Samedi après-midi ensoleillé, carrefour de la rue du Bac et des boulevards Saint Germain et Raspail, devant la boutique Barbour par le Jockey Club: beaucoup de blazers! Il est vrai que beaucoup de messieurs, souvent d’âge mûr, avaient décidé à l’unisson de sortir cette pièce toute simple de leur garde robe. Je les observais, notamment deux, se présentant au même instant devant le feu piéton: l’un, au bras de sa dame, portait un vieux blazer, plutôt déformé, avec un pantalon de flanelle clair et des chaussures marrons, dans l’esprit de Mephisto. Le deuxième plus jeune, cherchait ostensiblement la netteté dans ses atours, avec un blazer bien plus structuré, un pantalon de flanelle foncé et des souliers bien ciré mais noirs.
M’est alors venue une question: lequel préférais-je? Difficile débat qui s’ouvrait alors dans ma tête, propice aux pires disputes entre mes deux hémisphères. Devons-nous considérer, du point de vu l’élégance, un respect parfait du code (blazer + chaussure marron) mais concession au confort (vieux modèle affaissé et chaussure à grand confort) ou rature du code (blazer + souliers noirs) pour affirmer une certaine stature toute ostentatoire? Évidemment, la thématique du blazer n’est qu’un prétexte.
Si une certaine sympathie m’est immédiatement apparu pour le premier, je ne pouvais m’empêcher de penser que mon irritation à la vu du second et de ses richelieus noirs trop bien cirés était trop exagérée. Même si: à quoi bon mettre tant de soin à s’apprêter et à entretenir ses chaussures pour à la fin commettre un tel impair? Si nous voulons paraitre guindés, autant que notre idéologie personnel le fait envisager, alors autant sortir en costume. Si au contraire, nous acceptons la décontraction du moment, alors le marron se serait imposé. Mais bien souvent, les cuirs noirs sont plus faciles d’entretiens, certes…
Alors devons nous rester couché sur l’autel du code classique anglais? Ne serait-ce pas quelque peu un signe d’échec? Ou au contraire, faut-il élaborer une hiérarchie d’approche? Par exemple, vous êtes invité à une petite soirée entre amis. Vous avez passé la journée en blazer avec des souliers marron, mais que faire pour se présenter le soir? Changer toute la tenue pour permettre les souliers noirs (qui je le rappelle, sont un peu plus indiqués pour le soir) ou alors mettre des souliers noirs avec la même tenue? Ou arriver à l’identique? Où est la limite? Et dès lors je me fais prendre dans un jeu difficile, qui consiste à jongler avec des règles, d’époques différentes, de valeurs différentes, de sociologies différentes…
Un ami me le faisait justement remarquer, lui qui préfère de loin les impairs à mes règles, pour satisfaire à l’originalité: »si tu es tout le temps habillé pareil, c’est idiot et triste« . Lui même serait le premier à reconnaitre que Paris est une belle cité, surtout grâce aux ordonnancement d’Haussmann… Vous admettrez le comble tout de même.
Je sais que ça et là, certains érudits critiquent mes dires, ou ceux d’amis, nous mettant dans les cases des dictateurs sartoriaux. C’est à dire que dès lors que l’on s’exprime, il convient d’avoir une posture, même si celle-ci devient vite exagérée. Le tout est de respecter l’avis de chacun et d’être clair dans ses choix. Je préfère une école britannique du dualisme ville/campagne à une approche italienne basée sur les hybridations, c’est vrai. Mais j’apprécie une autre approche, même celle qui consiste à mettre des chaussettes blanches avec des mocassins foncés dans le genre Ivy League, si l’idée est affirmée et référencée. Il n’y a rien de pire que les pré-supposé (même si j’en ai très certainement) et autres inventions personnelles. La pire idée est de croire que l’on peut réfléchir tout seul, imaginer tout seul; d’autres sont bien souvent passés avant qui vous feraient irrémédiablement passer pour un philistin. Tâchons de rationaliser nos discours, je m’y efforce, l’histoire se chargera d’en modifier le cours…
Julien Scavini
Deux petites remarques, marginales au regard de la qualité de cet article et de la question soulevée. Néanmoins. Dans le dernier paragraphe, certains érudits critiquent vos dires mais ne les « critiques » certainenemt pas. Dans le même, plus loin, les autres qui sont bien souvent passés avant qui vous vous feraient irrémédiablement passer pour un philistin.
Merci pour l’article, excellent ces remarques mises à part.
Merci, il était tard, et ces formulations alambiquées me font perdre le fils de l’accord.
Merci à Stiff Collar d’aborder ce débat sur l’académisme.
C’est aussi un débat qui souvent me taraude. En effet je trouve beaucoup plus joli de porter des souliers marrons avec du bleu. Mais voilà, dans le milieu où je travaille, cela ne se fait pas. Donc je porte des souliers noirs. Je crois que cela fait aussi partie de l’élégance de tenir compte des codes en vigueur des lieux, sociétés, environnements dans lesquels on évolue. On peut vite devenir ridicule si l on n’adapte pas les dogmes.
Une autre remarque concerne les règles de classisisme. Il y eut en littérature, peinture, théâtre, musique des règles classiques. Et il y eut des Hugo (Hernani), des impressionnistes, des romantiques, etc. pour briser et dépasser le classique. Et de quelle manière !! Tout en continuant de faire de belles choses.
Il me semble donc que la recherche du beau, qu’il soit « classique » (pureté, géométrie, rigueur, tradition, etc…) ou « moderne » (créativité, innovation, inspiration, ouverture…) fait intrinsèquement partie de l’élégance. Recherche d’esthétisme à travers les matières, les coupes et formes, l’association des couleurs (pas plus de trois couleurs ?) en soi, et pour soi.
Mon dernier point relié à celui-ci, s’adresse à la césure faite entre les tenues : tenue de ville, de campagne, de soirée, tenue sport….Je crois que la pureté des styles issue de ces différents types de tenues est très inspirante. L’époque moderne qui s’agite beaucoup nous impose aussi de considérer nos tenues de manière « verticale » (par complémentarité à l’horizontalité de situations), pour garder la cohérence. Je m’explique. Ou que nous soyons (bureau/ville, campagne/WE, sport/loisir, soirée/sortie), n’oublions pas de toujours coordonner les matières, les couleurs, d’être en harmonie avec l’esprit qui préside à l’évènement, penser au confort, le cas échéant. La « mode » veut nous faire croire que l’on peut tout assembler. C’est faux.
Avant de conclure ce long discours dont je m’excuse, je vous donne un exemple. J’ai vu sortir de l’institution au sein de laquelle je travaille, un homme particulièrement élégant, avec une mise bien coupée, sans doute avec l’aide d’un tailleur à l’œil rigoureux. Très belle veste marron en cachemire au tombé fluide, pantalon anthracite, chemise blanche cravate bleue, souliers noirs. Mais voilà, il y avait bien trop de couleur dans un milieu où le gris est de mise (qu’on le déplore ou pas). Et surtout l’homme dépareillé attirait d’autant plus l’œil qu’ ‘en dehors du vendredi, tout le monde porte le costume. Dommage donc pour cette mise pourtant parfaite du point de vue de la coupe et des très belles matières. On remarquait plus le franchissement des codes sociaux que le respect des codes d’élégance.
Pour conclure, je pense que les règles classiques sont une source intarissable d’inspiration à laquelle on peut toujours revenir pour y puiser. Ce sont des guides fiables qui ont franchi les époques. Il est toujours bon de les rappeler de se les remémorer et merci à Stiff Collar de le faire si passionnément. Mais ces règles ne s’opposent pas avec les codes issus de l’époque moderne. Elles s’entrelacent. Assurément cet assemblage doit être fait avec discernement (respect du bon goût, respect des autres), cohérence (lieux, situations…), consistance (continuité dans la tenue) et dans un élan ininterrompu de recherche esthétique. Merci a Stiff Collar qui nous le rappelle aussi.
Fidèlement vôtre
Nicolas
Je vous remercie beaucoup pour ce commentaire bien passionnant et qui répond parfaitement aux questions du débats, rappelant la manière dont les échanges et hybridations peuvent être fait.
Pour la veste marron, je suis cependant circonspect et je demanderai à voir. Je me souviens de cette citation du Chic Anglais par Le Chouan via Guy Marchand.
Je rajouterai juste que les tentatives d’améliorations, de modernisations ne doivent pas être fait à la légère, et pas par n’importe qui. Pour ma part, je n’ai pas encore l’audace de cela car je ne pense pas non plus être tout à fait élégant encore…
Encore faudrait-il savoir de quelles règles nous parlons. Car enfin, les « ayatollah » britanniques (et je pense notamment à l’auteur du Chic Anglais) ne sauraient tolérer le port de souliers marrons en ville; à l’inverse des Italiens qui, plus tolérants, estiment qu’on peut porter des souliers marrons en ville (mais qu’il faut réserver les souliers noirs pour les enterrements, les mariages…et le travail).
A partir du moment où c’est bien l’homme qui a créé ces règles, qui bien souvent se contredisent ou se chevauchent, je vois mal comment on pourrait les suivre toutes sans commettre d’impairs aux yeux d’autres personnes.
Pour ma part, je privilégie la règle qui veut que l’on porte des souliers noirs uniquement pour 3 occasions: mariage, enterrement, travail (et bien sur lorsque l’on porte une dinner jacket). Pour le reste, souliers marrons en box calf ou en veau velours. Habitant à Paris, je me verrais mal ne porter QUE des souliers noirs toute l’année.
Oui absolument, tout est une question d’Ecole à laquelle on réfère… Si on préfère les italiens et leur style, alors il faut l’affirmer, pas être dans des entre-deux…
Et j’apprécie réellement votre règle des souliers noirs que je trouve satisfaisante. J’y ajouterai juste la ‘après 18h, on porte des souliers noirs’, mais à ce moment là, que porter avec???? Mais je me tiens à votre règle!
Voilà un exemple de règles qui se « téléscopent ». Pour ma part, d’un point de vue parfaitement esthétique, je n’aime pas les souliers noirs, autrement qu’avec un costume ou un smoking.
Partant de là, je ne porterai des souliers noirs après 18h que si je porte un costume. Ce n’est pas toujours le cas, donc je m’autorise le port de souliers marrons le soir.
C’est à chacun de juger la hiérarchie des usages et des règles d’habillement. Je n’aime pas les souliers noirs portés avec autre chose qu’un costume; si je ne veux pas porter de costume un soir, alors je porte des souliers marrons.
J’aime cette idée, je fais exactement la même chose auprès 18h, et si c’est amical, je reste en souliers marrons pour ne pas mettre de costume!
De toutes manières, les souliers noirs ne sont de rigueur que pour accompagner une tenue de ville, donc soir ou pas, sans costume, les souliers marron sont toujours bienvenus, non ? Après, c’est une histoire de goût et d’harmonie d’ensemble. Je n’ai personnellement rien contre les souliers noirs un peu décontractés, comme font les anglais, mais je préfère, avec un jeans et un trench par exemple, le cordovan acajou très foncé… D’où une question : que faire quand il pleut ? marron ou noir ?
Je pense qu’il faut distinguer la règle de l’usage. En la matière, la règle est un usage qui s’est imposé de manière générale. Ainsi celles qui régissent le port du costume et des souliers de ville ou de campagne, du smoking, de l’habit, se sont fixées et sont devenues question d’éducation, différant selon la position que l’on occupe. Un homme élégant respectent toujours les usages ; mais il s’y conforme sans s’y soumettre, car il en comprend les ressorts. Ces règles d’usage, il est donc possible de les transgresser dans une certaine mesure, quand l’occasion le permet et si notre position nous l’autorise.
Nicolas dit que dans son entreprise, il est contraire aux usages de porter des chaussures marron. Mais sans doute le port d’un complet un peu décontracté, comme une flanelle gris clair ou un prince-de-galles marron/beige y est aussi impensable. Or, avec un complet anthracite ou marine très sombre, qui voudrait porter des souliers marrons ? Cela attirerait l’oeil et ce détail décontracté paraitrait déplacé. Il y a là deux choses : l’usage du costume de ville sombre et des chaussures noires, propre à certaines professions, et la raison, la règle interne à cette tenue qui fait que les deux s’imposent ensemble.
La règle, car il s’agit d’harmonie ou d’équilibre, est d’associer des complémentaires et non des genres qui s’opposent. Un complet de serge anthracite et des derbys marrons donnent un ensemble incohérent car ils sont de registres opposés. Associer des complémentaires peut ainsi paraître conformiste : c’est vrai pour celui qui n’est pas soucieux d’élégance. Dans ce cas, il suit l’usage et sera « comme il faut ». Mais pour l’autre, il s’agit de rechercher la juste correspondance entre des niveaux de décontraction dont les nuances sont parfois très subtiles. Le site « A Suitable Wardrobe » en offre un des meilleurs exemples sur Internet. Or cet art permet de découvrir beaucoup de liberté, même au sein des usages les plus stricts. Entre le complet sombre et les souliers noirs, il y a nombre de combinaisons qu’offrent les textures, les motifs, les formes, les coupes etc. De plus, un gris foncé, plus clair que l’anthracite, pourra s’harmoniser avec des richelieux d’un brun très sombre, qui passeront de loin pour noirs, mais qui contrasteront moins avec la nuance du complet et offriront un ensemble plus doux.
Quant aux souliers noirs avec un blazer, c’est une question difficile. Le blazer est un vêtement décontracté et appelle de fait des souliers qui le soient, et donc plutôt marron que noirs. Cependant, avec un pantalon gris et surtout le soir, les souliers noirs sont tolérables parce que l’on reste dans des couleurs de ville ; c’est pourquoi l’usage s’est établi. Mais l’ensemble est très rarement élégant. Ce n’est donc pas une question d’usage ici, mais de sens de l’élégance. Si c’est ce que l’on recherche, on doit connaître les usages pour les respecter, mais aussi les comprendre pour savoir en jouer ; non pas tout mélanger, ce qui est les comprendre de travers, mais découvrir la liberté immense qu’ils peuvent offrir.
Merci à Erichtonius car je trouve son commentaire fort intéressant, et j’y souscris. J’aime beaucoup votre formule : se conformer sans se soumettre. Et je file de ce pas sur le site « a suitable wardrobe ».
Amitiés.
Nicolas
Je souscris tout à fait à cette règle ! Même si bien sûr je me reconnais dans cet ami qui souhaite parfois un peu, non d’excentricités, mais de personnalité dans ces tenues. Et qui surtout regrette de n’avoir pas le temps – pour cause d’agenda serré – de se changer plusieurs fois par jour pour être « en règle » et adapté à chaque situation.
Alors il lui arrive d’être beaucoup trop habillé au bureau pour ne pas courir le risque de ne l’être pas assez au diner, et inversement.
Les différents gardiens des usages et codes sauront sans doute le conseiller, et lui recommanderont une tenue « transitoire » ni pas assez ni trop habillée.
Mais enfin, je le reconnais, il est plaisant parfois de détourner un peu les codes, pour se les réapproprier. S’il déplait à notre éditorialiste que l’on puisse « réfléchir tout seul », ce sont ces entorses au style qui, sans en être ni des caricatures, ni des sacrilèges, font un peu le sel des élégances et permettent de distinguer celui qui les porte.
Là encore, comme les Impressionnistes ou l’Hugo d’Hernani précédemment cités, il importe de connaitre sur le bout des doigts les codes à détourner : merci à Stiff Collar de si élégamment les questionner, et nous les donner à connaitre, ou à réfléchir.
Je ne terminerai pas en demandant dans quels codes il faut ranger la tenue monochrome noire t-shirt-bermuda de certains samedis après-midis… Mais puisqu’il importe en toutes choses « dès lors que l’on s’exprime […] d’avoir une posture », alors je maintiendrai (comme dirait la Reine) la mienne, qui dans le sublime paysage hausmannien, aime certaines percées éclectiques qui s’affirment dans l’ensemble sans le contredire.
Bien à vous.
JLG d’O.
J’adore 🙂