La tête dans le trou!

Dans un trou vivait un hobbit. Ce n’était pas un trou déplaisant, sale et humide, rempli de bouts de vers et d’une atmosphère suintante, non plus qu’un trou sec, nu, sablonneux, sans rien pour s’asseoir ni sur quoi manger : c’était un trou de hobbit, ce qui implique le confort. Tolkien, au début de Bilbo Le Hobbit.

Alors que le froid nous tombe – que dis-je, s’abat –  sur nous et que le travail aussi en ce qui me concerne, l’envie du confort anglais se fait plus pressent. Et c’est systématiquement que je me remémore avec envie ces petites habitations et ce petit peuple de la Comté, en Terre imaginaire du Milieu, si agréablement mise en scène par Peter Jackson dans la trilogie du Seigneur des Anneaux. Une communauté de petits êtres attachants et attachés aux choses simples : la nourriture (la ‘boustifaille’), l’herbe à pipe (le bon ‘tobie’) et le plaisir de ne rien faire. Bref, le confort, ce qui implique aussi le vêtement.

Je ne sais comment Tolkien les a précisément décrit, mais chez les illustrateurs de la saga, le vestiaire des hobbits est directement issu de la tradition paysanne ouest-européenne et surtout anglaise des 17 et 18ème siècles. Sur un base de chemise avec ou sans col, certainement en lin : un gilet de longueur moyenne, puis un justaucorps (assimilable dans sa forme ici à une redingote, tout simplement avec des basques tombant droites), et s’il fait froid une grande cape. La culotte reprend la forme des braies courtes, autrement dit l’ancêtre des knickers, sans chaussettes évidemment, les hobbits n’ont pas de souliers mais des gros pieds velus.

Au delà, le semi-homme n’est pas mal fringué, bien au contraire, il ne rechigne pas à la coquetterie : velours moelleux, gilets rehaussés de broderies, fibules (agrafes) de cape en métaux précieux. Les formes également sont toutes en courbes, les cols des redingotes sont quelques fois châles et enveloppant. Certaines préciosités sont empruntées aux vêtements de l’aristocratie, ce qui ferait en fait des hobbits une sorte de classe moyenne paysanne, une société rurale rêvée.

Alors que les débats politiques nous parlent de retour au moyen-age et que les marchés financiers menacent de nous y envoyer pour de bon, je ne déteste pas voir dans ces vêtements folkloriques pleins de sources d’inspirations, notamment en ce qui concerne l’habitabilité (pouvoir varier le nombre de couche suivant la température par exemple) ou encore les couleurs. Les tons naturels de ces laines (que l’on imagine teintes artisanalement avec des mousses) sont très automnaux, assez agréables.

Le hobbit représentait une sorte d’anglais rêvé, quand les hommes (ceux du livre), cette sorte de ‘grande gent’ curieuse et lointaine figuraient les continentaux, nous par opposition. Le hobbit a construit une société à l’image de l’Angleterre rurale de Tolkien, loin de la mécanisation, et orienté vers ce terme tout british de cosiness pouvant signifier une atmosphère intime, douillette, mais assez intraduisible à vrai dire. Par exemple, l’architecte autrichien Adolf Loos utilisa tel quel ce terme pour décrire dans les années 10, sa conception des intérieurs, lui qui réalisa les salons tout en boiseries, en velours et en cuirs du tailleur viennois Knize… Ah le cosiness

Finissons sur la fin de la citation, pour le plaisir : Il y avait une porte tout à fait ronde comme un hublot, peinte en vert, avec un bouton de cuivre jaune bien brillant, exactement au centre. Cette porte ouvrait sur un vestibule en forme de tube, comme un tunnel : un tunnel très confortable, sans fumée, aux murs lambrissés, au sol dallé et garni de tapis; il était meublé de chaises cirées et de quantité de patères pour les chapeaux et les manteaux – le hobbit aimait les visites.

Julien Scavini

8 réflexions sur “La tête dans le trou!

  1. Charles 29 novembre 2011 / 00:35

    Bonjour Julien,

    Merci pour votre article de ce soir, il me fait beaucoup penser à « The Wind in the Willows » de Kenneth Grahame (dont l’adaptation BD de Michel Plessix est formidable), la manière très chaleureuse dont le blaireau accueille ses invités dans son terrier ou les provisions sont entassées pour l’hiver. Je vous rejoins tout a fait sur l’idée que la crise peut avoir un bon coté, nous ramenant a mieux considérer nos vêtements, notre intérieur, notre confort. Je pense que le bon gout ne coute rien, mais demande de réfléchir un peu pour ne rien gaspiller et entraine vers une authenticité, une harmonie presque naturelle de part le besoin de bien être, et vers la qualité. C’est John Davison Rockefeller qui disait « S’il ne me restait que 1000 dollars, je m’achèterais un costume de bonne coupe pour rebondir, parce que dedans on se sent invincible, crédible aussi bien devant un ouvrier que face au président des États-Unis ».
    Sur ces paroles réconfortantes, je vous adresse mes meilleures salutations.

    Au plaisir de vous lire,

    Charles

  2. Le Paradigme de l'Elegance 30 novembre 2011 / 10:34

    Bonjour Julien,

    Voilà un sujet que je ne pensais jamais pouvoir trouver dans vos colonnes ! Mais vous avez très bien réussi le lien avec l’élégance et l’humeur britannique, avec un émulsifiant inattendu. Je vous tire mon chapeau !

    Quant aux hobbits, il est vrai que Tolkien s’est inspiré de la campagne britannique. Rien que le nom de Comté, qui est la traduction de Shire, ce qui désigne l’équivalent de la région, souvent rurale, autour d’une ville (Cambridgeshire, Leicestershire…). De plus, Bilbo le hobbit (1937) était un conte destiné aux enfants de Tolkien. Il utilisa donc l’environnement directement accessible afin de le rendre plus crédible à leurs yeux.

    Pour le terme de cosiness, c’est là toute la force et la faiblesse de la langue britannique : les mots expriment pour la plupart des concepts très particuliers, ce qui peu enrichir la langue mais met au défi le traducteur et le néophyte de la langue. Mais peut-être que l’on peut traduire ce terme par pantouflard, voire casanier ? Et encore, ces mots sont hélas loin du concept originel…

    A bientôt !

    • cisco 30 novembre 2011 / 18:33

      Pas mieux, bravo pour avoir aborder un thème très original

      amicalement

  3. patrick 1 décembre 2011 / 21:56

    Bonsoir à tous

    Je porte une attention particulière aux cols de chemises en ce moment… Madeleine Ferron, en 1971 dans le Baron Ecarlate avançait justement :

    « On juge une chemise à son col et un homme à sa chemise.  »

    De mes souvenirs de ces hobbits et à la lecture de votre article, j’irais plus loin qu’elle encore en affirmant même qu’à l’aune de ce jugement opportun, hobbits et même Anglais sont des hommes de valeur. 😉

    Patrick
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  4. Nicolas 2 décembre 2011 / 21:27

    C’est un bel article. Chaleureux et nostalgique.
    Et bien entendu, il me fait penser à ma Comté. Ma Franche Comté. Pays vert, vallonné, rude, mais si authentique.

    Amicalement

    Nicolas

  5. PocPoc 3 décembre 2011 / 13:53

    Bonjour Julien.

    Bravo pour ce texte, il est fort plaisant à lire.

    Par principe de salubrité, j’ai tendance à éviter d’être nostalgique d’une époque passée (d’autant plus quand je ne l’ai pas connue). De plus, comment être nostalgique d’un univers imaginaire ? Même si celui de Tolkien colle dans une certaine mesure à son époque.

    Cela dit, il faut avouer que notre temps me paraît parfois très vulgaire. À la fois, permissif au possible et paradoxalement rempli d’interdits divers et variés.

    Même si cela est forcément plus compliqué, comme l’on dit : « Ah, le bon vieux temps ! » Et zut, me voilà nostalgique 😉

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