Je regardais hier soir le programme musical d’Arte qui retransmettait la clôture du festival de Lucerne. Hélas, je ne crains qu’aucun commentaire ne puisse être émis à propos, à la fois des spectateurs (en bien: j’ai vu un smoking, en mal: une chemise de bucheron col ouvert) et des musiciens de l’orchestre de Vienne, qui arboraient tous des habits ‘cravate blanche’ sans effets, sans gilet, quelques fois avec des nœuds papillons garantis dérivé pétrolier ou encore des chemises à cols rabattus à boutons visibles, bref, un méli-mélo bancal du plus mauvais effet. Quant au chef Gustavo Dudamel, il avait eu l’idée curieuse de mettre un gilet de smoking noir (trop long) avec sa queue de pie.
Diable mais qui conseillent les musiciens pour leurs tenues? Mêmes les plus illustres d’entre eux croient bons de faire fi des règles les plus traditionnelles. Si encore d’aucun avait inventé un dérivatif plus convaincant, plus réaliste au vu des efforts physiques que demandent la musique, alors je m’y plierai, mais jamais je n’ai rencontré une nouveauté de goût. Je finis même par me questionner sur les capacités et qualités d’interprétations de ces hommes de paille mal fagotés. Estimer faire de l’art nécessiterait de mon point de vue de s’habiller … avec art? Peut-être suis-je trop exigeant pour demander un smoking ou un habit?
A l’inverse, la même chaine de qualité donnait la semaine dernière, exactement à la même heure, une rediffusion du Palast Orchester. Pour ceux qui ne connaissent pas, il s’agit d’une troupe de musiciens de revue, avec à sa tête le brillant et très germanique Max Raabe, qui interprète entre autres des chansons des années 30 à 50, en anglais et surtout en allemand. Outre ce répertoire qu’il est tout à fait délicieux d’écouter, les voir et les regarder constitue à n’en pas douter un moment d’extase. Tout y est! L’ambiance visuelle dont les décors art déco et les sonorités confèrent à cet orchestre un atout non négligeable. Max Raabe d’abord, est vêtu d’une queue de pie parfaitement coupée, à revers généreux, avec un gilet de coton ajusté et à la bonne longueur (plus court que le corsage de l’habit) et un col cassé très haut pour habiller son cou. Les musiciens ensuite, qui comptent parmi eux une femme en robe de soirée, revêtent un smoking croisé, noir ou blanc suivant l’occasion. Et point positif de plus, ils ont tous le même modèle, donc point de dissonance de coupe. Tous ont aussi un mouchoir de pochette plié de la même manière. Cela confère à l’ensemble une harmonie rarement vu dans une représentation musicale.
Il s’agit souvent d’un idée récurrente au sein des troupes de jazz et l’homogénéité des tenues suit un seul but: concourir à une unité d’esprit en tout, de la musique à la vue. De plus, le musicien ne peut pas être tenté de s’imposer aux autres (en élégance ou en musique) mais perçoit l’idée d’un esprit de corps, celui de l’orchestre.
Nous noterons également l’artiste allemand (encore un) Henry de Winter à propos duquel Ray Frensham a publié un article. Ici encore, l’attitude de l’artiste dépasse son cadre de travail car monsieur semble être un esthète jusqu’au bout, un vrai gentleman heureux dans ses tenues du meilleur classicisme.
Julien Scavini
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Oh…and a big Thank You for mentioning my name (and article) about Henry de Winter – and the link.
Keep up the good works.
Oui en effet, il y a de beaux concerts sur Maestro. Et quand je les regarde, tout comme toi j’aime porter attention à la manière dont les musiciens sont vêtus. Et sauf lorsqu‘il s’agit du Nouvel an à Vienne, on est souvent déçu. Mais comme mon plaisir principal est la musique je suis enclin à l’indulgence (pour les musiciens). En revanche, je déplore le laisser-aller chez des spectateurs qui vont à l’opéra et au concert en jeans…
Nicolas
Je regrette bien souvent le laisser-aller du public. Je suis nettement plus indulgent envers les musiciens. S’habiller n’est pas forcément ce qui les fait vibrer. Pour nous, c’est un plaisir, une passion, un hobby… Pour eux, c’est une contrainte. Les queues de pie sont inconfortables (car il ne faut pas rêver, tous n’ont pas les moyens de la grande mesure, loin de là), la scène est généralement surchauffée sous les projecteurs, ce qui explique l’abandon fréquent du gilet, remplacé souvent par une ceinture de smoking (malheureusement, trop souvent, pas remplacé du tout).
Alors, oui, moi aussi ça m’agace, parce que ce genre de chose me saute aux yeux et que j’ai du mal à l’oublier. Mais bon, honnêtement, on ne va pas au concert regarder les musiciens, mais les écouter.
(Par contre, le gilet noir avec l’habit, là, ça a du mal à passer. Un chef de ce calibre devrait aller chez le tailleur, et cette association, rien à faire, ça fait maître d’hôtel, pas maestro.)
Comme le dit si bien Nishijin, c’est pour nous une contrainte – l’inconfort tant au niveau température que pour le mouvement est sensible, et nous préférerions tous jouer en bras de chemise ou mieux encore en T-shirt… Certes je comprend que cela choque certains.
J’aime bien, a ce titre, les tenues fréquemment abordées pour les concerts de musique contemporaine ou baroque, pour lesquelles une tenue chemise + pantalon noirs permet de s’effacer derrière la musique tout en étant confortable.
Il est vrai que je comprends totalement le problème d’inconfort, et vous rejoins volontiers là dessus. Ce qui m’attriste plus, c’est le total manque de culture là dessus.
Et pour les ensembles chemise noir + pantalon noir, alors pourquoi pas, c’est une idée, si tant est que tout le monde ait les mêmes (et pas délavé).
Enfin, il est des musiciens et chef d’orchestre qui portent des vestes en concert, mais souvent d’affreuses loques, souvent à col mao, qu’ils croient du meilleur goût! Je préférerai qu’il n’ait rien pour le coup… ou alors une veste de smoking.
Enfin, l’art c’est aussi la souffrance… un grand orchestre en grande tenue, c’est inconfortable, mais si l’harmonie est atteinte, finalement, c’est un chef d’œuvre d’art, vous ne croyez pas?
L’art c’est aussi justement dépasser les codes, les cadres, si les musiciens appliquaient la même rigueur que vous aimeriez voir dans les codes vestimentaires, il n’y aurait eu ni Mozart, ni Beethoven, ni Wagner ou Stravinsky, et encore moins Duke Ellington, Miles etc.
Laissez donc au public le soin d’obéir a ces règles. C’est la seule chose qu’on lui demande. Pour les musiciens, j’aimerais savoir leur énergie dépensée dans leur instrument, dans les raisons pour lesquels ils jouent… Et croyez moi, la souffrance chez le musicien, c’est une formation qui commence à l’age de 5 ans et qui ne fini jamais, pour laquelle on obtient autant de respect que pour un métier appris en un an.
Je répondrai tout de même à Zitien qu’il serait une bonne idée pour les musiciens d’aller quand même rendre visite à un tailleur (un vrai, pas un vendeur de demi-mesure). Il y a beaucoup de choses qui peuvent être faites pour limiter l’inconfort, et il faut savoir qu’un habit de musicien n’est pas le même qu’un habit « ordinaire ».
Même si je suis bien conscient que tout le monde ne peut s’offrir un tel service, selon le tailleur consulté, ce n’est pas forcément inabordable.
C’est évident qu’en grande mesure, il serait possible d’améliorer la situation, mais je doute fortement que l’on arrive au confort d’une simple chemise – sans parler du budget qui peut passer pour les solistes, mais certainement pas pour l’intermittent de base (et d’excellent niveau).
La contrainte conduit forcément a une sorte de résistance – et donc à un manque d’intérêt total pour la chose sartoriale. Le costume (l’habit) est un uniforme de travail, pas une tenue de soirée, et il est porté comme tel. Si les orchestres envoyaient leurs musiciens chez un bon tailleur les résultats seraient certainement meilleurs!
Grâce à ce billet, j’ai découvert le Palast Orchester (Dans le genre, si vous aimez, je recommande le Prague Syncopated Orchestra.)
Je viens de lire les commentaires ci-dessus. Et je me pose une question : comment se fait-il que les musiciens acceptaient (et acceptent encore, pour certains) de porter l’habit de soirée avec toute la panoplie (queue de pie, gilet, haut et rigide col cassé, cravate blanche…) et qu’ils ne s’en sentent plus capables aujourd’hui ? Du coup, cette question en appelle d’autres : ne fait-on pas trop grand cas, aujourd’hui, de la notion de confort ? L’inconfort (tout relatif d’ailleurs) est-il vraiment nuisible aux performances artistiques ? L’élégance, ennemie de l’Art avec un grand A ? Ah l’éternelle et réjouissante question du fond et de la forme ! 🙂
Un concert, c’est, aujourd’hui plus que jamais, une fête. Une fête durant laquelle, certes, c’est l’ouïe qui est d’abord sollicitée. Mais on aurait tort, à mon sens, de présumer que ce soit ce seul sens qui remplisse les salles de concert. Aujourd’hui bien plus que par le passé, on a pléthore de moyens pour écouter de la Musique (avec un grand M). Des moyens qui permettent une audition souvent supérieure à celle qu’offrent certaines places dans une salle de concert.
De sorte qu’on va au concert pour le spectacle. Un spectacle qu’on espère total. Ne leur en déplaise, on regarde souvent les musiciens autant qu’on les écoute. On observe leurs mouvements, leur jeu, les expressions de leurs visages et… leurs tenues de scène. Si le public de concerts (classiques, jazz ou autres) n’était composé que de furieux mélomanes, ça se saurait ! Maintenant, que la queue de pie paraisse désuète à maint musicien, cela ne m’étonne guère. Mais là, on aborde une autre question : la sempiternelle querelle des Anciens et des Modernes.
Personnellement, si un orchestre pense devoir, pour donner toute la mesure à son art, jouer en pyjama, (ou en pantacourts et t-shirts, c’est d’ailleurs la même chose), je l’écouterai religieusement – mais dans mon salon, dans mes vêtements confortables à moi. Mais je ne me déplacerai pas. En revanche, s’il estime qu’il doit à son public autant de respect qu’à son Art (toujours avec un grand A) et qu’il fait l’effort surhumain de porter queue de pie et col cassé, souriant tel le jeune Lacédémonien sous les morsures de son renard, alors oui, je viendrai l’écouter, et je ferai à mon tour l’effort de me vêtir en circonstance.
Merci à Julien Scavini pour ses billets inspirés qui soulèvent des questions passionnantes. – Et pardon pour ce long commentaire !
Moi qui suis un grand amateur d’opéra, je ne puis que me ranger à votre avis…
En quelques années, nous sommes passés de Placido Domingo par exemple, véritable parangon d’élégance, avec une prestance naturelle incroyable, ou Luciano Pavarotti, que je n’ai jamais vu autrement qu’en habit, à Roberto Alagna (chemises moulantes noires ouvertes jusqu’au nombril) ou Rolando Villazon (que j’admire beaucoup d’ailleurs, mais qui nous gratifie fréquemment d’horribles chemises à paillettes ou à dentelles).
Quelle tristesse!… Heureusement, les voix sont toujours aussi extraordinaires d’une génération à l’autre, et c’est bien le plus important.
O soooleee… O sooole miiiiiooo…
beaucoup de star-ification là dedans… J’avais travaillé sur ce sujet chez les archis… la posture personnelle s’exprime dans tous les domaines, y compris vestimentaires… L’idée n’est plus d’être une partie de tout, mais de dire aux autres son propre goût, érigé comme ‘intéressant’… ? triste sire