Rochat 31 mars 2020 / 08:29

    Bonjour, merci encore pour vos chroniques. J’apprécie beaucoup de vous lire. J’ai senti une pointe de laissé-allez (un pyjama raccommodé), un coup de cafard… Courage, prenez le temps de vous habiller, de mettre un beau pantalon tartan, un gilet en cachemire et un beau nœud papillon. Autant tourner en rond avec style!

  7. Frederic 1 avril 2020 / 10:15

    « I have read of men who, when forced by their calling to live for long periods in utter solitude (…) have made it a rule to dress regularly for dinner in order to maintain their self-respect and prevent a relapse into barbarism »
    The Riddle of the Sands, Erskine Childers

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