Retournons ce soir aux sources du blog avec un article d’explication du tailleur sur le passepoil. Et non le « poussepoil » comme un client m’a dit récemment, ce qui m’a donné l’idée de cet article. Ce mot revient le plus souvent concernant les poches. Tour d’horizon. Le Larousse de 1901 donne la définition suivante :
« PASSEPOIL (de passer, et poil), n. m. Militaire. Sorte d’ourlet en drap dont on borde diverses parties de l’uniforme ou qu’on applique sur certaines de ses coutures ; ENCYCL. La nuance des passepoils tranche le plus souvent sur le fond, et ils constituent ainsi un attribut distinctif. Originairement, les passepoils ont été imaginés pour permettre de remplacer aisément la partie des effets sujette à se salir et à s’user. »
La première définition donc, à mon plus grand étonnement, renvoie le passepoil à un ornement militaire et même à une sous-tâche, qui chez les tailleurs, est un travail inférieur à la grande structure du vêtement. Dans cette définition, le passepoil est similaire au sens moderne de ganse. Quoique la ganse est une pièce de tissu ramené par-dessus un bord, et non inséré dans le bord comme le passepoil. Sur la photo ci-dessous d’origine inconnue, le bord du devant est souligné par un passepoil rouge :
En effet, sur les vêtements militaires anciens, la couleur majoritaire du corps se voyait opposer aux bords une couleur secondaire, par l’intermédiaire des passepoils. Les vestes autrichiennes, un petit peu les forestières d’Arnys aussi, recourent à cet artifice permettant d’apporter subtilement une heureuse couleur secondaire, ce que la veste classique ne fait jamais. Sur la photo ci-dessous, une veste autrichienne présente un passepoil au bord en suède marron, comme du cuir, rappelant le col. Col qui lui-même présente un passepoil rouge.
Ceci dit, une définition plus moderne du mot est utile pour avancer. Le Larousse actuel donne la définition suivante :
« Bande de tissu, de cuir prise dans une couture pour former un liseré et servant de garniture. Ou. Ourlet en drap dont on bordait diverses parties de l’uniforme militaire ou qu’on appliquait sur certaines de ses coutures. Ou. Lanière prise en couture dans le rapprochement de deux pièces d’un sac, d’une tige de chaussure, etc. Ou. Tresse ronde servant à souligner l’arête d’un siège, d’un couvre-lit ou le bord d’un coussin. »
Cette définition est précise et large, c’est intéressant. Pour faire simple, un passepoil est une petite pièce d’étoffe (ou de cuir) prise entre deux coutures et qui forme un petit un bourrelet. Ce bourrelet peut-être plat (dans le cas d’une poche) ou rond s’il est rembourré d’un cordon (c’est le cas en tapisserie pour les fauteuils). D’ailleurs les anglais pour désigner des passepoils disent « piping », un vocable de tuyauterie. Imagé!
De nos jours, en textile, le passepoil est plus une manière de faire les poches que de rehausser d’une couleur. Quelques confectionneurs utilisent encore le passepoil coloré pour border la doublure, comme sur cette photo :
Il y a quelques années, j’avais fait un petit explicatif de couture pour montrer comment réaliser des passepoils convenablement, à l’occasion de la fabrication d’un gilet.
Les passepoils, c’est un peu l’alpha et l’oméga d’une veste voire d’un pantalon. C’est là que le tailleur prend du temps, car il y en a beaucoup à faire. Et c’est une opération plutôt longue et délicate. D’autant que les passepoils sont généralement situés là où la veste va endurer de l’effort : l’entrée des poches. Ci-dessous, la poche d’un smoking, deux passepoils brillants, simples :
Parce que le passepoil est un ouvrage précieux et délicat, James Darwen dans Le Chic Anglais dit page 67, que « les poches sont taillées dans le vêtement, et non plaquées. » Je comprends cette affirmation péremptoire dans le sens que les poches plaquées, c’est bon pour les paysans, la facilité même à fabriquer. Et la facilité d’ailleurs à remplacer si elles craquent. A l’inverse, les poches passepoilées, par leur longueur d’exécution, par la finesse de l’ouvrage et par leur fragilité intrinsèque, c’est une poche d’élite !
C’est pour cela aussi que les vestes dîtes de « workwear » sont dépourvues de poches passepoilées, trop raffinées, trop coûteuses, trop fragiles. Trois carrés plaquées à la machine à coudre sont plus économiques et endurants.
Le passepoil donc, sert aux poches. Ces poches sont aussi appelées poches crantés. Cranter le tissu, c’est le transpercer au ciseau. Ce que l’on fait pour ouvrir la crevée dans laquelle passera la main.
Si vous prenez une pièce de tissu, percer celle-ci pour y ouvrir une poche est simple. Mais protéger les bords du tissu de l’effilochure n’est pas simple.
Ainsi a-t-on recourt aux passepoils, deux minces bandes qui encadrent et protègent l’ouverture. Sur une veste, il y a deux poches sur le côté à l’extérieur et parfois une poche ticket. A l’extérieur toujours, la poche poitrine n’est pas passepoilée, c’est une autre technique. A l’intérieur ensuite, il y a généralement trois à quatre poches passepoilées.
Pour chaque poche, on peut compter un passepoil en bas, un passepoil en haut. Entre ces passepoils, il est possible de disposer une patte, aussi appelée rabat (comme à l’extérieur) ou une patte triangulaire (comme à l’intérieur). Sur la photo ci-dessous, le rabat s’intercale entre les deux passepoils. De fait, celui du bas est caché.
Normalement, les passepoils se coupent à 90° du tissu général, pour être dans le sens résistant. Il n’est donc pas possible de raccorder les passepoils au motif de la veste. Sauf chez Anderson & Sheppard à Londres, qui les coupe avec raccord, comme sur la veste ci-dessus…!
Le pantalon compte généralement deux poches passepoilées à l’arrière. Les poches de côté du pantalon sont généralement réalisées dans un biais par une technique simple. Mais les tailleurs grande mesure adorent montrer leur savoir-faire en réaliser les poches de biais, et passepoilées. Il faut l’aisance d’un pantalon à pinces pour cela. Disposée un peu plus en avant sur la cuisse, la poche côté passepoilée est la simple démonstration d’une fine qualité et d’un certain tapage de la technicité. Car à vrai dire, c’est assez laid. Sur la photo ci-dessous, le tailleur Edward Sexton a essayé de réinterpréter son héritage tailleur pour proposer une poche avant de pantalon, passepoilée, à un seul passepoil épais :
A l’arrière du pantalon, les poches présentent parfois un seul gros passepoil. En réalité, celui du haut descend (sans s’enrouler sur lui-même) et celui du bas monte un peu plus pour recouvrir celui du haut. Me suivez-vous ? Il en résulte un passepoil unique et un peu large appelé… passepoil paysan. Une manière des tailleurs pour dissocier au cœur de leur corporation ceux qui font comme les grands, et les autres… Les règles de l’art des guildes ne se discutent pas. La petite poche gousset à l’avant des pantalons est parfois présentée sous la forme d’un petit passepoil paysan comme sur la photo ci-dessous :
Là encore, le passepoil paysan ne doit pas être confondu avec la poche poitrine, qui est une autre technique.
Double ou simple, vestes et pantalons sont à ma connaissance les seuls endroits où les tailleurs réalisent des passepoils. Et pour contredire la première définition, il est impossible de modifier, de remplacer des passepoils usés, car ils sont la poche même. Impossible de trifouiller quelque chose à cet endroit. Un passepoil craqué à l’angle est foutu. Les coins des passepoils sont leur talon d’Achille.
C’est pourquoi pour les rudes vestes d’extérieures et pour les blousons de cuir, les bouts des passepoils sont renforcés de mouches brodées ou plus sûrement de triangles de tissus cousus. Ou en tailleur fin, par des demi-lune comme sur la photo ci-dessous :
Les passepoils des poches sont donc de petits bourrelets aplatis de tissus qui garnissent l’ouverture. Jusqu’aux années 1920, lorsque le coût des ouvriers et ouvrières était ridicule, et lorsqu’il était de mise de piquer à la machine avec des points super serrés (qui abimaient la vue des ouvriers et ouvrières, mais qu’importe), les passepoils étaient ridiculement minuscules. Les ouvertures des poches faisaient à peine deux fois 1 millimètre. Une apothéose de miniaturisation textile permise par les ouvriers comme je viens de le dire, mais aussi des tissus à la densité exceptionnelle, inconnus aujourd’hui. Sur la photo ci-dessous, l’exemple des boutonnières est frappant. Les passepoils de celles-ci sont minuscules :
De manière standardisée, un passepoil sur une veste fait plutôt 5mm de nos jours, bien que les belles confections italiennes essayent de conserver 4mm. L’ouverture d’une poche est donc d’environ 1cm.
Petite rareté, les passepoils sont parfois utilisés pour réaliser des boutonnières. Sous l’ancien régime, les boutonnières passepoilées étaient aussi répandues que les boutonnières brodées. Avec le temps, les civils ont plus recourus aux boutonnières brodées. Les habits militaires ou de corps civils, comme les Académiciens, ont conservé jusqu’à nos jours les boutonnières passepoilées. Comme d’ailleurs encore les vestes autrichiennes et les forestières. L’occasion d’apporter de petites touches de couleurs. Sur la photo ci-dessous d’un forestière Arnys, les boutonnières passepoilées sont en vert. Comme l’intérieur du col. Et comme le passepoil inséré en bordure de la poche.
Une idée formidable et raffinée que j’ai réutilisée pour mes propres Maubourg. Les boutonnières passepoilées coûtent fort chères à réaliser, mais sont très élégantes. Toutefois lorsqu’elles sont d’une couleur contrastée, les clients sont effarouchés devant tant d’audace. Alors je me contente de proposer des boutonnières ton sur ton. Dommage toutefois.
Voilà pour le tour d’horizon de ce pinacle de l’élégance masculine. Un mot porteur d’histoire. Un ouvrage technique et savant. Le passepoil permet ainsi de transformer la veste en un vrai sac à main. Elle devient un couteau-suisse aux multiples rangements !
Bonne semaine, Julien Scavini
article très intéressant, j’ai adoré … bonne journée
Merci pour cet article très détaillé, bien documenté et passionnant à lire.
En effet, rien de plus intéressant que ces articles techniques.
Cela dit, à mon goût, les boutonnières passepoilées sont jolies quand le passepoil est très fin, comme sur la veste militaire de l’avant-dernière photo. Dans ce cas il peut-être contrasté. Sinon je trouve que ça alourdit, notamment s’il est contrasté.
Merci pour toutes ces précisions !Je découvre l’intérêt des passepoils en bordure de veste.
Bonne journée.