L’ancêtre des habits et son sousbressaut

Suite à l’article sur les habits formels, voici deux exemples, l’un préfigurant ces vêtements contemporains, l’autre figurant son héritier le plus direct:
Le premier est donc la version originelle, présentée ici dans la mode de 1830, peu avant l’intronisation de la reine Victoria. C’est l’habit qui a donné à Beau Brumel la base du costume contemporain, raccourcit par rapport à cette version du « frac », caractérisée par sa coupe courte et horizontale à la taille. Ces ensembles étaient la plupart du temps en lainage, voire en velours de soie, avec un col châle très imposant, très rembourré, recouvert de fourrure ou de velours… Le col de chemise était haut, et entouré d’un ancêtre de la cravate lavallière. La coupe du frac était croisée, sur de nombreux boutons. Le dos présente par ailleurs en quatre partie, avec une couture courbe, parant de la taille et mourant dans les homoplates aux manches. Deux boutons sont présents dans le dos, pour placer une martingale (et même un détail plus ancien: une sorte d’étuis, de trousse de gens d’armes, analogue aux ‘bananes’), deux boutons qui sont conservés dans les queues de pie d’aujourd’hui, en ayant perdu tout usage…

Le pantalon était très serré, maintenu en bas par des passants entourant le soulier sous la semelle (plutôt des bottines à l’époque). Le pantalon était d’ailleurs si près du corps qu’il marquait fortement l’entrejambe, donnant, d’après la légende, l’idée au prince Consort de se faire poser un percing sur le sexe pour tendre le dit attribut avec une ficelle, percing toujours appelé ‘prince Albert’…

La version la plus contemporaine de cet habit est la tenue de cavalier, très représentée dans les conventions équestres. Le frac conserve sa forte croisure, mais avec un cran aigu cette fois-ci. Il est complété par un gilet et une culotte de cheval (la bien nommée) réalisée dans un lainage fort, de type cavalry twill ou whipcord. La lavallière complète toujours l’ensemble. Les pans intérieurs de la queue de pie sont recouverts de cuirs, pour éviter que la sueur acide du cheval n’abime le lainage, cuirs qu’il faut changer tous les deux ans en moyenne, à l’instar des ensembles de chasse à courre.

Un de ces habits de cavalier est actuellement exposé dans le hall de l’Association de Formation Tailleurs, avenue Victor Hugo dans le 16ème.

Les habits formels

Suite à de nombreuses demandes concernant le sujet des habits, voici ce court article pour clarifier les idées sur les noms et les formes de ces pièces bien souvent oubliées du vestiaire contemporain.

La confusion provient le plus souvent de la complexité des noms, entre dénomination anglo-saxonne et française. Je donnerai donc les deux pour être bien sûr que tout le monde comprenne. Commençons d’abord par les habits de soirées:

– Le premier est l’habit de soirée par excellence, réservé aux grands bals et aux soirées d’ambassadeurs, éventuellement aux premières d’opéra, mais c’est plus que rare. Son nom français est : habit ou frac ou queue de pie, ou encore cravate blanche. Son nom anglais est : frack (avec un k) ou white tie. Le veston arbore des revers de soie, à crans aigus et ne se boutonne pas à la taille (forme analogue au spencers). On le porte généralement avec un chapeau haut de forme et des souliers richelieus noirs. Le pantalon arbore deux galons parallèle sur le côté. La chemise est généralement une popeline empesée, pourquoi pas plastronnée, à col cassé. Le nœud papillon et le gilet sont en piqué de coton ou marcela blanc. Le gilet a un quadruple boutonnage bas et est très échancré, avec deux revers plats. Les gants blancs complètent la tenue. MAJ: le gilet en marcela ne doit pas dépasser du veston bien évidemment (ce qui est rare sur les nombreuses illustrations google). Le port de bretelles s’impose aussi pour soutenir le pantalon en place.

– Le deuxième est le plus connu: le smoking en français, ou dinner jacket en anglais, autrement appelé black tie (cravate noire). Exclusivement réservé à l’origine aux diners intimes (à la différence des diners d’État ou de grandes réceptions en queue de pie) d’où son nom, il est aujourd’hui une tenue de soirée de bon ton. Je renvoie à l’article sur les smoking pour plus de précisions. Le pantalon arbore un galon sur le côté. On le porte plutôt avec une chemise à col turn-down sur le continent, en popeline blanche, avec les boutons cachés éventuellement. Le nœud papillon est noir. Les souliers peuvent être des richelieus noirs vernis, ou des mocassins à gros nœud de soie noire, appelé opéra pump en anglais.

Ces jaquettes sont identiques dans la forme. Les anglais la nomment morning coat. C’est l’habit par excellence des matins londoniens de l’aristocratie et des courses à Ascot. Il se porte soit avec un haut de forme, soit avec un melon, gris plutôt. Le nom français est donc jaquette (et non pas queue de pie). Le veston s’attache par une bouton dit jumelle (double bouton à la taille). Les gentlemen peuvent le porter uni ou dépareillé. Le premier exemple fut arboré par le prince de Galles aux dernières courses, dans une version unie, avec gilet croisé, et cravate simple, sur chemise à col blanc. Le deuxième exemple est plus dans la tradition française des mariages, avec un pantalon rayé dépareillé et un gilet de couleur marquée en soie. La cravate lavallière complète la chemise à col lavallière. Les souliers sont le plus souvent des richelieus noirs, mais les bottines sont aussi un excellent choix.

Retenez donc la différence entre queue de pie (frack), pour les soirées royales et les chefs d’orchestres et jaquette (morning coat), pour les mariages et les courses. Leurs usages ne sont pas du tout identiques et il serait fâcheux de se tromper. N’hésitez pas à sortir ces vieux classiques pour vos événements familiaux de fin d’année (la queue de pie plutôt) ou vos mariages (la jaquette alors), ce sera du meilleur effet, sans que vous ayez besoin de vous mettre la tête au court bouillon pour trouver un vêtement dont le goût sera fortement discutable du point de vue de l’élégance.

MAJ: vous souhaitez trouver ces articles dans le commerce? Il faudra trouver la bonne crèmerie alors… Hackett propose de beaux Morning Coat et Brooks Brothers de sympathiques Frack. Old England peut vous venir en aide, comme d’ailleurs le service mesure industrielle de Handson…

Mariez-vous qu’ils disaient…

Ce jour, nous allons étudier les différentes possibilités qui s’offrent à l’homme élégant pour le jour de son mariage. Une chose est sûre dans tous les cas, le port du costume de ville (ou dans son appellation contemporaine, costume de travail) n’est pas autorisé pour des noces. Le côté formel de l’habit devra être primordial. Votre femme fera un effort souvent démesuré, digne des plus grands chantiers navals, pour construite sa tenue, ne vous contentez pas du minimum légal.

Également, je ne vais certainement pas vous présenter les horreurs du style Canotier et consort, qui font passer les veste trop longues pour des redingotes d’un nouvel âge. Nous resterons dans une ligne classique, sobre, car il convient de ne pas faire d’ombre non plus à la robe de la mariée. C’est elle que l’on doit admirer. Exit donc les gilets rouge et or. (Par ailleurs, la rédaction de SC s’excuse pour les lamentables robes de mariée, mais SC n’a aucun goût en ce qui concerne le vestiaire féminin)

Premier exemple, le plus canonique: la jaquette:

mariage1

La jaquette est cette grande redingote à queue de pie, à un bouton. Une jaquette en gris moyen sera indiquée, avec un pantalon plus clair, de flanelle ou à rayures. Le gilet bleu est croisé. La chemise à poignets mousquetaires est bleue à col blanc (pourquoi pas détachable?), et la cravate lavande. L’homme sera ganté. Je n’opte pas pour la lavallière, mais pourquoi pas… Les tons sont donc dans les bleus clairs, tenue idéale pour un mariage dit ‘bourgeois’.

Deuxième exemple, plus sobre, plus urbain aussi, peut-être plus abordable, le costume un bouton à cran aigü:mariage2C’est en costume en flanelle anthracite, à un bouton (de type smoking), avec un gilet moutarde, une chemise bleue à col blanc, et une cravate en fin lainage bleu éteint. Il s’agit là d’un compromis pratique, qui permet de remettre le costume pour des occasions plus particulières, ou même en milieu profesionnel sans le gilet.

Le dernier exemple est le plus formel, le white tie ou habit:mariage3Cette tenue que les anglais appellent pour l’occasion ‘full formal’ est extrêmement rigoureuse et très très formelle. L’habit est constitué d’une queue de pie, d’un pantalon à double galon, d’un gilet en nid d’abeille, d’une chemise à col cassé et d’un nœud papillon en nid d’abeille également. Le port des gants s’impose. Stiff Collar lui donne sa préférence: l’habit peut se réutiliser; il permet aussi de rester sobre et élégant.

Enfin, détail sartorial unique au mariage, il convient d’arborer à la boutonnière un oeillet blanc, pris au bouquet de votre épouse. J’espère dès lors que vous éviterez le costume trois boutons en laine-polyestère beige…

Partie de chasse à Gosford Park

Les parties de chasse étaient jusque dans les années 60 des rendez-vous privilégiés pour le monde, permettant de s’évader pour un court instant de la ville. Les chasses du président Coty à Fontainebleau ou Rambouillet étaient célèbres pour rassembler les ambassadeurs, épaulés de gens d’armes, les bien nommés.

Durant rarement plus qu’un week end, ces rencontres plutôt aristocratiques étaient l’occasion d’un déménagement important de personnel et de matériel, créant un lien entre économie de la ville et économie de la campagne. Le très intéressant livre de Mark Girouar intitulé La vie dans les châteaux français, du Moyen Age à nos jours relate avec force détails ces allées et venues.

De même, l’une des grandes figures cinématographiques qu’est Robert Altman signa à ce sujet l’excellent film Gosford Park, (2002) qui relate avec brio les mécanismes à l’œuvre pour aller tirer le pigeon (ou le tetra).chasse

Ainsi, les grandes résidences de campagnes possédaient un personnel nombreux et hiérarchisé. Étudions la sociologie d’une maison habitée par un couple et leur fille, et conviant trois autres couples, soit neuf convives. Il fallait:

  • Un majordome (qui est attaché à la gestion du personnel, butler en anglais)
  • Une femme de charge appelée parfois gouvernante (qui est attachée à la gestion de la maison)
  • Le valet de Monsieur
  • La femme de chambre de Madame
  • La première femme de chambre (attachée aux autres chambres), attachée à la fille
  • Une femme de chambre, faisant le ménage, les chambres etc…
  • Deux valets de pied (footmen en anglais), pour le service et l’assistance au majordome
  • Une blanchisseuse
  • Une cuisinière
  • Quatre filles de cuisine
  • Un armurier pour la gestion du râtelier
  • Un garde chasse pour gérer le domaine
  • Huit rabatteurs, embauchés parmi les habitants du village pour servir de gens d’armes
  • Deux chauffeurs
  • Cinq garçons de maison, aidant aux tâches lourdes (transport du charbon, ménage etc…) sous les ordres du majordome
  • Cinq filles de maison pour aider dans toutes les tâches ménagères, sous les ordres de la femme de charge

A ce personnel de la maison s’ajoute le personnel des trois couples conviés:

  • Trois chauffeurs
  • Trois valet de Monsieur
  • Trois femmes de chambre de Madame

Nous arrivons ainsi au chiffre vertigineux d’une cinquantaine de personnes servant neufs convives invités à chasser, ce qui faisait de ces maisons de véritables hôtelleries de campagne. Le film de La Règle du Jeu de Jean Renoir permet de comprendre les systèmes sociaux à l’œuvre. Le soir dans tous les cas, et même si le tweed est de rigueur dans l’après midi, c’est white tie!

white tie