Relativisme de point de vue

A force de lire et d’écrire sur les règles du vêtement et les vêtements anciens, je finis par butter sur des non-sens stylistiques. Le dernier bon exemple me fut posé par un commentaire au dernier article sur les tenues de sport. Quelle tenue pour le sport, aujourd’hui. Bien malin qui saurait répondre en alliant pratique et élégance, disons beau !

Car l’aspect pratique des choses est le galet autour duquel s’articule notre époque. Soyons pratique, ayons l’esprit pratique, faisons pratique, consommons pratique. Le superflu est plus que jamais sujet à interrogation. Dieu sait pourtant que la société de consommation pousse au superflu. Mais en ce qui concerne le vêtement, ce n’est pas le cas. Les vêtements doivent être pratiques. Ils doivent par exemple passer à la machine à laver donc être très solides aux coutures et de formes simples à repasser. Repassage qui doit être facilité et l’on développa le non-iron coton. Matière souple et endurante, qui ne gratte pas et l’on sacrifia alors les moutons pour la fleur de coton et la filière polyester. Au point que le denim est devenu l’uniforme des habitants de la terre. Il faudrait d’ailleurs souffler aux costumiers de Star Trek d’arrêter de projeter des tenues d’officiers en laine pour préférer la toile jean.

Pour qu’un vêtement soit bon, il doit être pratique, utile et confortable. Le confort, deuxième ou premier? grand thème. Les vêtements doivent être confortables. Je ne rejette pas du tout ces idées. Je dresse ici un constat interrogatif. Je suis jeune et ces thématiques ne peuvent me laisser de marbre.

C’est en allant re-voir Titanic que m’est venue cette réflexion : les Hommes souffraient dans leurs beaux vêtements. Mais cols durs et vestes lourdes n’empêchaient nullement la vie. Mais un effort était fait contre le confort. En quelque sorte le Surmoi annihilant tout Ça. Pourquoi ? Le statut social, la vie en groupe, l’apparat, l’apparence ? L’apparence, la forme n’était pas seulement l’expression de la fonction -habiller- mais une recherche stylistique issue de siècles de travaux divers. On ne s’habillait pas pour soi -pas seulement- mais pour les autres. L’on représentait.

Aujourd’hui, peu de monde représente. Je ne suis pas le dernier à enfiler des paires de jeans ou chinos sur une petite chemise à col boutonnée pour sortir vite fait. Je ne suis pas le dernier à renier le confort d’une vêtement décontracté, léger et confortable. Notre époque, et cela transcende les classes sociales -en cela elle est unique- place le Moi au centre des préoccupations (certains sont plus près du Ça que d’autres également).

Et cela implique tous les échelons de la société. Toujours en regardant Titanic, je m’interrogeais sur le ligne du navire comparativement au Costa Concordia récemment coulé. Alors que le premier était un porte étendard, à l’instar des Queen Mary et autres Normandie, le second n’est qu’un ponton flotant, empilant des cabines algéco sur un fond de coque plat. Non pas que ces anciens paquebots étaient uniquement de belles formes, mais une recherche était menée pour le beau. Le nez du France fut l’objet d’un intense dessin pour en affiner la ligne. De nos jours, les bateaux sont plutôt moches de l’extérieur. Ils sont conçus pour être vécu, ils sont pensés de l’intérieur. Je crois que l’on peut dire la même chose de l’architecture. Un principe formulé par Le Corbusier dans les années 10 était que l’architecture, une maison par exemple, devait être vue comme une machine à habiter, une machine à vivre. Et hors des somptueuses machines du Conservatoire des Arts et Métiers empruntant aux ordres doriques et corinthiens pour leurs atours, je crois que beaucoup de machines sont quand même très moches.

En tout cas, les habits sont des machineries à vivre. Elles doivent pouvoir donner chaud au bon moment, être légères, voire même intégrer des commandes d’iPod comme dans certaines doudounes Moncler. Les tissus doivent être ‘techniques’, les coutures ‘au laser’. Mon but n’est encore une fois pas de désapprouver un fait actuel. J’aime autant accompagner les changements, d’autant que j’en fais partie comme tout un chacun. Mais je m’interroge sur la part que l’on doit réserver au pratique, au Moi par rapport à celle dédiée à ‘l’Art’ ; à la petite part nécessaire abandon de soi au profit du beau. Lorsque je vois d’autres jeunes vêtus de simples t-shirt sur un jean et enveloppés d’une grosse doudoune, je ne peux m’empêcher de penser, à la fois et de manière contradictoire, qu’ils ont l’air à l’aise et plus ‘jeunes’ que moi qui suis dans mon costume. Mais qu’en même temps, mon costume est divin et qu’une bonne présentation donne autant de plaisir aux autres qu’à soi-même…

Le point de vue est donc relatif. Regarde-t-on seulement un vêtement de son point de vue, ou du point de vue des autres ; et dans quelle proportion ? Bref, quelques légers éléments de réflexion…  à méditer.

Julien Scavini

7 réflexions sur “Relativisme de point de vue

  1. Le chouan des villes 13 mai 2012 / 12:56

    S’habille-t-on pour soi ou pour les autres ? Cette autre question, qui peut aider à répondre à la première : quand je suis seul chez moi, est-ce que je m’efforce d’être bien habillé ?

  2. O 15 mai 2012 / 10:22

    Vous soulevez des points super intéressants, mais c’est dommage que vous ne preniez pas plus clairement parti : regrettez-vous, ou ne regrettez-vous pas, l’époque où le confort et l’utilité n’étaient pas au centre des préoccupations ?

  3. O 15 mai 2012 / 10:31

    (Par exemple : les gens qui étaient sur le Titanic étaient, pour la plupart, des oisifs. Les vêtements portés par les classes populaires ont souvent été moins fragiles, plus pratiques, plus confortables, que les vêtements des classes sociales plus riches. Et donc moins Beaux.

    Aujourd’hui, les frontières entre les classes sociales se sont assouplies. La conséquence, c’est que la grande masse populaire est à présent une classe moyenne : elle consomme beaucoup ET travaille. Le confort reste donc au centre de ses préoccupations.

    Mais les vêtements n’ont pas perdu leur rôle de signifiants sociaux (je vous invite à lire Système de la mode, de R. Barthes, qui développe en quoi le vêtement est porteur d’un sens social, est un indicateur de classe sociale) : ils servent encore d’indicateurs de classe sociale, comme au temps du Titanic. Même s’il est plus facile (et moins coûteux !) de tricher sur son origine sociale maintenant qu’avant 🙂

    J’espère que ces quelques lignes nourriront votre réflexion.)

    • Julien Scavini 22 mai 2012 / 18:33

      Ah très intéressant ce commentaire. J’ai essayé de lire Barthes, je l’ai juste devant mes yeux sur l’étagère… Mais assez ardu à lire…

  4. Giorgio 18 mai 2012 / 10:08

    Cher Julien,
    Que j’aime ce genre d’articles que, sous l’apparence d’un simple discours autour du vetement nous entraine dans un débat sociologique et même un peu psychanalytique (je m’habille bien pour MOI ou pour les AUTRES ?).
    Vous dites que la recherche de l’affirmation de soi ne passe plus, actuellement, par le port d’un beau vêtement (ou au moins cela étant confiné à une stricte minorité, dont vous, moi et la plupart de nos lecteurs font, je pense, partie). Cela est bien vrai, il suffit de constater la pauvreté et la tristesse des mises de nos contemporains (pauvreté de style, gout e fantaisie, car on peut être élégant avec une somme bien faible…) . Travaillant au siège social d’une entreprise bien connue, il est bien rare que je puisse observer, lors des innombrables réunions, des collègues élégamment vêtus : priment partout les affreux costumes noirs !
    Quant aux signes de distinction actuels, ils s’incarnent en d’autres objets : voiture rutilantes et suréquipées, téléphones portables dernier-cri, appareils informatiques de tout genre… Sommes-nous condamnés à un monde d’énergumènes en jogging et baskets, au volant d’une énorme BMW et en train de tapoter sur un téléphone miraculeux ?

  5. Lutetia DC 19 mai 2012 / 09:38

    Ce qui est intéressant c’est le parallèle que vous faites avec le navire. Il en va de même aujourd’hui des voitures par exemples, regardez n’importe-quelle auto dans un film des années 50, de la plus sportive à la plus « familiale », elles sont toutes conçues sur des critères esthétiques, les courbes, les matériaux, l’intérieur également.
    Aujourd’hui la « machines à rouler » est aussi esthétique qu’un pot de Danette…

  6. Wouarnud. 21 mai 2012 / 09:43

    Quand à moi, je suis désolé d’avoir provoqué une telle crise de conscience chez notre hôte. Je voulais juste un conseil pour ne pas avoir l’air d’un plot de chantier ou d’un danseur trop gros quand je vais faire du vélo, de la course à pied, ou de l’aviron.

    J’ai absolument horreur de tous ces tubes en lycra fluorescent serrés (pour le haut et le bas) qui montrent ce qui n’est pas vraiment à montrer… C’est soit ça, soit se déguiser en rappeur sponsorisé. Dommage que les sports contemporains se soient développés aprés l’apparition de la mode utilitaire.

    Je crois moi qu’il est possible d’être à la fois élégant et fonctionnel; Personellement je pense que la maxime d’Adolfe Loos doit être vraie dans les deux sens (rien ne peut être beau si ce n’est en même temps utile, ET VICE VERSA). Et Mr Scavini nous régale d’anectodes sur l’évolution du vêtement qui vont dans ce sens, comme par exemple les cols de chemises button down et les joueurs de polos, etc…

    PS: En ce qui concerne le cyclisme je sais qu’il y a certains mouvements qui essaient de réconcilier sport avec élégance, par exemple le tweed run, ou la boutique dashing tweeds.

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