Chez les tailleurs et les couturières, les manières de monter les manches sont légion. En particulier chez la femme où l’on peut trouver des manches ballons, des manches gigots, des manches froncées, façon chauve-souris, dolman, j’en passe et des meilleures. Mais de manière générale, il existe seulement deux façon de penser une manche : soit elle est rapportée sur un corps autour d’une emmanchure (la manche montée) soit elle fait partie du haut du corps. La première version est la plus courante et la plus ancienne. Et de nos jours la plus utilisée. La plupart des vestes possède des manches montées.
L’autre variante a été développée durant la première moitié du XIXème, et a pris le nom de l’homme pour qui elle aurait été inventée : FitzRoy Somerset, 1er lord Raglan (1788-1855).
L’homme, un aristocrate et militaire Anglais a perdu son bras droit lors de la Bataille de Waterloo. Aide de camps de Wellington, il occupe ensuite divers postes haut-placés. Il fréquente donc les bons tailleurs et faiseurs.
La légende raconte qu’Aquascutum aurait développé pour Lord Raglan cette manche spéciale pour camoufler son absence de bras. Histoire bancale, car la célèbre maison des impers caoutchoutés est née en 1851, alors que l’homme a perdu son bras en 1815 et qu’il meurt en 1855.
Une autre légende faire remonter la création de cette manche à un problème de fourniture durant la guerre de Crimée (1853-1856), alors que Lord Raglan est commandant en chef des forces britanniques d’Orient. Manquant de manteaux, il aurait confectionné dans des sacs de pommes-de-terre de quoi vêtir ses hommes simplement. La manche était donc probablement proche du kimono.
La manche raglan a donc deux origines possibles, l’une érudite, l’autre façon système D.
Quoiqu’il en soit, la manche raglan se reconnait au fait qu’elle est cousue dès l’encolure et constitue toute l’épaule de la veste. Elle est généralement assez souple, avec peu d’épaulette. Elle crée une silhouette très ronde et des épaules très coulantes. Son confort est exceptionnel, tous les mouvements sont possibles.
En revanche, la manche raglan n’est pas très fine. Alors que les manches montées peuvent être très étroites, le raglan est très ample.
Cette ampleur va de pair avec le corps sur lequel est elle montée. C’est ainsi que les manteaux raglan sont généralement coupés en poire, plutôt amples. Dans les années 50 puis 90, les manteaux raglan se portaient ceinturés, mais je trouve l’attelage curieux. Un modèle cintré et près du ventre paraitra démesurément ample aux épaules.
Car c’est le paradoxe du raglan. Malgré son aspect coulant, il fait quand même des épaules généreuses.
Les tailleurs avec leur immense génie géométrique ont aussi développé des variantes, comme la manche marteau, qui commence comme un raglan mais fait une encoche. Et puis il y a le summum de l’art tailleur, ou quand l’arrière de la manche et le dos sont raglan (pour le confort) et que l’avant est une manche montée (pour l’allure fine). Alors là, le zénith de la couture! Une tannée à faire probablement. Arnys produisait beaucoup de modèles ainsi, le défis sans doute, du rarement vu aussi.
Les tailleurs n’aiment pas beaucoup faire du raglan en général. Difficile à patronner, il n’est pas facile à régler, en particulier l’aplomb (la verticalité) de la manche qui ne peut pas être corrigé. Ou très difficilement. C’est plutôt une manche de prêt-à-porter, car pour le coup en industrie, la manche raglan est d’une grande facilité de montage.
Toutefois, l’époque n’aime plus beaucoup le raglan. Sur une veste, ça n’a jamais été très beau de toute manière. Seul le manteau s’y prête bien. Mon atelier italien propose le modèle Burburry classique, raglan avec col chemise, mais je n’en fais pas souvent.
Les seuls qui apprécient l’épaule raglan semblent être les grands équipementiers sportifs, Nike Adidas et consort, qui réalisent pas mal de maillots et de blousons légers avec de telles épaules. Pour les t-shirts, c’est l’occasion de faire d’amusantes oppositions de couleurs.
Enfin, le mot raglan ne s’accorde pas. On dit une épaule raglan. Et non raglante. Une manche raglan. J’ai longtemps hésité.
Belle semaine, Julien Scavini
La manche raglan semble faire son retour. En tout cas il semblait y en avoir pléthore au dernier Pitti.
N’oublions pas nos bons vieux Barbour cirés pourvus également de manches raglan. Cela rejoint effectivement l’idée de registre sport avec une conception particulièrement adaptée à la liberté de mouvement. C’est d’ailleurs plus généralement le cas de nombreuses « shooting jackets » classiques.
le terme « shooting coats » serait en réalité plus exact que « shooting jackets » qui désigne d’autres pièces. Au temps pour moi, soyons précis 😉
Toujours un plaisir de vous lire et de parfaire notre culture !
Encore une agréable lecture, merci pour cet article. Je témoigne de l’intérêt de l’emmanchure marteau, dont j’ai vu de beaux exemples signés Burberry’s, qui appartiennent hélas à une époque révolue dans l’histoire de la marque britannique (un exemple ici : http://www.meselegances.com/2015/01/16/l’art-d’etre-pauvre/). L’embu fait joliment saillir la tête de manche le long du buste, donnant l’illusion, le galbe et l’élégance d’une manche montée, sans compromettre le confort du montage raglan. C’était probablement plus cher à produire qu’un raglan ordinaire, d’où la disparition de ce montage dans le domaine des pardessus.
Cher Julien,
Merci pour cet article, c’est toujours un plaisir de retrouver vos billets chaque semaine.
Comme proposé lors d’un article sur la cravate à pois et son formalisme, je vous adresse ici un nouveau sujet sur lequel j’aimerais votre avis : comment s’habiller pour un enterrement (couleurs, croisé ou droit, niveau de formalité, accessoires autorisés, …) ? On lit tout et n’importe quoi sur internet.
Merci,