Partie I
Vous allez finir par croire que j’ai une obsession morbide pour les enterrements avec ce nouvel article sur les funérailles du Pape François. C’est qu’à vrai dire, un tel évènement permet de jauger de la rigueur esthétique de nos contemporains. Un effort est-il fait pour un si grand évènement ou bien, cet évènement comme beaucoup d’autres, est-il dilué dans la mollesse confortable qui caractérise le progrès ? Telle est la question à laquelle en effet j’ai pu répondre déjà sur ce blog. Entre les funérailles d’une star française édifiantes et les funérailles d’une Prince Consort promettant du beau.
Le Pape François né Jorge Mario Bergoglio en Argentine, décédait à 88 ans au Vatican à Pâques. Comme il était considéré comme une sorte de star de Rock’n’Roll, c’était l’occasion rêvée de se montrer. A l’inverse, pour Benoît XVI qui était considéré comme une sorte de gargouille moyenâgeuse, ce fut service minimum et Emmanuel Macron ne se déplaça pas par exemple. Seul le Ministre de l’Intérieur y alla, ce qui fut qualifié ainsi : « C’est le niveau normal de représentation pour un gros évènement au Vatican« . Cela m’amuse donc beaucoup de constater que le niveau « normal » puisse bouger comme les marées. Quand au terme « gros » je le trouve d’une laideur indicible pour qualifier pareille circonstance. Bref…

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Je remarque pour commencer les 14 porteurs du cercueil. Je n’aimerais pas être à leur place, ce train doit être aussi lourd que deux mille ans de Chrétienté ! Je les pensais habillés d’un frac, mais en fait non, il s’agit d’une sorte de jaquette à bas carré et à profond revers châle. Une sorte de tunique qu’un chef d’orchestre pourrait porter. Le papillon blanc et la présence d’un gilet en coton semble attester d’une parenté avec la queue-de-pie. Tout en faisant un peu moderne / protestant je trouve. Nikolaus Harnoncourt aurait pu s’habiller ainsi pour diriger du Bach. Quant à la couleur, elle semble indéfinissable. Elle n’est pas noire, non !

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Cette photo faisant confrontation avec un huissier – lui en queue-de-pie – on peut clairement voir ce côté légèrement violet. Toutefois, je crois qu’il était de tradition en France il y a plusieurs siècles de porter le deuil en violet ou en pourpre, alors au fond pourquoi pas. Michel Pastoureau aussi parle du noir pour le deuil comme un concept tardif. Intéressante idée que de rompre ce noir si conventionnel tout en restant dans une sobriété de bon aloi.
Je continue sur les membres du personnel du Vatican et m’attardant sur cette tenue d’huissier que l’on voit à droite de la photo ci dessus. Comme l’évènement se déroule de jour, l’huissier ne porte pas avec sa queue-de-pie un gilet de coton blanc, mais un gilet noir. Détail important qui fait sens. Jacques Chirac en 1996 avait su faire cette distinction très distinguée lorsqu’il avait rencontré Jean-Paul II. Avec le collier qui va bien, ça, c’était la classe internationale ! Le signe d’un grand respect des choses. Si on peut avec amusement s’interroger sur son placement politique à droite, là, nul doute qu’il est le chef des conservateurs !
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Mais revenons sur ces huissiers du Vatican en queue-de-pie. Admirez ci-dessous une telle mise portée par le prince de Windisch-Graetz, gentilhomme de sa sainteté. Les armes du Vatican sont suspendus à une bélière à multiples branches sertie de camées, ça ne manque pas d’allure. On dirait le collier de Marie Antoinette ! Les huissiers à la chaîne en France porte la chaîne par dessus la veste, eux la porte sous. Elle est plus courte toutefois. L’écharpe en moire noire donne une allure impeccable. Quel ordre, quelle décoration porte-t-elle ? Peut-être chevalier grand-croix de l’ordre du Saint-Sépulcre. Il n’est pas sûr par ailleurs que les revers de la queue-de-pie soit en satin (ou en faille). Pas de brillance. Pourquoi pas au fond, si elle est destinée uniquement à être portée de jour. Cela fait assez sens aussi.
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Pour finir ce premier volet, je voudrais vous montrer mon héros. Lui, c’est le taulier, pardonnez moi l’expression. Mais il a tout. L’allure et le physique. Il n’y a pas que les jeunes qui sont beaux. Et comme quoi, un habit un peu construit n’empêche finalement pas le confort. Cet autre gentilhomme du Pape est l’ambassadeur Alfredo Bastianelli. Il doit être un peu vaniteux, c’est sûr, mais à ce niveau là, ça devient une vertu ! Du grand art. Le pantalon reste plaqué sous le gilet, rien ne bouge, les lignes sont magnifiques. Quant au roulé du revers, il est d’une dignité sans pareille. Et vous voyez, s’il avait poussé le vice jusqu’à laisser 1cm de chemise dépasser en bas des manches, j’aurais dit que c’était trop ! Cela fait plaisir à voir !


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Partie II
Reprenons donc le fil là où nous l’avons laissé. Il y avait donc beaucoup de monde à ces funérailles. Passons un peu en revue. Emmanuel Macron d’abord, qui portait le trois pièces noir, choix évident, simple et de très bon ton. Si je regrette les lignes chiches de ses costumes, notamment ces rabats de poches inclinées minuscules, il faut reconnaitre qu’ils tombent toujours très nettement. Cela doit être salué. Derrière, notre ministre de l’Intérieur et des Cultes, et nouveau président de parti a fait le choix d’un beau bleu marine y compris pour la cravate. Quant au ministre des Affaires Étrangères, je ne saurais dire si c’est un marine ou un gris foncé, il est souvent en gris ai-je noté. La cravate noire aurait peut-être était mieux? Je ne les attendais toutefois pas avec un brassard noir autour du biceps !
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Le premier ministre britannique était aussi en noir. Noir c’est noir !
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Tout comme Mikheil Kavelashvili, le président de la Géorgie.

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Le prince Albert II avait choisi une tenue similaire. Quant à la princesse Charlène, elle porte la mantille avec une dévotion qui force le respect. J’ai un doute sur les lunettes de soleil. Elles semblent très portées. Des lunettes de soleil à un enterrement, c’est correct?

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Le roi Carl XVI Gustaf et la reine Silvia ne peuvent pas faire mieux. J’aime beaucoup sa petite pochette.
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Le prince héréditaire Alois de Liechtenstein et son épouse font aussi dans le traditionnel. Le gentilhomme du Pape à la ceinture de moire noire (le prince de Windisch-Graetz) fait un peu vieux de la vieille, il a un coffre que la queue-de-pie contient mal, elle semble bancale, mais il m’amuse beaucoup, il a de l’allure. Je m’interroge toutefois sur un décalage. Deux princes sont en présence face à l’ecclésiastique. L’un porte sa livrée (la queue-de-pie) et l’autre un simple costume. Le Vatican fait il passer une consigne demandant le costume simple? Dès lors, les gentilshommes ne font pas trop habillés? Ou les invités ne pourraient-ils pas être en jaquette noire? Remarquons le photographe en costume noir !
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Et si l’on passait aux hommes en bleu ? Le prince héritier Haakon fait ce choix, accompagné et la princesse héritière Mette-Marit.
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Tout comme le roi des belges. Ou est-ce un noir très lumineux? Je ne suis pas personnellement très convaincu par les revers en pointe de petite largeur.
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Le grand-duc Henri et la grande-duchesse Maria Teresa. Son costume est beau, veste longue, revers placé bas, belle allure avec ces pochette bien disposée.

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Revenons au noir. Volodomyr Zelensky va finir par être une icône de la mode inspirant Balenciaga et d’autres avec ses tenues militaro-civiles noires toutes plus inventives. Ce serait drôle si son pays et lui-même n’étaient pas si terriblement ciblés.

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Toujours en noir, remarquons les présidents italiens et argentins. Au second rang, le roi Abdallah de Jordanie porte un beau bleu pétrole, moins « rouge » que le bleu marine à côté ou derrière. Le chancelier allemand a fait le choix du deux pièces noir, efficace.
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Intéressons nous justement au prince William. Dans ce bleu si vif. Si vif. Je me garderais bien de commenter ou juger une figure disposant d’un tel pedigree. D’autant que le costume est très bien coupé et très beau. Impeccable même. Mais n’est-ce pas un peu bleu? Personne n’a dit que le bleu était interdit à des obsèques. Mais tout de même non?
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Sur la proposition d’un lecteur, j’ai retrouvé la photo de Charles, alors prince, aux obsèques de Jean-Paul II. Croisé noir, impeccable. Pochette « funny ». Il a toujours fait ça. Je mourrais moi-même de posséder une pochette en soie noire à motifs de cravate. Il faudrait qu’on me l’offre et que je ne puisse pas refuser le cadeau ! Mais enfin, ça apporte un peu de fraicheur sur cette tenue austère.
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Si l’on sort du bleu et du noir, qui y’-a-t-il? Le gris pardi. Comme le prince Emmanuel-Philibert de Savoie assis à côté du prince Charles de Bourbon des Deux-Siciles qui semble porter du noir. Ou du gris foncé? Ces lainages noirs super 150’s ou du même genre ne semblent jamais bien noirs. Il vaut mieux pour du noir trouver un drap anglais bien rustique et pas satiné du tout pour obtenir un noir profond.
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En bleu avec cravate bleu, il y avait aussi Joe Biden dont on peut saluer la vaillance. Donald Trump ne l’avait pas emmené à bord d’Air Force One, la classe se perd…
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Donald Trump justement, au premier rang des invités de marque, voulait que tout le monde le voit. Il avait choisi un bleu… bien bleu. Même William était battu. En revanche, intéressons nous à son voisin, le président finlandais Alexander Stubb. Col cut-away et belle cravate opulente noire, déjà de bons points. Gilet : impeccable. Revers en pointes plus généreux et mieux dessinés que le roi des belges, troisième bon point. Pochette bien disposée, parfaite. Mais… mais… poches plaquées sur la veste. Et veste un peu courte. Boutons de nacre qui font gris clair, non. Flûte, ça démarrait bien, comme une publicité Suit Supply.
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Alors, tournons nous vers l’autre voisin de Donald Trump : vers le président estonien Alar Karis qui j’espère se barricade bien en ce moment de son voisin géographique. Voilà un beau costume trois pièces. Le revers est parfait, les proportions générales semblent bonnes. Cravate et pochette noires se répondent par leurs petits motifs discrets. C’est un sans faute. Enfin de l’élégance un peu recherchée et bien maitrisée. Un léger tapage par le cran en pointes et les petits motifs sans rien retirer à la rigueur de l’ensemble.

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Mais il serait temps de conclure. Avec celui qu’un blogueur américain a désigné comme le mieux habillé de l’instant, le roi Felipe VI accompagné ici de la reine Letizia. Un costume que le blogueur a qualifié d’apothéose de l’understatement. Boutonnage placé un peu bas, revers généreux (bien qu’un peu haut), veste longue et pas étriquée, joli rabat de poche arrondi qui plaque bien, c’est royal. Vraiment
Il portait déjà la veille ce même costume pour les ultimes hommages, mais ses souliers étaient des mocassins à pompons. Une petite pochette eut été merveilleuse, mais enfin, rien n’est jamais parfait. Toutefois, ça, c’est un exemple d’allure !
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Nous sommes arrivés au bout de ce petit panorama général de quelques « grands » de ce monde rassemblés autour de la dépouille du pape François. Un panorama élégant, sobre et intéressant dans sa sobre variété.
Belle semaine, Julien Scavini
PS : il est une chose vraiment laide et qui me choque, c’est ça : un affreux pickup américain… Mais où diable sont parties les notions d’élégance et d’amour propre? Quand on met des gardes-suisse habillés en pourpoint moyenâgeux et qu’on se montre tatillon sur le métrage de dentelle dans les soutanes, on trouve quatre chevaux noirs et on ressort un vrai corbillard garni de velours. Un corbillard à moteur, ça devrait être in-ter-dit !


















Ce monsieur s’appelle Alfredo Bastianelli.
merci pour votre article , toujours un plaisir de vous lire , belle journée
Le « héros » est un « gentilhomme de Sa Sainteté »
Et l’homme portant l’écharpe noire en sautoir est son Altesse Sérénissime Hugo, prince de Windisch-Graetz, également gentilhomme de Sa Sainteté investi par le pape JeanPaul II en 1984.
Merci beaucoup pour cet article qui nous permet de mieux observer les « sediari » pontificaux (sur les épaules desquels reposait, auparavant, la « sedia gestatoria », chaise à porteurs utilisée jusqu’à Jean-Paul Ier) et les gentilshommes du pape.
Merci aussi de souligner que Jacques Chirac a porté l’habit au Vatican, tradition qui n’a pas été reprise par ses successeurs.
On peut deviner, sur l’avant-dernière photographie que vous avez publiée, la présence du prince William. Comparez la tenue du prince William aux obsèques du pape François, et celle de celui qui était alors le prince Charles aux obsèques du pape Jean-Paul II, et vous verrez que cela n’est pas vraiment « tel père tel fils ».
S’agissant enfin du « niveau de représentation » aux obsèques de Benoit XVI, la différence tient au fait qu’il était pape émérite. En tout cas, Gérald Darmanin, alors ministre de l’Intérieur, qui représentait la France à ses obsèques, a le mérite de porter du noir quand il se rend au Vatican (de même que son épouse qui, comme Bernadette Chirac, revêt également une mantille noire). Le choix de la couleur noire n’a pas été repris par les ministres Retailleau et Barrot lors des obsèques du pape François.
Petite remarque sur le costume du Roi d’Espagne: les lignes du revers me semblent en fait assez années 70 en ce qui concerne la courbe et l’ouverture du cran. Je possède une vielle veste de chez Yves Saint Laurent du genre. Je pourrais deviner que Sa Majesté (ou bien son tailleur) ait choisi de placer le cran de revers plus haut pour eviter l’effet « fondant » d’un cran très ouvert placé bas sur un revers très arrondi, que vous pouvez facilement observer sur les vêtements de l’époque. Un bon compromis entre un style assurément « rétro » et la pratique contemporaine, me semble-t-il.
C’est probablement un bon tailleur madrilène. Peut-être pas trop jeune. D’où le style un peu classique.
Merci de votre article très intéressant, Monsieur. Les hommes vêtus d’un frac ne sont pas des huissiers, mais des gentil hommes de Sa Sainteté.
Celui aux cheveux blancs est effectivement l’ambassadeur Alfredo Bastianelli, qui est par ailleurs chancelier de l’ordre du Saint-Sepulcre dont j’ai l’honneur d’être membre.
L’écharpe de moire noire que porte le prince de Windisch-Graetz, est probablement celle de chevalier grand-croix de l’ordre du Saint-Sépulcre. Il porte également autour du cou, l’ordre autrichien de la Toison d’or.
Merci pour vos précisions heureuses. Je corrige mon texte.