La chemise blanche

En commentaire de mon précédent article sur la chemise ivoire, un lecteur m’a posé cette question :

« Je viens d’avoir une discussion animée dans laquelle j’ai affirmé que le comble de l’inélégance masculine est de porter une chemise blanche (en dehors des circonstances sociales très formalisées : obsèques, mariage, remise de la Légion d’Honneur … bien sûr), j’étais bien seul ! Suis-je dans l’erreur et d’où ai-je tiré cela ? (dois-je ajouter que j’ai aussi défendu la chemisette à manches courtes avec cravate !) »

C’est une question intéressante qui soulève deux problématiques à mon sens.

Premièrement, l’interrogation repose sur l’idée d’une règle. Existe-t-il une règle, encore une, régissant la chemise blanche..?

Je ne pense pas qu’il existe de règle en la matière. Pendant des décennies, seule la chemise blanche fut portée. Il fallut attendre longtemps pour que le plaisir des couleurs et des rayures envahisse les penderies. Ce remplacement de la sacro-sainte chemise blanche, résultat du temps, n’est pas lié à une règle mais à des envies et aux modes.

Il faut toujours se méfier des ‘règles’. Elles sont souvent inventées de toutes pièces par celui qui argumente. Il en existe oui. Dire que la chemise blanche est plus habillée qu’une chemise de couleur est plutôt vrai. Dire que la chemise blanche n’est élégante QUE en telle ou telle circonstance est drôlement péremptoire et j’éviterais moi-même de défendre une telle affirmation. Non que je fuis le débat, mais je pense plutôt laisser la partie adverse faire ses choix. Suivant trois voies :

1- l’élégant intègre quelques règles et les aménage à sa sauce. C’est très bien, la vraie élégance sait se jouer des fameuses règles.

2- l’élégant intègre quelques règles et les applique. Fade un jour, joyeux un autre, au moins est-ce dans les clous.

3- l’élégant croit comprendre les règles, voire s’en invente. Pour le pire et pour le meilleur. Au mieux on applaudit, au pire on en rigole doucement. Qu’importe s’il est heureux.

4- l’élégant n’en est pas un pour moi, mais lui aime à le croire, tant mieux pour lui. On est toujours le moche d’un autre.

Il y a assez de ressources dans les livres et sur internet pour apprendre et comprendre. Il y a ceux qui veulent comprendre, ceux qui veulent inventer en comprenant et ceux qui veulent juste inventer. Advienne que pourra. Tout à l’heure un client m’a soutenu que le papillon ne se portait qu’avec une chemise blanche. « Et pourquoi cela ai-je demandé? En voilà une règle inventée de toute pièce. » Mais si le client se sent mieux avec… Tant qu’il n’existe pas de règle demandant de porter des souliers marron avec une ceinture noire. D’autres (souvent des femmes) ont aussi inventé la règle qui veut que le costume marine n’aille pas avec des chaussures noires. Que faire pour lutter contre…?

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Revenons toutefois à la seconde problématique. La chemise blanche est-elle attachée à des règles particulières?

Au début du siècle, elle est incontournable. Mais les années 20 inventent les chemises colorées, avec cols blancs souvent, comme Gatsby en portait. Les années 30 appuient un peu plus ce point. La guerre et les manques font revenir la sobre chemise blanche. Les années 60 enfoncent le clou, la chemise blanche – ou ivoire – est partout. Seuls quelques loufoques anglais portent des rayures colorées. Puis arrivent les années 70, la mode masculine part dans toutes les directions. Et les années 80 répandent comme une trainée de poudre les chemises anglaises très colorées et pimpantes. Le goût Jermyn Street est repris par Façonnable, Figaret, Thomas Pink. Larges bâtons rouges, étroites raies bleu ciel, lignes roses, barres violettes, c’est l’explosion des couleurs.

De nos jours, la chemise blanche est un peu revenue sur le devant de la scène mode. Son contraste très fort avec le costume plait aux créateurs. Le style Dior. Figaret a arrêté le style anglais pour ne faire plus que du minimalisme. Bernard-Henri Levy représente une frange d’hommes qui n’imaginent pas la chemise autrement. A l’inverse, les élégants à l’heure italienne et anglaise apprécient plus la douceur d’un bleu ciel, comme Jean d’Ormesson pouvait le faire.

 

La chemise blanche est un peu habillé. C’est certain. En même temps comme dirait M. Macron, l’histoire de la chemise n’est faite que de blanc. Un blanc que les pauvres avait du mal à se payer, ce qui amena la fameuse opposition des cols blancs et des cols bleus, de l’élite face aux ouvriers.

Donc, oui, la chemise blanche peut soit être vue comme très formelle (pour les riches) ou quotidienne (un acquis de tous). Il est possible de réserver la chemise blanche pour des occasions importantes et il est possible d’en mettre une tous les jours. Si vous êtes vendeur chez Vuitton, cela me semble incontournable. Si vous êtes agent d’assurance, vous pouvez porter rayures et couleurs.

Question intéressante enfin : avec un costume de tweed ou un blazer, est-il correct de porter une chemise blanche? L’élégance plaisir, un peu Pitti, tendrait à dire que non. Que le bleu ciel serait mieux. L’élégance un peu stricte, à l’anglaise, pourrait faire dire que oui. Dans les années 50, c’est ainsi que cela se serait fait.

Tout est une question d’époque, de mode et de contexte, au delà d’un corpus de règles au fond assez réduit et changeant. Essayons d’y voir clair :

  1. la chemise blanche est idéale pour les grands évènements.
  2. en même temps, elle peut convenir pour le travail avec un costume, sauf à trouver, goût personnel, que le bleu ciel ou les rayures de couleurs sont plus élégantes.
  3. en même temps, beaucoup la mettent avec un jean et des souliers noirs. Je n’aime pas, mais c’est mon goût. Les règles anglaises ne connaissent pas le jean de toute manière.

 

Enfin, pour ce qui est de la chemise à manches courtes avec une cravate, c’est un débat très houleux. Cela peut-être très beau et digne comme cela peut-être très risible. J’ai un client âgé, toujours merveilleusement bien assorti, qui fait ça de manière exquise l’été. Qui serais-je pour le désavouer?

Belle semaine, Julien Scavini

7 réflexions sur “La chemise blanche

  1. Victor 11 mars 2019 / 20:36

    Excellent papier !

    J’ai moi même toujours été surpris de la quantité de règles infondées que la population propage sans même savoir d’où elles venaient.

    Quoi qu’il en soit, avoir 4/5 chemises blanches de qualité dans sa garde robe me semble un incontournable pour tout homme élégant qui se respecte (j’en ai 2 avec une en cours de confection à la maison Courtot… ).

    Sur l’utilisation de la chemise blanche, au final elle passe partout ! J’ai un collègue qui n’en possède pas d’autres couleurs mais qui reste résolument élégant en toutes circonstances.

    Tout de même, quel dommage que de s’y cantonner et ainsi de se priver des variations infinies qu’offre la chemiserie en termes de couleurs et de motifs !

    Bien à vous,

    Victor

  2. chiffon 11 mars 2019 / 22:05

    Je porte la chemise blanche 80% du temps. Je pense que c’est un bon premier basique pour débuter. Et ensuite, jouer un peu avec les autres couleurs (bleu ciel, rayures et carreaux).

    Maintenant, ça n’est que mon avis. Je trouve qu’on apprend mieux en commençant par du basique et classique (chemise blanche, costume bleu ou gris) et ensuite en expérimentant. C’est mon cheminement, et finalement mes rares tentatives trop précoces de tenter une chemise trop différente du blanc se sont soldées par des (petits) échecs.

    • Julien Scavini 14 mars 2019 / 11:13

      Tout à fait. Marche par marche comme diraient les Anglais !

  3. Andelkovic 11 mars 2019 / 22:48

    C’est un beau sujet.

    Il est vrai qu’aujourd’hui, avec une veste sport, on ne portera pas spontanément une chemise blanche. Une oxford bien épaisse, bleue, mauve, fera l’affaire avec une veste de chasse. Les plus anglophiles n’hésiteront pas marier une tattersall avec un tweet.

    Cela étant dit, comme le souligne notre excellent Scavini, rien n’empêche de porter une chemise blanche avec une tenue sport. Il suffit d’avoir un peu de culture sartoriale pour le savoir, le comprendre et l’apprécier.

    À cet égard, le billet de l’excellent Sartorial Memes, daté du douze octobre de l’année dernière n’a pu que me laisser pantois…

  4. LM 12 mars 2019 / 08:11

    Le blanc a toujours été à la base de l’habillement. On attachait beaucoup d’importance à sa netteté, dans tous les milieux. La base des trousseaux comprenait des chemises blanches et autres linges blancs. On en avait beaucoup, car on en changeait souvent. Même dans les campagnes… les pauvres comme les riches. Ces derniers accordaient bien sûr plus d’importance à la finesse des tissus, et dès la fin du Moyen Âge, on faisait des crevés dans les vêtements afin de faire apparaître la beauté du linge blanc de dessous, de la chemise. La dentelle rehaussait le blanc. Il était un signe de propreté, et même les gens pauvres et propres prenaient soin de leur linge afin qu’il soit le plus immaculé possible. C’est un cliché que d’associer la saleté à la pauvreté. Par contre les pauvres avaient la peau bien plus burinée que les gens riches qui là aussi faisaient en sorte d’avoir une peau très blanche, quitte à se peindre le visage avec du maquillage blanc. Enfin l’opposition entre la chemise blanche et la chemise ivoire fait oublier qu’il existe plusieurs variétés de blancs. Autrefois différentes régions produisaient leurs propres sortes de blanc les blanchisseries proposaient une grande variété de blancs. Le métier de blanchisseuse était très important. On appelait souvent « blanchisseuse » une femme qui lave le linge. Je le répète on changeait beaucoup le linge blanc, car il était en contact direct avec la peau. Par contre, pour le linge de dessus, cela dépendait bien sûr de la condition de chacun. Les plus riches faisaient plusieurs toilettes en une seule journée, alors que les plus pauvres changeaient le vêtement de dessus beaucoup plus rarement, quand ils ne portaient pas seulement la chemise blanche et un pantalon, une culotte, des chausses ou une braie chez les hommes, ou sous une simple robe chez les femmes et chez les hommes du Moyen Âge. Aujourd’hui, non seulement les chemises sont moins souvent blanches, mais aussi les culottes et les tricots de corps. Est-ce pour cacher la saleté de notre monde contemporain pollué ? Ce qui est sûr, c’est que porter du linge bien blanc est un signe d’élégance dans toutes les circonstances… Ce qui n’empêche pas bien sûr d’exprimer l’élégance d’autres manières !

  5. Eric NAEL 6 mai 2019 / 06:11

    A mon avis les chemises blanches s’ assortissent avec tout et permet d’être élégant. elles vont nous apprendre les bases du style pour assortir les couleurs.

  6. pierre 19 mai 2019 / 12:01

    Un ami m’a rapporté il y a un ou deux ans une chemise blanche d’italie, qui d’après ce que lui a expliqué le vendeur, est en popeline supima bio. Je confirme pour la popeline, mais je n’ai aucun moyen de vérifier si c’est du supima (le coton est doux, voilà tout ce que je ressens au toucher), et encore moins en bio. Cependant, pour avoir d’autres chemises blanches en supima non bio, comparables en termes de prix et qualité (100/2, environ 110 gr/m2, opaque), je trouve que celle ci est assez rigide (le tissu est rigide). Ce n’est pas désagréable en soi, mais je me demandais : quelles peuvent être les raisons ? L’absence de traitement(s) chimique(s) ? A quels niveaux ? Faut-il remonter jusqu’aux agriculteurs (absence de pesticide), ou est-ce que les finitions en bout de chaine impactent sur la rigidité VS souplesse (sanforisation, mercerisation) ? De mémoire, j’avais eu la même impression avec deux chemises en lin bio et non bio, mais c’est surtout parce que la version bio n’avait pas été lavée par le tisserand ; avec le temps, le tissu s’était assoupli.

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