L’habit noir, d’origine française ?

Chers amis, pour recommencer l’année, je vous propose une synthèse d’une partie du livre Les habits du pouvoir, Une histoire mondiale du costume d’apparat, de Dominique et François Gaulme, paru récemment aux éditions Flammarion. Le sujet du jour est donc un résumé du chapitre V, consacré à Philippe Le Bon et dont j’ai trouvé le sujet passionnant, permettez-moi de vous en faire profiter. Il traite de l’adoption du noir, un sujet récurent de e blog  😉

L’adoption du noir à la cour de France remonterait à l’assassinat de Jean Sans Peur au pont de Montereau, en 1419. Initialement, il devait s’agir d’une rencontre entre Jean Sans Peur, duc de Bourgogne et chef de file des Bourguignons et le dauphin, futur Charles VII, du parti des Armagnacs. Le but ultime de la rencontre est de sceller une alliance pour bouter les anglais hors de France et mettre fin à la guerre de cent an. Mais l’atmosphère est tendue et l’orage éclate, Jean Sans Peur finit transpercé de multiples coups de lame.

« Ne pouvant venger ce meurtre immédiatement, son fils unique, Philippe (futur Philippe III, duc de Bourgogne  dit Philippe le Bon, ndlr), vingt trois ans, décide alors d’adopter pour lui-même et les gens de sa maison un deuil qui ne finira jamais ». Page 78.

Ainsi, aux funérailles de celui-ci, tout fut recouvert ou peint en noir, avec de simple rehausses et broderies d’or, à l’image des deux mille fanions avec étendards ou des fauteuils de sa voiture. Ceci avait pour but de bien signifier au nouveau pouvoir bourguignon son refus d’oublier.

Dans le même temps, l’époque voit un bouleversement profond de la mode, en particulier masculine. En effet, le costume dit ‘ancien’ commence à disparaitre. Il s’agit de la robe longue, unisexe qui est caractéristique des dignitaires depuis Consantin, donc vers l’an 700. Ce vêtement est remplacé par le pourpoint, bien plus court, lacé et près du corps, qui permet plus de mouvements. Inspiré des tenues militaires, il connait un succès grandissant, surtout pour la chasse. Dans le même temps, l’usage des couleurs se modifie. Notons que dès le XIIème siècle, l’église a condamné et interdit au clergé les étoffes trop luxueuses, interdisant par exemple le rouge et le vert, « qui ont fait la gloire de Byzance. » Par exemple, le roi Saint Louis pour son départ en croisade en 1248, change ses vêtements, comme le relate Tillemont : « Depuis qu’il fut parti de Paris, il n’usa plus d’habits ni de fourrures d’écarlate, de vert ou d’autre couleur éclatante […] il voulut toujours être habillé fort simplement de bleu et de pers, de camelot ou de noir brunette ou de soie noire ».

A.01 Layout _ Layout

Le bleu notamment devient couleur royale comme il est possible de le lire dans Les Très Riches Heures du Duc de Berry. A contrario, le duc de Bourgogne lui, ne quitte plus le noir, un noir qui depuis l’époque romaine est associé au deuil, aux maladies ou à la guerre. Fait intéressant, le Prince Philippe Le Bon possède les Flandres. Ses vêtements noirs sont donc loin d’être de simples robes de bures, mais sont au contraire d’une beauté et d’une richesse extraordinaire. Les teinturiers flamands vont ainsi développer un savoir faire unique à partir de la noix de galle pour produire de « très beaux noirs, solides et brillants ». Et cette mode va déferler sur toute l’Europe.

D’une grande intelligence et bonté d’âme (d’où son surnom de Philippe Le Bon), le duc de Bourgogne va influencer beaucoup d’aristocrates européens. C’est aussi lui qui crée le très prestigieux ordre de La Toison d’Or. La tradition du noir se perpétue ainsi, notamment jusqu’à son arrière arrière petit fils, Charles Quint. En Espagne, le fils de ce dernier Philippe II trouve un terreau encore plus favorable à l’adoption du noir de cour grâce à l’importance de la foi Catholique. Cette mode du sombre finira par arriver – ou revenir – en France sous Henri II, fils de François Ier.

Ainsi, « à l’époque de la Renaissance, la haute société, riches marchands, citoyens en vue, banquiers juifs, tous finissent par endosser le noir, synonyme de raffinement et d’éminence sociale. » Ainsi, la cours des Ducs de Bourgogne essaima le noir, dans un subtil mélange de mode et de religiosité. Cela est allé jusqu’à la décoration d’intérieur, avec le travail du marbre noir de Dinant ou encore l’ornementation des livres. Les auteurs de l’ouvrage,  Dominique et François Gaulme, rapportent même un extrait de Hamlet, dont le père a été assassiné comme le fut Jean Sans Peur :

This not alone my inky cloak, good mother,

Nor customary suits of solmn black,

Ce n’est pas seulement mon manteau d’encre, bonne mère,

Ni ce costume de noir solennel,          

Captivant, n’est-il pas ? A la semaine prochaine, Julien Scavini

9 réflexions sur “L’habit noir, d’origine française ?

  1. Le Chiffre 9 septembre 2013 / 17:30

    Comme quoi, toutes ces personnes en costume noir uni et cravate noire, voir aussi chemise pour certains, que nous trouvons souvent, disons, peu élégantes, sont peut-être en réalité encore plus passéistes que tous les contributeurs de ce blog réunis 😀

    NB : je fais une généralisation bien abusive, évidemment. C’est un peu comme parler de costumes Tom Ford destinés seulement aux russes et aux chinois…

  2. Le Chiffre 9 septembre 2013 / 17:33

    Pardon, mauvais terme : « nostalgiques » serait plus approprié que passéistes. Ainsi, pas de connotations politiques.

  3. Don T. 10 septembre 2013 / 06:22

    Merci pour ce nouvel article très intéressant ! Je me permets au passage de suggérer le remplacement de « cours » par « cour », coquilles qui semblent s’être malencontreusement glissées dans l’article comme l’atteste « noir de cour » très justement écrit.

  4. Olivier P. 12 septembre 2013 / 13:17

    Je ne peux que conseiller l’ouvrage de Michel Pastoureau, Noir. Histoire d’une couleur ainsi que d’ailleurs tous ses autres ouvrages sur l’histoire des teintures ( Bleu : Histoire d’une couleur / L’Etoffe du diable : Une histoire des rayures et des tissus rayés / Jésus chez le teinturier. Couleurs et teintures dans l’Occident médiéval )

    • Julien Scavini 14 septembre 2013 / 10:41

      Tout à fait, les auteurs le citent même !

  5. IrohG 14 septembre 2013 / 05:11

    Avec ce commentaire, une étape est franchie : notre hôte en est maintenant à dessiner des figurines en *armure*. Je vois d’ici les développements : « l’armure de plate a une certaine tenue qui structure la silhouette… » 🙂

    • Julien Scavini 14 septembre 2013 / 10:41

      Tout de même, tout de même 🙂

Laisser un commentaire