Si les joggings et autres pantalons élastiques peuvent s’enfiler et s’ajuster avec souplesse et simplicité, la plupart des pantalons ont besoin d’une large ouverture séparant la ceinture en deux, pour s’évaser et passer le bassin. Sinon on ne pourrait tout simplement pas les positionner jusqu’aux hanches. De nos jours, c’est la braguette, zippée ou boutonnée, qui permet d’agrandir momentanément la circonférence du pantalon, permettant à celui-ci d’emboiter convenablement le bassin. La braguette est la plupart du temps centrée sur le devant et dissimulée par un assemblage de tissu appelé le pont et le sous-pont. Il semble d’après des peintures et gravures que la braguette centrée soit apparue sous Napoléon III, à l’époque précisément de la démocratisation du pantalon. Comme le prouve cette photo datée de 1860 de l’Empereur :
Ce dispositif a priori si simple et pratique n’est pourtant pas très ancien. Certains plus anciens pantalons et les culottes surtout, vêtement phare de l’Ancien Régime recouraient à un tout autre mécanisme. Si la ceinture se séparait également en deux par le milieu, l’ouverture n’effectuait grâce à un immense volet, boutonné en haut, sur la ceinture, et retombant vers le bas. Pour retirer son pantalon, ou bien satisfaire un besoin naturel, il fallait déboutonner au niveau de la ceinture le volet, et le laisser retomber. Ainsi que vous pouvez le découvrir sur cette photographie d’un modèle ancien :
Voilà il faut le reconnaitre une manière ancienne et bien baroque d’ouvrir son pantalon. Si pour les hommes cette méthode de boutonnage est totalement tombée en désuétude, les femmes peuvent encore trouver occasionnellement ce type de finition, comme vous pouvez le constater ci-dessous. Elles appellent ce modèle « pantalon de marin », car ce sont bien les hommes qui le plus longtemps ont porté ce type de pantalon. Je serais d’ailleurs très intéressé d’apprendre jusque quand la Marine Nationale a admis ce modèle comme réglementaire. Peut-être qu’un lecteur le saura?
Parce que les marins portaient ce type de pantalon et qu’ils ont l’habitude de se travailler sur le pont des navires, un rapprochement logique s’est effectué entre eux et « le pantalon à pont ». J’ai tendance à penser que le mot pont vient tout simplement du vocable tailleur, désignant une pièce de tissu mobile faisant jonction. D’ailleurs, la braguette actuelle est constituée d’un pont et d’un sous-pont se boutonnant derrière.
Cette façon de boutonner le devant d’un pantalon est ancienne, probablement post-Renaissance. C’est au XVIIème et XVIIIème siècle que se forge l’esthétique de ce fermoir. Sur cette culotte déposée à Galliera datée de 1740/1750 (en velours façonné de soie rouille, doublure toile de lin écru, boutons bois recouverts de fils métalliques, cannetille, paillettes argent, lamé or), le pont est clairement visible, de petite dimension d’ailleurs :
Un autre exemple, Empire cette fois-ci montre un pont clairement mis en valeur par une jolie soutache de broderie stylisée :
Le pont pendant longtemps présente des lignes plutôt étroites et verticales comme vous le voyez. Avec l’époque Victorienne, il semble que cette esthétique toutefois cherche à se faire oublier. Question de pudeur? Quoiqu’il en soit, le pont s’élargit pour gagner les côtés sur du pantalon comme sur la photo à droite, où ses bords se font un peu passer pour des poches. Le pont chez Beau Brummell est très haut placé, très discret. Mais probablement très inutile pour satisfaire un besoin naturel…


Au cours de ma recherche, j’ai trouvé ce très beau cliché d’un manœuvre portant un bel exemple de pantalon à pont, qui semble d’ailleurs être en peau :
Voilà pour ce fameux pont, une curiosité de style et de technique. Il semble aujourd’hui que la Navy américaine ait encore l’usage du pantalon à pont avec le modèle dit Crackerjack aux très nombreux boutons. Quant aux bavarois, leurs culottes de peau sont aussi, et normalement, pourvues d’un tel dispositif. Positivement baroque !
Belle et bonne semaine, Julien Scavini
Le pantalon à pont est toujours d’usage dans la Marine pour les matelots et quartiers-maîtres, en bleu comme en blanc !
Ah merci. Je n’ai pas trouvé de photo de cela, alors je n’arrivais à savoir.
Merci pour cet article très précieux sur les pantalons au pont.
Peut être pour compléter on peut aussi signaler que cette coupe est très utilisée pour les pantalons de cavaliers de chasse à courre .
De sorte que pour les hommes il ne soit pas nécessaire de descendre de cheval pour satisfaire ses besoins naturels légers .
Arnaud , ancien veneur.
Intéressant détail, plus qu’acrobatique !
Au sujet du pantalon Empire dont les sous-tâches mettent en valeur le pont, il s’agit, au-delà de l’aspect esthétique d’une manière élégante de cacher des fils de fer destinées à protéger cette partie du corps essentielle, des coups de sabres. Bien sûr, cela n’est utile que lorsque le coup est porté du tranchant et non d’estoc.
A noter que ces sous-tâches sont caractéristiques des Hussards et des Chasseurs à Cheval.
Avec ce type de pantalon, on pourrait éviter au moins une centaine d’ hospitalisations par an en France…
Et on dénombre 2000 “ZIRPI” chaque année aux USA selon la American Urological Association
ZIRPI pour Zipper Related Penile Injury
Soutaches et non sous-tâches.
Cordialement
Le pantalon à pont est encore d’actualité dans les tenues de cérémonie des quartier-maîtres et matelots. Cependant il a reçu une petite modification en 2021.
Avant le pont se refermait jusqu’en haut du pantalon et cachait la boucle métallique de la ceinture en tissu (bleu marine comme le pantalon, elle ne se voyait pas même de dos)
Maintenant le pont a été descendu et la boucle métallique se voit. Ça se veut plus moderne quand on porte la coloniale, un t-shirt à col rectangulaire par temps chaud (cela ne se voit pas avec la vareuse).
Je serai ravis de vous les montrer en photo (ou même de les ramener à Paris)
Merci pour cette précision intéressante. Il y a donc des stylistes aux Armées 🙂