Un client me demandait récemment si je pouvais l’éclairer sur les diverses qualités de gants et lui donner quelques conseils. Je fus bien dépourvu car la bise était déjà venue. Et je n’avais hélas pas de réponse immédiate. J’ai creusé un peu la question, je vais tâcher d’amener quelques éléments de réponse ici, vous incitant à continuer le débat après.
Premièrement, il est nécessaire de porter des gants d’un cuir similaire à celui des souliers : gants noirs avec souliers noirs, gants marrons avec souliers marrons. Dans cette catégorie, on pourrait dissocier gants de cuir lisse et gants de croute de cuir (veaux-velours), à associer chacun avec le même type de cuir de souliers, mais c’est déjà un raffinement. Pour pousser plus loin le bouchon, il serait également élégant d’avoir la même couleur de peau pour la ceinture et le bracelet montre, histoire d’être logique jusqu’au bout. Bon, mais je vous l’accorde, en dehors de l’association de cuirs noirs, indispensable selon moi, il est tout à fait possible de croiser les types de marrons.
Les peausseries ensuite. Le plus courant est le cuir de veau ‘pleine fleur’, c’est-à-dire un cuir non poncé, directement coupé car exempt de défauts. Le veau, car son cuir est fin, ce qui est appréciable pour des gants souples. Il y a également le chevreau ou l’agneau dont les cuirs sont très recherchés. Sinon, la grande masse de production provient de la vache ou vachette, souvent dans des cuirs corrigés, c’est-à-dire recoupés dans l’épaisseur. Enfin, notons le cuir de porc pour des gants de piètre qualité. A l’opposé, le cuir de pécari, sorte de petit sanglier d’Amérique du sud, est très recherché pour ses effets piquetés. Quant à la catégorie des cuirs-velours, ou veaux-velours, elle est vaste. Parfois appelée suédine, ou cuir-suède, ou encore nubuck, elle est suivant les qualités issue d’un traitement par ponçage de l’envers du cuir (la peau côté chair). La profondeur de cette matière, souvent comparée aux flanelles pour les costumes est très appréciable mais vieilli un peu moins bien qu’un cuir lisse.
La façon ensuite. Permettez-moi d’émettre un avis à propos des procédés actuels de fabrication. Je n’en peux plus de voir à longueur de rayons de grands magasins des gants cousus par l’extérieur. Ces modèles sont reconnaissables à leur cousu petit-point sur les bords et une fin de doigt en X. En effet, les coutures sont inversées et se trouvent donc à l’extérieur. Et c’est une fadaise ! Ah mais quelle idée de mettre des coutures à l’extérieur. C’est une simplification des fabricants. Car normalement, cette méthode est réalisée uniquement dans le cas de gants non-doublés, pour que la couture ne soit pas désagréable contre les doigts. A ce moment là c’est chic. Le piqué-bord peut être joli, je le concède, mais il faut qu’il soit logique. Car finalement, il n’existe plus aucune différence entre un gant pas cher et un gant de prix, les deux sont doublés, les deux sont cousus par l’extérieur. Et cela fait des grosses mains. Non, nous voulons de la finesse, de la délicatesse.
Car le raffinement voudrait que l’on recherche la façon la plus délicate, celle où les coutures sont soigneusement dissimulées à l’intérieur sous la doublure, de soie le plus souvent. Cette dissimulation, c’est un art ! J’en veux pour preuve que l’armée de l’air, pour ses pilotes de chasse, se fournie encore à Millau, la ville incontournable pour ce métier (et pour la mégisserie) de gants à la finesse extrême, facilitant la tenue minutieuse du manche.
Et pour finir, quatre liens vers Millau :
Que pensez-vous de cette idée de finesse alors ? Je sais que je ne vais pas être très populaire à dire cela, mais c’est mon crédo : raffinement et délicatesse.
L’illustration de la semaine : jaquette de mariage noire gansée, pantalon de pied de poule (pour un style très 30’s), cravate club comme cela se faisait (et oui) et chemise blanche.
Julien Scavini
Bonjour Julien,
Merci pour ce billet, ainsi que pour l’illustration, que je trouve très réussie. Voilà qui me donne de bonnes idées pour mon mariage !
J’aimerais rajouter, à propos des gants en cuir de Pecari, que ceux-ci sont également très recherchés -ou au contraire détestés- par la patine très distinctive qu’ils arborent rapidement : le cuir se noircit aux points de frottements. Je considère d’ailleurs ces gants comme décontractés, voire ‘sport’.
Amicalement,
LPDE
Merci pour ce billet ! Il est effectivement très difficile de trouver des gants élégants et habillés de nos jours. On ne trouve, même chez les faiseurs les plus chers et prestigieux, que des gants sports ou cow-boys. Rien de compatible avec une tenue de ville, un costume, un cover-coat…
Merci aussi pour ces liens vers ces manufactures que je ne connaissaient pas.
J’avais trouvé une autre parade: il se trouve facilement en Italie des chaînes qui vendent exclusivement des gants, de toutes les couleurs, même les plus vives, et de toutes variantes: 98% de leurs produits sont dédiés aux femmes, et les 2% dédiés aux hommes ne sont pas différents des horreurs évoquées précédemment. Mais on peut parfois en cherchant bien dans la collection femme, et en regardant les modèles les plus simples, sobres et classiques, trouver des gants qui correspondent tout à fait à ce que nous recherchons pour homme. Naturellement, les tailles sont plus petites, mais le cuir se déformant facilement, on aura tôt fait de s’adapter à nos mains à condition de ne pas les avoir trop larges.
Le second avantage de cette parade, est que les prix sont très, très abordables.
N’oublions pas les célèbres ganteries de la ville de Saint Junien dans le Limousin !
Les gants en pécari se lavent très bien avec un peu de savon pour selle (genre Belvoir) sur une éponge humide, et après un peu de crème rénovateur saphir. La patine n’en est que plus belle.
Plus encore que pour son motif distinctif, le pécari est apprécié pour la souplesse et la solidité de sa peau. C’est la peau parfaite pour la ganterie, mais il a malheureusement un côté « sport » qui ne le rend pas approprié à toutes les mises. Il accompagnera donc volontiers une paire noire en agneau ou en chevreau.
Je suis quelque peu sceptique sur le port de gants noirs avec la jaquette, tenue formelle. J’aurais plutôt vu des gants blancs (de coton, pas de cuir), même si le port de gants avec la jaquette est un peu tombé en désuétude.
Pour la couture sur l’extérieur : il me semble que c’est surtout le seul moyen de coudre les gants à la main (au point de gant). La couture sur l’intérieur est toujours faite machine si j’ai bien compris. Doublés ou non, j’apprécie le cousu main, qui n’est pas réservé aux gants de luxe.
Une adresse pour compléter :
la maison Beyer (Mary et Greta), galerie Montpensier à Paris, Une des dernières adresses où se faire faire en France des gants sur mesure (si ce n’est la seule). Du travail de grand art.
Bonjour,
J’ai lu sur un autre blog que le cuir de cerf faisait des gants de très grandes qualités qu’en pensez vous ?
Louis
Il est vrai aussi !
Votre dessin est superbe… On le dirait tiré de It happened one night ! Bien que, dans la scène de mariage, curieusement, tous les participants « importants » (marié, père, témoin… ) portent une cravate club avec un col cassé, en plus ! C’est le cas dans de nombreuses comédies du remariage (donc américaines) de cette époque, d’ailleurs. Je me demande d’où cette habitude a pu provenir. Sûrement pas de l’Angleterre où elle est considérée comme décontractée (pas de club tie after six)… Voilà qui encourage à en porter, elles ne sont pas uniquement réservées aux militaires ou aux anciens d’Oxbridge (curieux d’ailleurs que vous, tailleur, ne parlez pas du problème dans votre article sur les cravates… mais on ne peut pas tout couvrir, évidemment) ! Même les américains l’ont réinventée, apparemment, en leur donnant un usage nouveau.
Au gant grenoblois à Lyon. Une femme qui fait couper ses peaux par un coupeur sur Millau et qui ensuite réalise la couture. Des gants pour homme très fin (pécari, cerf…) et la possibilité de lui demander certaines particularités. Les chinois achetant beaucoup de matières premières (cuir, tweed…) pour faire de la spéculation, les petits artisans, même en se regroupant ont du mal à s’approvisionner.
Cher monsieur, vos articles sont particulièrement intéressants mais l’article concernant la ganterie m’étonne. Le cuir considéré comme le seul valable est celui du chevreau (le dos, non le ventre) voire de l’agneau ; c’est ce qui fit de la ville de Grenoble la capitale de la ganterie pendant des siècles (de nombreux magasins se nomment encore « Au gant de Grenoble »). L’industrie moderne a permis l’emploi du veau, moins souple, mais si rentable étant donnée la quantité de cuir disponible par animal. C’est ce qui fait de la ville de Millau la capitale de la ganterie depuis la seconde guerre mondiale. Aujourd’hui subsiste un seul maître gantier à Grenoble, Strazzeri, à faire du chevreau cousu main. Il est aussi le sous-traitant de grandes maisons plutôt commerciales qu’artisanales.
Le piqué extérieur est un classique masculin, le gant étant fait pour protéger la main on ne saurait l’abîmer avec des coutures intérieures, sauf en le doublant vous avez raison. Pas de cousu extérieur pour les femmes, un point plat permet le confort et la finesse.
Le pécari est interdit en France. Les gants en pécari sont donc des importations, le plus souvent du Portugal ; cela n’empêche pas d’avoir de très belles réalisations.
Bien à vous CA
Je suis tout à fait d’accord avec vous, surtout en ce qui concerne les coutures à l’extérieur ! Quelle horreur ! Malheureusement, même les grandes maisons en proposent .
Vous ajoutez à cela du cuir de pécari et vous avez des mains énormes !