Pour que les cols présentés la semaine dernière, tiennent bien, il était obligatoire de les amidonner. Entre 1870 et 1930, les cols de chemise, détachables, étaient rendus rigides grâce à l’amidon. Cette fine bandelette, en coton et souvent en lin extrêmement fin, était rendue raide comme une fine bande de bois. Si vous essayer de plier un col dur, il cassera net. Un peu comme le tour d’une boite de camembert.
Les cols étaient haut, petit reste de la manière d’Ancien Régime d’habiller le cou. Et pour faire tenir ces cols hauts, la simple structure du tissu ne suffisait pas. Il fallait amidonner le tissu pour qu’il tienne.
Évidemment, je ne parle pas de l’amidon moderne qui est achetable en spray. Cet amidon dilué rend les chemises un peu rigide, mais rien de très solide. Non, pour amidonner un col comme au début du siècle, il faut procéder comme un confiseur, avec une mixture. C’est un procédé complexe et devenu extrêmement rare. Il faut dans un récipient préparer une solution concentrée d’amidon et de quelques autres secrets, comme la paraffine. Cette solution peut être froide ou chaude.
La fine bandelette de col, encore souple, est trempée et triturée dans cette mixture pâteuse jusqu’à s’imbiber complètement. Cette soupe est terriblement collante, aussi la pièce doit elle être parfaitement propre et hermétique pour qu’aucune poussière ne vienne troubler ce processus. Une fois la solution séchée et non collante, le col va être mis en forme, sous un fer chaud, exactement à la manière d’un ruban de papier cadeau, que l’on fait boucler à l’aide d’un ciseau. En tirant le col sous le fer, cela l’incurve. Il suffit alors avec un goujon (un stud) de le ‘boucler’ devant et en refroidissant, la forme restera ronde.
Les meilleurs cols sont également glacés en plus d’être amidonnés. Lorsque le fer est chaud et avant d’arrondir le col, il faut disposer un peu de savon ou d’un produit spécial dont je n’ai pas trouvé la trace, qui sous le fer, fond et donne ce glaçage si caractéristique. Ces techniques étaient aussi utilisées pour amidonner et glacer les manchettes et plastrons. Quel travail!
Apparemment, la Blanchisserie Teinturerie Wartner à Saint Cloud est l’une des dernières à maitriser cette démarche. Karl Lagerfeld y faisait traiter ces cols durs. De nos jours, les solutions liquides à froid proposées par les pressings n’arrivent pas à la cheville de cette manière de confiseur.
Amusante astuce. Les polytechniciens si vous admirez leur uniforme, notamment lors du défilé du 14 juillet, portent un col tubulaire haut sous l’uniforme, qui dépasse légèrement sous le menton. Mais ce n’est pas un col amidonné. C’est une bande de plastique blanche… renseignement pris auprès d’un récipiendaire, cela fait transpirer affreusement!
Évidement, dès les années 30, les bons professionnels se sont faits rares. Ce qui explique en partie l’abandon du col dur. Et surtout, les hommes ont voulu plus de souplesse, moins de rigidité. Amusons-nous pour finir avec cet excellent dialogue tiré d’un épisode de 1990 de la série Hercule Poirot.
Il est tout en vérité drôle.
Série Hercules Poirot, saison 1, épisode 2, Meurtre par procuration.
« Poirot – Mademoiselle Lemon, nous ferions mieux de trouver une solution à mes problèmes de cols. Le teinturier doit être soudoyé par mes ennemis, ce n’est pas possible. […]
Poirot dictant à miss Lemon – à la blanchisserie du bouledogue soigneux, ‘messieurs, une fois de plus, je me vois dans l’obligation de faire part à vos services, de la profonde insatisfaction que m’inspire la manière dont vous amidonnez mes cols. Je vous renvoie à mes instructions du 24 mars 1935 ainsi qu’à mes courriers ultérieurs du…’ cherchez les doubles des lettres dans le fichier mademoiselle Lemon et énumérez les.
Miss Lemon – toutes monsieurs Poirot ??
Poirot – oui toutes mademoiselle Lemon, toutes. L’affaire devient tranchante !
Miss Lemon – mais le problème monsieur Poirot, c’est qu’ils ne comprennent rien à vos lettres.
Poirot – pourquoi ?
Miss Lemon – ce sont des chinois monsieur Poirot.
Poirot – la blanchisserie du bouledogue soigneux est chinoise ?
Miss Lemon – Oui monsieur Poirot.
Poirot – Où va le monde mademoiselle Lemon !?
Miss Lemon – J’aurais du mal à vous le dire. Mais quand le petit pékinois rapporte votre linge, il rapporte aussi vos lettres afin que je lui explique ce qu’il y a dedans.
Poirot – Et vous le lui expliquez ?
Miss Lemon – Non
Poirot – Mais pourquoi donc ?
Miss Lemon – … je ne parle pas le chinois.
Poirot – Mais alors que lui dîtes-vous ?
Miss Lemon – Et bien je lui dit [en mimant] ‘toi pas bien regarder col, amidon mal mis’. Et je lui montre le col en lui disant
Poirot – se tournant vers Hastings : Hastings mon ami, vous avez passé plusieurs années en Chine, n’est-ce pas.
Capitaine Hastings – Effectivement, de gens charmants, absolument charmants.
Poirot – Avez-vous jamais eu des problèmes de blanchisserie ?
Capitaine Hastings – Ah oui ! Maintenant que vous m’y faites penser.
Poirot – Et dans ces cas là, que leurs disiez vous ?
Capitaine Hastings – Je leur disais [accent chinois] ‘toi pas bien regarder col, amidon mal mis’.
Miss Lemon – C’est de là que je tiens le renseignement, je savais que le capitaine avait été en Orient.
Poirot – Hastings, je n’ai jamais remarqué aucune amélioration dans mes cols.
Capitaine Hastings – Non ? A moi non plus d’ailleurs maintenant que j’y pense. Pourquoi ne vous mettez vous pas au col souple Poirot ? C’est beaucoup plus actuel vous savez.
Poirot – Actuel… Hastings ! Croyez-vous que Poirot se soucie un seul instant des péripéties de l’actualité ?
Capitaine Hastings – Euh… non… j’en ai conscience Poirot.
Poirot – Le col souple est le premier signe du naufrage des cellules grises ! »
Un dialogue historique sur deux points, la disparition du savoir faire d’amidonneur et surtout, la transition au col souple. Le col souple signe l’abandon du col cassé haut, qui ne peut tenir que grâce à l’amidon qui en glace la surface. Le col à retombé en revanche, s’accommode très bien de la simple structure du tissu. C’est l’enforme par couture qui fait tenir le col en place. Nous en verrons la semaine prochaine les différentes formes.
Bonne semaine, Julien Scavini
Je confirme à propos du glaçage, pour la blanchisserie Wartner, qui a aussi un magasin 17 rue de la Pompe, Paris XVIe.
Malheureusement la ”glaceuse” de chez Wartner a pris sa retraite. C’est Pouyanne, bd Haussmann, qui a pris le relais et les tarifs ne sont pas démocratiques…
En même temps le col dur est-il démocratique ?
Un col est-il démocratique?
Vous jouez sur les mots, cher Monsieur Scavini. Dans ma phrase, ”démocratique” était un synonyme un peu plaisant de ”bon marché”. À sçavoir, Pouyanne fait payer cher ses services: 50€ le glaçage du plastron, 30€ celui du col.
Lesdits cols ne sont ni démocratiques ni dictatoriaux ni aristocratiques. Ils sont élégants, et l’élégance n’est pas l’apanage d’un système politique ou d’une classe sociale.
Bien à vous,
Andrés Sorin
Ah pour ma part je pense qu’au contraire, cette élégance là, empesée, est l’expression d’un système politique et social. Si. Celui de la classe dirigeante du XIXème siècle.
Quand certaines personnes mettent un faux-col rigide en 2022, elles ne défendent ni critiquent quelque catégorisation sociale propre au XIXe siècle.
Quand j’enfile le beau smoking que vous avez bien voulu me faire, je n’exprime aucune opinion politique. Enfin, ce n’est pas parce que je mets un pantalon de golf que je me déclare favorable à la colonisation du Congo (cf les aventures du jeune reporter à la houppe) ou que j’admire le futur Duc de Windsor!
Vous ne gagnerez pas ce débat. Ni moi non plus d’ailleurs 🙂
Etant polytechnicien, en effet le col en plastique fourni avec notre uniforme est horrible à porter mais on peut commander au tailleur de Saint-Cyr, des cols en tissu pour une bouchée de pain (ils ont le même type de col officier). Ce col en tissu (comme celui en plastique) s’accroche sur plusieurs attache à notre veste ce qui lui permet de rester tendu en étant bien plus agréable
Les cols romains des prêtres aussi sont aujourd’hui d’affreux machins en plastique…
En complément de l’article et de l’ajout d’Arthur Neveu, les élèves de l’école des Sous-Officiers de Saint-Maixent l’Ecole ont eux aussi des cols en plastique (il en est de même pour les manches qui ne se résument qu’à une bande plastique de quelques centimètres). C’est horriblement désagréable : on transpire et ça cisaille la peau.
En revanche, à Coëtquidan, on perçoit des bandes en tissus qui sont accrochées à la tenue à l’aide de boutons. C’est bien mieux, mais on peut également acheter pour une cinquantaine d’euros (ou faire sur mesure pour cent quarante) une chemise col-officier.
Je ne m’étais jamais posé la question de les faire amidonner, le col de la veste les maintenant droits.
Une question demeure : à chaque lavage, faut il les amidonner à nouveau?
Bonjour M.Scavni.
Comme vous faites en ce moment des sujets sur les cols, je me suis toujours demandé ce que ce chef d’orchestre (Dan Ettinger) portait comme col, il me donne toujours l’impression d’étouffer à chaque fois que je le vois diriger.
Je vous redirige sur Instagram pour voir sa photo (à gauche).
Merci.
Ce col de Dan Ettinger est une intéressante trouvaille de style, quelque chose coupé par un atelier pour ressembler à un col ancien. C’est une heureuse trouvaille.
Mais je remarque qu’il est dommage de faire un tel effort chemisier lorsque l’on porte une veste aussi pourrie!