Depuis quelques temps trotte dans ma tête que le goût pour les vêtements amples pourrait bien revenir. Et que le costume un peu plus large va réintégrer le devant de la scène. Déjà depuis trois-quatre ans, les stylistes des grandes maisons proposent des vêtements plus volumineux, pantalons à pinces d’un côté, manteau « loose » de l’autre. Si l’expression visuelle de ces modèles est critiquable, le terrain se prépare. Même si pour l’instant, ce goût ne transparait qu’assez peu dans la rue.
Des amis qui travaillent dans le textile, de retour du Japon où ils ont passé trois semaines cet été m’ont d’ailleurs rapporté avoir été surpris par ce qu’ils appellent « le style mou », caractérisé par une belle ampleur tombante des épaules et des pantalons droits. Que ce soit en costume ou en plus « casual ». Un signe de plus peut-être.
Pour ma part, j’ai commandé l’hiver dernier une veste en tweed avec une taille de plus par rapport à l’habitude. Un 50 au lieu d’un 48. Si au début j’étais interrogatif, notamment sur le ressenti face au miroir, force est de constater que visuellement la différence n’est pas flagrante. Mais par contre niveau confort c’est bien mieux. Les esprits chagrins me répondront que j’ai grossi. Que nenni, mes costumes actuels et passés en 48 me vont toujours parfaitement.
C’est bien le drame de l’art tailleur. Il n’existe pas de règle concernant le volume et l’aisance. Ce qui est vrai à une époque ne l’est plus après. Les effets de mode régulent la coupe tailleur, comme le reste. Ainsi, les plus grands tailleurs des années 20 faisaient de l’étriqué. D’autres dans les années 30 ont fait du volume. Dans les années 50, la norme était aux épaules gigantesques. Les années 60 ont réduit les proportions mais les années 80 ont de nouveau forcé le trait. Et ainsi de suite. Un costume Cifonelli coupé en 2017 n’a certainement que peu de rapport avec un autre coupé en 1980. Mais aucun des deux n’est faux.
Je m’amuse toujours des pseudo blogs qui vantent les mérites de telles coupes ajustées et les ravages de l’ampleur par ailleurs. Ces mêmes personnes qui dans dix ans expliqueront le contraire. Les encolures de veste qui n’encadrent pas bien le col de chemise sont souvent pointées comme un défaut. Alors que c’était une qualité dans les années 80. Un beau costume Cerruti de l’époque baille. Le canon était ainsi.
Ces mêmes bonimenteurs qui expliquent que telles mensurations ou tel gabarit ne sera pas bien habillé avec une veste ample expliqueront le contraire le moment venu. Car simplement le paradigme aura changé. C’est celui qui portera encore le costume étriqué qui passera pour ringard. C’est assez cocasse.
Il n’existe pas de règle pour considérer qu’une veste ou un pantalon a une ampleur juste. L’histoire de la mode masculine et de la coupe tailleur nous le montre. Un livre de coupe de 1950 et un exemplaire de 2015 n’ont tout simplement pas la même vision du vêtement. C’est assez difficile à conceptualiser j’en conviens.
Les meilleurs arguments sont pour moi les photos d’époques. Prenons l’exemple de ces clichés des années 80 et 90. Certes les photos ont vieilli. Le style a vieilli. Mais comment oserait-on dire que ces photos sont ringardes? Le style est très honnête. Pierce Brosnan porte un superbe croisé plongeant. Dustin Hoffman, Matthew Broderick et Sean Connery ont la classe sur la couverture de Family Business. Bernard Tapis osait autant en affaire qu’en vestimentaire. Et que dire de Mickael Douglas dans Wall Street. Observez le col de sa veste qui décolle ou son pantalon généreux.
Cet été lors de mes petites vacances en Angleterre où j’ai eu le plaisir de visiter les plus beaux châteaux possibles (Blenheim, Chatsworth, Howard Castle), j’ai pris plaisir à regarder le soir à la télévision les rediffusions de l’excellente série Frasier. Et de me souvenir que le petit frère de Frasier parle assez souvent de son tailleur ou de ses mocassins à glands, spécialement réalisés par un petit bottier d’Italie. Un signe de goût, pour une époque que l’on regarde avec méprise de nos jours. Pourtant, quel style, quel panache. Revers larges, cravates audacieuses. Et quel confort. J’en rêve. Mais pour l’instant le goût n’est pas prêt à grossir… Attendons encore un peu.
Les années 80 et 90 sont souvent regardées avec mépris. Pourtant, l’élégance était entière. Les usages étaient respectées. Les proportions étaient certes généreuses, mais pas ridicules. Ce qui a été ridicule, c’est la reprise par les maisons bas de gamme de l’ampleur tailleur. Les mauvais faiseurs en ont rajouté, en rendant extravagantes et décadentes les coupes.
Enfin qu’on se comprenne bien. Je ne suis pas en train de dire que la tendance actuelle est moche. Non, elle est une tendance. Je m’habille près du corps car c’est ainsi. J’aime cela en ce moment tout en ayant conscience que c’est une passade de l’histoire de la mode. Pas un absolu. Est-ce un relativisme? Non, c’est un essai d’objectivité !
Bonne semaine et belle reprise ! Julien Scavini
(Un grand merci à Archie Ruston pour le temps passé à chercher les photos des années 80)
Merci pour cet article. Je lis ici et là que la mode du slim aurait atteint son apogée. Assez normal, après plusieurs années, par effet de balancier, on devrait voir s’élargir les coupes. Bon pour l’instant, en dehors des podiums, le slim reste à la mode, il faudra voir si le grand public suit.
Comme je ne suis plus tout jeune, je relativise aussi ces effets de mode ; comme disait l’autre « la mode c’est ce qui se démode », et dans quelques temps les jeans skinny et les costumes étriqués auront l’air aussi ridicules que les pattes d’eph’ et les pantacourts, avant de revenir à la mode dans 20 ans. A chacun aussi de trouver son style et la coupe qui lui convient.
« In medio stat virtu » , n’est ce pas aussi au milieu que se situe l’élégance, en évitant tout excès, de largeur comme de « slimitude » ?
Merci pour cet article. Intéressante observation.
Peut être s’agit il d’un début de réaction à cette tendance slim qui évolue vers sa propre caricature super-slim aujourd’hui. Je vois parfois des costumes tellement serrés qu’à mon avis leurs propriétaires ont abandonné toute idée de mobilité et de confort.
Il y a peut être aussi une critique de l’extravagance Italienne et un retour vers un conservatisme plus Britannique qui semble avoir le vent en poupe.
J’espère quand même que nous ne reviendrons pas vers les carrures et les épaulettes géantes des années 80. Pitié.
Monsieur, Merci pour ce nouvel article ; je vous souhaite une excellente rentrée. Fidèlement vôtre, Stéphane.
merci pour cet article.
Il y a effectivement des effets de balancier
Et je dois avoir que j’ai du mal avec cette mode « ultra slim pantalon et veste trop courts » ; c’est parfois tellement outrancier que j’ai l’impression de voir Bourvil dans La Grande Vadrouille
Merci pour vos super articles ..Moi aussi j’adore la classe de ces costumes…Je vais me lancer à en faire un…
Cher Julien,
La meilleure solution afin d’éviter tous ces excès récurrents et souvent ridicules, est de se référer concernant le vêtement masculin aux décennies indétrônables en matière d’élégance, à la fois les plus exaltantes et séduisantes, situées entre les années vingt et cinquante.
Amitiés
Patrick Lesueur
Merci pour cet article, malheureusement il est très difficile de trouver des costumes, en magasin, qui ne sont pas slim-fit et taille basse. Même les costumes Ardillon sont assez slim-fit. Nous avons toute confiance en votre force de précurseur!
Bonjour,
Vous aviez écrit il y a quelques temps un article sur les valeurs du moment, qui influençaient la mode et les coupes.
La sexualité engendrait le slim qui moule l’entrejambe par exemple. On pourrait citer les années fric des 80s, et il fallait que l’argent se voit. Plus de tissu, plus de virilité, plus de pouvoir, plus d’épaules. Ou l’autre tendance large des années 50, recherche de confort, cout des vêtements qui faisaient qu’il était dur d’avoir des vêtement trop ajustés. Ou encore les carcans des années 60s, coupe centrées et physiques androgynes, façons Mick Jaegger ou David Bowie, en rejet des standards de virilité passés.
Bref, tout ça pour dire que le confort a l’air de revenir à la mode, mais qu’on garde pour l’instant une ouverture de jambe serrée, même si la cuisse commence à prendre de l’ampleur. La coupe carrot dans les costumes ?
Cher Patrick,
Entre les années 20 et 40, quel gouffre !
[Bernard Tapis] …même les fautes de frappe sont sartoriales, je suis impressionné ! 😉
Je crois pour ma part qu’il faut avant tout se sentir bien dans ses vêtements.
Si l’on se sent bien en suivant les canon du moment, fort bien.
Si l’on se sent bien avec des volumes différents de ceux du moment, il faut suivre son instinct.
Si l’on a la chance de faire faire ses vêtements sur mesure, il y aura quelques cm en rab´pour élargir si besoin et s’adapter aux nouveautés du moment, pour autant que l’on souhaite les suivre!
Merci Julien. Bien sur pour une partie non negligeable de votre lectorat et clientele, il y aura toujours la nostalgie des annees 80 (ou 90) qui etaient celles de notre jeunesse… Mais je suis d’accord avec vous. J’ai aussi noté que les années 80 étaient aussi sans doute la dernière décade avant le déferlement du street wear.
Je le pensais en regardant Frasier (fan, comme vous), et surtout, Cheers, la série mère; Dans cette série tous les protagonistes sont le plus souvent en grande mise, Frasier et Lilith bien sur mais pas seulement. Voyez aussi Working Girl par exemple et les mises impeccables de Harrison Ford. Mais en tant qu’historien du vetement, vous en savez sans doute bien plus. A quand votre prochain livre, sur le sujet?
J’avais regardé les james bond d’affilée, et il est amusant de voir l’évolution vestimentaire.
Par contre, rien à faire, les epaules large avec l’horrible pli le bras est à l’horizontale…je ne m’y fais pas…
Ce qui me deplait actuellement dans la mode « slim » c’est la longueur des pantalons, je trouve ça bien pour aller à la pêche.
Bonjour,
Je rebondis un peu tard sur cet article que j’avais lu à l’époque, mais aujourd’hui je change mes habitudes et du coup ça m’a fait penser à cet article …
Je portais jusqu’à récemment des chemises slim, des pantalons près de la jambe et des vestes cintrées, et puis par soucis de confort j’ai tout d’abord retiré les pinces de mes chemises, et aujourd’hui je prends mes nouveaux pantalons avec plus d’aisance …
Et bien, force est de constaté que visuellement ce n’est absolument pas choquant, au contraire ça dégage une espèce de nonchalance. Mais alors, rien à voir question confort !
Prochaine étape : les vestes moins cintrées …
Sans tomber dans les proportions énormes, gagner en confort, moi je suis déjà conquis …
Excellente semaine,
Pascal