Cet article est une contribution de mon ami Maxime C. Je l’en remercie.
Il existe, dans le petit monde sartorialist, un petit groupe de fans de Brett Sinclair. Surtout en France, d’ailleurs ! La principale raison en est que la série dont est issue ce personnage fut, en dépit de moyens conséquents, un « flop » dans le monde anglophone, mais un réel succès en France, notamment du fait de la grande qualité des dialogues et du doublage.
En préambule, rappelons à ceux qui l’ignore que Brett Sinclair est le personnage principal de cette série[i]. Aristocrate britannique désœuvré, il court le monde autour de ses passions se résumant aux courses automobiles et aux conquêtes féminines. Dès le premier épisode, il rencontre – dans une scène légendaire, presque une parade nuptiale entre deux mâles s’affrontant au volant de leurs bolides respectifs, une Aston martin DBS pour l’un et une Ferrari Dino 256 pour le second – un alter ego en la personne de Danny Wilde, richissime et excentrique américain. Tous deux vont dès lors chercher à sauver la veuve et l’orphelin (surtout la jeune femme, pour être honnête), sous l’égide d’un mystérieux juge qui réussit, ce faisant, à donner un sens à leur vie. S’ensuivront de nombreux voyages, des courses poursuites et, bien entendu, de nombreuses conquêtes féminines, qui forment la conclusion presque systématique de chaque épisode.
Brett Sinclair est interprété par Roger Moore. Celui-ci est alors, déjà, une grande star internationale pour son rôle de Simon Templar dans Le Saint, mais pas encore l’icône qu’il deviendra l’année suivante en interprétant James Bond. Le personnage de Brett Sinclair, qu’il interprète à l’aube de son quarantième anniversaire, et dont il dessine lui-même les costumes[ii], est donc un personnage de transition dans sa carrière, plus élégant et audacieux qu’un Simon Templar, trentenaire chic d’origine plus modeste, plus marginal et peut être moins classiquement viril qu’un James Bond plus formel.
Dans Amicalement vôtre, Roger Moore rayonne dans un début de quarantaine qui n’a rien enlevé à sa plastique de jeune premier. Sûr de lui, il se créé une garde-robe qui exprime sa personnalité et l’aide à séduire les plus belles jeunes femmes. En un mot, Roger Moore, dans cette série, « s’éclate », si vous me passez l’expression, avec la garde-robe de son personnage tout en exprimant ses propres préférences stylistiques.
Le personnage de Brett Sinclair est plus complexe qu’il n’y parait. Côté face, il est un authentique aristocrate anglais, membre de la Chambre des Lords. Il développe toutes les vertus chevaleresques associées à son statut et se pique d’un humour très « british », sachant rire de lui-même. Côté pile, l’aristo devient volontiers bohème, officiellement ruiné (ruiné en Aston Martin, élégance avant tout !), sachant jouer des poings lorsque nécessaire. Il est aussi, en dépit des traditions, un homme de son époque qui s’inspire de la dernière mode. Sa garde-robe, bien sûr, témoigne de la dualité du personnage, c’est d’ailleurs l’une de ses principales caractéristiques.
Cela se matérialise d’abord par des choix stylistiques prenant leur source dans la grande tradition britannique : costume trois pièces, veste norfolk, high buttoning jacket, etc. Cette base est complétée d’inspirations à l’époque très tendances, dans leur forme ou leurs couleurs, avec par exemple une chemise orange, des pantalons un peu larges, des chemises à jabot en certaines circonstances, sans oublier, par exemple, une burma jacket[iii] très en vogue dans les 70’s où l’on aimait les smokings à veste claire ou de couleurs. Débutants s’abstenir, mais quel plaisir à l’heure des smokings mal coupés que la presse people nous laisse à voir.
Brett Sinclair donne une clé essentielle pour l’élégant d’aujourd’hui : s’inspirer de la tradition en sachant écouter la tendance, idéalement en l’anticipant plutôt qu’en la suivant !
Plus généralement, ses tenues se matérialisent par la grande versatilité des pièces qui la composent.
Prenons l’exemple de sa veste croisée, classique dans le style général mais très fantaisiste par le choix d’un tissu à large rayures marron et verts et à rayures dark green[iv]. Il la porte souvent très classiquement avec un pantalon gris ou crème, une chemise claire et une cravate. La même peut aussi apparaitre avec une chemise ouverte, un pantalon plus fantaisie ou encore un foulard. Ainsi, il la porte même en camping avec un foulard négligé, le même pantalon crème et des mocassins blancs ! A réserver aux élégants expérimentés !
Second exemple avec une chemise orange. On la retrouve à la plage, sur un simple pantalon clair, manche doucement relevées. Plus audacieux, la même chemise reparait le temps d’une soirée, portée comme une veste détente, avec un foulard foncé pour lui donner du coffre. On la retrouve encore, largement ouverte, avec le même foulard noir qui lui donne, cette fois, un look de rock star des 70’s.
Autre exemple avec une veste façon cardigan, en maille, croisée, marine[v]. On la retrouve portée aussi bien de manière habillée mais décontractée, avec une chemise Lila et une cravate parme – pour Brett Sinclair, la tenue parfaite pour une balade en voiture – ou encore de manière plus habillée sur la même chemise orange que précédemment, dans l’esprit smoking négligé.
Il traite, de même, ses autres vestes de smoking, sa saharienne et, plus généralement, toutes les pièces de cette garde-robe qui tiendrait presque entière dans deux valises. Du reste, une troisième rentrerait-elle dans le coffre de l’Aston Martin ?!
Que contient la garde-robe de Brett Sinclair ? En réalité, presque rien au goût de l’élégant très doté et certainement peu de choses, même pour la majorité des lecteurs.
On y trouve pêle-mêle[vi]
- un costume gris très classique, trois pièces à large revers et à crans superbes. La veste est parfois portée seule, sur un pantalon gris clair. L’ensemble est coupé dans une laine grise à très fine rayures gris clair, créant un effet faux unis[vii]. Le gilet droit compte 6 boutons et le pantalon, droit, se porte sans ceinture.
- Un costume bleu, avec un bel effet de matière donnant une apparence de rayure (chevron ?).
- Un costume plus audacieux, gris clair, croisé, à fine rayures marrons[viii], dont la veste est par ailleurs parfois portée en dépareillée, comme ici, avec un foulard en guise de cravate.
- Un costume chocolat, de coupe classique.
- Plus audacieux : un costume vert foncé à haut boutonnage, porté surtout à Paris et pour aller aux courses hippiques[ix].
A ces cinq costumes s’ajoutent quelques vestes dont
- la croisée évoquée plus haut,
- une belle veste dans les tons chocolats, à motif « pince de galles » beige,
- une « norfolk jacket »[x] et enfin
- deux vestes en maille, une bleue marine, également évoquée précédemment, et une chocolat, à coupe droite, portée avec un pull à col roulé camel.
S’y ajoutent
- quelques vestes de smoking, dont une en velours noir[xi], pour des soirées détente et
- la burma jacket,
- ainsi qu’une saharienne dans les tons beiges[xii].
On y trouve également des pantalons, chocolat, beige ou gris, quelques chemises de couleurs, orangée, verte… et une foule de chemises blanches.
Quelques pull-over, notamment à col roulé en cachemire (bleu pétrole, bleu foncé, blanc, brun), prêt du corps, complètent le tout avec quelques manteaux dont un gris à col ou encore un superbe manteau de type trench en cuir chocolat à très large col. Un trench coat revisité de couleur crème, d’une coupe similaire, apparait enfin quelquefois[xiii].
C’est la seconde grande leçon de l’élégance sinclairienne : le personnage possède (relativement) peu, mais bien ! Toutes les pièces sont choisies avec le plus grand soin et portées avec une telle audace que sa garde-robe s’en trouve, en quelque sorte, démultipliée. En définitive, nous sommes ici aux antipodes de certaines idées reçues qui commanderaient, lorsque l’on possède peu de pièces, de choisir des pièces classiques pour les accessoiriser. Il y certainement là à méditer pour l’élégant d’aujourd’hui !
En la matière, il faut mettre en exergue les quelques choix stylistiques récurrents de Brett Sinclair, dont certains méritent d’être, sinon tentés, au moins retenus, ne serait que pour se démarquer des poncifs actuels.
En premier lieu, notons que les chemises sont presque toujours à poignets napolitains[xiv] s’agissant des chemises de jour. Les chemises habillées sont portées, plus classiquement, avec des boutons de manchettes tandis que les chemises fantaisie ont des poignets droits conventionnels. Ces deux dernières, en revanche, proposent une structure plus audacieuse, avec deux poches poitrine à soufflet. Visuellement, cela renforce les pectoraux du personnage tout en donnant plus de prestance à une chemise fantaisie. Par ailleurs, cela lui permet de jouer, comme évoqué précédemment, la carte de la versatilité en transformant la chemise en veste légèreà effet saharienne portée dans différentes configurations.
Notons aussi une réelle prédilection pour les vestes croisées, les vestes à boutonnage haut ou encore les costumes trois-pièces. En définitive, Brett Sinclair ne porte quasiment jamais un simple veste deux boutons ou trois boutons dont seul le second serait fermé. Par ailleurs, il use largement du revers de bas de manche tandis que les boutonnières des manches n’ont généralement qu’un seul bouton, sauf exception (il y en a deux pour la Norfolk jacket, dont aucun n’est porté ouvert).
A la même époque Roger Moore utilise le même type de poignet sur un costume qu’il porte à la ville et non dans la série. Il se montre au sommet de l’élégance dans un fort beau peack label suit, trois pièces. On retrouve les poignets des chemises et les revers de manche typique de la garde-robe de Brett Sinclair, et la même prestance. Le pantalon est cependant plus large, époque oblige, tandis que la tenue s’accessoirise avec des boots noires à zip, une cravate parme faux unie et une pochette de même ton[xv].

Les cravates sont évidemment importantes dans la garde-robe d’un gentleman. On trouve chez Sinclair deux types de cravates. D’abord, des pièces très formelles, souvent de couleur unie, mais jouant sur la texture. (Assez étonnement, je possède moi-même une cravate dans ce gout, de couleur bordeaux, de chez Turnbull and Asser). Ensuite, des cravates fantaisistes, souvent à ramages, mais jamais de cravate en tricot, ni de polka dot tie[xvi] et encore moins de cravate à motifs.
Plus largement, Brett Sinclair est un champion du foulard, porté en de nombreuses occasions. Noué façon cravate ou simplement noué autour du cou, avec une chemise ouverte, avec ou sans veste. Il ose même, le temps d’une soirée à domicile, le foulard sombre sur chemise blanche à jabot, avec veste de velours verte foncé. Face à une cravate souvent formelle, le foulard est certainement la pièce exprimant le mieux l’humeur du personnage. En revanche, il ne porte jamais de pochette, contrairement à Roger Moore à la ville.
Autre point crucial : Brett Sinclair choisit des couleurs assorties à sa carnation et à ses cheveux. Même sa voiture met en avant son teint. Cela explique le choix récurrent des couleurs à base de brun, y compris dans des configurations peu communes, comme on l’a vu sur certaines vestes. Là encore, un bon réflexe à adopter en allant voir son tailleur !
Enfin, quelques éléments vestimentaires plus anecdotiques parsèment la série : une veste de marin blanche, une tenue de lord, couronne comprise, une tenue d’équitation à veste chocolat ou encore une veste d’intérieur bleu-roi à parements noirs, portée en camping[xvii]. Effet garantie si vous campez dans votre domaine de chasse solognot, peut-être un peu moins dans un camping municipal languedocien. Encore que : la grande leçon de notre héros n’est-elle pas, au fond, de porter ce que bon lui semble quand bon lui semble, persuadé que son sens du style et de l’humour suffisent à parfaire son élégance. La confiance en soi, voilà la leçon magistrale, et à la portée de toutes les bourses, à retenir de notre héros de la semaine.

[i] Il est très facile de trouver la série dans sa version française intégrale sur Youbube. Attention, l’ordre des épisodes est celui diffusé en France, qui ne correspond pas, sauf pour le premier, à l’ordre officiel de la série.
[ii] Ces derniers étant coupés par Ciryl Castle, tailleur ayant travaillé pour la série « Le Saint » et qui travaillera pour quelques épisodes de James Bond avec Roger Moore
[iii] Décrite et illustrée sur l’excellent blog Bondsuits : https://www.bondsuits.com/the-persuaders-burma-dinner-jacket/
[iv] Décrite et illustrée sur l’excellent blog Bondsuits : https://www.bondsuits.com/the-persuaders-the-striped-blazer/
[v] Pour en savoir plus sur ce blazer façon cardigan, voir ici de nombreuses précisions et illustrations : https://www.bondsuits.com/the-persuaders-the-cardigan-blazer/
[vi] Précisons que ce travail repose sur le visionnage des vidéos intégraux de la série. La qualité des images disponibles ne permet pas toujours de préciser les détails notamment des tissus. Ainsi, il est possible que plusieurs costumes bleus, de coupe proche, cohabitent dans la série.
[vii] Voir ce costume en détail ici : https://www.bondsuits.com/the-persuaders-a-more-conservative-charcoal-three-piece-suit/
[viii] Décrit ici et fort bien illustré : https://therake.com/stories/style/week-channelling-lord-brett-sinclair-persuaders/ ou encore ici : https://www.bondsuits.com/the-persuaders-a-sporty-striped-suit/
[ix] Pour en savoir plus (en anglais) sur ce costume inspirant : https://www.bondsuits.com/the-persuaders-high-buttoning-green-suit/
[x] Décrite et illustrée ici : https://www.bondsuits.com/persuaders-tweed-norfolk-suit/
[xi] Id/ https://www.bondsuits.com/the-persuaders-roger-moores-black-velvet-dinner-jacket-for-an-intimate-affair/
[xii] Décrite et illustrée ici : https://www.bondsuits.com/persuaders-suede-safari-jacket/
[xiii]On pourrait croire à un manteau fait pour un chasseur sur le perron d’un grand hôtel. Il apparait ici en fin d’article : https://www.bondsuits.com/the-persuaders-the-cardigan-blazer/
[xiv] Voir, à ce propos, l’excellent article de ce blog : https://stiff-collar.com/2021/09/28/le-poignet-napolitain/
[xv] Voir ici de nombreuses illustrations : https://www.bondsuits.com/roger-moores-peak-lapel-suit-on-the-dick-cavett-show/
[xvi] Voir, à ce propos, l’excellent article de ce blog : https://stiff-collar.com/2018/03/12/la-cravate-a-pois/
[xvii]Parmi les pièces moins portées figurent aussi une veste d’intérieur à motifs cachemire, quelques polos dont l’un couleur jaune poussin, un blouson façon forestière noir à parements blancs, un beau pyjama rayé, un peignoir bleu roi avec large initiales sur la poche poitrine et un autre à la manière d’un tartan, clin d’œil aux origines écossaises de la famille, à fond rouge…
Belle et bonne semaine.

Chers lecteurs, rien à voir avec cet article, mais pour la boutique des Pantalons, je suis à la recherche urgemment d’un vendeur pour le samedi ! Profil jeune homme, dynamique, aimant le contact et sachant sourire, avec expérience dans la vente. Ou sans? à voir. Premier jour dès le samedi 23 octobre. CV et motivation rapide à ce mail > contact@scavini.fr
… Enooorme ! Bravo et merci pour ce joyau du blogging, c’est une belle tranche d’étude vestimentaire, à la fois académique et savoureuse.
Bravo pour cet article. De belles inspirations, même s’il n’est pas facile de s’habiller « à la Bret Sinclair » dans la « vraie vie ».
Une remarque : en français versatile siginifie ; qui change facilement de parti, d’opinion. La traduction de l’anglais « versatile » serait plutôt « polyvalent ».
Excellent article
J’avais croisé accidentellement Roger Moore dans une épicerie alors que je visitais Monaco…
De retour de la plage, en slip de bain, claquettes et Marcel, James Bond avait moins d’allure 😉
L’Aston Martin moutarde, la chemise orange ou encore la cravate foulard aux motifs psychédéliques…
Ouach! Ça pique un peu quand même
C’est fou l’evolution des goûts et des couleurs
Merci pour ces pépites et pour vos chroniques