Un lecteur m’a écrit il y a plusieurs mois à propos de vestiaire classique, formel et idéal pour les pays chauds, en l’occurence pour le Congo. Ainsi Philippe-Alexandre m’écrit :
Originaire du Congo, je vis et travaille depuis plus d’un an à Kinshasa. Il m’est impossible de vous décrire la ville ni son atmosphère tant l’agréable chaos qui y règne doit être vécu pour s’en faire quelque idée. Son climat est tropical. L’humidité atteint les 80/ 90% et les températures oscillent entre les 25 et 33°.
Mon travail exige un code vestimentaire que je refuse d’appliquer. Décrit dans le règlement d’entreprise, il a sans doute été rédigé par un obscur rond-de-cuir à Paris, Londres ou New-York. Il ne tient pas compte des réalités climatiques et culturelles du pays et révèle – s’il était encore besoin – l’uniformisation croissante du monde. A tort ou à raison, j’aime à voir dans les exubérances du vestiaire congolais une espèce de chouannerie locale contre la machinerie des entreprises internationales qui transforme ses esclaves en tristes sires bien trop ternes.
Pour ma part, si j’entends résister, mon éducation en Belgique m’invite néanmoins à trouver un compromis… Je souhaite donner un écho à l’environnement tropical dans lequel j’évolue sans pour autant verser dans une décontraction que la hiérarchie ne goûterait guère. Certains sapeurs de mes collègues me permettent néanmoins une certaine latitude dans mes choix sans que j’éclipse leur rayonnement…
Voilà vous l’admettrez un constat fort et frappant. Que dire, que proposer ? Ne connaissant pas un tel environnement, il me parait difficile de répondre. Et si mes préparatifs d’un voyage vietnamien cet été me font envisager plus que jamais bermudas clairs et chemises à manches courtes, ici et dans le cadre professionnel, les répondes manquent.
D’abord, il me semble que toute veste portée pour les pays chauds se doit d’être coupée un peu ample. Alors qu’à Paris une veste près du corps est idéale contre le froid, dès lors qu’il fait chaud, un peu de mou est idéal. Cela me rappelle un client qui vit sous les tropiques et pour qui j’ai réalisé un smoking blanc. Depuis l’instant où je l’ai livré, j’ai des remords quant au confort. J’ai en effet réalisé une veste aux mensurations françaises, plutôt près du corps. Et depuis je m’interroge. Aurais-je fais une erreur? Pour moi même préférerais-je quelque chose d’ample pour supporter les 35°c à l’ombre? Il me semble intéressant de couper ample.
(Notons que mon client m’a depuis écrit pour féliciter le travail, donc je suis absous!)
Ensuite, je pense que le montage importe énormément! Là, une veste thermocollée est une hérésie absolue. La toile thermocollante retient en effet l’humidité et la transpiration à l’intérieur de la veste. Dès lors, cette dernière se transforme en étuve. Alors qu’une veste construite avec une toile sera plus légère et plus respirante.
Le tissu se doit d’être au niveau par ailleurs. Je ne saurais trop rappeler les mérites d’une laine froide et donc aérifère. Exit les serges et bonjour les toiles. Ce tissage très basique et pas trop serré laissera passer l’air. Composés à 100% de laine ou mélangés avec du mohair, ces tissus sont parfaits pour affronter la chaleur. Si le lin n’est pas mal non plus, dans un cadre professionnel, il jurera un peu. Quant au coton, oubliez, il froisse et ne respire pas du tout.
Les toiles de laine aérées peuvent se présenter avec un grain assez fin. C’est une laine froide classique. Le grain peut aussi être plus marqué, ce que les anglais adorent. J’appelle alors ces tissus des fresco, très reconnaissables.
Si ces références sont idéales pour faire un costume (veste + pantalon), les tissus au grain très marqué seront en revanche presque exclusifs des pantalons, c’est le cas du natté. Car ici, l’armure, c’est à dire la manière de tisser, est trop lâche. Un pantalon ne tiendra pas.
Les photos ci-dessous vous montre les trois échelles : grain fin (gris), grain moyen (beige) et gros grain (ciel), un natté pour veste. (Bateman Ogden / Holland & Sherry / Drapers).
Les nattés sont de natures variées, ils peuvent être fins ou grossiers, très lâches ou plus serrés, 100% laine ou avec du cachemire, et parfois plus hiver qu’été, surtout s’ils sont lourds. Ils constituent une famille de tissus très large et renouvelée. Confectionner des blazers dedans est aussi facile que varié.
Pour revenir au cas de Philippe-Alexandre, la question de la couleur peut aussi se poser. Est-il obligatoire d’être en noir sous les tropiques? Pour moi la réponse est non. Plusieurs couleurs permettent de palier à cette non-couleur.
1- les bleus clairs, parfois vifs ou parfois mêlés de gris peuvent parfaitement convenir sous les tropiques. En veste seule sur un pantalon gris clair ou beige? Ou en pantalon avec un blazer marine?
2- le gris clair, très à la mode en métropole chez les jeunes reste une alternative des plus élégantes, avec des souliers noirs et une cravate en grenadine sombre. Très James Bond. Veste gris clair avec pantalon blanc cassé? ou avec un pantalon bleu marine, très italien?
3- le beige reste une valeur sûre. Sauf à trouver qu’il fait trop colonial, auquel cas une couleur entre le gris et le kaki, légèrement taupé sera géniale. Un client de la Réunion m’en a commandé un récemment. J’ai trouvé l’idée très bonne.
Les américains qui savent aussi ce qu’est la chaleur ont développé tout un panel de réponses adaptées à leur formalisme par ailleurs assez exacerbé. De mon expérience, dans l’hôtellerie chic à Hawaï, porter un bermuda à pinces avec un polo bien repassé n’est pas incongru. Et à la réception, la veste n’existe pas, mais est remplacée par un gilet tailleur. Bien coupé, sur un pantalon du même tissu ou dépareillé, c’est très convenable avec une chemise blanche impeccable. Ainsi, je pourrais conseiller à Philippe-Alexandre de faire réaliser des ensembles pantalon + gilet. Avec, il peut porter n’importe qu’elle veste et surtout s’excuser d’avoir oublié sa veste dans son bureau. Et de toute façon, avec un gilet, je ne vois pas comment on pourrait lui reprocher de ne pas être assez habillé.
C’est en fait assez paradoxale, mais le gilet est idéal les jours de grande chaleur. Pour les mariages en plein été, je conseille toujours le gilet, car nul doute que la veste sera vite abandonnée. Et rester en gilet est quand même d’un haut niveau d’élégance !
Par ailleurs, dans un numéro de The Rake (n°34), j’ai vu un très élégant afro-américain porter une veste avec les manches courtes. La simple évocation de ce vêtement suffirait à effrayer tous les gentlemen. Et bien pourtant, force est de constater que c’est assez réussi. La photo parle d’elle même et l’ensemble fait oublier ce détail qui cloche. La photo est à la fois équilibré et curieuse, mais on admet ! Ceci dit, on est loin de l’environnement de travail. Je trouve que l’ensemble est plus safari qu’urbain.
Tout ça pour dire qu’il n’existe pas vraiment de réponse. Et que je manque d’expérience sur un sujet si épineux! J’aime assez ce que mon retoucheur pakistanais fait l’été lorsqu’il fait très chaud, il porte la tenue de son pays, qui est intelligente. Je vous la décris : le pantalon est réalisé en tissu de chemise. Il est très léger mais aussi transparent. Alors, la chemise qui est réalisée dans le même tissu est plus longue et couvre le fessier jusqu’à mi-cuisse. L’ensemble est harmonieux, aéré, frais et pudique. Je trouve l’idée géniale. Car lorsque je fais des pantalons blanc, on butte toujours sur la transparence avec le caleçon. Au moins là, la chemise couvre. C’est captivant (mais pas très business, je vous l’accorde encore!)
Bref, je vous souhaite bonne réflexion Philippe-Alexandre ! Donnez-nous vos pistes d’étude ! Pour partager.
Belle semaine, Julien Scavini
La tenue pakistanaise est un shalwar (pantalon) – kamiz (chemise). On l’en offrit une là-bas. Le pantalon est coupé très, très large. Traditionnellement on porte en-dessous un maillot de corps débardeur, que l’on place par-dessus le shalwar, ce qui a pour effet de plaquer celui-ci sur le corps et de dissimuler les formes, car on ne porte rien sous le pantalon. Lointain héritage des colons écossais?
Pardon, on M’en offrit un là-bas.
Le complément un peu ringard est toujours un stylo bille fixé par la languette du capuchon à la poche de la poitrine de la kamiz!
Merci pour ce bel article. Je suis confronté au même problème. Je vis en Israël à Jerusalem avec une température qui frôle déjà les 30 degrés. Les costumes en coton sont à exclure, comme vous l’écrivez. Ceux en lin aussi, bien entendu. J’ai trouvé une solution avec mon tailleur. Comme je suis sujet à transpirer, une laine fine n’est hélas d’aucun secours par ces températures. Nous avons opté pour la soie et surtout pour un mélange laine soie qui laisse passer la fraîcheur. La veste doit bien entendu être destructurée. J’espère avoir été utile aux lecteurs de vos rubrique.
Merci pour tout.
Isaac
Parfait 😉
Les anglais ont été précurseurs dans leur ancien empire tant pour les tenues militaires que civiles. Du Kenya aux Indes, de l’Afrique du sud à Hong Kong, il peut être utile de s’en inspirer. Le seersucker porté par les américains est aussi une alternative, du moins celle que je choisirais.
Bonjour, vivant depuis 2 ans dans une région chaude et humide ( tel aviv, Israel),je dois dire que, par leur clarté vos articles m’ont énormément aide a me reconstituer une garde-robe élégante et « respirant » et je vous en remercie.
Il est vrai qu’au départ, ou a l’arrivée, c’est selon :-), j’ai été plutôt perturbe dans mes choix vestimentaires, l’écart de température entre l’extérieur et le bureau climatise à l’extrême parfois est très important; et je confirme que le mélange laine -soie est des plus adapte à ce genre de situations. J’ai fait mes costumes demi-mesure chez un tailleur local (un français expatrie tout de même …) et quelques détails sont impératifs comme l’entoilage intégrale traditionnel qui est bien plus respirant, un doublure très légère en matière naturelle (toutes la matières synthétiques sont à proscrire), ainsi qu’une doublure partielle sur le dos et des salières sous les aisselles.
le mélange laine-soie permet une coupe de pantalon ajustée sans tomber dans le moulant vulgaire bien entendu et sans donner la sensation désagréable de coller à la peau.
Merci à vous
Jonathan
Merci pour ces précisions !
Les liasses associant laine-mohair-cachemire ou laine-lin-soie (respectivement 60%, 30% & 10% pour chacune des associations, environs) sont de précieuses alliées lorsqu’il s’agit de penser le complet ou le simple veston comme une armure de fraicheur: tenue, souplesse, légèreté et respiration sont au rendez-vous.
Parfaites pour la saison estivale en Métropole comme pour beaucoup de zones torrides du globe, selon les résistances physiques de chacun.
Je me permet un petit commentaire, la chemise longue (kamiz), me faisant beaucoup penser au chemise de nuit de la belle époque , ayant un en possession je l’utilise a cette fin. Mais il es judicieux dans les pays chaud africain ou oriental de mettre en oeuvre les tenu culturel qui sont pour la plupart élégante, dans leur contexte. Prenons exemple sur les roi ou sultan du moyen orient (niveau vestimentaire bien sur) ne sont -t-il pas élégant dans leur mode de vie ? Bien que beaucoup mette le costume traditionnel. Cela me fait penser a votre article sur l’empereur du Japon qui lui es oriental mais ne s’empêche en rien de mettre les tenu formel pour chaque évènement. Mais je pense qu’il faut garder en mémoire la différence d’activité entre un empereur et un simple artisan . Cela dépend aussi de la personne. Certain supporte les température plus élevé d’autre plus froide. Moi même étant partis dans les caraïbes en avril. Je n’es pu me mettre bras nu. Même en voyant les gens en maillot de bain. Il n’était pas courant de croiser quelqu’un vêtis d’un costume. La question reste dont pour moi en suspens doit on s’adapter a l’élégance local si elle existe ou doit on rester dans le vestiaire classique pour chaque situation ..
Cela correspond assez aux expériences que nous avons menées ensemble: entoilé, tissus légers, couleurs plus claires, formes plus amples (notamment les pantalons), sans oublier des manches au dessus de l’os du poignet (ça fait la différence).
Evidemment s’il fait très chaud, porter une cravate devient difficile, alors un col ouvert avec une belle pochette devient élégant.
A l’inverse, l’excès de climatisation est un progrès symétrique aux bureaux surchauffés en hiver en Europe: on gèle alors qu’il fait chaud. Je n’ai pas encore trouvé le moyen d’allier confort à l’extérieur et à l’intérieur, sinon que d’utiliser la cravate pour protéger le cou et de la desserrer à l’extérieur. Des indices pour gérer cette situation thermique inversée ?
Merci pour ces articles.
A propos du dernier costume évoqué, les experts auront reconnu l’abacost. Costume inventé au Zaïre dans les années 70, dont le nom, abréviation de « à bas le costume » fleure bon l’indépendance fraichement aquise et la lutte contre l’impérialisme occidental.
Un tailleur Belge, Arzoni, s’est était fait une spécialité.
Considérations politiques mises à part, je trouve que cela constitue une innovation bienvenue car on ne saurait sans ridicule s’exposer en costume aux températures kinoises.