Jules Barbey d’Aurevilly, catéchisme du dandysme ?

Comme l’article sur Robert de Montesquiou avait bien plu, mon collaborateur Raphaël m’a rédigé cet article, sur Jules Berbey d’Aurevilly. Belle lecture.

Quand on aime la littérature et les beaux vêtements, il est impossible de passer à côté d’un mot qui est une invitation au voyage : le dandysme. Les sonorités seules de ce mot plongent le lecteur au plein cœur du XIXème siècle, au milieu des voitures à cheval, des régimes politiques instables, des cafés tapageurs de Rimbaud, des lampes à pétrole et de l’absinthe.

Si le dandysme est un mot très évocateur, bien plus ardue en est sa définition. Aujourd’hui, dans l’imaginaire collectif, c’est une catégorie qui évoque essentiellement les vêtements. Un homme habillé en costume, avec une légère pointe d’excentricité : mettre un costume trois pièces, pour sortir, ne manquerait pas de faire sourire et de condamner à être le dandy de la soirée.

 Le terme semble remonter au début du XIXème siècle. Il désigne alors de jeunes hommes passionnés de mode. Au milieu du siècle, Barbey d’Aurevilly et Baudelaire transforment la définition du tout au tout, érigeant la figure du dandy à l’équivalent du héros romantique : un être supérieur. Supérieur par son éducation, sa sensibilité, son goût esthétique, mais aussi son vêtement.

Et c’est là que tout se complique. Selon la légende, le premier dandy est George Brummel, dont on se souvient pour l’élégance discrète de sa garde-robe. À l’autre bout du siècle, Oscar Wilde est unanimement décrit comme dandy. Il est pourtant un aristocrate sulfureux, décadent, chargé de vêtements précieux et de bijoux !

En résumé, le terme de dandy oscille entre ascétisme et baroque, entre modes vestimentaires et mode de vie.

Alors, faut-il être excentrique pour être dandy ? La schizophrénie du terme se précise. Au début du XXème siècle, dans la littérature, Charles Swann, impeccable jusqu’au bout des ongles, est aussi dandy que Jean Des Esseintes, qui lui, utilise un bouquet de violettes de parme en guise de cravate ! Quel bazar !

Si le terme fait autant le grand écart, c’est peut-être de la faute de celui qui l’a rendu si attrayant, Jules-Amédée Barbey d’Aurevilly, dans le premier traité sur la question, Du Dandysme et de Georges Brummel, en 1845. Qui était-il ? Pourquoi et comment a-t-il transformé le dandysme ?

Jules Barbey d’Aurevilly (1808-1889) est un personnage plein de contradictions. Aîné d’une famille catholique et contre-révolutionnaire de Normandie, il refuse un temps son droit d’aînesse, par conviction républicaine. Il écrit pourtant Le chevalier des Touches, un incontournable de la littérature chouanne, et finit sa vie farouchement monarchiste, catholique et ultra-montaniste.

Pourtant, Barbey d’Aurevilly ne commença pas sa vie d’adulte par une vie monacale. À la mort de son oncle, dont il hérite, c’est à Paris qu’il deviendra le « Connétable des Lettres » disent les uns, « Sardanapale d’Aurevilly » ou le « Roi des ribauds », disent les autres. Peut-être vaut-il mieux encore être Sardanapale, roi légendaire de l’antiquité, qui vivait dans un faste impossible, que le roi des prostituées…

Quant au « connétable des Lettres » : c’est bien la littérature qui le fera vivre, une fois l’héritage dilapidé. Même s’il brûle son premier recueil de poèmes, faute d’éditeur ! Il se fait tour à tour journaliste, essayiste ou romancier. Si la diffusion de son œuvre reste restreinte, le dandy est connu et reconnu de ses pairs, qui l’encensent ou le détestent.

Admiré de Proust, de Verlaine, de Baudelaire, d’Huysmans, de Vallès, de La Martine, il est détesté d’Hugo, de Zola, de Flaubert et des auteurs qu’il pique de sa plume qui tient plus de l’épée, comme dit Sainte-Beuve. Sa production littéraire est à son image, pleine de contradictions. Le dandy à l’air glacial de 1830, buveur de laudanum, profondément mondain et franchement décadent, n’en est pas moins un écrivain qui clame une foi catholique omniprésente. Cette foi, il l’illustre dans une production littéraire sulfureuse, où il est impossible de ne pas voir une description enthousiaste des vices.

Peut-être voit-on les mêmes contradictions qui divisent Barbey d’Aurevilly, dans sa conception du dandysme et de son vestiaire ? Soyons clair : Du Dandysme et de Georges Brummel est une profession de foi. L’auteur y défend une vision orthodoxe du dandysme : celle de son premier apôtre. Barbey définit le dandy originel en héros byronien : solitaire, insolent, impénitent et donc superbe.

Barbey d’Aurevilly s’intéresse ouvertement aux vêtements. Essaie-t-il de compenser un physique disgracieux ? Il dit assez amèrement de ses parents que « mon adorable famille m’a toujours chanté que j’étais fort laid… ». Peut-être est-ce la raison qui le pousse à transformer sa silhouette ? D’Aurevilly est un personnage aux tenues baroques. Il est parfumé, maquillé et corseté dans des gilets baleinés. L’on trouve des descriptions très claires à ce sujet : « Corseté dans une redingote à jupe bouffante s’ouvrant sur un gilet de moire verte et un jabot de dentelles, la manchette raidie par l’empois et rabattue sur l’habit serré au poignet, le pantalon collant et à sous-pieds carrelé blanc, rouge, noir et jaune à l’écossaise, parfois zébré ou écaillé comme une peau de tigre ou de serpent, il porte des gants de couleur aurore couturés de noir et un chapeau à larges bords doublé de velours cramoisi. Avec cela, indiscrètement fardé, les yeux faits et le cheveu roussi par le henné. »

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Il n’ignore pas la mode, et suit attentivement celle des années 1820-1830. Il écrira d’ailleurs des articles de mode, entre réclames et billets d’humeur, sous le pseudonyme de Maximilienne de Syrène. Toute sa vie, il restera bloqué dans le vestiaire de sa vingtaine. Celui des Lions de la Restauration, figures busquées à la taille de guêpe. Âgé, quand il est édenté, maquillé et les cheveux teints, ses tenues sont un peu risibles : « Il est vêtu d’une redingote à jupe, qui lui fait des hanches, comme s’il avait une crinoline, et porte un pantalon de laine blanche, qui semble un caleçon de molleton à sous-pieds. Sous ce costume ridicule, un monsieur, aux excellentes manières, à la parole flûtée d’un homme qui a l’habitude de parler aux femmes, et dont le manque de dents rappelle, parfois, l’intonation gutturale, mais en mineure, de Frédérick-Lemaître. » Jules et Edmond de Goncourt, Journal. Mémoire de la vie littéraire, tome Septième : 1885-1888, Paris, G. Charpentier et E. Fasquelle, 1894 [1851-1896], p. 38. Date du Mardi 12 Mai 1885.

D’Aurevilly correspond-t-il au dandy de sa propre définition ? Pas vraiment. Si dans son traité, Brummel l’est, les figures qui y sont associées, précurseurs ou épigones, de Byron à d’Orsay, ne le sont pas tout à fait. Le dandy ne connaît ni passions, ni fatuité : « Dès qu’un dandy est passionné, il n’est plus un dandy. Le dandysme finit à l’amour. » Jules-Amédée Barbey d’Aurevilly, Disjectamembra, tome II, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade 1964, p. 1434.

Lui-même, trop passionné, admet avoir tâché de l’être, durant un temps : « On a un peu trop fait le dandy de l’ancien temps (…). Je ne suis plus un dandy, mais je l’ai été, j’ai vécu comme eux, et je me ressens de cela, comme un flacon où il y eut de l’eau de Luce s’en ressent toujours. » Jules-Amédée Barbey d’Aurevilly, Correspondance, 27 mars 1855.

Barbey d’Aurevilly s’éteint dans un monde préindustriel, radicalement différent de celui qu’il le vît naître. Il est alors une curiosité, entre la vieillerie romantique et la gravure de mode ringarde. Si l’on se souvient assez mal de sa production littéraire, il est définitivement ancré au dandysme, dans notre inconscient. De ses vêtements, il reste au moins une chose. Le Musée des Arts Décoratifs de la ville de Paris possède une redingote, en grain de poudre noire, qui est gansée de satin. Une de ses redingotes de 1880, coupées au goût de 1830. Elle ressemble trait pour trait à celle du portrait de Barbey d’Aurevilly par Émile Lévy. Si l’on compare cette redingote avec la majorité des redingotes de 1880, celle-ci semble tellement décalée qu’elle en est franchement incongrue.

Barbey était-il élégant, lui qui fût tant obsédé par la supériorité de son goût ? Il me semble que non.  L’élégance suprême n’est-elle pas, comme Fred Astaire, d’être toujours sur la crête, ne tombant ni dans la quête effrénée de la mode, ni  dans une originalité loufoque ? Mais peut-être d’adapter discrètement le goût contemporain à son style.

Merci à l’excellent –et terriblement absent- Chouan des villes, dont l’article sur ce personnage est très inspirant.

Belle semaine, Julien Scavini

Une réflexion sur “Jules Barbey d’Aurevilly, catéchisme du dandysme ?

  1. francefougere 23 janvier 2018 / 18:44

    Merci pour ce très bel article. J’ai pu visiter la maison-musée de Saint Sauveur le Vicomte, lors d’une exposition où l’on voyait ses manuscrits, et ses gants blancs.
     » J’ai quelquefois été bien malheureux dans la vie, mais je n’ai jamais oublié mes gants blancs  »
    Magnifique, et touchant, n’est-ce pas ?
    amicalement

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