Pendant longtemps, j’ai pensé qu’une chemise canonique, c’est trois pans de tissu, deux pour le devant et un dos. Simplement liés par des coutures côtés. C’est ainsi que je voyais les chemises et que je les trouvais d’ailleurs, chez Hackett fut un temps, avant de me lancer. Après mon installation, je réalisais des chemises ainsi, avec le dos lisse.
J’avais bien une chemise de cette marque anglaise, avec des pinces dans le dos, mais je trouvais cela suspect du point de la vue de la coupe classique, comme un excès de cintrage, une volonté trop moderne du styliste. Je suis resté jusqu’à récemment avec cette idée que les pinces dos ne servaient pas. Qu’elles étaient comme les boutons carrés et les boutonnières de couleur, une abomination contemporaine.
Et puis je me suis arrêté quelques instants pour regarder de plus près la coupe des chemises. Et j’ai confronté mes idées avec une modéliste spécialisée, chef d’atelier chez mon façonnier dans les Deux-Sèvres. Depuis, j’ai radicalement changé d’avis, au point même que je pense que les pinces dos sur une chemise, sont nécessaires et souhaitables. Et cela pour deux raisons.
Rappelons d’abord ce que sont ces pinces. Ce sont des coutures, disposées dans le dos des chemises, entre 6 et 10 cm des coutures de côtés. Ces pinces, comme leur nom l’indique, se terminent aux deux extrémités, en « mourant ». Elles commencent à 5 cm du bas de la chemise et « meurent » vers les omoplates. Une pince « oblitère » entre 2 et 4 cm de tissu, soit de 4 à 8 cm de tissu en moins à la taille de la chemise. Car les pinces sont là pour rétrécir la chemise au niveau de la taille naturelle. Pour galber le dos. Ces pinces sont couchées au fer à repasser, ce qui les plaque contre la chemise.
La première raison objective pour réaliser des pinces est la possibilité d’altération du modèle. Une chemise ne se retouche pas beaucoup. Elle peut se cintrer un peu par les coutures côtés. Mais en aucun cas, elle ne peut s’agrandir. Or, une chemise sur-mesure, et beaucoup de chemises du commerce actuellement, est plutôt près du corps. Alors lorsque l’on prend quelques kilos, la chemise devient vite serré et il n’y a rien à faire. Sauf en refaire une.
Avec des pinces dos, il est possible d’agrandir la taille d’une chemise, de la décintrer. Tout simplement en diminuant les pinces voire en les escamotant. Ce qui, mine de rien, permet de gagner environ 6 cm en moyenne de tissu au tour de taille.
Donc la première raison d’être des pinces, la plus intéressante pour un commerçant, est cette capacité à agrandir le modèle.
Ensuite, est-il logique de penser qu’une chemise avec pinces est trop cintrée ? La réponse est clairement non. Une chemise peut être conçue avec des pinces tout en étant généreuse au ventre. Les pinces en fait ne sont là que pour une chose, cintrer le dos, le galber et le faire appliquer mieux au creux des reins.
Pour autant, il n’y a aucun rapport direct entre les pinces et une chemise étriquée. C’est purement un choix de patronage.
C’est même plutôt l’inverse lorsque le patronage est bien conçu. C’est là que c’est très difficile à expliquer. Mais ce qu’il faut comprendre, c’est qu’une chemise avec des pinces dans le dos a des devants plus confortables. Plus d’aisance devant, au ventre justement. Il y a une balance du tissu qui se fait au moment du patronage.
Je vais essayer de vous faire comprendre simplement, avec le dessin ci-dessous :
Prenons l’exemple d’un homme, Maurice, qui mesure 84 cm de tour de ventre. Le tour de ventre classique de la chemise serait de 84 + 8 cm = 92 cm.
Disons que les coutures côtés séparent en deux cette valeur. Le dos fait 46 cm et les devants 46 cm aussi. Il y a un équilibre, les repères violets sur le dessin du haut.
Si maintenant on veut mettre des pinces dans le dos, disons de 6 cm. Si on les applique bêtement, le tour de taille va se resserrer, de 92 – 6 cm = 86 cm. Mais ça on ne veut pas en fait, car là c’est juste trop cintré, c’est à la peine le tour de ventre de Maurice. Non, on veut toujours 92 cm de tour de ventre fini.
Alors, la chemise est coupée avec 98 cm de tour de ventre. En fait 92 + 6. Soit un dos de 49cm et des devants de 49 cm, on est toujours à l’équilibre. Mais avec l’application des pinces dans le dos, la chemise va arriver à un devant de 49 et à un dos de 43 cm. Voir dessin du dessous, avec les repères bleutés.
Avez-vous suivi ? Ainsi, le dos est plus petit est vient plaquer les reins. Et le devant est plus ample de quelques centimètres. Ce qui fait qu’à mesures égales (92 cm), la chemise est plus confortable au ventre, en position assise, et élégamment cintrée en position debout. Les pinces relâchent d’autant les devants qu’elles galbent le dos.
Au final, je ne vois que des avantages à une chemise avec des pinces dos. Un, elle est facile à agrandir s’il y a un gain de poids. Deux, elle permet une certaine aisance du ventre mou et un certain galbe du dos dans le même temps. Intéressant non ?
Reste cela dit à préciser, qu’avec une chemise vraiment ample, telle qu’on les coupait dans les années 90, et comme probablement on les recoupera un jour, les pinces ne servent à rien, car de toute manière, de l’aisance, il y en a partout. Mon raisonnement est donc valable pour une chemise moderne, relativement près du corps.
Belle et bonne semaine, Julien Scavini
Qu’en est-il des plis qui partent des omoplates ou au centre de la chemise ?
Les plis d’aisance. J’essaierai d’en parler prochainement 😉
Merci cher Julien pour vos chroniques toujours instructives et divertissantes.
Mais je vous en prie, il en va de la belle journée comme de la boutonnière de couleur, c’est non ! 😉
https://www.franceculture.fr/emissions/carnet-de-philo/carnet-de-philo-du-jeudi-11-mars-2021?xtor=EPR-3
Bien à vous,
-grégoire
Qu’en est-il des plis qui partent des omoplates ou au centre de la chemise ?
Chez Ralph Lauren cela se fait beaucoup au centre de la chemise et la dénomination de la chemise est appelée ajustable.
merci pour cette explication.
Bonjour, je lis: Ce qui, mine de rien, permet de gagner environ 6 cm en moyenne de tissu au tour de taille.
Ce n’est pas le cas chez Hugo Boss, Ralph Lauren ect…
S’il y a pinces, et si celles-ci sont défaites, normalement on peut gagner 6 à 8 cm d’aisance…
Merci beaucoup pour cette précision technique. Le schéma et le mode de calcul sont vraiment très clairs et profitables. Cela me donne quelques idées et l’envie de les mettre en pratique 🙂
Bonsoir, oui il y a des pinces, mais elles ont une largeur d’1 Cm.
Bonsoir, les pinces, ont une largeur d’1 Cm.
En parlant de chemise, une réflexion : la technologie pour les tissus a beaucoup évolué, les vêtements ont aussi des nouveautés, mais pourquoi n’y a-t-il pas des vestes qui permettent une liberté de mouvement comme être en chemise ?
Car l’un est vêtement à même la peau, alors que l’autre est censé aller sur un vêtement, comme une dernière couche. & la veste recherche une certaine netteté des lignes, là où la chemise n’est que pliures.
Bonjour, merci pour les explications. Dans la méthode de patronage homme Esmod, ils préconisent des pinces devant pour les chemises habillées. Je n’ai pas encore tenté, je débute en patronage, avez vous déjà vu ce type de pince et peut-elle avoir un intérêt?
Curieux et jamais vu.
Les chemises Turnbull & Asser de Sean Connery dans les James Bond (notamment Bons baisers de Russie) ont à la fois des pinces et des plis d’aisance pour coller à son torse en V assez marqué.
Je viens de commander une première chemise à Naples en demi-mesure et je n’ai pas demandé de pinces dans le dos. A l’essayage du gabarit, le tombé était plus ample sur les reins et ce n’était pas pour me déplaire. Je verrai à l’usage. En y repensant, cet excès de tissu oblige à bien savoir « ranger » la partie invisible de la chemise quand on ferme la ceinture de son pantalon…