Titanic, le film

Un lecteur m’a demandé récemment ce que je pensais du film Titanic de James Cameron, sortie en 1997. Et ça tombe bien, comme je n’avais pas grand chose d’autre à faire, j’ai pu regarder images par images le film! Un peu à la manière de Michel de l’émission Faux-raccord, d’Allociné. Quelllll plaiisssirrr au long cours. Je ne me suis pas intéressé aux vêtements féminins, pour lesquels je ne maîtrise absolument pas l’histoire et les styles.

titanic planche de Deborah Lynn Scott
Planche de style dessinée par Deborah Lynn Scott.

Tout d’abord quelques mots. Les costumes ont été dessinés et réalisés par Deborah Lynn Scott et son équipe. Ce n’est pas une petite joueuse avec des films comme Retour vers le futur, l’excellent Légendes d’automne ou Minority Report à son tableau d’honneur. Pour Titanic, elle a d’ailleurs reçu un Oscar de la meilleure création de costumes en 1998. Donc, c’est que le film doit être superbe vestimentairement parlant. J’ai essayé de chercher combien de tenues avaient été nécessaires pour le film mais je n’ai pas trouvé l’information. Plusieurs centaines probablement, tant il y a de figurants, marins ou civils, pauvres ou riches. Sans parler des scènes dans l’eau qui ont nécessité la création de nombreux modèles identiques pour refaire et faire se suivre les prises. Un travail très lourd comme on peut le voir sur ces premières images! N’hésitez pas en suivant à cliquer les photos pour les zoomer.

 

Première scène vestimentairement intéressante, l’arrivée des voitures de la « haute ». Les chauffeurs sont merveilleusement dignes. J’avais essayé d’en dessiner un il y a quelques temps pour un article du Figaro, mais j’avais mal dessiné les gantelets!

 

Le personnage de Caledon Hockley joué par Billy Zane descend de l’auto. Il est vêtu fort logiquement d’une jaquette, vêtement de jour encore un peu en usage dans les hautes sphères avant la première guerre mondiale, mais déjà talonnée par le costume à veste ‘courte’. Que peut-on remarquer? D’abord c’est une jaquette trois boutons à col pointe, ce qui se faisait. Ensuite, cette jaquette présente des poches, insérées dans la couture de taille. Dont une poche ticket, tout à fait charmant, comme d’ailleurs cette épingle à cravate. L’harmonie générale est élégante et en rapport avec l’époque.

Mais tout de même, cela ne me convint pas totalement. La matière de la jaquette est trop moderne, trop lisse. Les tissus d’époque accrochaient plus la lumière, étaient plus rugueux. Ils étaient plus lourds aussi. Quelque chose de trop contemporain cloche. Comme ce col de chemise ou cette régate (on ne disait pas encore tout à fait une cravate à l’époque) un peu moderne. C’est visuellement beau. Mais je trouve que l’on est plus ici dans une vision d’époque transposée à travers un prisme moderne, pour être beau, plutôt que pour être véridique. Ce n’est pas du Stanley Kubrick.

 

Deux photographies de production éclairent cette jaquette plus précisément. Notez la veste de Lovejoy, l’homme à tout faire de Caledon Hockley. Veste 4 boutons à col parisien comme on dit aujourd’hui. Cette forme de revers est assez vernaculaire et on la trouve facilement sur des photographie anciennes. Petit mythologie parisienne donc.

 

Passons à Jack Dawson joué par Leonardo DiCaprio et son Fabrizio. Ils tentent au poker de remporter le billet de départ. DiCaprio porte un gilet vert en velours conformément au dessin préparatoire vu plus haut. Les deux amis portent des sortes de veste de travail, en whipcord, c’est très visible à la manière dont la surface du tissu prend la lumière. La veste de DiCaprio me semble non doublée, cela se voit sur le plan à l’embarquement, les coutures sont épaisses et les bas de manches ourlés sur eux-mêmes.

 

J’ai trouvé là encore quelques images de production. Jack Dawson porte presque son seul pantalon de tout le film, un velours jaune qui parait parfois plus vert tilleul suivant les lumières. Et des bottines hautes à multiples œillets. Il mettra un peu de temps à les retirer lors du sauvetage de Rose à la poupe du navire. De beaux exemples de workwear je dois dire, les équipes costumes devaient être plus à l’aise sur le sujet.

 

Caledon Hockley retire sa jaquette, l’occasion de mieux apercevoir sont sublime gilet crème et sa chemise… rayée discrètement. Très élégant. Dans la scène près des ascenseurs, un homme en jaquette.

 

Scène importante du film, Jack Dawson fanfaronne à l’avant du bateau. Il a changé de veste, pour un caban à grands carreaux. Fabrizio n’est pas aussi dandy, il est toujours habillé pareil à l’exception de son foulard. Notez le pantalon de DiCaprio, on y reviendra.

Titanic21bis

 

Pour la scène du déjeuner, Cal’ troque son vêtement précédent pour un costume. Cravate, pardon régate, et col de chemise sont toujours peu concluants. Par contre, en bas des manches du costume, des revers. Why not. Le tissu est trop léger toujours et la coupe plus années 30 que 1912. C’est encore très reculé comme époque et les lignes alors n’avaient pas tant de netteté.

 

Dans le même temps, petite scène de vie en troisième classe, avec la petite fille que l’on reverra souvent et un nouvel ami pour le duo de jeunes!

 

Puis intervient la scène fondatrice, la tentative de suicide, l’occasion d’étudier le pantalon de Jack. Le caban à carreaux est toujours là. Le velours donc. Il est plutôt ample. Avec des poches cavalier. Et sa ceinture présente deux boutons l’un au dessus de l’autre. Deux choses à noter dans cette scène par ailleurs. Jack a un nouveau gilet, non plus en velours vert, mais en tricot gansé. TRÈS intéressant, notamment au niveau des poches. Et puis le col de chemise présente une petite patte de boutonnage sympathique.

 

Un peu plus loin, le dos du pantalon est précisé, avec une large patte de serrage et un montant « fish-tail ». A la toute fin du film, on découvre même que le pantalon en fait, n’a pas de ceinture, c’est un montage « slack », plus économique et rapide. Les pans du pantalon montent jusqu’en haut et la « ceinture » est réalisée par les doublures en dedans.

 

Encore une belle photo de production pour mieux étudier la tenue de Jack.

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Revenons à Billy Zane en queue-de-pie avec un ami. Les deux queue-de-pie sont légèrement différentes au niveau des revers, ceux de Billy totalement recouvert, ceux de l’ami en « trottoir », c’est à dire avec une bande soyeuse contre une bande de tissu. La boutonnière de Cal est assez en relief. Difficile à voir. Une milanaise?

 

Restons un instant sur les queues-de-pie puisque l’on y est. J’apprécie que les gilets ne dépassent pas de la ‘veste’. C’est un point essentiel de crédibilité pour moi. L’ensemble est parfaitement élégant. Mais c’est là je trouve que le film pèche le plus. (Tiens d’ailleurs la conjugaison du verbe pécher, c’est quelque chose!) Bref, tout est beau et bien peigné. Mais justement, là encore, cet esthétisme racé est plutôt celui des années 30 et d’une normalisation du vestiaire du soir. Avant la première guerre mondiale, il y aurait du avoir une plus large variété et de plus grandes disparités des formes, de gilets, de chemise, de papillons. Rien que les boutons : ils étaient le plus souvent brodés à l’époque et pas lisses. Le film Mort à Venise, de Luchino Visconti relatant des faits se déroulant en 1911 et réalisé en 1971 est beaucoup intéressant visuellement pour les habits du soir. Titanic de ce point de vue a la propreté visuelle d’un téléfilm et non d’une grande fresque historique. Mais c’est vraiment pour chercher des poils aux œufs, c’est tout de même très beau.

 

Tiens, puisqu’on y est, évoquons Bruce Ismay, le président de la White Star Line interprété par le toujours délicieux Jonathan Hyde. La costumière lui fait porter un ‘slip’ au bord des gilets, délicate bande blanche. Un peu de variété dans les cols de veste. Mais toujours ces cols de chemises qui débloquent. C’est pas joli et pas historique. Remarquons à la messe les jaquettes portées alternativement avec des régates ou des ascots. C’est beau.

 

Le vrai Bruce Ismay pour voir, veste croisée très haute, large col cassé, gilet démesuré, les voilà les années 10. Elles étaient baroques, loin de la ligne 1930 à laquelle notre œil est plus habitué.

J-Bruce-Ismay

 

Bruce Ismay toujours et sa robe de chambre. Je n’ai pas réussi à trouver de plan plus large, j’en avais pourtant le souvenir. Souvenir aussi d’un velours rouge, mais c’est un fait un chevron marron. Un personnage couard qu’on adore détester dans le film.

 

A l’inverse du sympathique architecte naval Thomas Andrews joué par Victor Garber . J’ai découvert une chemise bleue rayée à col blanc. Mais le col est un peu chiche. Les années folles appréciaient des lignes beaucoup plus ostentatoires, opulentes. Billy Zane se promène en jaquette avec pantalon de coutil. C’est bien vu.

 

Voyez plutôt le vrai Thomas Andrews, basques de veste beaucoup plus ronds, étoffe plus lourde. L’ancienneté n’est pas assez marqué dans Titanic.

Thomas-Andrews

 

En passant, une jolie petite scène aux habits variés. Le vieux monsieur porte une redingote gansée, en non un manteau, à la mode de 1880 alors que l’autre monsieur porte le « complet » maintenant presque dans les mœurs. La ligne générale et le chapeau, c’est très bien. Quant au petit garçon, morceau de bravoure de la costumière, il porte un ensemble culotte knickers et veste norfolk! Alors là, cette petite scène, c’est somptueux. Tout y est dans le mille! Rappelons qu’à l’époque, les garçons n’obtenaient leur première paire de pantalon qu’à l’âge de 12ans. Avant ils se contentaient de culotte courtes, comme le raconte Ken Marschall dans … Au coeur du titanic.

 

Je mentionne aussi cette petite scène pour l’élégante robe de Rose et la tenue merveilleusement vraie de la camériste. Rien à dire vraiment.

Titanic45

 

Passons enfin à l’orchestre. Qui m’a toujours fasciné par ses tenues. J’ai toujours beaucoup aimé. Je l’avais dessiné, pas tout à fait conformément finalement. Belles vestes de drap bleu, revers vert, étoiles brodés, brandebourgs en bas de manche. Rien à dire, si ce n’est que j’ai bien envie d’en réaliser une à la boutique…!

 

Et voilà, cet article est terminé! Quel marathon de style. Heureusement que toute l’équipe du film était là pour me remercier à la fin! Le niveau général du film est tout à fait excellent. Et j’ai pinaillé ça et là pour le plaisir. Il est vrai que l’habit de l’homme n’est pas toujours le mieux traité dans les reconstitutions historiques. Les téléfilms français sont une apothéose du ridicule, où des vestes Armand Thierry sont associées à des cols cassés minables pour faire vieux. Là, c’est tout l’inverse. Il y a eu une vraie recherche, même si la démarche n’était pas historiciste. C’est un film à grand public qui a parfaitement fait les choses. Compte tenu de l’énormité des vêtements à concevoir et de leurs variétés, c’est une réussite!

J’ai passé un bon moment, en 1998, je m’en souviens bien, assis sur les marches d’une salle de cinéma archi bondée de Bayonne. Et un plaisir renouvelé là encore, le film ne vieillit pas, surtout dans cette belle haute définition!

9 réflexions sur “Titanic, le film

  1. ERIC PIZZOLATO 20 avril 2020 / 11:36

    Que dire des costumes du Guépard de Visconti. Je pense qu’on est dans l’excellente !

    • Julien Scavini 21 avril 2020 / 10:37

      Ah oui c’est fort possible. Un film que j’ai vu il y a bien longtemps!

  2. ut0bct 20 avril 2020 / 11:46

    Et que dire DES costumes de Kingsman?

  3. Eric 20 avril 2020 / 12:53

    Quel plaisir de se plonger dans cet univers merveilleux et d’en découvrir la critique bienveillante. Je viens de passer un bon moment. Merci Julien pour ce joli moment d’évasion et de découverte. Je vous invite à voir les deux saisons de la série The Knick. Les débuts de la médecine moderne en 1900 à News York. Cette série est une pépite et les costumes sont merveilleux. Notamment dans la saison 2. Je serais heureux que vous la décortiquiez de la même façon.

    • Julien Scavini 21 avril 2020 / 10:38

      Merci du tuyau, je vais jeter un coup d’œil.Il y a aussi Peaky Blinders que je n’ai jamais vu encore.

      • Luc 25 mai 2020 / 16:11

        Justement, j’ai terminé les 6 saisons de Peaky Blinders. Et quelque chose m’a interpellé sachant que cela se situe entre 1919 et 1929. Quelle que soit l’époque, et sachant que cela se passe entre Birmingham et Londres, il portent des gilets sous leur costume mais systématiquement avec une pince à cravate. De nos jours, on estime que mettre une pince à cravate est de trop car le gilet tient à lui seul celle-ci. Etait-ce une pratique courante ce combo pince à cravate – gilet dans ces années-là ? En tous cas je vous enjoint à regarder cette série car les costumes sont plus sobres que Titanic. La variété est plutôt dans leur chemises. Les manteaux sont texturés.

  4. Robin N. 20 avril 2020 / 21:24

    Bonjour Julien, très bel exercice d’analyse !
    Comme vous le dites bien dans ta conclusion, l’objectif des costumes dans les films n’est pas forcément de coller à la réalité historique, mais de servir l’intrigue et de transmettre la vision du réalisateur. C’est pour moi tout ce qui fait le piquant de l’exercice : de voir des époques mélangées, « remises au gout du jour », pour créer des tenues et des pièces hybrides qui n’auraient jamais existées sans cela. Je pense par exemple à Redford en Gatsby très 70’s ou au joli mélange entre années 50 et 80 dans les premières saisons de Twin Peaks.
    Un de mes blogs favoris traite du sujet et de tous les vêtements cultes du cinéma, je le recommande vivement : https://clothesonfilm.com/
    Merci pour ces articles toujours très intéressants, bonne continuation !

    Note à part : Le gilet en tricot de Jack semble être une sorte de Browns Beach :
    https://clutch-cafe.com/collections/browns-beach/products/browns-beach-early-vest-blue

  5. PATRICK LESUEUR 22 avril 2020 / 09:51

    Cher Julien
    Pour information la seule automobile présente dans les cales du Titanic était française, soit une Renault type CG 40 CV son moteur possède une cylindrée conséquente de 7,5 litres, un produit de prestige du constructeur de Billancourt dédiée à une poignée de clients fortunés. La carrosserie relève du genre coupé de ville, ou coupé chauffeur, ce dernier étant protégé d’un tendelet de cuir en cas de mauvais temps.La voiture a certainement été vendue par la filiale américaine Renault Selling Branch fondée en 1906 par Louis Renault.
    Bon courage dans cette période étrange, et à bientôt,

    Patrick LESUEUR.

    • Julien Scavini 22 avril 2020 / 09:58

      Super et merci 😉 On aperçoit cette voiture chargée au début du film.

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