Voyage chez Camps de Luca

Mon court stage de découverte de l’environnement professionnel s’est déroulé le mois dernier au sein de l’atelier de Camps de Luca, célèbre tailleur parisien, sis au 11 place de la Madeleine à Paris. Fondé à partir de 1948, par regroupement de deux tailleurs, il s’est hissé au plus haut, formant avec Cifonelli le duo parisien au service de l’homme élégant. Notons par ailleurs que Joseph Camps est à l’origine de la méthode Camps, reconnue maintenant comme La méthode parisienne, marquée notamment par un cran de revers brisé, que Smalto (ancien coupeur de Camps) récupéra à son profit, et diffusa plus encore.

Camps de Luca, maintenant piloté par M. Marc de Luca et son fils M. Charles de Luca, occupe le deuxième étage d’un bel immeuble de rapport, à la façade richement décorée. Deux appartements regroupent la maison. Visualisons ensemble le plan:

A,B,C représentent les parties publiques: salons à destinations du client. D,E,F,G les ateliers en tant que tel. Découvrons la façade, avec au deuxième balcons les larges enseignes Camps de Luca / le vestibule d’entrée (A):

Revue de presse dans le vestibule / Le grand salon de deux points de vue (B) / Dans le salon d’essayage dans une cabine (C):

M. Charles de Luca en train de couper un drap dans la salle de coupe (D). Les éléments de la veste sont d’abord tracés sur du papier kraft, puis redessinés sur le tissu, auquel sont ajoutés des ‘relarges’ (car le tailleur garanti la retouche d’une veste, dans le temps, sur plusieurs dimensions). Deux points de vue de la grande salle de travail (E) où Antoine, Pauline et Fatma travaillent (ou discutent). Dans l’ancienne galerie de l’appartement (F), mon poste de travail au premier plan, avec Pauline:

La brodeuse automatique (salle G) (qui n’est pas utilisée pour broder les initiales des clients) inscrit Camps de Luca sur la doublure, au dessus de la poche ‘goutte d’eau’:

Antoine travaille sur la veste d’un client, une curieuse demande, certainement très agréable à réaliser (laine jaune moutarde, quatre boutons, bas à angle droit, poches plaquées à rabat, martingale, et pattes au bas des manches). Miqueline repasse une veste en cours de réalisation (il faut toujours repasser, et le pressage finale prend bien 2h avant la livraison) avec une pattemouille. Pour ma part, j’apprends les boutonnières à la milanaise avec Hortense qui testait le tissu jaune (de fait, les miennes sont bleus (la milanaise est en gris)). Enfin pour finir, la vue depuis le salon (B) sur la place de la Madeleine, quoi de plus magnifique comme lieu de travail?

Notons d’ailleurs que Camps de Luca figurera dans le prochain numéro de The Rake Magazine, ce qui est, pour les connaisseurs, une marque de qualité!

Julien Scavini

Visite à Savile Row

Voici venu le temps du récit, après un retour difficile aux réalités parisiennes et un passionnant traitement des photos du séjour. J’étais donc la fin de semaine dernière (du samedi au lundi soir) à Londres avec l’association de Formation Tailleur pour visiter le célèbre Row, invité par deux drapiers que nous apprécions, Holland & Sherry et Harrison. Le lundi matin, sous un beau soleil et malgré un petit vent du nord, nous avons arpenté cette rue, célèbre dans le monde entier et mis en avant par la perfide albion (humour) comme sa vitrine du bien fait, du fait main, du bespoke!

La première maison visitée fut H. Huntsman dont l’histoire remonte à 1849 et qui se situe au 11 du row. Il s’agit de la maison la plus chère avec des costumes aux alentours des 5000£. Leur modèle fétiche serait actuellement la veste un bouton, que ce soit en répertoire ville ou campagne. Commençons le diaporama (image cliquable):

La boutique, puis la devanture et le vestibule d’entrée. C’est ici que se décident les premiers choix stylistiques avec le client, que le tailleur écoute et analyse ses volontés et desiderata…

Le manager Peter Smith nous fait découvrir les tweed exclusifs pour H Huntsman, réédition de vieilles liasses, dans des coloris plus clairs et des poids plus légers (aux alentours de 500gr). Juste derrière les cabines d’essayages se trouvent les tables de coupe. C’est ici que les coupeurs dessinent le patronage et coupent les draps. Chaque nouveau client a son propre patron, à partir d’une veste seulement. Les gabarits sont ensuite gardés au sous-sol qui en contient pratiquement 5000.

Dans une cabine d’essayage se trouve encore un cheval d’arçon qui permet de visualiser le bon tombé des culottes de cheval et autre hunt jacket. Au sous-sol (enfin plutôt cour à l’anglaise) se situent les ateliers d’apiéceurs. C’est ici que la veste prend forme sous les mains des ouvriers apiéceurs. Enfin, au finishing se trouvait une veste curieuse faite de chutes de tweed: wonderful!

Autre tailleur, même prestige, Gieves & Hawkes sur un emplacement privilégié de Savile Row, au premier. Maison très importante, elle a su développer une gamme extrêmement importante de prêt-à-porter, même si je trouve les coupes pas très excitantes… Gieves & Hawkes est aussi connu pour être le tailleur exclusif et attitré de l’armée britannique, pour qui il réalise encore spencers d’officiers et autres tenues formelles.

Le manager de la boutique tient dans sa main ce que l’on a coutume d’appeler une bûche: après la coupe, les tissus de la veste sont roulés soigneusement avec les éléments accessoires (poches, toiles, doublures etc) pour être donnés à l’apiéceur qui réalise la veste. La bûche est réalisé par une personne dont le poste est dit de ‘saladier’. Les ateliers de Gieves & Hawkes, spacieux et propres sont remplis de jeunes apprentis, cela fait plaisir à voir! Enfin un apiéceur en train de monter une épaulette, avant le piquage des manches.

Visite ensuite chez L.G. Wilkinson, un peu derrière Savile Row, au 11, St George Street. Dans cette boutique résident en fait plusieurs tailleurs qui se répartissent les clients et les ouvriers apiéceurs, dans une sorte de coopérative bien gérée. Chaque tailleur reçoit son client, le patronne et ensuite confie le travail à l’un des ouvriers partagés. Ancienne tenue de maître d’hôtel, frac avec tablier.

Au sous-sol dont se trouvent les apiéceurs partagés. Ils exécutent un travail soigné dans une ambiance bien plus britannique et peut-être plus agréable que dans les grandes maisons. Nous noterons tout de même que le travail à l’anglaise est moins dans les détails, moins dans le tout fait main, comme c’est la règle à Paris. Entre les passements thermocollés, les points deux fois plus grand et les process hérités de l’industrie, la démarche anglaise est plus dans la recherche de l’effet que de la ‘haute couture’ et de ses détails… Différences d’approches intéressantes néanmoins!

Au premier étage de cet immeuble se sont récemment installés deux jeunes tailleurs, mari et femme, travaillant aux noms de Byrne et Burge. La volonté du tailleur principal étant de réaffecter tout l’immeuble à la pratique sartorial (comme c’était le cas avant 1950), ces nouveaux venus participent tout à fait à la réappropriation de cet adresse mythique où Churchill descendait! Ces photos montrent leur atelier, où l’on peut tout trouver pour être élégant.

Henry Poole et Co pour finir ce tour d’horizon, est la maison la plus prestigieuse au 15 de Savile Row. C’est ici que fut inventé le smoking (dinner jacket), c’est d’ici que sortent les uniformes royaux, c’est ici que les cours du monde entier s’habillaient, c’est ici que le snob V. Giscard d’Estaing se faisait tailler des costumes, bref, une adresse incontournable, à l’ancienne!

Remontant à 1781, l’épopée de la maison Henry Poole et Co se confond avec l’Histoire dont ces warrants (appointements) royaux et impériaux sont l’expression. Aux ateliers, sous l’apparent foutoir, le travail continue, avec le même soin pour le bien fait et pour la transmission. Ici aussi, de nombreux jeunes issus d’écoles de mode passent. Comment être grand styliste sans connaitre et appréhender la confection traditionnelle? Comment bousculer les codes sans les connaitres? Alexander McQueen ou Tom Ford sont par exemple passés chez Anderson & Sheppard.

Parfait exemple du mélange tradition et modernité, dans un bel esprit de continuité, une livrée royale en cour de confection. Ce modèle fut réalisé pour le couronnement de la reine Élisabeth II, pour les gardes suivants. A l’occasion du jubilé 1952-2012, toutes ces livrées sont re-réalisées, en sur-mesure bien sûr. Mais il faut trois mois pour réaliser une de ces tenues complète (jaquette + gilet + culotte), alors on prend de l’avance… La laine rouge est éditée exclusivement pour Her Majesty’s Armed Forces, sur laquelle est posée par endroit du velours de soie bleue, surmontée de galons de fils d’or, exclusivement tissés à Lyon pour la couronne. L’ensemble dort la nuit dans un coffre à cause de sa valeur intrinsèque…

Voilà pour ce petit tour d’horizon des tailleurs les plus captivant de Savile Row. Bien sûr nous sommes allés voir Anderson & Sheppard, le plus important tailleur du quartier, qui sort quelques 1500 costumes fait main par an, ce qui reste inégalé de nos jours dans le monde entier. Vous trouverez sur leur site internet (très bien fait) autant de photos que j’en ai fait. Je finirai ce petit reportage par deux visuels qui me tiennent à cœur: un passage par Jermyn Street, le paradis pour les hommes élégants et la cuisine britannique, vraiment pas mauvaise:

Dans le desordre, Turball & Asser, John Lobb, Tricker’s, Hackett, Fortnum & Mason, Ede & Ravenscroft, Trumper, Beretta, New & Lingwood, Edward Green, Hilditch & Key, Favourbrook, Cordings etc…

Fish and Chips, Sausages on mash potatoes et Kidney Pie, le nec plus ultra de la cuisine anglaise, avec une half pint de Guiness (parcequ’il faut être modéré): parfait!

J’espère que ce bref aperçu du Londres Gentlemen vous aura plu. J’ai tenté de photographier les ateliers le plus clairement possible, pour vous rendre compte de l’admirable travail de patience qui s’y réalise quotidiennement depuis presque 200 ans maintenant pour certains!

Julien Scavini