C’était les vacances, je suis parti visiter des merveilles. Quel plaisir de nourrir son cerveau des plus belles créations humaines. Que prendre pour voyager chic, la question m’a bien tarabusté. Dans les aéroports, tout le monde porte des baskets. Des semelles épaisses. Des logos. Des matières techniques. Uniforme mondial du voyageur pressé. Un client chic toujours en bretelle, et qui voyage beaucoup depuis ses terres africaines, me disait encore ce matin, qu’en voyage aérien, il portait un jogging, pour ne pas biper et aller vite. C’est triste. Le fait est que la semaine dernière, moi, j’ai bien bipé. A Roissy, l’agent de sécurité ne savait pas ce qu’étaient des bretelles. Qu’il appelait salopette. Il voulu me les faire retirer. Ah non dis-je avec des gros yeux !
En plus, j’étais en souliers de cuir. La totale du voyageur emmerdant qui prend du temps à la sécurité.
Dans ma valise, j’avais emporté trois paires pour une semaine de congés :
- Un penny loafer Alden en veau velours, souple et rassurant. Ma paire est si souple que je pensais que ce serait la meilleur option de voyage. Bien que je les trouve un peu pataud dans leurs courbes. Je les portais au départ.
- Un tassel loafer en veau velours, toujours Alden — les pompons, cette élégance idiote suprême, quintessence du style, m’amusent toujours.
- Et une paire de derbys en cuir grainé, à double boucle Paraboot « William« , massives avec leur cousu norvégien sur semelle de gomme. Elle est à toute épreuve. Si je marche beaucoup, s’il pleut, c’est ce qu’il faut.
Finalement, j’ai presque tout le temps porté les tassel. Dans l’avion, dans les ruelles, sur les parquets des musées. Partout, ils semblaient à leur place. Sans effort. Sans excès. Autour de moi : baskets, joggings, capuches. Le confort globalisé et le relâchement devenu religion en somme. J’aurais pu aussi prendre un chino et une paire de sneakers Nike. Mais non, je voulais être un peu chic pour ce que j’allais voir : les anciennes demeures d’une grande lignée millénaire, d’une autre civilisation. Il n’y aurait pas beaucoup d’européens en plus, je voulais avoir l’air d’un européen : classe et digne.
Le fait est que le cuir se fait rare. Comme le vêtement bien taillé et le vrai pantalon. J’avais pris deux pantalons de flanelle gris. Un col roulé et un polo manches longues en mérinos marine. (Et des t-shirts Heatech de Uniqlo pour mettre dessous). Une veste Maubourg et un gilet Maubourg, et ma parka à capuche en fourrure. (Que j’adore même si c’est pas très sartorial.) Bref, j’avais essayé de faire très simple. J’étais très bien. Au milieu des baskets, le mocassin brille comme une exception. D’autant plus avec des pompons, ultime ornement baroque dans un monde utilitaire.
Je n’ai pas pris de souliers à lacet. Trop sérieux. Trop lents à délacer au contrôle de sécurité. Trop bureau du lundi matin peut-être. Trop rigides certainement. Beaucoup d’avion : je voulais être tranquille. Le mocassin, lui, se retire d’un clignement d’œil. Il se glisse, se remet, repart. Simple. Rapide. Intelligent. D’ailleurs à Roissy, je les ai calé dans la boite des rayons X plus rapidement que les autres leurs baskets !
L’esprit du progrès dans la paresse peut-être ? Pourquoi croyez-vous que le mocassin de Loro Piana soit si en vogue ? Après celui à picots de Tod’s il y a quelques années. Souplesse et facilité. A la boutique, Pierre-Antoine et Michael ne jurent que par leurs Baudoin & Lange. Je les comprends.
Et puis il y a cette allure. Ce cou-de-pied dégagé. Cette ligne allongée, presque féminine. Une désinvolture qu’aucune sneaker ne peut imiter. Un chic qui n’a besoin d’aucune explication. Le mocassin, c’est la modernité tranquille. Il a la légèreté du confort et la tenue du classicisme. Un pied libre dans un monde saturé de chaussons mous.
Alors oui, en mocassins, on est seul contre tous. Mais seul avec style. Seul, et bien chaussé. Sans lacet, je me délassais.
Belle semaine, Julien Scavini

































