La cravate du débutant

Il y a quelques jours, un lecteur m’écrivait directement pour me poser une simple question : où acheter une jolie cravate et comment débuter sur le sujet? A une heure où les cravates disparaissent à vitesse grand V, où les marques diminuent leurs offres et où des banques comme Goldman Sachs évoquent la possibilité d’être au bureau sans cet accessoire, je suis heureux que quelqu’un se pose encore ce genre de question. La cravate bouge-t-elle encore?

J’avais, dans Le Figaro du 28 novembre 2018, traité cette question :

Dernièrement,une émission sur France Info posait la question: «Pourquoi la cravate, ‘symbole d’autorité, contrainte ridicule’, n’est-elle plus dans le coup?» Le fait est que le marché de ce bel accessoire diminue. Comme d’ailleurs celui du costume. Il faut habiter une grande métropole pour apercevoir des cohortes de messieurs en costume-cravate. »
Le problème n’est pas de savoir si elle va disparaître. Le sujet n’est pas non plus de hâter sa mort en tombant dans un discours de lutte des classes à deux sous. La question de fond est de s’interroger sur la signification de cette disparition et surtout sur le sens du remplacement opéré. Quelques jeunes clients m’ont souvent dit ressentir dans leur entreprise une pression pour abandonner la cravate. Et le journaliste de France Info fait de son côté le récit de sociétés où «les baskets ont une symbolique bien plus puissante».
Cela rappelle, en sociologie, le concept du contrôle social qui dépeint la capacité d’un groupe d’individus à coexister vertueusement. Nous avons là l’exemple type d’un contrôle social inversé, où la force du moins-disant prend le dessus. Ce qui est beau et élégant est poussé vers la sortie: rayons les ascenseurs, taguons les halls d’entrée!
La disparition de la cravate est le symbole d’une inversion des valeurs. D’un état vestimentaire, où chacun peut suivre une grammaire utilitaire menant à une élégance ordonnée, on passe à la glorification de canons personnels. Le cool.
Il y a les «in» et les «out». Croit-on d’ailleurs que ce «progrès» fasse oublier l’existence des hiérarchies en entreprise? Un illustre Anglais disait que «le vêtement est l’occasion pour chacun, chaque jour, d’incarner son propre rôle». C’est vrai. Et il est possible de choisir un rôle prestigieux dans une tenue raffinée ou, au contraire, de nager dans la soupe universelle de l’inconsistance.

FIG207

Mais revenons au sujet de départ. Avec quelle cravate commencer? Pour ma part, lorsque j’ai acheté mon premier costume bleu marine chez Hackett, je m’étais laissé tenté par une cravate simple, en même temps avec un peu de profondeur et polyvalente. Elle est bleu marine, avec de petits losanges blancs tissés. En somme sur les photos, la classique bleu à pois blancs. Je pense que c’est le plus parfait des commencement.

Évidemment, il pourrait être possible de dire une bleu marine unie. Pour faire comme les hommes politiques, dans la discrétion. Je peux le concéder. Autant à ce moment là prendre une grenadine ou un tricot marine, pour au moins proposer un peu de relief. Pour ceux qui se posent la question, la grenadine est comme un tricot fin alors que le tricot est visiblement plus en relief et surtout, souvent terminé à l’horizontal, sans pointe.

Deux cravates ainsi est un bon départ. Pourquoi pas également une grise avec un petit motif discret, pour s’accorder aux costumes gris dans une alliance monochrome de tons?

Passons ensuite à l’étape d’après, la cravate club. Pour moi elle est essentielle, car elle est plus décontractée que les précédentes. Les unis et micro-motifs donnent des cravates habillées, le club est bien par exemple avec une veste seule, comme le blazer. Les clubs sont très nombreux. J’en vois deux essentiels : marine rayé bordeaux et marine rayé gris. La première apporte un peu de couleur, la seconde s’accorde avec des costumes aussi bien bleus que gris. Une sorte de jonction sur la chemise bleue.

 

Ensuite il y a la seconde étape, la couleur. Pour ma part, j’aime les rouges un peu vermillons, présents, qui font un contraste et donne bonne mine. Toutefois, je sais que le rouge se vend mal et est rarement aimé. Le bordeaux, par sa teinte assourdie, est souvent préféré des jeunes, comme les verts sapins. En tricot là encore ou avec des micro-motifs, c’est un bon complément. Ne pas oublier le violet, qui va bien avec le marine.

 

Et puis après ces classiques, et bien j’ai envie de vous dire, laissez-vous tenter. Amusez-vous. Pourquoi pas quelques motifs géométriques plus visibles?

 

Ensuite, où aller me demandait aussi mon correspondant?

La première idée qui m’est venue est Tie Rack, ces boutiques de gares où personne de chic n’ose rentrer. Et bien c’est une erreur. La sélection classique est d’un goût courtois et au milieu des curiosités stylistiques, il y a de jolies choses.

J’aurais pu dire aussi pour le bon prix Monoprix. Mais si j’ai adoré leurs coloris vu avant l’été, j’ai détesté l’étroitesse des modèles. 5cm de large voir moins. Non et non. Investissez dans une belle cravate, généreuse, aux alentours des 7 à 8 cm. Elle sera intemporelle.

Ensuite, Boggi ou Hackett ont toujours de sympathiques modèles. Pour appuyer cette rédaction, j’ai regardé en particulier ces deux maisons, même s’il faut bien reconnaitre que les prix élevés sont injustifiés parfois. Allez-y en solde alors.

Pour les mariés qui me consultent, je dis systématiquement d’aller chez Charvet. La proposition est immense. La boutique merveilleusement surannée. Alors il ne faut pas avoir peur de passer la porte. Personne ne m’a jamais demandé ce que je faisais là. Les vendeurs sont très discrets. Ils aident bien si on en fait la demande. Et quel cinéma lorsque le caissier se saisit de la cravate pour l’emballer dans sa belle boite. Rien que pour la boite, le papier de soie et le ruban, ça vaut le coût. Certes, pas pour tous les jours, mais il faut de temps en temps se récompenser. Toutefois prudence chez Charvet, j’y ai souvent vu mille affreusetés. Il en faut pour tous les goûts.

Enfin, pour ceux qui veulent tenter des extravagances sans se ruiner, il y a deux options : Le Vestiaire du Renard, avec quelques propositions audacieuses et puis l’immense ressource d’Ebay, surtout en provenance des USA. Il y a des perles pour quelques dollars parfois. J’ai moi-même quelques Ralph Lauren d’extase payées un tiers de leurs prix d’origine. Lorsque les prix sont très bas, achetez en plusieurs, même pour voir, même avec un doute. Faîtes des lots de 5/10 cravates, pas grave, vous diminuez le frais de port unitaire.

Et retenez surtout cette maxime de Marc Guyot : « on ne fait pas sa vie avec trois cravates! » Diantre, accumulez, c’est le plaisir de la cravate. Aux puces et à Emmaüs parfois, elles sont légions à 1€.

Bonne semaine, Julien Scavini

6 réflexions sur “La cravate du débutant

  1. LM 7 octobre 2019 / 20:20

    La rigidité de la cravate actuelle contraste avec l’histoire très riche de cet accessoire. Autrefois, il y avait plus de manières de la porter, plus de fantaisie. Aujourd’hui, il y en a presque qu’une seule : la régate. Les façons de la nouer sont très restreints, et les tissus aussi (soie, laine). La fantaisie et l’imagination peuvent apporter une bonne tenue à la cravate… si cela est fait intelligemment. Par exemple, un peu de dentelle, l’utilisation de tissus comme la mousseline, la batiste ou le linon, de ruban, du col (pas celui de la chemise, mais celui qui faisait office de cravate en particulier au XIXe siècle), etc. Les cravates que vous présentez reflètent un seul style, au demeurant fin et classique. Mais il y a d’autres manières d’être classique, d’autres façons. Dans mon blog, j’ai écrit un article sur l’histoire de la cravate. C’est incroyable la variété ! En regardant vers le passé on trouve non seulement de la tradition mais aussi de l’inspiration pour inventer ! Réapproprions-nous la cravate. Ne la laissons pas être un simple marqueur social désuet.
    Mon article : http://www.lamesure.org/2019/04/aux-origines-de-la-cravate.html

  2. Weber 8 octobre 2019 / 18:55

    A enfin, un peu de soutien à la cravate ! J’en porte depuis mon entrée dans le monde du travail.
    Souvent par obligation au début puis surtout par plaisir désormais.
    Je viens donc de passer ma 120eme toutes plus belles les unes que les autres.
    On ne fait effectivement pas sa vie avec trois cravates.
    Bien cordialement.

  3. BORGEL 9 octobre 2019 / 20:00

    Bonjour Mr Scavini,
    Quel est donc le nom, type, du beau veston ci dessus déssiné par vos soin ? il semble etre un mix élégant d’une college jacket avec une veste de costume 🙂

    Bonne soirée depuis Hamburg

  4. Djskz 14 octobre 2019 / 20:42

    Concernant l’occasion, Vinted regorge également de cravate…

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s