Le pantalon en denim, un looping sartorial

Nous connaissons tous le jean. Impossible d’y échapper : il traverse les époques, les générations et les styles. Ce pantalon né dans les ateliers du XIXᵉ siècle, conçu à l’origine pour les ouvriers, les chercheurs d’or et les cow-boys, s’est imposé au fil du temps comme un incontournable du vestiaire moderne. À la fin du XXᵉ siècle, il a définitivement quitté les mines et les champs pour devenir un symbole de simplicité quotidienne. Aujourd’hui, le jean est partout : du bureau aux podiums, des friperies aux boutiques de luxe.

Deux éléments essentiels définissent le jean auquel notre œil est habitué. D’abord, un tissu : le denim. Une bâche de coton robuste, tissée en sergé, reconnaissable à son envers clair et son extérieur bleu. Ce bleu, d’ailleurs, n’est pas unique : il se décline en une infinité de nuances, de délavages et de patines. Si d’autres couleurs existent aujourd’hui — noir, blanc, brut, gris ou même pastel —, le bleu indigo reste son ADN. Ensuite, viennent les détails de construction, hérités de son usage utilitaire. Les surpiqûres apparentes, les rivets métalliques qui renforcent les zones de tension, les poches plaquées à l’arrière et les poches arrondies à l’avant — loin des poches passepoilées et biais typiques des pantalons de tailleur. Tout, dans le jean, respire la solidité et la fonctionnalité : un tissu robuste et des montages pensés pour durer. C’est cette combinaison qui a fait du jean non seulement un vêtement résistant, mais aussi un symbole culturel, entre travail et style, entre héritage et modernité.

Cet univers culturel qu’est le jean n’a rien de familier pour les tailleurs. C’est même, à bien des égards, son opposé.

D’abord, le coton. Matière reine du jean, il est pourtant peu apprécié dans les ateliers tailleur. Là où la laine, le cachemire ou le mohair se plient volontiers aux exigences du repassage, du formage et des points main, le coton, lui, résiste. Trop rigide ou trop plat, il ne se modèle pas aisément. Sa trame dense et sèche rend la couture à la main laborieuse, parfois même douloureuse pour les doigts. Bref, ce n’est pas un textile que le tailleur affectionne : il ne “vit” pas sous l’aiguille comme le ferait un drap de laine.

Ensuite viennent les détails de construction. Les tailleurs travaillent selon des codes précis, hérités d’une longue tradition : poches passepoilées, coutures invisibles, propretés intérieures, finesses des montages, repassages appuyés. Tout est pensé pour la ligne, l’équilibre, la discrétion du geste. Le jean, lui, procède d’un tout autre langage : surpiqûres apparentes, rivets métalliques, coutures renforcées, poches plaquées. Des solutions fonctionnelles avant tout, issues du monde ouvrier, et étrangères à la logique du sur-mesure ou de la coupe tailleur.

En somme, là où le tailleur cherche la fluidité, la précision et l’élégance du geste, le jean revendique la résistance, la simplicité et la franchise du travail bien fait. Deux univers que tout semble opposer — et c’est précisément ce qui rend leur rencontre intéressante. Peut-être ?

Si l’on part du principe que les méthodes et montages du pantalon tailleur — doublure partielle, couture ouvertes, fermoirs à plusieurs points, pli repassé au fer — restent immuables, alors la véritable variable dont dispose le tailleur, c’est le tissu. Car dans l’univers du tailleur, tout ou presque est codifié : les proportions, les lignes, les équilibres de volumes, la logique de montage. Ces gestes se transmettent, se répètent, s’affinent, mais ne se bouleversent pas. La coupe d’un jean par ailleurs est assez différente, notamment à la fourche. La rigueur du savoir-faire garantit la pérennité du style. Le seul espace de liberté, celui qui permet au tailleur d’interpréter, d’expérimenter, voire de dialoguer avec d’autres cultures vestimentaires, c’est la matière.

Ainsi, c’est par le choix du tissu que le tailleur peut faire entrer dans son langage des références extérieures — ici, celle du jean. En troquant le drap de laine pour une toile de denim, il ne change pas sa manière de construire le vêtement : il en change l’esprit. Le geste reste le même, mais le message se transforme. Le coton, autrefois proscrit pour sa résistance à l’aiguille, devient alors un terrain d’exploration : une façon de confronter la noblesse du tailleur à la rudesse du vêtement ouvrier. Une rencontre entre deux mondes que tout semblait séparer — l’élégance du sur-mesure et la robustesse du quotidien.

Lorsque le denim entre dans l’atelier du tailleur, quelque chose d’inédit se produit. Le tissu, habituellement destiné aux chaînes industrielles et aux surpiqûres mécaniques, se voit soudain traité avec une délicatesse inhabituelle. Sous les mains du tailleur, il se dote d’une précision nouvelle, presque d’une noblesse inattendue. Le denim, pourtant rustique, se prête alors à un tout autre registre. Travaillé comme un drap de laine, il révèle des subtilités de texture, des nuances de ton, des reflets de trame que l’on ne perçoit pas dans un jean standard. Les volumes s’affinent, les lignes s’équilibrent, les coutures se font discrètes. Le pantalon de travail devient pièce de style, presque pièce de conversation.

Esthétiquement, cette hybridation raconte une tension fascinante : celle entre la rigueur et la spontanéité, le formel et l’informel. Le denim adoucit la solennité du tailleur, tandis que la coupe tailleur élève le jean au rang de vêtement construit, pensé, sophistiqué. Symboliquement, c’est une réconciliation : celle du travail et de l’élégance, du quotidien et de l’exceptionnel. Là où l’un évoque l’effort, l’autre incarne la maîtrise. Leur union crée une allure nouvelle.

Ce pantalon de ville en denim — que l’on peut, avec beaucoup de précaution, qualifier de “jean” tant il s’en éloigne —, les Italiens le maîtrisent depuis longtemps.

Il faut dire que l’Italie a toujours excellé dans cet art subtil du mélange des registres. Là où les Anglo-Saxons séparent strictement l’univers du tailoring de celui du sportswear, les tailleurs transalpins ont su, dès les années 1970, brouiller ces frontières avec élégance. Sous leurs ciseaux, le denim cesse d’être un tissu utilitaire : il devient matière de style. Des maisons comme Kiton, Brioni, ou plus tard Incotex et Rubinacci, ont exploré ce territoire singulier : un pantalon à pinces, doublé, coupé comme un pantalon de flanelle — mais taillé dans un denim souple, parfois lavé, parfois brut. Le résultat n’a rien à voir avec un jean : la ligne reste fluide, la construction raffinée, et le tombé du tissu, plus dense que celui d’une laine, confère au vêtement une allure décontractée sans perdre en tenue. C’est une approche typiquement italienne que l’on retrouve chez Pini Parma : celle de l’élégance décontractée, de la “sprezzatura”, cette aisance à mêler le formel et l’informel sans jamais tomber dans la négligence. Là où le jean américain revendique sa robustesse, le pantalon en denim italien revendique sa nonchalance maîtrisée. Comme d’ailleurs la chemise en denim.

Cette idée, je l’aime depuis longtemps. Elle me séduit par tout ce qu’elle raconte : le dialogue entre deux traditions, la noblesse du geste tailleur appliquée à une matière populaire, la rencontre entre rigueur et décontraction. Pourtant, force est de constater qu’elle ne fait pas rêver tout le monde. En tout cas, pas ici. Les Français, semble-t-il, ne partagent pas cette fascination. Ou du moins, mes clients n’y ont jamais vraiment adhéré. J’ai tenté l’expérience à plusieurs reprises en prêt-à-porter. À chaque fois, ou presque, ce fut un échec. Le public restait circonspect, hésitant, incapable de situer la pièce. Trop habillé pour être un jean, trop décontracté pour être un pantalon de ville. C’est peut-être là tout le problème : en France, le vêtement reste encore catégorisé, assigné à un usage. On distingue avec soin le formel du décontracté, le bureau du week-end, la veste du blouson. Le denim, lui, brouille ces frontières — et cela déroute. Là où les Italiens voient un jeu, les Français perçoivent une ambiguïté. Sauf pour la chemise en denim, très adoptée.

Pourtant, nous n’en étions pas si loin.
Combien ai-je vu de messieurs entre deux âges, dont le blue-jean — car ils l’appellent toujours ainsi — était soigneusement repassé, pli marqué, parfois même légèrement amidonné, préparé avec attention par leur épouse. Ce n’était plus vraiment un vêtement de travail, ni un symbole de rébellion : c’était devenu leur pantalon du dimanche, celui qu’on porte pour “être à l’aise mais présentable”. Une esthétique très années 1990, à mi-chemin entre la décontraction et la correction. Le jean, dans cette version domestiquée, cherchait déjà à se rapprocher du pantalon de ville : un coton bleu, net, propre, assorti à une chemise bien rentrée et à un pull col V. En somme, une tentative spontanée, presque instinctive, d’apprivoiser le denim sans renoncer aux codes du “bien mis”. Peut-être que cette génération, sans le savoir, a posé les premiers jalons de cette idée : le denim civilisé, poli, intégré dans une logique de tenue plutôt que de vêtement de travail. Mais à l’époque, il ne s’agissait pas de style — plutôt d’habitude, de respectabilité, de “faire propre”. Là où je rêvais d’un pont entre le tailleur et le denim, eux pratiquaient, sans en avoir conscience, une version naïve et touchante de cette rencontre.

Au fond, je crois que c’est de là que vient mon attachement à cette idée. J’aime mon pantalon à pli, taillé dans la même coupe que mes pantalons de flanelle, mais confectionné dans un denim japonais dense et souple, au bleu profond. Simple, efficace, polyvalent. Il résume à lui seul ce que j’aime dans le vêtement : la justesse, la continuité du geste, la discrétion du style. Ni vraiment jean, ni vraiment pantalon habillé, il se glisse partout sans jamais jurer. Il a ce quelque chose de discrètement habillé, ou peut-être discrètement décontracté — c’est selon le regard. Il accompagne sans imposer, structure sans contraindre. Bref, il incarne cet équilibre que je cherche depuis longtemps : un vêtement sincère, à la fois ancré dans le quotidien et fidèle à une idée d’élégance.

Bonne réflexion, belle semaine, Julien Scavini

Le pantalon en gabardine blanche

Le goût pour les pantalons clairs n’était pas vraiment là si on remonte dix ans en arrière. Au début du blog, à part le chino beige, je ne voyais pas beaucoup ce sujet dans les vitrines et sur les élégants.

Le retour à la chose sartoriale entre temps a amené un regard nouveau sur le pantalon. L’ancestral pantalon gris de nos grands pères n’est pas assez typé, n’est pas assez punchy pour les jeunes qui veulent s’habiller classiquement. Et qui veulent du panache.

L’éclosion du style « Cucinelli » largement pillé par Suit Supply, composé autour d’une palette très claire de beige, de gris pastel et de blanc cassé a donné l’idée de la couleur claire. Et du pantalon blanc en particulier. Ou blanc cassé. Autrement dit, écru. Pour l’hiver en flanelle ou en velours. Pour l’été, en coton ou en lin.

L’avantage du pantalon blanc, ou écru, est de passer avec tout. C’est un modérateur neutre, entre le haut (veste ou pull ou chemise) et le bas, souliers en cuir ou sneakers modernes. Le pantalon blanc permet à la fois un look sur un camaïeu de couleurs claires, ou au contraire, de réaliser des contrastes marqués, mettant en valeur les vêtements qui l’entourent.

Seulement voilà, un pantalon en lin ou un pantalon en coton donnent toujours l’impression de sortir de la gueule d’une vache. C’est froissé, rien n’y fait. Et quand le coton ou le lin sont lourds, au mieux, c’est comme taloché, à la surface façon papier vélin.

A la recherche de looks étudiés, très fluides et en un mot parfait, les maisons de luxe comme Loro Piana ont choisi de mettre sur le devant de la scène le pantalon en gabardine de laine. La gabardine, pour le faire vite, c’est un tissu type costume, lisse au toucher, à la couleur uniforme, sans relief donc, sans effet chiné. Ce pantalon de gabardine blanc traverse l’histoire de la mode. On l’aperçoit souvent dans Apparel Arts et autres dessins des années 30. On le voit souvent dans les années 70. Il va et vient au gré des modes et Ralph Lauren l’utilise beaucoup pour son pouvoir évocateur, celui du dandy ou du lord, impeccable sur lui. On le voit beaucoup dans ce film très curieux qu’est La Grande Bellezza.

Minuscule digression. La laine étant une matière animale, elle ne peut jamais être blanc optique. Elle ne peut être qu’écrue, genre coquille d’œuf claire, genre crème. Le pantalon de gabardine (de laine, il est inutile de le préciser en fait) que l’on dit blanc, c’est en fait un blanc cassé.

Le pantalon blanc en gabardine a le tombé du pantalon de costume. Il a la fluidité et la légèreté de la laine. Il drape admirablement. Il en a la netteté aussi, le pli reste bien tendu. Lorsque la pose est statique, les lignes sont admirables. Pas comme un lin ou un coton.

On pourrait croire alors que dans un look sartorial, le pantalon de gabardine blanc est le graal. Seulement voilà, je n’ai presque jamais trouvé un drap de laine écrue qui ne soit pas transparent. Et oui, c’est l’écueil numéro 1. Il faut le savoir. Sur un pantalon de laine écrue, on voit tout, les coutures d’abord, les fonds de poche ensuite, le caleçon enfin. Même avec des sous-vêtements blancs, on devine la peau, etc… C’est toujours très frustrant pour le tailleur qui se retrouve devant le client sans savoir quoi dire. Même la gabardine Loro Piana de 340grs est ultra transparente. Cela se remarque sur le pantalon ci-dessous, vendu 585,00 $ chez Golden Goose, et dont la photo a du être particulièrement retouchée.

Je dis presque, car dernièrement, j’ai testé pour un client une gabardine Drapers de 310grs qui était étonnante d’opacité.

L’écueil numéro 2 est le côté quand même terriblement apprêté d’une telle mise. Le pantalon en gabardine blanche fait très habillé. Il fait trop habillé. Et hélas, cela ne colle pas bien avec l’époque et l’humeur générale. Je ne dis pas qu’il faut refuser de chercher l’élégance sur cet autel. Il existe bien des chemins pour cela. C’est juste que le pantalon de gabardine blanc fait un peu Michel Serrault dans La Cage aux folles. C’est un pantalon rutilant. Mais qui impose tant sur le reste, en qualité et en allure, qu’il est préférable de s’en méfier et de ne le manier qu’avec des pincettes. C’est mon avis.

Belle semaine, Julien Scavini

L’invention du revers en bas du pantalon

Si les gaulois ont inventé les braies, il fallut tout de même attendre longtemps avant que le pantalon ne fasse vraiment son apparition dans la garde-robe masculine. C’est aux alentours de 1800 que celui-ci fait son entrée. Mais il faut encore attendre un peu pour qu’il devienne un habit élégant et reconnu. En France, c’est sous Napoléon III (Président puis Empereur de 1848 à 1870) que la culotte et les bas de soie cèdent la place au pantalon sur les portraits officiels. J’avais remarqué qu’aux Etats-Unis, c’est sous l’ère de James Monroe (Président entre 1817 et 1825) que le même mouvement intervient. Pays aimant la praticité, il est normal que la pantalon y trouva un écho rapide et favorable.

Sous l’ère victorienne, le pantalon connait diverses formes, étroit puis large, plié par les côtés puis pliés sur l’avant comme aujourd’hui. C’est à son fils, le roi Édouard VII (entre 1901 et 1910) que l’on doit l’invention du revers. Si les vêtements trouvent souvent leurs origines dans des fables diverses, le fait est ici attesté. L’historien Farid Chenoune dans son livre Des Modes Et Des Hommes estime que c’est en 1909 au derby d’Epsom que le royal personnage, précurseur des modes, se présenta avec un retroussis en bas de son pantalon. Le sol était boueux et c’était ainsi une manière de s’en prémunir. Comme on peut l’apercevoir sur cette gravure reproduite en première page d’une gazette. Voilà assurément un document d’une immense valeur sartoriale :

L’idée fit florès et la bonne société adopta pour les pantalons de campagne cet usage. Naquit alors chez les Anglais cette dichotomie : pantalon de ville avec un ourlet simple et pantalon de campagne avec un revers. Preuve en est : son fil, alors le roi George V (entre 1910 et 1936), très rigoriste en tout, fit un jour à Buckingham la réflexion suivante à un visiteur : « mon palais est-il si humide que vous deviez porter des revers ? » C’est pour cela par exemple que les pantalons des tenues habillées n’ont jamais de revers, comme le smoking, la queue-de-pie ou la jaquette.

Il faut toutefois remarquer que sur le continent, l’usage est presque inverse. Il est en effet considéré que le revers sied bien aux pantalons de ville, qu’il fait habillé, qu’il termine élégamment un beau costume et tombe bien sur le soulier. C’est une question de philosophie presque. Pour les Italiens, il est inconcevable qu’un beau pantalon n’ait pas de revers!

Avec le temps cependant, il est difficile de tirer une règle claire. Chacun fait comme il l’entend, suivant l’humeur du jour et l’âge du capitaine. Par exemple, Barack Obama ou Donald Trump alternaient pantalons à revers ou sans. Emmanuel Macron n’en a jamais, ce qui est probablement mieux, car ses coupes de pantalons sont étroites. Ci-dessous un élégant portrait d’un élégant, Enoch Powell :

Les messieurs d’un certain âge en général aiment les revers. J’ai tendance à croire que les très classiques ayant toujours fréquentés le tailleur font 4cm. Que ceux ayant apprécié la mode des années 80 penchent plutôt pour 3cm de haut, un brin chiche. Mais lorsqu’ils veulent faire jeune, souvent poussés par madame, ils veulent un ourlet simple. A l’inverse chez les jeunes, le revers de 4 à 5cm de haut, associé à un pantalon très étroit et plutôt court plait énormément. L’influence bénéfique d’Instagram et de l’humeur transalpine! J’ai occasionnellement fait 6cm. C’est beaucoup. Je note par ailleurs depuis quelques temps une envie chez les jeunes clients pour les pantalons plus larges. L’ère du slim touche bientôt à sa fin. Enfin, le chino de coton qui normalement se porte simplement avec un ourlet, est très apprécié ces temps-ci, non avec un revers bien construit, mais avec un retroussis qui dévoile à la fois les chevilles et l’envers coloré des coutures.

Je note enfin qu’une quantité astronomique de clients, lors de l’essayage, à la question  » ourlet invisible ou revers?  » ne savent pas quoi répondre, car ils n’ont jamais entendu parler d’un revers… Ils ne voient tout simplement pas de quoi il s’agit. Les cheveux se dressent sur ma tête !

Belle et bonne semaine, Julien Scavini

PS : ce soir, j’ai écouté le concerto pour violon de Tchaikovsky par Yehydi Menuhin et Ferenc Fricsay. Sans grande passion toutefois. Le concerto pour piano est plus enthousiasmant.

La doublure du pantalon

Tous les pantalons ont une doublure au niveau de la ceinture. A part les jeans. Une petite cotonnade en plusieurs morceau qui s’appelle la hausse de ceinture et qui double celle-ci, tout en camouflant le haut des sacs de poches. Le terme hausse est curieux. Il vient probablement du verbe hausser. Le dictionnaire donne : « Technique :Objet ou dispositif qui sert à hausser. » On l’aurait deviner.

Rentrons dans la technique. Chez un tailleur, la ceinture d’un pantalon est réalisée en triple épaisseur. A l’extérieur le tissu proprement dit. A l’intérieur contre la chemise, un tissu de coton, de la percaline exactement, faisant doublure. Entre les deux, en sandwich, une toile de lin fort rigide, donnant la structure verticale et le maintien de la bande de ceinture.

En industrie, il n’y a que deux couches. A l’extérieur le tissu proprement dit, légèrement thermocollé. Mais peu rigide. En revanche, la doublure intérieure (généralement en plusieurs bandes) incorpore elle une sorte de toile, un mesh, rigide. C’est le complexe de doublure, préfabriquée par une autre usine que celle qui coud les pantalons, qui incorpore cette sorte de toile qui fait la rigidité de la ceinture. De fait, ce composé, on ne l’appelle plus simplement une doublure de ceinture, mais une hausse. Car c’est lui qui tient la ceinture « debout », verticale et rigide.

Voilà pour cette première information.

Ensuite, parlons un peu de cette doublure qui est présente sur le devant de la cuisse, s’arrêtant sous le genoux. Elle n’est pas en coton elle. Mais en viscose sur les beaux pantalons. En polyester sur les mauvais. Et en soie sur les pantalons cousus à la main, si le client a apporté un bout de soie, à la fois pour faire son intéressant et pour embêter le tailleur avec des fadaises. Cette doublure rend tous les pantalons qui en ont des selvedges…. ahaha. Car cette doublure est coupée perpendiculairement au sens du tissu, et sa lisière (en anglais selvedge) un peu fileuse sert de bord non cousu.

Cette doublure est toujours présente sur les beaux pantalons, de laine. Si le pantalon est en coton ou en lin, cette doublure n’a aucun intérêt. C’est mon avis. Un chino n’a pas besoin de doublure. A priori… En mesure, j’ai l’opportunité de choisir avec mon atelier la présence ou non de cette doublure. Une fois que j’avais choisi de ne pas la mettre dans deux modèles en lin, le client a fait des histoires et j’ai du la coudre à la main… Je ne vous explique pas la galère pour rajouter une doublure dans un pantalon déjà cousu. Dès lors, j’ai tendance par défaut à laisser la doublure cuisse pour ne pas avoir d’histoires.

Cette doublure date de l’époque où la laine grattait. Car avant, oui, la laine grattait. Pourquoi dans les années 70 cette matière a perdu les faveurs du grand public et que le WoolMark a dû lancer d’immenses campagnes marketing pour ne pas faire oublier la laine… Car les anciens petits enfant se souvenaient – avec horreur – de leurs cuisses rougies par la laine qui grattait. Cette doublure cuisse devant est là où le pantalon applique le plus. Pour les laines les plus grattantes, il est aussi possible de doubler la cuisse dos.

Mais alors, de nos jours, alors que les laines ne grattent plus, ou peu, est-il utile de garder cette doublure? Pas forcément. Je me souviens que lors d’un stage chez Camps De Luca, j’avais ouï-dire que les pantalons n’étaient pas doublés. Et bien pourquoi pas. Je me suis fait cette double réflexion l’année dernière. L’été, je portais un pantalon de lin un jour de forte chaleur. La doublure de viscose me plaquait la cuisse et collait. Tout l’inverse des qualités du lin. J’ai fini par défaire le pantalon et araser la doublure en deux coups de ciseaux. Ah, le pantalon gagnait en fraicheur. Et en décembre, alors qu’il faisait bien froid, je sentais l’air froid remonter dans la jambe. La flanelle était agréable. Mais ce bout de viscose sur la cuisse était alors glacé. Désagréable. Dès, je me suis dit, peut-être qu’il est temps de se passer de cette doublure.

D’autant que cette doublure n’est pas simple à gérer avec les tissus fins. Il est obligatoire de lui donner du mou à cette doublure. En bref, d’en mettre plus que la laine elle-même. Avec comme objectif que la doublure jamais ne fasse tirer le tissu extérieur. Il y a un petit tour de main en couture à faire, pour avoir plus de doublure que de tissu. Un problème parfois ressort… le pli de la doublure n’est plus aligné avec le pli du tissu. Et le pli de la doublure se voit à travers le tissu. Et le client n’est pas content. En bref encore, la doublure fait du bazar et le tailleur est fautif.

Alors quant la doublure descend jusqu’à la chaussure, devant et derrière, je ne vous raconte pas le stress si jamais la doublure a un comportement inapproprié. Oui, car dans les tweeds bien grattant, une doublure devant et derrière, intégrale, peut être agréable. Elle peut aussi aider les chaussettes mi-bas à glisser mieux et à ne pas agripper le mollet. Je ne l’ai pas testé moi-même. Parce que l’idée de mettre une matière artificielle pour gainer entièrement un beau pantalon de laine me parait baroque. Je préfère être en contact d’une matière naturelle plutôt que d’une viscose. Mais chacun ses goûts et ses petits trucs !

Alors, avec ou sans doublure cuisse ? Faîtes vos jeux.

Belle et bonne semaine, Julien Scavini

Remonter son bénard

Les messieurs qui ont un petit rond de ventre sont souvent très interrogatifs envers le tailleur. Va-t-il les sauver ? Que peut faire le tailleur pour aider ? Deux solutions existent. La première consiste à faire descendre le pantalon sous l’estomac, donc à s’approcher d’un taille basse. Le mot est presque grossier et n’a pas souvent un bon écho.

A l’inverse, la solution est de ne rien faire du tout, de tailler le pantalon à la hauteur normale. Sur le ventre. Ah oui, mais alors, le pantalon tombe et surtout il a une cuisse large. Le pantalon est taillé comme un entonnoir, mais il est difficile de faire autrement à vrai dire et d’être très généreux au ventre et aux fessiers puis très mince à la cuisse.

Si l’homme accepte parfois cette cuisse généreuse, ce n’est pas toujours le cas de madame qui aimerait un peu de modernité. Ou de jeunesse. Reste la question de cette hauteur. Le pantalon, « il tombe tout le temps » j’entends dire. Alors il y a les bretelles, mais là aussi, rares sont les aficionados.

Et bien alors, il faut remettre le bénard en place ! Vulgairement. C’est-à-dire, sans cesse le remonter. Cela devient d’ailleurs avec le temps une sorte de réflexe conditionné, et presque une attitude en fait. En se relevant d’un fauteuil, remonter le pantalon. Après quelques pas, remonter le pantalon. Bref, faire en sorte que le pantalon retrouve sa position optimum et qu’il ait l’air beau. Presque une habitude de vieux lascars pour reprendre cet argot de titi parisien.

Je suis un grand fan de la série les « Soprano » et je prête beaucoup d’attention à Tony Soprano, en photo ci-dessus, un homme plutôt corpulent. Il porte probablement des coupes italiennes, genre Cerruti ou Armani des années 90. Des coupes généreuses, à trois pinces d’ailleurs là. Et cela m’a amusé de constater, qu’en permanence, il passe ses pouces sous la ceinture pour remettre le pantalon en place. Comme un réflexe conditionné, pour avoir l’air propre sur lui et un pantalon digne de ce nom.

Et de fait, la ligne est impeccable. Sans bretelles. Le pantalon il tombe bien, ceci probablement grâce à une coupe très étudiée appelée « big & tall » aux USA. Ça c’est du falzar de compétition pourrait-on rajouter.

Évidemment, la facilité habituelle, c’est de placer le pantalon en haut des hanches, un peu taille basse comme on l’a dit, mais cela fait ressortir le ventre encore plus. Avec un pantalon qui enveloppe bien comme ici, il faut faire un effort, celui de remonter la ceinture.

Cela dit quoi tout simplement ? Que l’élégance est un travail de chaque instant et qu’elle n’est pas une facilité. Le corps oblige.

Belle et bonne semaine, Julien Scavini

Au dos d’un pantalon, petites découpes spécifiques

Petit sujet ce soir pour répondre à la demande d’un lecteur concernant les petites découpes présentes au dos d’un pantalon. Les avez-vous déjà remarqués? Juste au dessus de la poche arrière, il y a une petite découpe qui remonte vers la ceinture. Il s’agit d’une pince réalisée dans le tissu :

Elle permet de diminuer le volume du pantalon, qui est obligatoirement plus large au bassin qu’à la taille. Normalement, la plupart des pantalons disposent d’une petite pince au dessus de chaque poche. Elles aident à gérer le volume du fessier et à faire en sorte que le pantalon « emboite » le porteur, comme on dit. Sur ce vieux patronage, remarquez l’encoche profonde en haut du panneau du dos, en forme de coin, dont la « soudure » permet de serrer la taille :

Il existe quelques coupes qui présentent deux pinces sur chaque dos. Soit quatre pour un pantalon. Ce faisant, le volume au fessier est plus important et le modèle plus confortable. Les modélistes se méfient toutefois généralement de donner trop de bassin. Ces petites pinces, lorsque doublées, donnent beaucoup de volume ce qui peut aussi nuire à l’allure générale. C’est un choix.

Généralement ces petites pinces finissent précisément dans les passepoils de la poche comme on peut le voir sur les photos précédentes. La pointe est prise dans la couture de cette poche. C’est fait exprès. Car la tête de la pince, cousue à la machine, peut avoir le défaut de se défaire avec le temps, et la pince se délite. Au moins, lorsque la poche tombe pile à cet endroit, la pince ne se défera pas.

Et encore. Il m’est arrivé de voir des pantalons portés si serrés que même ces petites pinces avaient éclatées.

Au devant en revanche, jamais de petites pinces cousues ainsi. Jamais. Des plis pincés, qui se développent et apportent de l’aisance et du style oui. Mais pas de petites pinces cousues, sauf sur quelques modèles féminins par choix du styliste.

Le jean lui a opté pour une coupe radicalement différente. Le jean est un vêtement robuste, de travail, qui ne peut se permettre de tels raffinements. Comme je l’ai dit, ces petites pinces peuvent se défaire. De surcroit, à la fabrication, elles prennent un peu de temps pour être bien cousues. Pour le jean donc, les tailleurs de l’époque ont décidé de supprimer ces petites découpes et de mettre à la place un gros panneau, coupé en forme, c’est à dire galbant le vêtement lorsque cousu. La couture n’est pas une petite encoche verticale en forme de coin, mais une grande balafre horizontale, comme ci-dessous :

Voilà donc pour ce petit sujet. Belle et bonne semaine, Julien Scavini

Le pantalon grande-mesure, un poème

Depuis quelques années que je collabore avec un tailleur pour la réalisation de costumes en grande mesure, je me félicite de constater le plaisir qu’ont les clients lors de l’essayage, en particulier, du pantalon. Le pantalon en grande-mesure, un plaisir à nul autre pareil.

Certes la veste est une œuvre d’art complexe qui demande beaucoup de travail et d’ajustements. Mais le pantalon, cette pièce si souvent vue comme inférieure, ne démérite pas. La veste, comme pièce de résistance est la plupart du temps attendue au tournant. Les clients attendent de voir l’épaule, le volume de la manche, la longueur du corps, la largeur du revers, le bon positionnement du bouton. Autant de détails qui ont été pensé et dont l’assemblage global donne le ton, l’esthétique et le plaisir du costume terminé.

Le pantalon lui, il est essayé en premier, comme ça, presque comme une formalité. Et une impatience apparait, alors que les ajustements sont faits ça et là pour caler la culotte, le rond de hanche ou la longueur.

Et puis, l’humeur se détend et le pantalon est observé. Le temps passe et le pantalon devient, en amont de l’essayage de la veste, un objet à regarder. Il devient un sujet. Le client s’assoit, teste son confort.

Souvent, pour ne pas dire invariablement, une sorte d’aise apparait, un sourire. Finalement ce pantalon qui n’était pas un gros sujet d’attente devient… une surprise. Celle d’une coupe élégante et précise, qui en même temps donne un grand confort.

Je ne compte plus les clients qui en fait, m’ont félicité (même si je n’y suis pour rien ne réalisant pas les grandes-mesures moi-même) pour le pantalon. Parfois certains recommandent quelques autres modèles, en coton ou en flanelle.

A quoi est-ce dû ? Il y a la coupe pour une part, je ne puis le nier. La coupe d’un pantalon se joue presque entièrement sur deux coutures, celle de l’intérieur de la cuisse se poursuivant depuis la fourche vers le milieu dos. De la conjonction de ces deux lignes nait le pantalon, un « siège » où résident le confort et le séant de Monsieur. Et ces deux lignes ne sont pas facile à caler, j’en sais quelque chose en petite-mesure. On fait « au mieux ». Mais en grande mesure, l’ajustement est évidemment plus simple, plus efficace, plus direct.

Je ne peux nier donc une part de la coupe. Mais ce n’est qu’une part je pense. Et pas tout à fait majoritaire. Car pour moi, tout le secret d’un bon pantalon en grande-mesure est dans le montage des intérieurs, les hausses et sacs de poches, en percaline (un coton fin) la plupart du temps. Et dans l’entoilage de la ceinture, à la toile de lin, à la fois souple et rigide. « All natural ».

Tout cela est monté à la main. Une spécificité de la grande-mesure parisienne ou italienne, où tout est fait main. Peu ou pas de machine à coudre. Mais des doublures appliquées à la main, où l’on voit l’enchainement des petits points de rabattement. Ces intérieurs si particuliers sont tels que le commun des mortels le trouve passable, mal exécuté voire grossier. C’est si différent des intérieurs normalisés et cousus machine que l’on connait. Lorsque j’ai donné des cours de couture (enregistrés par Artesane), j’ai vu l’étonnement de couturiers(ères), dont l’apothéose logique était de réaliser les intérieurs les plus impeccables possibles, orthogonaux et parfaitement bien cousus à la machine. D’une netteté d’usine. A l’inverse de la couture main qui fait irrégulier, curieux et ancien.

Mais tout est là. Et pourtant, tout est là ! Tout en souplesse. Un poème d’harmonie et de douceur contre le corps. Il vaut l’avoir essayé pour le croire. De cette pure simplicité de rabattements curieux et ancestraux, presque de rustines et de patch parfois, nait un confort inénarrable. Hélas, tout le monde ne peut l’essayer vu le coût. (Sauf à trouver quelques modèles en seconde main.) Il faut alors me croire, sur parole !

Bonne semaine, Julien Scavini

Quelle veste avec un pantalon à motif?

Un client venait de commissionner un élégant pantalon en tweed, présentant un chevron marqué opposant deux tons de marron. Une fois la commande terminée, il me demanda, éventuellement tenté, s’il était possible de faire une veste pour accompagner ce pantalon. Une veste dépareillée. Ayant proposé ce tissu dans la seule optique d’un pantalon indépendant, je ne m’attendais pas à la question, et rapidement j’ai répondu qu’hélas, avec un bas un peu typé, il m’était difficile de proposer quelque chose de potable pour le haut. Nous avons cherché quelques minutes un tissu de veste intéressant, mais sans réelle conviction. Il était complexe de trouver quelque chose à mettre sur ce pantalon.

Une idée, basée sur un a priori, que je ré-itère maintenant. Après réflexion, je ne vois pas beaucoup de cas possibles. Lorsque le pantalon présente un motif marqué, comme des chevrons ou des carreaux, la force expressive du bas l’emporte sur le dessus. Et la veste, qui est normalement le plat de résistance d’une mise, parait alors bien palote. Le coup est manqué du point de vue stylistique je trouve.

Un rare cas de figure s’oppose à cette idée, le pantalon en tartan. Seulement et seulement s’il est associé à un blazer, veste dont la force repose sur la simplicité du bleu, ou à un veste de smoking, là encore simplement expressive pour ce qu’elle est. Alors, le pantalon à motif fonctionne bien, car une sorte d’équilibre se crée entre les forces respectives du haut et du bas. Cela dit, ce sont des pantalons très luxueux, car ils ne sont pas très souvent portés, avec des accords possibles très minces.

En dehors de ce cas de figure, j’ai du mal à trouver des accords pertinents entre un haut et un bas à motif. C’est une sorte d’axiome, difficile démontrable, mais qui finit par être un fait. Moi qui aime bien les pantalons marqués, je dois confesser que je ne les envisage qu’avec un haut très simple, s’arrêtant préférentiellement à la taille, donc de petite dimension (moins présent esthétiquement qu’une veste) comme un pull bien sûr, ou un blouson chic. J’avais écrit là-dessus dans le passé. C’est pourquoi dans mes lignes de pantalons, je ne m’aventure plus beaucoup à dessiner des modèles à carreaux, qui posent souvent problèmes aux acheteurs, là où les unis et micro-motifs sont mieux accueillis.

A titre d’amusement, j’ai feuilleté un peu mes archives Apparel Arts pour trouver, peut-être?, quelques idées avec des pantalons à motifs. Force est de constater que la moisson fut mince. Voyez plutôt. Première image, les golfeurs. Super ce pantalon à gauche, comme celui de mon client précédemment évoqué. Mais porté avec un blouson, court et discret dans ses couleurs, donnant la primeur de l’allure au pantalon. Le caddy semble porté un gris à carreaux rouges de son côté, mais a-t-il une veste sous son manteau?

Autre exemple avec cet adolescent golfeur, dont le beau pantalon à chevrons gris n’est pas coupé dans son élan stylistique par une encombrante veste. Le polo, coloré certes, s’arrête à la taille.

Plus intéressant ci-dessous. Une veste « charcoal » avec un pantalon en gun-tweed. Ca, ça marche très bien, il faut reconnaitre, et c’est une bonne manière d’utiliser ce tissu par ailleurs très marqué pour une veste. Dans le dessin, l’association marche très bien, car le gun-tweed fait la part belle au noir, qui raccorde avec la veste. Voilà une excellente contre-offre à mon axiome.

Autre proposition de Laurence Fellows (1885 – 1964), avec un chevron gris et un veste marqué dans les bruns. Je suis peu enthousiaste.

Dernière image enfin avec cette tenue de chasseur très inspirante. La veste présente un fort impact visuel avec des grandes poches à soufflets et son parement d’épaule en cuir, et son absence de revers. Un équilibre se crée avec le pantalon, qui semble être un vichy, mais que les anglais appellent « shepherds checks », de couleurs crême et marron. Très intéressant aussi.

Deux exemples donc chez Laurence Fellows peuvent au moins démontrer que mon axiome ne tient pas totalement. Le pantalon expressif peut s’accommoder très dignement d’une veste. Toutefois, ce sont des accords mesurés et il est difficile de croire que ces pantalons sont d’un usage commode et varié. Au fond, comme disait encore Cioran, « N’a de convictions que celui qui n’a rien approfondi .»

Élégante semaine ! Julien Scavini. Pas de blog lundi prochain, je serais chez Hugo Jacomet pour de nouvelles aventures 😉

Le pantalon à pont

Si les joggings et autres pantalons élastiques peuvent s’enfiler et s’ajuster avec souplesse et simplicité, la plupart des pantalons ont besoin d’une large ouverture séparant la ceinture en deux, pour s’évaser et passer le bassin. Sinon on ne pourrait tout simplement pas les positionner jusqu’aux hanches. De nos jours, c’est la braguette, zippée ou boutonnée, qui permet d’agrandir momentanément la circonférence du pantalon, permettant à celui-ci d’emboiter convenablement le bassin. La braguette est la plupart du temps centrée sur le devant et dissimulée par un assemblage de tissu appelé le pont et le sous-pont. Il semble d’après des peintures et gravures que la braguette centrée soit apparue sous Napoléon III, à l’époque précisément de la démocratisation du pantalon. Comme le prouve cette photo datée de 1860 de l’Empereur :

Ce dispositif a priori si simple et pratique n’est pourtant pas très ancien. Certains plus anciens pantalons et les culottes surtout, vêtement phare de l’Ancien Régime recouraient à un tout autre mécanisme. Si la ceinture se séparait également en deux par le milieu, l’ouverture n’effectuait grâce à un immense volet, boutonné en haut, sur la ceinture, et retombant vers le bas. Pour retirer son pantalon, ou bien satisfaire un besoin naturel, il fallait déboutonner au niveau de la ceinture le volet, et le laisser retomber. Ainsi que vous pouvez le découvrir sur cette photographie d’un modèle ancien :

Voilà il faut le reconnaitre une manière ancienne et bien baroque d’ouvrir son pantalon. Si pour les hommes cette méthode de boutonnage est totalement tombée en désuétude, les femmes peuvent encore trouver occasionnellement ce type de finition, comme vous pouvez le constater ci-dessous. Elles appellent ce modèle « pantalon de marin », car ce sont bien les hommes qui le plus longtemps ont porté ce type de pantalon. Je serais d’ailleurs très intéressé d’apprendre jusque quand la Marine Nationale a admis ce modèle comme réglementaire. Peut-être qu’un lecteur le saura?

Parce que les marins portaient ce type de pantalon et qu’ils ont l’habitude de se travailler sur le pont des navires, un rapprochement logique s’est effectué entre eux et « le pantalon à pont ». J’ai tendance à penser que le mot pont vient tout simplement du vocable tailleur, désignant une pièce de tissu mobile faisant jonction. D’ailleurs, la braguette actuelle est constituée d’un pont et d’un sous-pont se boutonnant derrière.

Cette façon de boutonner le devant d’un pantalon est ancienne, probablement post-Renaissance. C’est au XVIIème et XVIIIème siècle que se forge l’esthétique de ce fermoir. Sur cette culotte déposée à Galliera datée de 1740/1750 (en velours façonné de soie rouille, doublure toile de lin écru, boutons bois recouverts de fils métalliques, cannetille, paillettes argent, lamé or), le pont est clairement visible, de petite dimension d’ailleurs :

Un autre exemple, Empire cette fois-ci montre un pont clairement mis en valeur par une jolie soutache de broderie stylisée :

Le pont pendant longtemps présente des lignes plutôt étroites et verticales comme vous le voyez. Avec l’époque Victorienne, il semble que cette esthétique toutefois cherche à se faire oublier. Question de pudeur? Quoiqu’il en soit, le pont s’élargit pour gagner les côtés sur du pantalon comme sur la photo à droite, où ses bords se font un peu passer pour des poches. Le pont chez Beau Brummell est très haut placé, très discret. Mais probablement très inutile pour satisfaire un besoin naturel…

Au cours de ma recherche, j’ai trouvé ce très beau cliché d’un manœuvre portant un bel exemple de pantalon à pont, qui semble d’ailleurs être en peau :

Voilà pour ce fameux pont, une curiosité de style et de technique. Il semble aujourd’hui que la Navy américaine ait encore l’usage du pantalon à pont avec le modèle dit Crackerjack aux très nombreux boutons. Quant aux bavarois, leurs culottes de peau sont aussi, et normalement, pourvues d’un tel dispositif. Positivement baroque !

Belle et bonne semaine, Julien Scavini

Dépareiller le seersucker

J’ai un costume en seersucker que j’aime beaucoup porter. Encore aujourd’hui, je l’avais sorti pour faire face à la chaleur. En repartant ce soir de la boutique, je n’ai pu m’empêcher de sentir les regards le long des terrasses que je traversais. Voir quelqu’un en costume complet de seersucker n’a rien de banal, je vous le concède. Un petit esprit totalement décalé. Il faut bien être tailleur, grand amoureux du vêtement, ou américain pour posséder un costume en seersucker. Ou riche. Car au fond, c’est probablement l’un des derniers achats à faire, après moult costumes d’été et d’hiver, après force vestes de tweeds ou de nattés. Ce n’est pas le premier achat à faire j’en conviens bien volontiers.

En 2014, quelques congressmen / women américains, lors de la journée nationale du seersucker, un tissu de sudiste, photo de Paul Morigi :

Mais c’est si joli le seersucker. Et si frais par ses couleurs. J’en veux pour preuve que toutes les marques qui veulent lancer un maillot de bain ou une chemise d’été bon-chic bon-genre les font en seersucker ou simili.

Je dois par ailleurs avouer que ce costume en seersucker constitue ma préférence en été. J’ai des costumes de coton lisse bien sûr. Mais le coton seersucker est plus léger et surtout, bien plus ouvert dans sa trame. Je sens que l’étoffe est plus respirante. Et là où mes costumes de coton lisse font très vite froissés, en particulier au niveau du pantalon, le costume en seersucker garde un maintien très acceptable. Et qu’en fait même, il ne froisse pas. La raison est ce tissage si particulier de côtes aux fils distendus qui « créponnent ».

Le seersucker a de la tenue, il est léger, aéré et ses couleurs sont distrayantes. C’est une étoffe heureuse.

Il faut aussi remarquer un seersucker d’un genre nouveau, très en vogue à l’heure actuelle, le bleu marine uni. Les côtes alternées « créponnées » et lisses sont du même bleu marine, ce qui donne un tissu à l’aspect très uni, mais aux mêmes caractéristiques qu’évoquées précédemment. Un choix intéressant pour un blazer par exemple. Ci-dessous le classique bleu ciel et blanc, à côté la nouveauté marine sur marine.

Toute la question de cet article est de savoir comment porter sur seersucker sans être obligé d’avoir le costume entier. C’est un ensemble très joli, mais qui n’est pas pour toute les bourses et pas pour toutes les envies, je le concède. Le seersucker peut se porter seul, en veste ou en pantalon. Mais sa force n’est-elle pas une limite? Comment faire pour bien l’assortir? Regardons quelques cas.

La veste en seersucker

Idée magnifique que d’opter pour une veste en seersucker, pourquoi pas à poches plaquées. Un choix efficace pour l’été, celui d’une veste avec un panache certain, légère et endurante en même temps. Car cela reste du coton, une matière robuste très éloignée des mélanges soyeux dont je vante par ailleurs les mérites. Une veste en seersucker est très « macronnienne » . Elegante et EN MÊME TEMPS robuste. Raffinée et EN MÊME TEMPS à toutes épreuves. Parfaite l’après-midi pour un pique-nique et EN MÊME TEMPS très chic pour un diner. Avec un certain maintien de la matière, et EN MÊME TEMPS une grande décontraction d’allure. Bref une sorte d’alpha et d’oméga de l’été.

Les clients ayant l’idée d’en faire une me pose souvent la question. Avec quel pantalon la mettre? Je vais parler de la veste en seersucker bleu ciel. Celle marine sur marine ne pose pas particulièrement de question comme moi, elle s’accorde comme un blazer. Plusieurs idées en vrac :

  • avec un pantalon beige, type chino. Accord simple et utilitaire.
  • avec un pantalon marine, type chino aussi, ou en laine fine voire en lin, apportant un contraste fort tout en restant dans le camaïeu de bleu.
  • avec un pantalon bleu ciel, du même coloris que les raies en haut. Un peu plus étudié déjà.
  • avec un pantalon gris clair, très habillé comme option.
  • avec un pantalon blanc, superbe et ultime accord. La simplicité même.
  • avec un pantalon fushia ou vert pétant. Pour jouer sur la dissonance et en même temps donner un grand panache.
  • avec un pantalon vieux rose, façon vieux loup de mer. Un accord de couleurs pastels douces.

Voici quelques images de ces idées :

Voici qui finalement prouve bien à quel point cette veste au bleu discret peut se marier avec moult pantalons. Pas si compliqué, il suffit d’oser.

Le pantalon en seersucker

A l’inverse, questionnons le pantalon en seersucker. Une pièce de style très attractive qui plait toujours. D’autant que le coût plutôt réduit de cette pièce permet aux fébriles de se laisser tenter. Mais comment associer un pantalon en seersucker blanc et bleu?

D’une manière très simple d’abord, je dirais avec un blazer bleu marine. On ne peut faire plus bateau. C’est bon, c’est chic, c’est impactant. Encore ce fameux EN MÊME TEMPS, chic et décontracté. Dans le même genre Pini Parma propose une chemise bleu marine en lin. C’est pas mal du tout aussi.

Et à part ça? Et bien il est vrai que je sèche un peu plus l’inverse. Bien sûr une veste vieux rose serait belle, mais qui a une veste vieux-rose dans sa penderie? Peut-être qu’une veste d’un beige léger pourrait aller. Un accord de couleur douce.

Ce n’est pas si facile dans ce sens là. Car le pantalon en seersucker devient la pièce forte de la tenue. La pièce remarquable qui attire l’oeil et fait sens. Le pantalon qui donne le panache. Alors, tout autour doit venir avec tact. Mais la veste par son importance peut écraser la recherche stylistique. Aussi il apparait difficile de trouver la bonne.

Mais peut-être qu’au fond, comme c’est l’été, la veste est dispensable. Et qu’une belle chemise additionnée d’un beau pantalon se suffisent amplement ! Peut-être… !

Belle et bonne semaine ensoleillée. Julien Scavini