Cela fait bien longtemps, en étudiant l’histoire, et en observant le présent, que je ne me fais guère d’illusion sur la durée d’usage du costume, ce vêtement unique, si élégant, et dans un certain sens si pratique. Le patron France d’un drapier bien connu me disait tabler sur une bonne vingtaine d’années encore. « Vingt années véritable boulevard pour les tailleurs » rajoutait-il, durant lesquelles le marché du prêt-à-porter allait continuer sa « consolidation », comprenez son attrition, et les tailleurs prendre une solide emprise sur cette élégante niche. Le terme niche n’est pas forcément joli. C’est celle du chien. En architecture classique heureusement, c’est souvent une cavité élégante toutefois.
Pour les clients, de plus en plus rares à porter quotidiennement le costume, le besoin de qualité va croissant. Le costume plus que jamais est un achat réfléchi, ordonné dans le temps. Une dépense qui compte et intéresse au plus haut point, parfois même avec l’aval de madame, comme une voiture. Pour les tailleurs essayant de faire ce travail avec conscience, c’est un bonheur. Il est évident que tout commerçant préfère cent fois discuter avec des amateurs éclairés. La relation commerciale n’en est que meilleure. L’objet réalisé est porteur d’un supplément d’âme. Qui s’appelle l’envie.
Pour revenir à mon propos initial sur la durée de vie du costume, j’étais assez d’accord avec ce drapier. Sortez de Paris, de La Défense, sortez de quelques hyper-centres régionaux (Bordeaux, Lyon, Lille, Strasbourg, Rennes et Nantes ?) et le costume est bien rare. Je ne peux pas dire que chez moi à Bayonne il y ait beaucoup de costumes visibles. A la mairie peut-être ? Quelques directeurs ça et là. Aux guichets des banques ?
Les mariages soutiennent encore bien le marché. Ainsi n’étais-je pas étonner lorsqu’au cours d’une visite cet été à la grande galerie marchande Carrefour d’Anglet, le magasin « Father and sons » mettait en avant une immense vitrine composée de costumes divers, avec en slogan « un été de mariages ». Un ballon d’oxygène impératif. Un cas pas typiquement français. En 2016, l’anglais Austin Reed, tailleur de Churchill, annoncait la fermeture immédiate de ses 120 boutiques et la suppression de 1000 postes. Ce printemps, TM Lewin annonçait lui fermer ses 66 boutiques d’un coup, coupant 770 emplois pour ne conserver que le marché online. Et aux Etats-Unis, Brooks Brothers s’est placé sous la protection des juges, faute à un marché du « tailoring » déboussolé. Les gens ne s’habillent plus.

Évidemment, le tableau est bien sombre. Pourquoi d’ailleurs en emplir les colonnes de StiffCollar, un blog plutôt heureux du classique costume ?
Pour remercier ceux qui, jour après jour, continuent de porter avec plaisir le costume. Ou à tout le moins, des ensembles dépareillés composés d’une veste et de pantalons « sartoriales ». Un client me disait récemment, jeune avocat, ne plus du tout être obligé, en télé-travail et même au cabinet, de porter le complet. Cela toutefois lui faisait plaisir, en complément de quelques vestes à la lisière du blouson.
Finalement, s’annoncer chaque matin au monde dans une si élégante tenue, c’est témoigner. C’est montrer que l’on croit en cette digne ordonnance. Un plaisir pour soi, et une générosité pour les autres, ceux qui voient. Un peu comme en architecture. Il y a ceux qui vivent DANS le bâtiment. Qui veulent de la commodité. Et il y a ceux qui vivent EN FACE du bâtiment, et qui aimeraient voir un peu autre chose que du béton brut.
Le vêtement tailleur est un ornement, une beauté pour le corps. J’irais même plus loin pour finir. Le vêtement tailleur est finalement, et peut-être, une sorte de religion. Chaque porteur du costume est en fait porteur d’une bonne parole. Qu’en pensez-vous? C’est pas plus mal de se croire faisant parti d’un peuple élu n’est-il pas? Je dis cela avec une pointe d’amusement et d’ironie. Le fait est qu’il faut chérir cette petite touche de différence qu’apporte le costume. Il faut avoir conscience de la bonne valeur de ce dernier et de son importance, plus que formelle, mentale.
Vous allez me dire, de quelle bonne parole le costume serait le marqueur? Et bien que la beauté compte un peu encore. Que l’harmonie aussi, et le charme peut-être. Et qu’à travers cet habit supérieur, une lutte contre l’ordinaire s’engage. Tout un débat. Bonne réflexion sur le sujet !
Bonne rentrée et portez vous bien !
Bonne semaine, Julien Scavini
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Question aux lecteurs suisses. Ou de la proche frontière française. A la demande de quelques clients, je pense venir faire un saut à Genève, probablement deux jours fin novembre, le 23/24 par exemple. Au cours de ce trunk-show, je serai en mesure de proposer mon service de demi-mesure. Avec un retour pour essayages en janvier. Y aurait-il des intéressés ? Faites tourner l’idée autour de vous.
Écrivez moi > tailleur@scavini.fr pour vous inscrire.
Le problème est qu’il est difficile de témoigner d’elégance devant tant de pauvreté.
Voici un peu de réflexion sur le costume :
http://www.lamesure.org/2020/08/reflexions-du-et-sur-le-costume-et-la-coutume.html
Merci pour cet ajout au débat !
Merci pour ce nouvel article, cher Julien. J’ai souvent regardé la mode, disons l’habillement, comme une tension entre un besoin et un désir, entre le besoin de se vêtir, variable, et le désir de séduire (mais qui ? c’est une autre question). Regard banal… Qui dit tension dit instabilité, et l’histoire de l’habillement, émaillée d’évolutions techniques dans la façon de répondre au besoin de se vêtir, témoigne de cette instabilité par une évolution constante.
Dans ce contexte, en effet il y a comme un credo, plutôt que comme une religion pleine, dans le port du costume en 2020. Un credo… L’épaule endolorie par une blessure récente, je souffre en ce moment le martyr pour rabattre le col de mes chemises sur une cravate bien nouée, mais je le fais: vais-je remettre en cause trois siècles d’élégance masculine en occident pour une petite douleur individuelle ? Un credo, vous dis-je ! Que j’espère, en bon prosélyte, aussi respectable et convaincant qu’irrationnel.
Merci pour votre ténacité à rester chic et implacable 🙂
La mode est au dépareillé : veste bleu ou grise / chino ou jean (!) / sneakers (!)
Je crois que le vrai problème je ne sais pas si vous allez me suivre, mais c’est surtout la durabilité.
C’est à partir de 400 euros qu’une paire de chaussure est confortable et dure dans le temps.
Pour les costumes je ne saurai pas du tout vous dire, mais en vous lisant je vois que la flanelle ne tient pas dans le temps et en discutant avec ceux qui fournissent les costumes en demi-mesure à Paris, ils disent à peu près la même chose et, par exemple, que rien ne sert d’avoir un costume entièrement entoilé si le tissu n’est pas de haute qualité, le semi entoilé est suffisant.
Mi-saison est peut-être le moment le plus intéressant pour le costume et ceux que l’on croise à Paris sont un peu dans le même schéma : surchemise en denim, blouson, ou déjà le manteau d’hiver (on croise des Canada goose à Paris en ce moment…).
Je vois à l’avenir, toujours le dépareillé mais avec l’abandon du jean (oui j’y crois…), c’est tellement peu résistant que la nouvelle génération portera à mon avis d’autres pantalons, mais peut-être pas en taille haute !
Le costume complet, même à l’opéra est rare ! On croise parfois des costumes Cifonelli, mais une ou deux fois par saison.
Ah ça, l’avenir nous le dira. Wait & see comme disent avec justesse les anglais !
Mon pauvre monsieur, aujourd’hui les temples sont en ruine, celui du costume comme les autres. L’homme a reconquis le droit de dépareiller le haut et le bas et de jouer avec les couleurs. Il reste à le débarrasser des « paddings » et autres épaulettes qui le rembourrent depuis bientôt un siècle. Ce n’est plus la carrure qui fait l’homme. Ces rehausseurs de virilité en ouate ont quelque chose de grotesque.
Certes. Mais le costume peut aussi se débarrasser de la ouate pour être plus souple et léger.
Et il est vrai, que si le costume disparait, au profit de dépareillés intéressants, crions de joie. Mais il disparait en même temps que le dépareillé chic.