L’épaule Cifonelli par le menu

Un lecteur m’écrivait récemment pour obtenir des détails sur l’épaule Cifonelli. Je ne savais comment lui répondre, n’étant pas vraiment un expert du sujet. Et puis Parisian Gentleman nous a offert le privilège d’une petite soirée chez Cifonelli, entre gentlemen pour fêter la sortie du livre sur les dandys. L’occasion de discuter longtemps avec Lorenzo C. de ce sujet précis, et d’en revenir avec des informations précises.

Donc pour re-commencer  sur le sujet, remarquons premièrement que l’épaule Cifonelli est caractérisée surtout par sa manche montée avec beaucoup de volume. Certains aiment, d’autres pas, mais c’est un trait caractéristique de la maison.

Ce n’est donc pas vraiment une épaule à l’italienne ou à la napolitaine, en ce sens qu’elle n’est pas naturelle ; c’est une construction complexe, baroque de la tête de manche. C’est italien dans le sens que le style est un peu outré.

Plusieurs informations. Premièrement la toile tailleur intérieure – qui est reprise par très peu d’épaulette – est fortement travaillée sur la clavicule, pour plaquer bien le creux de l’épaule. Ce travail est similaire à celui de tous les autres tailleurs (mais il est simplement plus poussé, et réalisé curieusement après la mise sur toile (pour les puristes du sujet)).

Ensuite, question volume, un premier est généré dans le dos, à l’omoplate, en rentrant artificiellement du tissu (ce trop plein de tissu est appelé ’embu’) à la couture d’épaule. Concrètement, à la coupe, l’épaule dos est plus longue de 3cm que l’épaule devant. En forçant la laine, ce tissu ‘se rentre’ et crée comme un volume dans le haut du dos. En réponse, l’épaule ‘tourne’ vers l’avant. Cette épaule vers l’avant est renforcée par l’extrême étroitesse du devant(A). Ce travail est également réalisé par tous les tailleurs y compris les belles façons italiennes, mais dans une moindre mesure. Schéma de l’épaule :

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Question volume toujours, la circonférence de la manche est supérieure en moyenne de 7cm de la circonférence de l’emmanchure. Alors comment coudre un truc plus grand sur un plus petit? Encore une fois, en rentrant l’embu (= le trop plein de tissu). Cet(cette?) embu se ‘repousse’ en deux temps : d’abord on bâtit au fil blanc, en créant des plis, que l’on résorbe ensuite par repassage successif, au fer chaud et à la vapeur. La laine ‘se rentre’, l’embu disparait. Les autres tailleurs rentrent plutôt 5 à 6cm d’embu, donc Cifonelli en met un peu plus.

Le chiffre miracle est donc 10 ! 7cm d’embu en tête de manche et 3cm d’embu à la couture d’épaule. Schéma de la tête de manche :

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Ensuite, toujours à la tête de manche, le volume est donné par (pour expliciter plus simplement, on pourrait dire : le trop plein de tissu est domestiqué par) la présence d’une double cigarette. Ce sont des morceaux de tissu (toile tailleur + ouate) coupés en biais. Pris dans la couture, ces couches refusent de se faire écraser au fer (elles ont du ‘ressort’) et forcent dont le tissu à gonfler.

Je vous passe enfin des détails très technique comme l’ouverture de la couture de tête de manche ou le renfort de l’emmanchure grâce à de petites bandes de doublures en biais.

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Retenez une chose. Le travail mené par Cifonelli est similaire à celui des autres tailleurs. Seulement ici, la technique est poussée dans ses retranchements. Il en résulte une ligne caractéristique, si chère aux amateurs de la Maison ! Et inutile demander à d’autres maisons de vous réaliser cela. Si vous voulez du Cifonelli, c’est là bas qu’il faudra se rendre 😉

12 réflexions sur “L’épaule Cifonelli par le menu

  1. Fabien 17 octobre 2013 / 14:29

    Passionnant article !

    J’ai remarqué aussi que le revers était une pièce rapportée (comme chez Camps). Pourquoi font-ils cela ?

    Merci

    • Julien Scavini 21 octobre 2013 / 15:47

      C’est à dire?
      Quelque fois, sur les croisés, le dessous du revers est une pièce rapportée en biais, pour donner du volume au revers et l’aider à passer sur la poitrine… Si c’est de cela que vous parlez.

  2. sifran 20 octobre 2013 / 17:26

    Petit commentaire d’un praticien… qui explique votre discrète, mais néanmoins perceptible, mise à distance relativement aux chiffres que l’on vous a communiqués.
    Voici.
    Trois centimètres d’embu dans une épaule me semblent à peine imaginable dans des flanelles ou cachemires très mous et sont totalement impossibles à placer avec les tissus actuels ou les mohairs.
    De plus, les sept centimètres de l’embu des manches ne sont pas additionnables avec l’embu de l’épaule. Un client qui aurait 56 cm de tour d’emmanchure a certainement une épaule plus longue que les treize centimètres de l’exemple. Et, il ne faut pas perdre de vue que plus l’emmanchure est grande, plus on peut y placer d’embu, bien évidemment.
    Enfin, dans le dessin, la couture d’emmanchure est ouverte alors qu’elle est toujours, ou presque, couchée dans les vestes de cette vénérable maison. Traitement de la couture qui favorise le placement de l’embu ce qui donnera l’effet « rolino » pour les partisans ou « chambre à air » pour les détracteurs.
    Bien le bonsoir.

    • Julien Scavini 21 octobre 2013 / 10:12

      Bonjour Sifran ! Cela faisait un moment !

      Merci pour vos éclaircissements qui ne manqueront pas d’intéresser les quelques passionnés du sujet.

      Pour la question des chiffres, en effet, il n’y a pas de corrélations entre les exemples que j’ai choisi au pif ! Ce sont donc vraiment des exemples. Trop de chiffres endormirait tout le monde.

      Enfin, pour la question de la couture ouverte, c’est L. Cifonelli lui même qui m’a énoncé ce fait : couture ouverte sur 7cm de part et d’autre de la couture d’épaule… Pourquoi je ne sais, mais je partage votre étonnement.

  3. Thomas 21 octobre 2013 / 19:27

    Bonjour,

    Ce qui m’intrigue c’est que les vestes Cifonelli en pàp présentent la même épaule… Est-elle montée à la main ou le façonnier italien (Rafaelle Caruso?) a-t-il trouvé une solution industrielle pour monter cette fameuse épaule?

    Bonne continuation

    • Julien Scavini 22 octobre 2013 / 12:49

      Elles ont en effet assez de volume. Mais pas la même aisance naturelle.
      C’est en effet un joli travail pour du prêt-à-porter. Tout est une question de cahier des charges dans l’industrie 😉

  4. Florent Médinger 19 novembre 2013 / 16:40

    Julien,

    J’étais aussi à la soirée chez Cifonelli, et Massimo nous a gratifié d’une visite complète des ateliers (la petite porte à gauche quand on entre dans l’antichambre du salon…)

    Très instructif aussi, notamment les explications sur le volume donné à la poitrine par les pinces effectuées dans la toile… Nous y avons même pu rencontrer un des ouvriers, en train de travailler. A 22h 🙂

    Tout ça pour dire que je regrette de n’avoir pas pu/osé vous parler quelques instants (vous sembliez fort occupé par beaucoup de monde ^^ )

    Cordialement,

    Florent

    • Florent Médinger 19 novembre 2013 / 16:41

      P.S. : Et j’en oubliais le principal, de vous remercier pour ces explications fort instructives et très intéressantes!

    • Julien Scavini 19 novembre 2013 / 18:31

      C’est vrai que je ne suis pas resté trop longtemps et que j’ai vu du monde ! Laprochaine fois 😉

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