La coupe suivant les pays

Durant de nombreuses décennies, les tailleurs apprenaient la coupe au sein d’académies, souvent tenues par des tailleurs de grand renom, comme Ladevèze puis Darroux en France. La relative autonomie des pays rendait alors moins spontanés les échanges, ci-bien que d’un pays à l’autre, les coupes et le travail finirent pas être différents.

Si la coupe anglaise moderne s’est diffusée à partir des années 20 et 30 au monde entier, les années 40 et 50 ont fait évoluer de manière nationale les coupes, conduisant à de véritables Écoles de style.

Avec la montée en puissance de l’industrie et la disparition des tailleurs, la production mondial est plus homogène depuis les années 80. C’est ainsi que le costume Hugo Boss est devenu une sorte de standard international, comme en architecture par exemple.

Le style international envahit de nos jours les rues des capitales, de Hanoï à New-York, en passant par Sao Paulo et Berlin. Toutefois, de légères disparités de goût existent, en particulier en Europe. Anglais, Français et Italiens ne partagent pas tout à fait la même approche.

Je me suis amusé à dessiner ce que pourraient être les coupes nationales. A prendre évidemment avec des pincettes, tout idée de généralisation devenant stéréotype outré. Ces dessins ne sont pas scientifiques, mais ils distillent l’idée qu’encore aujourd’hui, les tailleurs – et en partie le bon prêt-à-porter – peuvent être différents d’un pays à l’autre.

Ces dessins stéréotypes ont une certaine vérité historique si on les replace dans les décennies 60-90. Depuis, tout de même, ces styles se sont estompés. Quoique…

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La coupe anglaise se caractérise par une coupe confortable, cherchant à mettre le corps en valeur sans le contrarier. C’est une École de la souplesse en même temps que de l’allure. Distinction et sportivité. L’épaule est moyennement structurée, la taille moyennement pincée, les basques fermées et la taille naturelle. Le cran de revers est ouvert. Typique de Gieves & Hawkes ou Henry Poole.

 

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La coupe italienne développe beaucoup le trapèze, pour donner du tombant et une mollesse importante à la veste, que l’on ne sent plus. La structure est légère, la poitrine un peu ronflante. La taille est placée très bas, comme les poches et les boutons pour dégager une poitrine très masculine. Le cran de revers est petit. Dans l’esprit de Rubinacci.

 

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Les Français sont cartésiens et précis et cherchent à le faire savoir. La coupe parisienne est sculpturale, taillée au millimètre. Les épaules sont étroites et les têtes de manche enflées (car c’est plus dur à faire donc je montre que je suis un tailleur de haute-volée). Tout est au plus près du corps. La taille est haute et le revers roule assez haut, ce qui camoufle un peu la cravate. Il y a une sorte de réserve. Il y a aussi par rapport à l’Angleterre une perte de spontanéité, de simplicité dans le vêtement qui n’est qu’un vêtement. Pour les tailleurs français, avant d’être un vêtement, il s’agit de faire une œuvre. Les nouveaux entoilages italiens permettent toutefois de rendre plus souple ce qui était auparavant une armure. A la croisée de Cifonelli, Lanvin, Camps De Luca, Arnys… Les tailleurs allemands dans les années 60 avaient les mêmes idéaux il me semble.

 

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Je ne pouvais terminer cette comparaison amusante en oubliant la coupe ‘sack suit’ chère aux américains. Ils ont développé ce concept dès les années 1900, de veste molle, sans structure, taillée comme un sac à patate. Il n’y a même pas de pince sur le devant, le cintrage est inexistant. La grande allure américaine des années 60, toutefois abandonnée au profit du goût italien luxueux étalé dans les department stores.

 

Bien sûr, de nos jours, ces catégories sont presque caduques. Mais mais mais… des influences restent.  The Kooples et Dior continuent de proposer un style très près du corps aux épaules structurées, quand Richard James ou Ede & Ravenscroft proposent un style plus traditionnel anglais. Boggi distille une aisance plus italienne, que Suit Supply s’emploie à vendre partout. Etc Etc…

Belle semaine, Julien Scavini

7 réflexions sur “La coupe suivant les pays

  1. C. Jorand 11 juin 2018 / 17:06

    Merci mille fois de donner une identité au style français. Mais pourquoi diantre entend-on souvent dire qu’il n’existe que deux styles, anglais et italien, et que le français ne serait qu’une sorte d’intermédiaire, sous-entendu sans intérêt ?

  2. Martin 11 juin 2018 / 22:46

    Très bel article, comme toujours bien illustré !

    Deux questions : à ces variations sur la coupe de la veste correspondent-elles des différences sur le pantalon ?

    Pourrez-vous à l’occasion nous en dire plus sur les pinces de cintrage sur le devant de la veste, le rôle dans la ligne de celle-ci et comment on peut jouer sur leur ouverture pour obtenir l’effet que l’on souhaite ?

  3. Jakes 12 juin 2018 / 07:26

    Il y a eu ou il y a encore une très belle tradition sartoriale espagnole. Elle passe ou passait pour très anglaise. Qu’en dites-vous?

  4. Alaric 14 janvier 2021 / 11:56

    Merci pour cette contribution. Concernant la coupe américaine « sac à patate », j’ai lu sur la page Facebook « Ivy style » que le cintrage se fait au niveau des coutures latérales.

    • Julien Scavini 18 janvier 2021 / 18:56

      A priori, le cintrage se fait toujours au niveau des coutures dos / petit-côté.

  5. Alaric 14 janvier 2021 / 12:03

    Toujours concernant la coupe américaine « sack suit », et toujours d’après ce que j’ai lu sur la page FB « Ivy style », où outre l’exigence d’absence de pinces on apprécie le boutonnage « 2/3 », c’est à dire la présence d’un 3ème bouton supérieur dissimulé dans l’enroulement du col et qui ne se ferme pas.

    • Julien Scavini 18 janvier 2021 / 18:56

      Vrai !

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