Je m’intéresse beaucoup aux arts du feu, à savoir en langage plus simple, la poterie. C’est un univers extrêmement large, de la faïence aux grès en passant par les porcelaines. Il y en a pour tous les goûts et tous les styles. C’est passionnant. En étudiant un peu le marché pour voir les goûts et les couleurs contemporains, une chose m’a frappé, l’apparente simplicité et l’esprit tout à fait organique qui prévaut à l’heure actuelle. Tapez dans google images « vase contemporain » et observez les réponses. C’est le règne d’abord de l’asymétrie. Et ensuite de l’aléatoire. Il y a des formes et des finitions infiniment complexes. Mais seul l’œil aiguisé le voit. Car elles ont en commun avec le reste de la production de paraitre simples, de paraitre faciles. Les glaçures font la part belle aux effets aléatoires de la chimie. Les pigments s’expriment et les coups de pinceaux sont montrés. La main si elle façonne l’objet lui laisse son empreinte. Il y a une volonté manifeste de l’époque de montrer la poterie presque au naturel. Avec une simplicité apparente.
Finis les grands vases soutenus par des sphinges. Finies les anses savamment enroulées. Finies les pommes de pin ciselées en haut des couvercles. Finies les peintures de paysages ou d’évènements. Finie l’absolue symétrie. Finie le délire de technicité. Nous ne sommes plus à l’ère des jardins à la française, mais bien à celle des jardins à l’anglaise pour faire une analogie. L’ère est à la simplicité. Visuellement tout du moins.
Le vêtement est en aucune manière étranger à ce phénomène. Tout ce qui parait construit, apprêté, organisé fait peur. Le costume, appelant une certaine maitrise de l’objet à l’achat et à l’entretien, ainsi que le suivi de règles pour le porter, qui à défaut d’être toujours précises sont variées, fait peur et lasse. Même la veste ou un pantalon de laine. S’habiller de manière formelle fait appel à une exégèse. Derrière le savoir-faire, il y a un savoir-être. Or, ce n’est pas l’esprit de l’époque. Car ce n’est pas « au naturel ». Les start-upeurs préfèrent le t-shirt et le sweat à la cravate. En apparence plus simples. Pourtant leur message est étudié. Ça a l’air simple, mais c’est pourtant bien réfléchi. La banque Goldman Sachs ne s’y est pas trompé dans ses recommandations à ses collaborateurs. Il faut être plus décontracté, plus proche du client.
D’une certaine manière, je pense, et je trouve que cette évolution du langage vestimentaire, comme du langage architectural ou du langage des potiers pour y revenir, est un total aboutissement de la déconstruction amorcée en philosophie dans les années 60. Le questionnement est partout. Qu’est-ce qu’un vêtement ? Qu’est-ce qu’une fenêtre ? Qu’est-ce donc qu’un vase ? Ce faisant, les réponses vont des plus basiques – c’est le plus simple, souvent le plus navrant et le plus rabâché – aux très érudites, réservées à une frange de la population qui veut le comprendre.
Prenez l’exemple du jean et du chino. Pantalons devenus universels, ils se déclinent maintenant tous avec de l’élasthanne et des coupes « easy » . A longueur de publicités, la simplicité du port et de l’usage sont vantés. A l’envie. Le confort ultime est à la clef. L’allure débraillée suit juste derrière à mon avis. Ça parait cool parce que ça parait simple et facile.
Qu’est-ce qui peut expliquer cette apparente volonté de simplicité en tout ? Le progrès actuellement semble être la volonté farouche de simplicité. De plus basique. Pourquoi vouloir à tout prix affadir et abréger ? Serait-ce parce qu’à contrario de toutes ces futilités que je viens d’évoquer, la vraie vie, elle, est de plus en plus dure ? De plus en plus concurrentielle dès la naissance ? Qu’à longueur de réseaux socio et de télévision, la réussite et les apogées individuelles sont portées aux nues ? Que nous sommes de plus en plus nombreux sur terre et qu’il n’est pas aisé de trouver sa place ? Que l’informatique, loin de simplifier totalement la vie, rend le rapport à celle-ci totalement nouveau et différent ? Que les problématiques environnementales et sociétales, si complexes pour le coup, obligent à simplifier le reste ?
Je n’apporte aucune réponse, je me questionne tout simplement. Je sais très bien que pour une majorité de la population, ce sont des questions de vieux crouton ! Mais pour mon secteur d’activité, le textile, la projection de ces questions est passionnante !
Bonne semaine, Julien Scavini
Je pense que le problème d’aujourd’hui est l’appauvrissement de la classe moyenne. Conséquences, on va vers ce qui est simple et moins cher. Rien que le fait de porter une cravate dans le métro attire l’attention.
J’imagine les jeunes aujourd’hui qui vous suivent et qui doivent expliquer à leurs amis que leur costume coûte plus de 1000 euros. Ils mentiront sans doute devant leurs amis ! Dès qu’on dépasse la barre des 500 euros pour un costume ou bien 200 euros pour des souliers, les gens ne comprennent plus, alors que ce sont souvent des détails qui permettent une longévité plus importante.
Dostoïevski disait que « la beauté sauvera la monde »; espérons qu’il ait raison.
Questions pertinentes, réponses difficiles.
J’adore le clin d’œil au capitaine Haddock. Bravo !
Bonjour
J’apprécie beaucoup votre blog
Cette pauvreté vestimentaire vient peut-être aussi d’une forme de « grand laisser aller social dépressif » à une époque où l’on peut tout faire sans bouger de chez soi et subir le regard des autres (acheter ses courses, voir un film, choisir un livre ou même un pantalon 😉 )
Avec le Covid, les gens se lasseront de ressembler à des sacs, docilement vautrés sur leur canapé
Omnia vincit politus