Le métier de tailleur occupe beaucoup les colonnes de ce blog. J’ai décrit ici en long et en large ma formation à l’A.F.T. ce qui a je l’espère permis à de nombreux jeunes d’embrasser cette carrière longue et difficile. Ceci dit, je rencontre souvent des âmes un peu perdues par la variété des métiers en rapport avec l’univers textile.
Le tailleur est un petit maillon, très spécialisé, de la chaine de fabrication de vêtement. Essentiellement artisan, il travaille seul ou avec quelques ouvriers et réalise tout son ouvrage sur place.
Le tailleur a deux savoir-faire textile (en plus d’un savoir faire commercial) :
- il maîtrise l’art de la coupe, c’est à dire le patronage à partir des mesures
- il maîtrise la façon, autrement appelé apiécage, c’est à dire comment l’on fabrique.
Mais attention, un tailleur, pour réaliser la coupe, se sert d’un livre de coupe. Ce livre présente des schémas géométriques et mathématiques, à suivre, pour réaliser le patron. La coupe à plat tailleur découle donc d’une méthode, définie par quelqu’un d’autre. Il existe plusieurs méthodes en France, en Angleterre, en Italie. Par exemple, nombre de tailleurs napolitains utilisent des méthodes de coupes dîtes ‘anciennes’, que l’on trouve dans les livres des années 50. Cela donne une ligne spécifique. L’expérience du tailleur, et l’ancienneté des maisons amènent souvent à la création d’une coupe spécifique, plus ou moins dérivée d’une coupe connue, comme celle de Daroux-Vauclair en France.
Ces livres étaient rédigés autrefois (fin du XIXème siècle) par des Master Tailor comme Ladevèze en France. Ces précurseurs ont développé des méthodes mathématiques pour ‘prédire’ le corps, à partir des mesures, en non par essayage successifs et nombreux (par re-taillage en somme). Il fallait bien les définir les relations mathématiques entre mesures et géométrie.
De nos jours, ces techniciens supérieurs sont appelés modéliste-patronnier. Et il s’agit d’un des métiers les plus importants qui soit. Attention ici. Toutes les écoles de stylismes associent ces deux métiers : styliste-modeliste. S’il est utile un moment donné d’associer ces deux formations, l’aspect modéliste (très scientifique) est malgré tout assez éloigné du stylisme (esprit créatif). Dès lors, le modélisme est le parent pauvre de ces formations. Et c’est une erreur, tant ce rôle est important et méconnu.
Le technicien modéliste chevronné est le pivot de n’importe quelle usine. C’est sur ses compétences que reposent tout le savoir faire d’une chaine de fabrication, et ils sont trop peu nombreux avec du talent. (me suis-je laissé dire…) Car développer une doudoune avec 70 empiècements et une capuche en fourrure ou développer une robe de femme complexe avec des découpes nombreuses est un travail délicat et de savoir-faire. Ou même, pour réviser une coupe de veste homme pour la faire mieux coller aux morphologies et aux tendances, il faut du génie.
Le modéliste a deux méthodes de travail :
- à partir des mesures et de la géométrie, il fait de la coupe ‘à plat’
- à partir de toiles maquettées et cousues en 3d, il fait du moulage (qu’il patronne à plat après).
Le technicien modéliste réalise aussi la gradation, c’est à dire la création de toutes les tailles d’un vêtement (là aussi à partir de règles de géométrie).
Le technicien modéliste réalise enfin la méthodologie de montage du vêtement, pièce A avant pièce B etc… Ce que l’on appelle ‘les méthodes’ en architecture et industrie.
Il existe des formations spécifiques pour apprendre ce métier, à la source même de tous les autres, tailleur compris : l’AICP ou Académie Internationale de Coupe de Paris (anciennement appelée Ecole Vauclair). Dans ces institut situé dans le 15ème arrondissement de Paris, on apprend au cours de divers modules, à dessiner, tracer, couper, modeler, monter des vêtements.
Adrien, avec qui je suis en contact depuis quelques années nous raconte son parcours d’entrée à l’AICP, puisse cet exemple vous servir :
Préparer sa présentation – Après quelques échanges par email avec l’administration de l’AICP, j’ai été invité dans les locaux de l’école et d’emporter avec moi :
- Dernier diplôme obtenu
- CV
- Pièces d’études (très très important)
Personnellement, j’ai beaucoup misé sur les pièces d’études. En effet, venant d’un tout autre univers que la mode (scientifique), il a fallu que je défende mon profil. Et comme vous allez le voir, le profil est plus important que le diplôme pour cette école.
Comme mes pièces d’études étaient dans le sud, j’ai dû patronner et monter en une semaine de nouvelles. J’ai donc fait :
- Chemise homme (patron + montage) : patte de boutonnage invisible, patte de manche chemine, empiècement dos
- Robe bustier (patron) : découpe princesse, volant en demi-cercle de 80 cm, plis creux.
1er entretien, la passion de votre futur métier – En corrélation avec votre profil, des questions vous seront posées sur la vision que vous avez du métier, de ce que vous désirez faire plus tard ou encore pourquoi ce milieu vous passionne. Mon ressenti a été que la personne que j’avais en face de moi cherchait à savoir que mon choix de carrière était en adéquation avec cette école.
2nd entretien, contrôle des connaissances techniques – Avec une responsable de l’équipe pédagogique, c’est ici que vos pièces d’études vont être mis à rude épreuve. Non pas que la personne va tester la résistance des coutures ou le stylisme, mais plutôt la qualité de réalisation.
Contrôle du patronage, des pièces relevées – découpées, la qualité du montage industriel et l’allure de votre pièce sur un mannequin vont être observés.
3ème entretien, contrôle des connaissances théorique – Moi qui n’avais pas eu d’examen écrit depuis 3 ans, attendez-vous à le passer ! Rien d’insurmontable. Cet examen n’a rien de punitif, de ce que j’en ai perçu. Il sert surtout à savoir si vous avez choisi la bonne formation, et si une mise à niveau est nécessaire ou non. Voici les thèmes abordés dans le questionnaire :
- Connaissance du métier : définitions et vocabulaires du milieu vous seront demandés
- Savoir assembler un vêtement : Reconnaitre les pièces et savoir comment les monter est important pour un patronnier-modéliste. Vous devrez prouver que vous en êtes capable
- Mathématique : la meilleure partie ! On ne vous demandera de calculer une dérivée, ou encore des intégrales. Mais pour une question de rapidité lors de la construction d’un patron, il faut savoir faire du calcul mental (addition, soustraction, division, multiplication). La géométrie sera elle aussi de la partie.
Tout à fait réalisable en entier, cet examen écrit doit être fini dans un temps imparti !
4ème et dernier entretien – Après la correction du test, une personne responsable de votre candidature vous indiquera si la formation que vous avez demandé vous est accessible ou si une mise à niveau est nécessaire.
Pour ma part, l’avis était favorable, et j’entrerai donc en milieu d’année à l’AICP. L’occasion pour vous et pour moi de vous renseigner sur la formation à toutes les personnes désirant suivre cette formation.
Voici donc de quoi inspirer nos futures patronniers! Adrien, s’il a le temps, me postera d’autres retours au fil de ses études. Il est donc à l’AICP, en formation de patronnier-modéliste. 6 mois en école et 3 mois en stage. Il va étudier le patronage (coupe à plat + gradation + essayage-retouche) et le moulage (toile sur un mannequin) qui est une science et non une approximation. L’année prochaine, il incorporera ces méthodes sur ordinateurs, pour développer son expertise en CAO avec les logiciel GERBER ou LECTRA donc je vous ai déjà parlé lors de ma visite d’usine. Bonne chance à lui.
Belle semaine, Julien Scavini
Merci Julien pour cet article élogieux sur le métier de modéliste. Seuls les techniciens connaissent les qualités nécessaires à l’exercice de ce métier mal considéré en entreprise. C’est le moyeu de la roue de la création de vêtement, car sans lui, il n’y a pas de production et beaucoup de chefs d’entreprise ne l’ont malheureusement pas intégré! Je parle en connaissance de cause, j’ai été modéliste pendant presque 10 ans. Alors bon courage à Adrien qui commence une formation passionnante et je lui souhaite de faire de bonnes expériences professionnelles.
Bonjour Monsieur ,
Comme d’habitude, un billet très intéressant …
Et surtout qui explique différents métiers
Ma petite-fille n’a que 7 ans mais elle s’intéresse déjà à la couture , elle aime les maths et est douée
elle joue à « couder » avec moi (comprenez coudre) et pique déjà sur ma machine, je lui apprends à faufiler et à couper correctement le tissu
Elle veut faire un sac pour maman, et elle a choisi un modèle simple (pour moi) mais complexe vu son âge
Elle a faufilé les côtés et piqué (en courbe) de façon presque impeccable …
Elle sera peut-être styliste ou modéliste ou couturière ou tout autre chose mais vos explications me permettent de lui expliquer certaines choses si elles me le demande
Et de cela, je vous remercie
Bonne journée
Styliste, la voie royale vers le chômage 😉 Attention alors.
mais elle n’a que 7 ans … lol …. elle changera probablement d’avis … bien plus souvent qu’on ne le pense .
Et c’est vrai que votre billet explique tellement bien les choses, je vous en remercie encore une fois 🙂
Bonjour Monsieur Scavini,
J’ai découvert votre blog après avoir vu à la télévision la première saison de ‘Cousu main’. Je trouve votre blog bien fait et plein de bons conseils utiles concernant la garde-robe masculine.
Je viens de lire votre article sur la formation de modéliste, l’exemple d’Adrien. Je m’intéresse depuis peu au métier de tailleur. Dans votre article, vous précisez qu’un tailleur pour réaliser la coupe, se base sur un livre de coupe.
Pouvez-vous me dire s’il y a moyen de trouver ce genre de livre dans le commerce ?
Je vous remercie d’avance pour votre réponse.
Luigi.
ESMOD édite un guide. AICP édite aussi un guide en deux bouquins. Sinon sur Le Bon Coin, des vieilles méthodes Darroux-Vauclair sont disposnibles.
JS