Monsieur, êtes-vous soigné ?

Cet article est la retranscription d’un article, à la fois drôle et intéressant, de Jean Laury, publié dans Adam, n°239, Février-Mars 1957.

Lisez : êtes vous soigné, c’est dire bien habillé? Un homme ne l’est, ou ne le reste, qu’en ménageant ce qui le vêt, des pieds à la tête. La fatigue d’un vêtement – nous ne disons pas l’usure – est imputable à qui le porte et elle défigure ce vêtement tout comme une lassitude corporelle tire les traits.

Si vous êtes aux bonnes résolutions, prenez donc celle-ci : d’où que vous rentriez, quelle que soit l’heure et la pièce du vêtement que vous quittiez, sachez que sa fatigue prime la vôtre. Mais alors qu’une nuit de sommeil vous rajeunit et vous défripe, votre vêtement vieillira si vous ne lui octroyez le seul repos qui le conserve : le soin raisonné que vous prenez de lui.

La chapeau

Ne le jetez pas, approximativement à plat, sur la première surface plane venue, avec le journal et les papiers à revoir. Pour préserver ses bords, accrochez-le de manière que ceux-ci ne touchent de nulle part. Ou posez-le sur sa calotte, en voiture, par exemple. Brossez le feutre avec une brosse spéciale à la fois souple et fournie. Et respectez le sens du poil : opérez en mouvement inverse des aiguilles d’une montre. Le cuir intérieur ne se nettoie pas. Dès qu’il est, non pas sale, mais douteux, on le remplace. Si vous portez de la paille, rangez-la, enfermée à l’abri de la lumière afin qu’elle ne jaunisse pas – enfin pas trop vite. Et si elle est tachée, nettoyez-la avec une solution de quelques gouttes de sel d’oseille dans beaucoup d’eau – énormément d’eau.

Le veston

a suivi tous vos gestes et s’en ressent. La pire ingratitude consiste à le jeter sur un fauteuil et à l’y laisser. Une bonne intention, mais une mauvaise solution, c’est de l’installer sur le dossier de ce fauteuil dont les bras continuent, après les vôtres, de les déformer. Le veston a droit, formellement, au cintre à sa taille, à bonne distance du mur, ou au « serviteur muet » (valet de chambre) qui répare, de nos jours beaucoup d’injustices. Et avant de ranger dans l’armoire le smoking, épinglez avec raffinement et précaution les pointes des revers de soie pour éviter qu’ils ne « roulent »…

Le pantalon

ne va plus sous le matelas. Cette sorte de pressing avait du bon ! Il rejoint le veston sur la barre du cintre ou du serviteur muet, mais videz ses poches, même d’un mouchoir fourvoyé. Ôtez les bretelles. Faites glisser la ceinture : que le pantalon se repose, orgueilleusement seul.

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Le pardessus

Ah, le pardessus… Combien sont-ils, que des hommes-bien suspendent chaque jour, par le milieu, à un crochet. Et insidieusement, une petite hernie se forme. Au pis-aller, suspendez-le par les épaules, sur deux crochets. Au mieux : trouvez un cintre qui garantisse son équilibre. Ou alors, posez-le, doublure à l’extérieur, sur un siège. Mouillé, qu’il sèche, suspendu, dans un endroit tempéré, loin du radiateur comme de la fenêtre ouverte.

Le linge (il parle des chemises et caleçons de coton)

Son martyrologe est tel qu’il tire les larmes. L’état dans lequel il réintègre parfois vos armoires est un plaidoyer silencieux, mais éloquent. Ce linge si fin, si cher, assurez-lui les meilleurs soins, confiez-le au meilleur blanchisseur : celui qui n’a les réflexes ni du masseur pour poids lourds, ni de l’incendiaire, ni de l’ingénieur chimiste, ni du cimentier. Le blanchisseur que vous aurez vu à l’œuvre – au chef-d’œuvre – tel Loison et d’autres. Ou alors, achetez vos chemises au bazar et jetez-les dès que salies.

Les cravates

Leur règne est court : qu’il soit brillant. Tant qu’il dure, respectez leur éclat, leur forme en les suspendant comme il se doit. Dès qu’elles s’affaissent, réformez-lez : une cravate défaitiste, qui cède, est un spectacle navrant.

Les gants

Faré est formel : le volant les massacre. Néanmoins, le soir, remettez-les au pli, octroyez leur un peu de pressing. S’ils se lavent, que ce soit au savon spécial : le meilleur. Même mouillés, qu’on leur redonne leur forme à l’ouvre-gants et qu’ils sèchent en climat tempéré, suspendus à des pinces à linge. Les gants blancs du soir jaunirons moins vite si on les range dans une boîte, bien saupoudrés de talc.

Les souliers

N’achetez, ne commandez jamais une paire de souliers sans sa paire de formes, qui l’épouse exactement et qui lui restera strictement personnelle. C’est un mariage indissoluble. Remettez, dès qu’otés, vos souliers sur ces formes : dix minutes après, ce serait déjà trop tard. Il faut si j’ose dire, mettre les souliers sur formes encore chauds… Ne les ôtes jamais sans défaire les lacets. S’ils n’en comportent point, ne les mettez pas sans l’aide d’un chausse-pieds – avec votre doigts, par exemple ! Mouillez, faites-les sécher, sur formes, loin de tout centre de chaleur. Pour parfaire cette opération, placez-lez sur une barre, des supports spéciaux, ou tout simplement, alternativement, sur un côté et sur l’autre, pour que la semelle sèche rapidement. Enfin, ne les cirez jamais à vide, mais sur embauchoir ou sur vos pieds !

… lignes écrites il y a exactement 60ans. Finalement rien ne change beaucoup…

Belle semaine, Julien Scavini

3 réflexions sur “Monsieur, êtes-vous soigné ?

  1. Stéphane Mettetal 17 janvier 2017 / 07:41

    Monsieur, merci pour ce rappel élégant et de bon ton. Salutations très distinguées. Stéphane Mettetal

  2. Quidet Christiane 17 janvier 2017 / 08:49

    Désuet, mais excellent.

  3. Guillaume Masson 17 janvier 2017 / 10:20

    Bonjour,
    Très joli article, simple mais rappelant simplement les solutions qui devraient être évidentes pour garder en état nos si chers vêtements.
    Bonne journée.

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