Dans un environnement extrêmement concurrentiel pour les marques de prêt à porter, tout est bon pour se distinguer. Par exemple trouver un manteau marine simple et bien coupé devient ardu. Tel marque va faire des poches minuscules et des passepoils en cuir, tel autre recourir à une laine très pauvre etc… Internet rend l’affaire encore plus piquante, puisque les articles, sur les sites multi-marques, se retrouvent les uns à côtés des autres. Ainsi se trouvent étalées des dizaines de références, forcément toutes semblables. Comment faire la différence, que choisir?
Dans ce grand magma, ajouter des trucs et des bidules aux vêtements est devenu une astuce de stylistes pour faire remarquer le produit. C’est ainsi que des souliers noirs, forcément simples, se sont vus ajouter des lacets rouges (que notre Président M. Macron semble apprécier) ou que des vestes ont été assaillies de boutons et boutonnières colorées. L’artifice de placer un détail chatoyant permet au produit de se différencier.
Une marque en particulier est allée très loin et avec un succès certain : El Ganso. La jeune marque espagnole née en 2005 surfe sur la vague preppy en superposant – à prix raisonnable – style classique et tentation pour les teintes vives. Les pièces intemporelles comme le caban ou le chino sont déclinées dans des draps simples et seules des touches de couleur permettent de deviner rapidement l’origine du vêtement. Sur le chino, c’est le fond de la poche arrière qui sera rouge faisant apparaitre deux lignes écarlates sur le fessier ; sur le caban, c’est le dessous de col qui va être coupé dans un tissu à cravate rayé. Dans le même genre aux USA, on trouve Vineyard Vines, toujours très acidulée.
Qu’en penser?
Mon sentiment est ambivalent. La première chose qui me vient à l’esprit – presque de manière prépondérante – est que la couleur n’est pas un crime! A l’heure où l’habillement vend à longueur de boutique du gris, du marine et du noir, un peu de vivacité fait du bien. Le rouge vif, le jaune acidulé, le vert citron, le bleu lagon, c’est très agréable et cela embellit le quotidien. Donc, il est très délicat de critiquer. La couleur, c’est chouette!
Mais quand même, j’ai tendance à être chagriné. Passé le sourire sur les touches opportunes de couleur, je ne peux m’empêcher de penser que quelque chose cloche.
Ce qui est gênant pour moi est la cacophonie qui nait de telles tenues. Non pas que je sois contre la couleur, mais contre la couleur utilisée n’importe comment.
Dans une tenue classique, la couleur est amenée de manière ordonnée, à des endroits convenus : la cravate, la pochette, les chaussettes, pourquoi pas le pull ou le sous-pull. La couleur peut être soit accessoire (comme une pochette sur un costume sombre) soit instigatrice (un pantalon de velours grenat servant de base à un camaïeu automnale). Elle sert à égayer un ensemble discret ou à construire une tenue engagée.
Bien qu’ils vendent des vêtements franchement pétards, les produits ornés de chez El Ganso recourent à la couleur de manière accessoire dans un troisième voie. Pour le jeune homme qui ne porte pas de cravate ni de pochette, c’est l’occasion de porter un peu de couleur.
Troisième voie parceque les touches de couleur sont liées au vêtement. Les accessoires comme la cravate ou les chaussettes permettent de construire des tenues changeantes avec des accords de couleurs changeants. Mais lorsque la couleur est intégrée au vêtement, il faut alors avoir la panoplie d’ensemble. Un chino marine avec une ceinture rouge ira-t-il avec tout? Si la tenue est systématiquement construite sur le trio marine-rouge-blanc, alors c’est sympa. Si un pull orange et un caban avec du rose sont rajoutés, c’est compliqué. Il faudrait idéalement construire la garde robe sur trois quatre couleurs pour que tous les vêtements aillent ensemble à la fin.
Ainsi, la touche de couleur sur le vêtement qui apparait comme une incitation à l’achat devient un frein à l’usage harmonieux et raisonnée. Et mélangés entre eux, ces vêtements peuvent devenir cacophoniques.
Il suffit pour cela de faire une petite recherche sur google. Pris individuellement, chaque vêtement avec sa touche de couleur est très agréable à voir. Multipliées ensemble, ces couleurs deviennent lourdes et plus élégantes du tout. L’idée devient une fausse bonne idée lourdingue. Mais ce n’est que mon avis. Je continue d’apprécier El Ganso pour sa démocratisation de la couleur tout en restant circonspect sur l’harmonie générale.
Les magnifiques vêtements militaires des 16ème et 17ème siècles sont toujours très hauts en couleurs, passepoils, boutons, parements etc… Mais ils étaient normés et portés en harmonie. Il y avait un sens général.
Je comprends l’engouement pour ces vêtements, à la fois simples et rehaussés par ci par là. Pour un homme qui s’habille sobrement d’un chino marine et d’une chemise en oxford bleu, voir que sa chemise présente sous les boutons un gros-grain coloré est divertissant. Mais je pense qu’il serait préférable que la qualité soit supérieure.
La couleur est dure à vendre, j’en sais quelque chose. Elle n’est jamais spontanée pour les hommes. Elle devient plus facile à acheter si le prix est pas cher. Chez El Ganso, on trouve des petits blazers pour 200€. Que peut-on penser de la qualité à ce prix? Si le modèle était plus raffiné, il vaudrait le triple. Alors, le client réfléchirait bien plus avant d’acheter. Pour les hommes, l’amusement a ses limites : le prix. Il veut bien rigoler si c’est pas trop cher. La question au final est : est-ce bien durable? A suivre.
Belle semaine, Julien Scavini
Cher Julien, je partage très certainement votre avis sur ce sujet.
Il y a un an j’étais à la recherche d’un manteau d’hiver. Mon cahier des charges ne me semblait pas exigeant : formel, assez long pour être porté par dessus un costume et point crucial, capable d’endurer la pluie.
J’ai ainsi découvert El Ganso au cours de mes recherches et la qualité proposée me paraissait satisfaisante. Mais voilà, ce « twist » de couleur qui semble être la signature de la marque fut justement la raison du veto : les revers de col criards, les boutons contrastés et plus que tout les boutonnières rouge Ferrari (présentes également sur les blazers !) semblaient beaucoup trop imposés et visuellement trop forts.
J’apprécie la discrétion des vêtements dont la marque ou la maison n’est pas clairement affichée. La qualité parle d’elle-même et n’a nulle besoin d’étiquette ! Dans le cas présent et bien que l’introduction de couleurs vives soit une riche idée, un vêtement El Ganso sera reconnaissable à 50 mètres. Sans doute était-ce là la stratégie désirée.
Enfin le fait d’ajouter cette signature sur des vêtements formels nuit selon moi au résultat final : le vêtement n’est simplement plus formel du tout ! C’est bien dommage car ce genre de détail aurait je pense pu être judicieusement situé ailleurs sur une partie non visible où la fantaisie est permise (la doublure par exemple).
Merci mais non merci comme disent nos voisins d’outre-Manche.
Bonne semaine,
Mais tous vos pantalons sont trop courts!!!! En tout cas au moins sur les dessins.
Cette étroitesse à la mode est d’un pénible…
Vivement le ré-élargissement du bas des pantalons …Sans être patte d’éléphant, un peu comme à la fin des années 70.
Et dire que la règle était que les pantalons ne doivent pas laisser voir le laçage… d’où l’artifice des guêtres autrefois.
Aujourd’hui on le voit tout entier, si bien qu’il est logique d’être tenté (horreur!) de mettre des lacets fantaisie, comme les terribles cordelettes rouges du président. Et d’être tenté aussi par les excès du glaçage « artistique ».
Deux options aux antipodes de l’élégance.
Merci pour ce beau blog!
Bonjour,
Je me permets de vous remercier pour cet article qui m’a ramené de nombreuses années en arrière, avant la découverte de votre blog. Je crois qu’ effectivement, les divers problèmes que vous ennoncez m’étaient posés. Habitant en province, le choix des marques et modèles disponibles étant restreints, je me retrouvais souvent devant des choix Cornéliens, entre surplus de détails inadaptés et qualité insuffisante. La conclusion étant souvent des marques « preppy » dont le prix était bien souvent justifié par un marketing intensif (recherchant cette image de marque à l’époque, croyant qu’elle faisait l’élégance) plutôt qu’une qualité, finition travaillées. Depuis, j’ai pris beaucoup de plaisir à suivre votre blog,
m’ eduquant, découvrant de nombreuses marques et produits disponibles en ligne. Ma vision de l’élégance a changé et ne va cesser d’évoluer je pense. J’ai été heureux de suivre vos projets, l’ouverture de votre boutique ou j’ai eu la chance de pouvoir faire réaliser deux costumes, la parution de vos livres et l’ouverture de vos boutiques en lignes. Vous m’avez offert une réponse adaptée et variée à toutes mes problématiques à un rapport qualité prix imbattable. Je vous en remercie grandement. J’ai depuis de nombreux compliments de personnes d’un grand âge dans mon entourage, celles qui avaient encore le plaisir de faire réaliser leur garde robe, même réduite, par des couturières et tailleurs. J’en tire une satisfaction coupable mais tellement agréable.
Il me reste à vous souhaiter bon vent dans tous vos projets en cours et à venir,
Un lecteur fidèle