Ce soir suite et fin du long article sur Meurtre au soleil, film britannique réalisé par Guy Hamilton et sorti en 1982.
Un peu de musique d’abord.
Étudions les smoking pour commencer. La panoplie est variée, il y en a pour tous les goûts et tous les styles. Le beau Nicholas Clay alias Patrick Redfern porte un modèle croisé à col châle, ivoire, du meilleur style. Denis Quilley en Kenneth Marshall fait simple avec un croisé à col pointes noir.
Les trois autres protagonistes portent des smoking droits. En plus, le producteur de théâtre porte un gilet d’habit, droit et échancré alors qu’Horace Blatt porte un gilet croisé. Et bien pourquoi pas. Je le fais pour un client en ce moment, ce sera superbe! Ces deux messieurs portent le gilet blanc, probablement en coton piqué, à la mode des années 1910. Le gilet noir avec le smoking s’est un peu plus ancré dans les années 30, avant le remplacement des gilets par la ceinture plissée après la seconde guerre. Leurs cols cassés sont un petit peu haut et curieux, une déformation années 70. Le journaliste Rex Brewster porte un smoking à veste blanche. Logique sous les tropiques. Le col de chemise normal et le gilet blanc à boutons noirs apportent une touche de fantaisie un peu anachronique, peut-être plus années 60, mais au fond, cela n’est grave, car ainsi le tableau est bien panaché et équilibré. La composition du plan est belle.
C’est à cela que le film est grand par ses costumes. Sans s’enfermer trop dans une époque, le chef costumier Anthony Powell permet au réalisateur de brosser de vrais tableaux, équilibrés, aux motifs variés. Tout en donnant par le vêtement une profondeur aux caractères. Les tenues reflètent les personnalités, c’est très fort.
Petit saut de puce sur le personnel, élégant et chic. Les serveurs en spencer blanc et les grooms en gilet de service rayé. Des gilets à manches, comme cela se faisait pour le personnel de maison. Nestor dans Tintin porte des gilets à manche. Je me suis toujours demandé si c’est confortable, la construction n’étant pas celle d’une veste.
Repassons à Nicholas Clay en Patrick Redfern. Au fond c’est le beau-gosse utile du film et le fantasme au cœur de l’affaire d’Agatha Christie. Du coup, en dehors de son smoking blanc et de ce costume gris bleuté, il est le plus souvent seulement en slip de bain noir et les plans sur son postérieur sont alors des plans serrés…! Le pauvre homme est mort d’un cancer à 53ans. La couleur du costume, de la cravate ou de l’ascot sont merveilleusement choisies pour faire écho au bleu de son regard. Les chaussures blanches, façon « bucks » sont toujours élégantes.
Passons maintenant à mon personnage préféré, James Mason jouant le producteur de Broadway Odell Gardener. C’est l’apothéose stylistique du film pour moi. Et sa femme, d’une vulgarité crasse est à hurler de rire! Homme riche, de plein pied dans le show-business, il fait étalage d’une garde robe expressive, un peu tape à l’œil, tout en confort et en aise. Le grand style de la maison Paul Stuart aux États-Unis. Une allure qui me rappelle délicieusement les créations de Marc Guyot par ailleurs. Voyez ce costume crème, avec des « spectator shoes » noires et blanches. La casquette donne toute la véracité au personnage, qui a probablement commencé crieur de journaux avant de se hisser en haut des affaires. Sa femme est délicieusement raccord.
Sur le plan serré, on découvre un gilet noir et une cravate vichy noire et blanche. Superbe et visuellement très dense. Le côté duveteux du costume me fait penser que c’est un mélange 50% lin, 50% soie.
Le personnage est habillé avec de forts contrastes. Son peignoir blanc gansé marine est sublime. Rien à dire. Et regarder encore comme le réalisateur place mari et femme dans la même position que le plan précédent.
Sans trop se compliquer la vie, le costumier remplace la veste blanche par une veste noire (ou marine), du même tissu que le gilet précédent. Plus une chemise rose. Et hop, le tour est joué, deux tenues pour le prix d’une et demi!
Odell Gardener troque aussi les pièces à manche pour le chandail. Ce modèle marine à pois blancs est très intéressant. Même si sous les tropiques, nous aurions tous tendance à trouver cela bien trop chaud. Qu’importe c’est un film. De nos jours, le costumier mettrait probablement tout le monde torse-nu. Pourquoi faire du beau quand le moche coûte moins cher?
Et dans une des dernières scènes, l’apothéose continue. Ce costume avec ce gilet rayé et cette cravate à pois, c’est divin. Du coup, madame porte du pois aussi. C’est digne d’un oscar!
Enfin pour terminer, repassons à Poirot. La robe de chambre est tissu chinois est superbe. Quelle dignité. Mais vraiment, il devait faire très froid dans cet hôtel pour supporter tel amoncellement textile!
Dernier mot, la tenue de bain de Poirot. Alors là! Le compositeur de la bande originale s’est d’ailleurs amusé. Lorsque Poirot apparait à l’image en peignoir de bain, la musique prend un tour burlesque ! Attention, voilà le « von Zeppelin » qui arrive. Génial.
Avant de laisser tomber cette sortie de bain pour découvrir le maillot de bain le plus hallucinant de l’histoire du 7ème Art. Le morceau de bravoure stylistique! Vraiment, quel plaisir. Quant à la poche poitrine brodée HP, Alexander Kraft devrait essayer! La ceinture rappelle la veste Norfolk portée par ailleurs. Intéressante étude vestimentaire. Notez aussi les souliers que l’on aperçoit, des spartiates nouées autour du mollet. Vraiment c’est fin. Ne cherchez pas cela dans une production française, c’est trop érudit.
Voilà. J’ai eu grand plaisir à faire ce dernier article de Stiff Collar. J’espère que vous avez en retour pris du plaisir à admirer ces belles images. Je vous souhaite un bel été et je vous dis, à bientôt!
Julien Scavini.
Quel travail remarquable en deux volets !
Je me dois maintenant, assurément de regarder ce chef d’œuvre stylistique.
Si je puis me permettre, si les personnages portent des vêtements si chauds, c‘est sans doute parce que (d‘après Wikipedia, je n‘ai pas encore eu le temps de voir le film moi-même, mais cela ne saurait tarder), l‘histoire ne se déroule pas sous les tropiques, mais en Albanie, ce qui est déjà plus tempéré, tandis que le tournage était à Majorque. Mais belles tenues en tous cas. Et il est intéressant de se pencher sur des exemples de tenues d‘été comme ici, vu que c‘est pour l‘été que les règles classiques sur lesquelles s‘appuyer sont parfois moins claires, moins connues, … et souvent bien peu adaptées aux températures.
Etant à la fois une « fan » d’Hercule Poirot (même si je préfère l’interprétation de David Suchet) et une passionnée des années 20-30, j’ai eu grand plaisir à lire vos articles. J’ai cru reconnaître sur le peignoir de bain d’Hercule Poirot (l’image est petite) le motif « La Jungle » créé par Raoul Dufy en 1919 pour la maison lyonnaise Bianchini-Férier… Aujourd’hui, ce motif est toujours édité par les Soieries Brochier à Lyon…
Bel été à tous vos lecteurs et clients !