Savoir penser l’élégance

Récemment, je me trouvais à attendre aux abords de la salle Pleyel que les portes s’ouvrent et je me suis attardé sur la vitrine de la boutique Anthony Garçon, enseigne parisienne de costumes à prix raisonnables. Si je n’aime pas l’allure (des pantalons slim et des vestes courtes), je reconnais que le rapport qualité-prix et bon. Ils vendent bien à en croire le développement important et les ouvertures de boutiques rapides. Ils font un produit dans l’air du temps. Qu’on l’aime ou pas, qui fait vivre des gens et participe à l’économie.

En vitrine étaient présentés trois costumes trois pièces, deux princes de Galles en flanelle très discrets et un uni en flanelle également. Les harmonies (en dehors des cols riquiquis des chemises – encore !) étaient de bon goût, sobres, efficaces, assez british. Pas grand chose à redire.

Se pointent alors trois messieurs, vieux godillots jamais cirés, chinos et jeans informes, doudounes avec capuche en fourrure. Une description du quadra cadre-sup / dirigeant type de la décennie. L’un d’eux s’exclame « pff qui s’habille comme ça de nos jours! »

Dans ma tête, j’ai pensé à deux choses. La première : en effet personne. Mais alors? Quoi? il faudrait présenter dans la vitrine le même minable qu’il porte? Quel commun!

Une vitrine est fait pour s’admirer. L’expression même lèche-vitrine porte un double sens. Les admirateurs la lèchent (s’en régalent) et le décor est léché. On va tout de même pas exposer du minable pour leur faire plaisir et leur donner bonne conscience. Car il est là le fond du problème. En exposant des jolies choses, on ne rend que plus évident le décalage et la médiocrité. Et cette réflexion est l’expression d’un sentiment d’infériorité révélé. Surtout lorsque les costumes en question valent 400€. Ce n’est donc pas une question de moyens.

Car oui, il y a des gens qui s’habillent comme ça. Et curiosité de la chose, ce sont plutôt les jeunes. La cible d’Anthony Garçon d’ailleurs. Ce sont les jeunes qui remettent le gilet au goût du jour et font sentir aux quadras qu’ils sont vraiment très vieux avec leur jeunisme!

La deuxième chose que je me suis dit est que dans certains milieux, il faut savoir s’habiller. Il faut penser aux subtilités du langage des apparences. C’est important. A qualification égale dans une grande banque ou une multinationale, un jeune élégant se fera plus facilement remarquer. Mes clients quotidiens me l’apprennent.

Car montrer que l’on s’intéresse à l’expression corporelle est un humanisme, le signe que peut-être, il va y avoir moyen à développer quelques propos autour du vin, des livres, des montres, bref, de l’art de vivre. Ce n’est même pas forcément être élégant, mais c’est s’y intéresser, montrer qu’on y pense et que cela importe.

Un client grand banquier me disait récemment que pour lui, un homme bien habillé (même sobrement) exprimait sa capacité à penser autre chose que son métier. Donc à pouvoir manier des situations et des contextes variés. Il me dit aussi : « c’est plus facile lorsque l’on veut inviter au débotté un collaborateur ou un prospect à son club ou dans un grand restaurant. Déjà le fait qu’il soit bien habillé ne dénotera pas et ensuite on imagine qu’il sera vite à l’aise. Évidement un type débraillé, on l’invite pas dans son cercle« .

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Ceci dit, dans les hautes sphères, il faut dissocier deux types d’élégants : il y a ceux qui aiment ça, ostensiblement. Ils font l’effort et vont chez les grands faiseurs, Cifonelli, Drake’s, Dunhill, etc… Ils ne pourraient faire moins tant ils veulent du bon et de la bonne manière. C’est l’exemple d’Alexander Kraft, P-DG de Sotheby’s Int. Realty France. Bien évidemment, on peut être élégant sans en faire tant!

Et il a ceux qui savent que c’est important mais qui s’en foutent. Toutefois, ils s’habillent bien et y font attention. Je trouve cela tout à fait acceptable aussi. Personne n’est obligé d’aimer le vêtement, au moins faut-il savoir que cela existe. C’est légitime. La sur-élégance n’est pas obligatoire, mais il faut avoir conscience que c’est important en société. Ces hommes ont le bon goût de se rabattre alors sur des faiseurs et des maisons en particulier, en adoptant sobrement le style vendu. Ils sont légions ces grands directeurs bien mis mais sans trop. Ce sont souvent les clients les plus agréables des tailleurs. J’en ai quelques-uns. Lors de l’essayage, je demande toujours « comment trouvez-vous?« . La réponse est simple « et vous? qu’en pensez-vous? C’est ce qui importe« . Ils ne regardent même pas le miroir. C’est moi qui décide. Le rêve. Et une exigence professionnelle. Ils font confiance pour être élégant comme il faut. Ils cochent cette case et passent à autre chose. J’ai tendance à apprécier ces élégances discrètes.

A la différence d’autres hauts personnages, tout aussi nombreux et qui envahissent le monde, très mal sapés. Pour le coup – et malgré les moyens! – ils sont sapés comme l’as de pique et s’en foutent. Pour eux, même la cravate n’est plus obligatoire, sans parler des pompes.

En conclusion, non monsieur, il existe des gens qui s’habillent comme ça! Et l’intelligence c’est de se dire que des gens peuvent s’habiller comme ça. Pour deux raisons. 1- Être libéral et ouvert, c’est se dire que chacun s’habille bien comme il veut, et que le commerçant a bien raison de satisfaire une cible. 2-  Il est possible que ces habits soient utiles, à soi-même et à sa société et à la société.

A quoi bon juger monsieur. Il faut se féliciter et continuer de s’émerveiller des jolies choses!

Belle semaine, Julien Scavini

11 réflexions sur “Savoir penser l’élégance

  1. PhilippeTk 20 novembre 2017 / 22:56

    Merci Julien pour cet article intéressant qui sur la fin aborde un thème que j’appelle l’intolérance des tolérants (qui parfois frise le fascisme des anti-fascistes): on peut être différent pour peu que ce soit une différence bien précise & acceptée.

    Je rendais récemment visite à un ami qui travaille pour une agence de design graphique et un de ces collègues me demanda pourquoi je portais une cravate; Je lui retourne la question en lui demandant pourquoi personne ne porte de cravate ici et il me dit tout sourire « On est anti-conformistes: pas de cravate! ». J’ai tout de suite souligné l’ironie en indiquant que c’était plutôt moi l’anti-conformiste ce jour-là.

    • Julien Scavini 22 novembre 2017 / 22:14

      Tout à fait. Un niais de la pensée unique.

  2. rico7906 21 novembre 2017 / 08:47

    Bonjour
    Effectivement, le style Steve Jobs à fait et fait encore des ravages, bien maladroitement relayé par notre Xavier Niel. Son beau-père est pourtant patron de LVMH……..

  3. chris schmidt 21 novembre 2017 / 10:23

    Malheureusement l’air du temps déteste les élégants ou plus simplement les gens qui font attention à leur apparence.
    Je dois avouer que le « stroupf coquet » ancien premier ministre , possède ce don de la justesse dans sa tenue et également dans son discours. Il peut captiver son auditoire et réjouir la vue sans dire une parole intelligente.
    Pas de vagues restons gris et médiocre , ne pas se faire remarquer est le crédo des quadra actuels .
    Il faut avouer que le fait de ne plus se raser le matin et arborer fièrement trois vilains poils sous le menton n’incite pas à la propreté et à l’élégance .
    l’habit fait le moine et la vulgarité ( vulgus pecum) fait le laïque . Je ne veut pas voir une tête qui dépasse…
    Pas de vagues , surtout pas de vagues ….

    Christian

  4. LR 23 novembre 2017 / 11:24

    En effet, c’est malheureusement dans l’air du temps… et j’ai acheté mes deux premiers costumes en laine chez Anthony Garçon, ma critique ne porterait pas tant sur la longueur des vestes (tout en sachant qu’il y a plusieurs coupes chez eux…) mais plutôt sur la durabilité de leurs pantalons, notamment lorsqu’on a de bonnes jambes/fesses/bassin.

    Je n’en suis pas à aller chez Cifonelli ou bien chez Camps de Luca, mais je prends plaisir à toucher les vestes chez Louis Purple ou Boggi, et ai adoré faire mon premier costume en demi-mesure devant le choix pléthorique des tissus, des boutons, des poches, des revers…

    Bien que travaillant dans un milieu traditionnel, le costume n’est plus vraiment de mise, si ce n’est honni par certains. Je ne porte pas la cravate au quotidien, mais la tenue est déjà vue comme trop guindée par certains, quoique comme vous le dites celle-ci m’a conféré certains avantages, comme la possibilité d’aller à des conférences, de venir à des réunions non prévues avec des clients car je porte quotidiennement « la tenue adéquate ». Je porte le costume car j’aime cela, bien que certains de mes collègues en rient (gentiment) mais cela aide, assurément.

  5. emmanuel 25 novembre 2017 / 09:59

    L’anti conformisme n’est plus là où on le pense. Le tshirt sous la veste, le Jean permanent, le noir délavé des pieds à la tête, le cuir avec tatouage assorti, les costumes sneakers… sont les rebelles d’avant hier et les conformistes de notre époque.
    Au tour des amateurs de style masculin d’être les rebelles de leurs temps. Mais gare à ne pas en devenir les nouvelles « précieuses ridicules « .

  6. M. LEFEBVRE 27 novembre 2017 / 21:21

    Bonsoir,
    Permettez moi d’apporter un point du vu different. Le vêtement doit rester un plaisir et les goûts de chacun une liberté. Pour certains le plaisir du vêtement résidera dans la comparaison et l’appartenance (sans doute le cas de ces 3 monsieurs). Leur réaction face à cette vitrine était celle du rejet. Vous avez la même face à l’attitude et la tenue de ces 3 monsieurs… Je ne crois pas qu’il faille chercher à appartenir à un groupe mais plutôt apprécier le beau dans ce que l’on trouve plaisant.

    • kerloaz 15 décembre 2017 / 22:45

      Malheureusement, dès l’instant où l’on vit en société (le cas de 99% des êtres humains), le vêtement n’est plus un simple plaisir mais un marqueur social de premier ordre. Si ce n’est le tout premier, pour beaucoup.

      • patrice 2 avril 2018 / 10:50

        Je pense aussi que l’appartenance au groupe prévaut sur l’appréciation des choses en société.
        J’ai tellement tenté de partager dans des groupes l’appréciation que j’ai eue et ai toujours de sujets, loisirs et centres d’interêt, et systématiquement constaté la même chose, les gens n’ont que peu d’intérêt pour les choses, et sûrement davantage d’interêt à faire parti du groupe « amateurs de bonsai, couteliers, collectionneurs de minéraux, etc etc »
        La plupart du temps le fonctionnement est simple, une minorité décide ou impose, de façon claire ou tacite, et la majorité suit sans trop se poser de question, en suit toute une série de fausses idées et appréciations et le sujet même , le centre d’interêt initial est galvaudé par de fausses règles.
        il semble que l’ego soit le problème, ego des leaders autoproclamés ou valorisés, ego des suiveurs voulant être dans le rang.
        La curiosité et la recherchent deviennent secondaires.
        Concernant mon look, j’ai toujours eu des fringues, par hasard ou par volonté de les porter, par choix de nécessité, et fréquenté des groupes avec systématiquement un décalage vestimentaire, selon le groupe( ex, rangers jean pardessus dans un groupe axé rap français) , l’aspect du membre peut devenir très secondaire si l’interêt partagé est plus fort, j’avoue aussi que j’ai toujours dissocié l’objectif initial du groupe (partager un loisir) avec son objectif reel (être un ensemble de personne existant en opposition avec d’autres groupes), en general, c’est quand je ne veux pas me conformer à l’objectif reel du groupe que je le quitte, ou alors quand je constate que le centre d’intérêt y est trop secondaire.
        Ceci est valable pour tous les types de groupes, physiques et virtuels.
        Ja partage l’avis de M Lefevre, la réelle importance est d’apprécier les choses, en l’occurence ici, le vêtement, même si l’avantage secondaire est l’image qu’il peut dégager, sauf si évidemment, ce qu’on veut apprécier est l’image avant tout.
        L’hiver prochain, j’aurai le plaisir de porter enfin un manteau en castor, j’avais repéré un magnifique astrakhan, hélas vendu, depuis des années je rêve de porter un manteau en fourrure.

  7. awaloo 30 novembre 2017 / 14:57

    Dénoter ne pas dire détonner… dans la langue aussi on peut commettre des impers… impairs

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