L’été est passé et son mois de vacances aussi. Il est temps de redémarrer pour une nouvelle année à peine entrecoupée par la pause de Noël. En général, chez le tailleur, les mois en -bre sont chargés. C’est en effet la période où les hommes font faire massivement les costumes de travail, plus qu’à d’autres moments. A l’inverse, avril, mai et juin voient les jeunes hommes venir pour réaliser des costumes de mariage. C’est un thème que j’apprécie et dont j’ai souvent parlé sur Stiff Collar.
Le blog a commencé en septembre 2009, au moment même où je suis entré à l’école des tailleurs, AFT, où j’ai passé une délicieuse année à apprendre comment on fait une veste de A à Z. L’idée de Stiff Collar était au début de servir de journal de bord de cet apprentissage, pour donner envie à d’autres de suivre le chemin et aux passionnés de mieux comprendre la construction d’un vêtement de qualité. Peu à peu, j’ai étoffé le blog d’article sur les maisons de prêt à porter et surtout sur les différents usages attachés à la penderie masculine classique.
A l’époque, il existait un blog connu : Faubourg Saint Honoré (FSH) qui m’a beaucoup appris sur le sujet, de même que les forums De Pied en Cap et En Grande Pompe. J’ai ainsi compulsé les informations que je trouvais éparses sur internet sous forme d’articles synthétiques. Parisian Gentleman est né à peu près à ce moment là, de même que Le Chouan des Villes qui a hélas arrêté son activité avant de trouver un nouveau souffle sous une nouvelle forme (au mieux espérons le).
L’arrivée de Stiff Collar dans le paysage des blogs consacrés à la garde robe masculine tombe à un moment clef où les hommes ont eu envie de s’habiller de nouveau. Curieuse phase qui arrive on ne sait comment, d’un coup les hommes veulent ré-apprendre, se sentir guider. Cet engouement suit une sinusoïde. La fin des années 80 et début des années 90 furent également un moment où les hommes faisaient attention. De nombreux traités et guides sortirent et une myriade de marques émergèrent, Ralph Lauren en tête. Le look de l’agent de change de Wall Street était adoré, avec ses mocassin Gucci, ses bretelles colorées, ses lunettes rondes en métal doré et ses grands costumes croisés Valentino. C’est à ce moment que les stylistes et certains tailleurs s’attaquèrent au costume et à sa veste. De la coupe classique et sans erreur, ils tirèrent des figures de styles outrés, cran super bas, épaules trop larges, encolures larges et pantalons à triples pinces en élastiss.
S’ensuivit une curieuse phase de vache maigre, comment l’expliquer? Il faut déjà se demander si l’inesthétisme qui a suivi était partagé par toutes les couches de la population. Je n’en suis pas sûr. Ainsi, une certaine élite a toujours eu l’habitude d’aller chez le tailleur. Or, cet artisan est un homme sage, rarement enclin à suivre les effets de mode. On le lui reproche parfois. Oui le tailleur est triste et buté sur ces principes. Mais ce faisant, un homme élégant le reste. L’homme classique a traversé les années 2000 sans prendre une ride. D’ailleurs ses photos ne sont pas datées. Car celles de l’homme en doudoune mauve ou en blazer rouge pétard le sont. Mais ces mêmes là trouvaient l’élégant classique ringard. Et pourtant, ce sont ces autres là qui l’étaient. Amusant 🙂 Ils suivaient la mode, cette étonnante chose qui née dans le bruit, vie dans la rapidité et meurt dans l’indifférence. Ce que le podium et le styliste décide se répand dans la population par l’intermédiaire de toute une chaine complexe de valeurs. Ce qui est beau et génial finit vendu par une foule de boutique plus ou moins bonnes. Ce qui parait génial en haut devient laid en bas. Le client final fait un acte d’achat instantané. Au final, ce processus rapide se retourne contre lui-même. D’une frénésie d’achat bien conseillée et souvent aidée par madame, il reste un costume défraichi dont personne ne veut. Songez à tous ces costumes aux crans très bas et aux épaules trop larges qui emplissent les bacs des fripiers.
Un jeune styliste a récemment répliqué à un vieil article sur les tailleurs vs les stylistes. Ces propos étaient intéressants. Mais je répondrais simplement que l’art tailleur répond à un art du canon, un académisme en somme, qui a pour but de fixer un certains nombre de règles (applicables à son art : la façon et applicables à son mode : ses clients). Ce corpus idéologique vise au meilleur tout en en englobant le plus de monde. Un mauvais tailleur ou un très bon tailleur peuvent tous les deux réussir un costume très classique et très ‘mettable’. Un client simple ou un grand dandy peuvent tous les deux réussir une mise correcte voire élégante. C’est tout à fait différent des stylistes, car leur formation confine au génie. Le but n’est pas de créer des règles pratiques pour rendre le monde beau, le but est d’abolir les règles pour forcer l’individu à penser. Certes, mais la pensée n’est ni universelle ni égalitaire. Si bien que d’un a priori d’idéal on crée une folie du sur-homme superstar que les autres doivent admirer et copier. Je ne suis pas sûr d’aimer cela. Au contraire, je préfère m’amuser dans mon univers restreint quitte à en chatouiller les limites, mais cela se fait une génération, voire deux. Il faut du temps ; il faut lisser la courbe. L’élégance en toute chose, c’est le temps du goût et le goût du temps.
Il faut donc se méfier de cette fameuse sinusoïde. A l’envie succède le dégoût. C’est ainsi que l’on fabrique des cycles économiques dans la mode. J’entendais récemment un journaliste me dire que le goût classique pour homme, tel qu’on en parle ici et ailleurs est en queue de comète. C’est une question que je me pose souvent. Cela fait plusieurs années que j’en parle, avec d’autres. Trop de conseil peut-il tuer l’envie? C’est un écueil auquel il faut faire attention, c’est très vrai. C’est pourquoi jamais je ne me suis montré trop prescriptif. Ce qui me fut reproché gentiment à propos de mon livre ModeMen, très généraliste. La bonne intelligence est de piquer ce que l’on a envie là où il faut, tout comme on ne s’habille pas dans une seule maison, pour ne pas avoir le goût de son habilleur. Je tâcherai donc pour une année encore de donner à voir et à goûter, sans jamais ni assommer ni obliger.
Je compilerai donc mes idées et connaissances avec modération, un lundi sur deux peut-être. Cela me laisse ainsi le temps de réfléchir à ma colonne dans Le Figaro Magazine, pour lequel je dois trouver des sujets également.
Je vous souhaite une belle rentrée.
Bonne semaine, Julien Scavini
Le comble du tailleur : « Étoffer son blog »
Tu m’as bien fait rire Julien !
merci encore pour ce blog
Joie-crainte-sérénité
1. Joie de retrouver « notre » monsieur Scavini après cette pause estivale.
2. Crainte au fil de la lecture. Pas habitué à un tel texte qui ressemble à une analyse psychothérapeutique de votre parcours et des motivations qui vous habitent. Peur que vous passiez à autre chose en fermant le blog.
3. Sérénité en arrivant à la fin de votre mot. S’il s’agit d’une analyse lucide et synthétique sur l’art tailleur et le vêtement masculin, nous voilà rassurés. Il s’agit d’un petit coup d’œil sur le chemin parcouru avant de reprendre la route pour aller plus loin, toujours plus loin.
Plaisir de continuer à vous suivre et à se nourrir de vos mots. MERCI.
Gilles
2- il est vrai que j’hésitais, mais à vrai dire j’ai toujours très envie de continuer. Il y a bien quelques lundi où je ne suis pas inspiré, cela arrive.
Oui, une petite peur pour moi aussi pendant la lecture de l’article, dans le contexte du Chouan et du Paradigme qui ont ferme recemment. Heureux de voir que vous avez toujours l’envie. Votre blog est reellement dans ce milieu comme le meme de cette publicite, quelques grammes de finesse dans un monde de brutes. Continuez, merci!
Cher Julien,
Toujours le questionnement c est ce que j apprecie le plus chez vous. C est comme si vous vous sentiez toujours a la decouverte de votre art au fur et a mesure que vous le perfectionnez. C’est un peu comme un dessinateur dont le trait de crayon evolue, mais risque de gagner finalement trop en aisance pour perdre en charme ( uderzo est le meilleur exemple). Je suis d’accord il faut vivre avec son temps, et choisir d’être classique, c est faire l’effort necessaire pour y trouver son aise et son plaisir, au risque de s’essoufler apres quelques avoir suivi quelques modes et y rester bloqué..puis ringard, pour finalement abandonner completement, le vetement, puis le corps, puis le mobilier, puis tout le reste (avis personel).
Mais le classique n’est il pas aussi c’est une mode finalement, mais une vraie dont l’evolution est simplement plus lente? Dont la palette est plus riche pour vivre toute sa vie des moments sublimés.
Le « conseil » est donc bon, c est une partie de l’evolution naturelle, mais a prendre avec une infini precaution. D’un certain coté de nouvelles situations font place a de nouveaux styles au fure et a mesure que la societe evolue l’elegant sait faire les bons choix pour s’adapte et vivre a l’aise, admiré dans sa societe.
Je pense que ce « twist » est comme le sel pour rehausser le gout. Le bon gout, car en effet c’est precisement de cela que vous parlez si bien (avec tout le travail que ca demande), je vous suis depuis 2011 et quel plaisir: Merci. Bonne rentree a vous
Bonjour,
J’ai adoré votre analyse ….
Moi aussi, je vous souhaite une bonne rentrée
bonne journée
Oui, continuez de nous réjouir de vos billets, et sans trop de modération !
Bonne rentrée à vous aussi.
Bonjour monsieur Scavini,
ravi de vous lire à nouveau.
Je n’ai jamais suivi la mode… ni été chez le tailleur avant d’entrer chez vous il y a 2 ans.
J’ai fait pas mal de progrès depuis quelques années (grâce à vous et aux fora sus-cités) et franchement je fais plus attention à ce que j’achète malgré des erreurs et des tâtonnements.
Mais bon, je suis content du chemin parcouru et c’est là l’essentiel !
NicK, à l’aise dans ses wéwés. 😉
Bonjour Mr Scavini,
C’est un plaisir de lire vos billets .
Je vous souhaite une bonne rentrée.
Heureux de vous voir de retour… Plus que vos billets, c’est vos dessins que j’apprécie, ils sont une source d’inspiration comme les illustrations d’Apparel Arts… Au plaisir de vous rencontrer en jour.
Heureux de vous relire à nouveau ! En vous souhaitant une très bonne rentrée. Merci pour cet intéressant article.
PS : moi j’aime bien les costumes à cran bas et à larges épaules, malgré votre remarque… 😉
Comme celui-ci par exemple :

Joie de pouvoir vous suivre à nouveau, textes et illustrations. Que cette rentrée vous soit profitable autant ce billet en paraît un augure favorable. Je pense en effet que la différence entre un styliste et un tailleur se fait à travers le temps et est équivalente à celle entre un torrent impétueux et lac millénaire aux eaux calmes. Quoi qu’il est soit la vérité est Tailleur.
Bonjour,
C’est toujours un plaisir de vous lire. Je suis votre blog depuis vos débuts et je dois avouer qu’il m’a permis de m’ouvrir et d’apprendre. J’apprécie votre esprit cartésien et votre sens du partage de connaissances. Vos articles m’apparaissent comme des réflexions promptes à stimuler une analyse propre à chacun; en somme l’objectif de tout enseignement. Certes, parfois vous énoncer des règles, mais comme toute science qui se respecte, les lois et règles ne sont qu’un socle à la réflexion. Concernant les de-traqueurs de votre ouvrage Mode Men, étant jeune dans un monde ou le trop plein d’information est rois, cet ouvrage a le mérite de condenser des informations et il reste à chacun de savoir diversifier sa bibliothèque. Évidement, un joli ouvrage me paraissant plus agréable à offrir ou partager qu’un blog.
Quant à la « chance d’une jolie mise », je m’en remets à la citation de Mr L. Pasteur : « La chance ne sourit qu’aux esprits bien préparés. »
Bonne journée à tous,